dossier - Végétaux d'ornement

Des plantes fleuries pour protéger de futures fleurs en « PBI plein air »

Alain Ferre* - Phytoma - n°651 - février 2012 - page 21

Des essais prometteurs sur cultures de plein air de rosiers de jardin et de chrysanthèmes
 Orius sp. dans une corolle (ph. M. Dubois)

Orius sp. dans une corolle (ph. M. Dubois)

Adulte de syrphe Sphaerophoria scripta, surHypericum perforatum (millepertuis). ph. A. Ferre

Adulte de syrphe Sphaerophoria scripta, surHypericum perforatum (millepertuis). ph. A. Ferre

Sur cette feuille de groseillier, des Braconidés adultes, dont celui de droite pond dans un puceron. ph. A. Ferre

Sur cette feuille de groseillier, des Braconidés adultes, dont celui de droite pond dans un puceron. ph. A. Ferre

Vue de l'essai 2008 d'utilisation de plantes-fleuries (potentilles et bidens) en culture de rosier. ph. A. Ferre

Vue de l'essai 2008 d'utilisation de plantes-fleuries (potentilles et bidens) en culture de rosier. ph. A. Ferre

Scène de chasse : thrips prédateur (Aeolothripidae) en train de prospecter dans une corolle d'Hypericum. ph. A. Ferre

Scène de chasse : thrips prédateur (Aeolothripidae) en train de prospecter dans une corolle d'Hypericum. ph. A. Ferre

Dans le milieu horticole, il se dit souvent que « la PBI, protection biologique intégrée, ça marche sous serre, pas en plein air. » De fait, en PBI sous serre, les auxiliaires de lutte biologique lâchés sont « coincés » dans la culture et on peut réguler la température, l'hygrométrie, etc., pour les favoriser. En plein air, les auxiliaires s'échappent si la parcelle ne leur convient pas, le climat s'impose, etc. Mais en rendant la parcelle accueillante pour les auxiliaires lâchés et attractive pour ceux spontanément présents aux alentours, on pourrait profiter de leurs services. La pose de plantes fleuries dans des cultures de futures fleurs pourrait jouer ce rôle. On l'a testée sur rosiers et chrysanthèmes. Bilan.

Après la mise au point de stratégies de la protection biologique intégrée (PBI) en cultures ornementales sous serre, le prochain enjeu est sa mise au point en productions d'extérieur. Mais la simple transposition des méthodes, outils et stratégies utilisées sous abri ne semble pas pertinente au vu des spécificités des productions d'extérieur.

La PBI sous serre, non transposable en plein air

Les parcelles de plein air sont en effet soumises à d'innombrables échanges d'arthropodes avec l'environnement.

Nos observations nous ont d'ailleurs convaincus de l'abondance des auxiliaires dans l'environnement. Pour s'en persuader, il suffit d'observer un milieu naturel pour constater que les pullulations d'insectes phytophages y sont rares. Il existe donc suffisamment d'organismes prédateurs ou parasitoïdes (insectes, oiseaux, reptiles...) pour les contrôler.

S'il y a de nombreuses pullulations dans les cultures, c'est que certaines caractéristiques de la culture ou de l'environnement (absence de fleurs, odeurs répulsives, résidus de pesticides, hygrométrie...) gênent l'installation et le développement des auxiliaires. Si des auxiliaires sont introduits sans amélioration des caractéristiques culturales, il y a alors de fortes probabilités pour qu'ils ne s'installent pas dans la culture.

Nous pensons donc que l'une des premières choses à faire pour mettre au point des méthodes de PBI en extérieur est de déterminer ce qui gêne l'implantation des auxiliaires spontanés dans les cultures. Nos travaux ont débuté en culture de rosiers de jardin pour contrôler les pucerons et se sont poursuivis en culture de chrysanthèmes multifleurs pour contrôler les thrips et les pucerons.

Cas de la culture hors-sol de rosier de jardin

Constat : il y a des auxiliaires, mais il leur faut des fleurs

Pour élaborer une méthode de contrôle des pucerons, nous avons débuté nos travaux par l'observation de petites parcelles de rosiers non traités pour définir le cortège naturel de prédateurs et de parasitoïdes des pucerons du rosier (Macrosiphum rosae, M. euphorbiae et Rhobodium porosum).

Ce sont les syrphes (Episyrphus balteatus et Sphaerophoria scripta photo 1) et les hyménoptères braconidés (Aphidius spp., photo 2) qui ont été les plus observés. Or, les adultes de syrphes, et dans une moindre mesure ceux des hyménoptères braconidés, ont besoin de pollen et de nectar pour se maintenir. Mais en production, les rosiers sont régulièrement taillés ce qui entraîne la faible présence voire l'absence de fleur dans les parcelles de culture.

La méthode que nous avons imaginée était donc d'offrir du pollen et du nectar aux adultes d'auxiliaires en plaçant des plantes-fleuries dans la culture. Celles-ci, constamment en fleur, devaient attirer les auxiliaires dans les parcelles et maintenir la génération suivante. La figure 1 schématise l'effet espéré de plantes-fleuries sur le comportement des auxiliaires.

2008 et 2009 en Loire-Atlantique

Les essais ont eu lieu en 2008 et 2009. En première année, nous souhaitions vérifier l'hypothèse que placer des plantes-fleuries dans des cultures sans fleur permet d'augmenter les populations d'auxiliaires dans les cultures. En seconde année, nous avons vérifié l'efficacité de la méthode.

Les essais ont été conduits au sein d'une pépinière de la Loire-Atlantique (44). Il a été convenu avec le producteur de ne déclencher des applications de produits phytosanitaires qu'après notre accord suivant les résultats de nos notations. De plus, dans cette éventualité, le produit choisi aurait été le moins toxique possible pour la faune utile.

Première année, deux espèces et deux zones

La première année, la parcelle expérimentale accueillait une culture en pot de 2 litres de rosiers de la gamme Décorosier®. Nous avons utilisé deux espèces de plantes-fleuries, Potentilla fruticosa et Bidens ferulifolia (voir photo 3).

La parcelle était divisée en deux zones. La première servait à savoir si les plantes-fleuries augmentaient significativement les populations d'auxiliaires au sein des rosiers. La seconde zone avait pour but de définir le rayon d'action d'une plante-fleurie dans le but de proposer une densité d'utilisation.

Tous les 15 jours, les populations d'arthropodes ont été relevées sur les plantes-fleuries et sur les rosiers suivant des dispositifs spécifiques à chaque objectif.

Résultats : la potentille significative

Les résultats ont montré que la potentille était plus intéressante que le bidens. Elle est moins sujette aux ravageurs polyphages, en particulier au tétranyque tisserand. De plus, elle est plus résistante aux conditions climatiques que le bidens et fleurit de manière plus continue.

Ainsi, la potentille a permis d'augmenter les populations d'auxiliaires au sein des rosiers et les tests statistiques réalisés ont montré que les différences observées étaient significatives. Ceci a entraîné une baisse, significative elle aussi, des populations de ravageurs. La figure 2 illustre ce fait.

Concernant le rayon d'action d'une plante-fleurie, les mesures ont été faites sur bidens ; les résultats sont présentés figure 3.

Jusqu'à environ 5-6 mètres des plantes-fleuries, les effectifs d'auxiliaires décroissent pour stagner ensuite. Pour les pucerons c'est l'inverse. Ils croissent jusqu'à 6-7 mètres environ puis se stabilisent. Les tests statistiques indiquent que l'action d'une plante-fleurie est significative sur un rayon de 5 m, tant sur les auxiliaires que sur les pucerons.

L'hypothèse de départ est donc confirmée. L'utilisation de plantes-fleuries en culture non fleuries permet d'améliorer l'état sanitaire des productions et augmente les populations d'auxiliaires sur un rayon de 5 m autour de chaque plante-fleurie.

En fin d'essai, le producteur n'avait pas réalisé d'aphicide sur sa culture. Les auxiliaires spontanés ont contrôlé les populations de pucerons pendant la durée de la production.

Essai 2009, résultats confirmés

En 2009, nous avons renouvelé l'essai en plaçant des potentilles espacées de 8 m en quinconce sur l'ensemble de la parcelle où étaient cultivés 15 000 pots de rosiers. 22 pots de potentille ont été utilisés. En bout de parcelle, une bande de 15 mètres de large n'a pas accueilli de plante-fleurie. Les rosiers situés au bout de cette bande ont servis de témoins.

Les résultats ont confirmé les données de 2008. Les plantes-fleuries ont permis d'augmenter significativement les effectifs des auxiliaires dans la culture (+ 72 %) et de réduire, significativement aussi, l'intensité des attaques de pucerons.

Il faut préciser que les plantes-fleuries n'ont pas permis d'améliorer le contrôle du tétranyque tisserand. Le producteur a réalisé par ailleurs plusieurs applications d'acaricide.

Sur rosiers, les auxiliaires les plus observés durant les deux essais étaient les syrphes, les hyménoptères parasitoïdes et les chrysopes. Sur plantes-fleuries, outre ces espèces, d'autres auxiliaires spontanés ont été observés comme des punaises anthocoridés du genre Orius et des thrips prédateurs. Bien que ces insectes consomment peu de pollen, ils étaient couramment observés dans les corolles, entre les pétales et les sépales des potentilles. Nous supposons qu'ils « chassaient » les thrips phytophages attirés par les fleurs (mais pas ravageurs de la culture de rosier).

Cas de la culture en extérieur du chrysanthème multifleur

2009 et 2010 en Maine-et-Loire

Au vu des bons résultats obtenus en culture de rosier, nous avons réalisé le même type d'essai en culture de chrysanthème multifleurs. L'essai a été conduit en 2009 et 2010 en entreprise au sein d'une parcelle de production de 3 300 m² située dans le Maine-et-Loire.

Comme pour l'essai précédent, il a été convenu avec le producteur d'arrêter les traitements préventifs. Les ravageurs principaux sont plus diversifiés que pour le rosier. Il s'agit principalement des thrips et des pucerons.

Nous avons testé plusieurs espèces de plantes-fleuries : de nouveau la potentille P. fruticosa, mais aussi l'anthémis Anthemis tinctoria, la germandrée arbustive Teucrium chamaedrys et l'achillée Achillea filipendulina. Comme pour les essais en culture de rosiers, nous les avons disposées en quinconce avec 8 m d'écartement entre chaque plante.

Encore la potentille

Rapidement, la potentille s'est révélée être l'espèce la plus prometteuse. Elle a attiré un spectre assez large d'auxiliaires (syrphes, chrysopes, Orius spp. et thrips prédateurs) et a fleuri pendant la durée de la culture.

La germandrée T. chamaedrys a attiré beaucoup d'hyménoptères butineurs, mais très peu d'auxiliaires au sens strict. Au sein de notre essai, l'anthémis et l'achillée ont attiré un spectre assez restreint d'auxiliaires et leur floraison a été peu abondante.

Comme pour l'essai en culture de rosier, les populations d'auxiliaires étaient significativement supérieures au sein des parcelles fleuries. La figure 4 illustre cela en présentant l'évolution des effectifs d'auxiliaires en parcelle avec ou sans plantes-fleuries.

Les auxiliaires les plus observés sur chrysanthème ont été les punaises anthocoridés Orius et les thrips prédateurs (voir photo 4). Un cortège différent de celui trouvé sur rosier, donc.

Moins net que sur rosier, mais...

Dans les deux essais, les populations de thrips et de pucerons ont été contenues pendant la durée de production. La première année, en octobre, une forte augmentation de dégâts causés par des chenilles arpenteuses a exigé une application d'insecticide. En seconde année, aucune pullulation n'a été observée.

En général, sur les deux années d'essai, l'effet des plantes-fleuries sur les populations de ravageurs est moins patent qu'en culture de rosier. Les populations d'auxiliaires sont certes significativement supérieures au sein des « zones fleuries » par rapport aux zones témoins, mais il n'y avait pas de différence significative dans les populations de ravageurs entre partie fleurie des parcelles et zone témoin.

Il faut cependant souligner que ces populations de ravageurs étaient faibles. L'arrêt des traitements phytosanitaires pourrait-il y être pour quelque chose ? La proximité des plantes-fleuries pourrait-elle avoir partiellement protégé le témoin lui-même ?

Conséquences pratiques

Comparaison des résultats sur cultures de rosier et chrysanthème : besoin d'auxiliaires différents

Ces deux séries d'essais montrent que l'usage de plantes-fleuries en culture extérieure permet d'augmenter significativement les populations d'auxiliaires au sein des productions. Cela a permis un contrôle efficace des pucerons et des thrips sans lâcher d'auxiliaires.

Mais si l'on compare les cortèges d'auxiliaires observés sur rosiers et sur chrysanthèmes, on se rend compte qu'ils sont différents.

Sur rosier, dont le ravageur principal était le puceron, nous avons surtout observé des syrphes et des hyménoptères parasitoïdes. Sur chrysanthème, attaqué principalement par les thrips au sein de nos essais, ce sont des Orius et des thrips prédateurs qui ont été vus majoritairement. Or sur les potentilles de chaque essai, le cortège d'auxiliaires relevé était similaire. Il semble que les potentilles attirent les auxiliaires de manière assez peu sélective. En revanche, le flux d'auxiliaires entre plante-fleurie et culture semble sélectif du ravageur de la culture. La figure 5 schématise ces différents flux.

Les plantes fleuries doivent attirer un spectre large d'auxiliaires

Savoir cela nous oriente sur la stratégie à suivre pour sélectionner les espèces de plantesfleuries à utiliser. Afin de garantir la réussite de la méthode en augmentant sa robustesse, il convient de rechercher des espèces de plantes-fleuries attirant la plus grande diversité d'auxiliaires possible.

Ainsi, si une culture est attaquée par un ravageur imprévu, les plantes-fleuries auront peut-être déjà attiré les auxiliaires associés. Autrement dit : avoir une plante-fleurie attractive d'un spectre large d'auxiliaires permet de parer aux imprévus en terme d'attaque de phytophages et donc d'améliorer l'efficacité du concept.

Et leur faire attirer des ravageurs ? Spécifiques bien sûr !

Pour l'instant nous n'avons testé que des plantes attirant les auxiliaires par leur floraison. On pourrait imaginer élargir le spectre d'auxiliaires attirés en utilisant des plantes-fleuries accueilant en plus des ravageurs spécifiques.

Il faudrait bien sûr s'assurer que ces ravageurs soient suffisamment spécifiques pour ne pas aller infester la culture.

Nous pourrions peut-être attirer et maintenir ainsi d'autres types d'auxiliaires comme les coccinelles ou les cécidomyies prédatrices.

Nourrir et abreuver les plantes-fleuries

Parfois, durant la conduite de nos essais, les plantes-fleuries en test se sont dépréciées, par stress hydrique et/ou par manque de fertilisation.

À chaque fois nous avons constaté une baisse concomitante de la floraison et du cortège d'auxiliaires attirés. Pour certaines plantes très stressées, cela a pu s'accompagner d'une augmentation des populations de ravageurs.

Il est donc primordial, pour la réussite de la méthode, que les plantes-fleuries soient suffisamment irriguées et fertilisées. Ce n'est qu'à cette condition que les effets sur la culture seront les meilleurs.

Jouer la biodiversité fonctionnelle

L'utilisation de plantes-fleuries en cultures extérieures pour contrôler les insectes phytophages nuisibles est une méthode simple qui fournit de bons résultats pour certaines cultures ornementales. Elle permet d'augmenter significativement le niveau de biodiversité fonctionnelle dans les cultures ce qui diminue la fréquence et l'ampleur des pullulations.

De nombreux travaux restent à mener pour tester d'autres plantes-fleuries et pour tester la méthode sur d'autres types de ravageurs (psylles, cicadelles...).

En culture extérieure, la voie la plus prometteuse pour contrôler les ravageurs s'appuie sur l'augmentation de la biodiversité au sein des parcelles :

– biodiversité au niveau de la plante produite par culture de populations (semis) ou de mélanges variétaux au lieu de clones (boutures, hybride F1), quand le marché le permet ;

– diversité au niveau des cortèges d'arthropodes par adjonction de plantes compagnes dans les parcelles (plantes-fleuries, plantes avec ravageurs spécifiques...).

Ces nouvelles méthodes de production sont très prometteuses pour le développement de techniques de production durable.

<p>* Directeur technique, AREXHOR Pays de la Loire. a.ferre@arexhor-pl.fr</p>

Figure 1 - Retenez-les avec des fleurs.

Schématisation de l'impact espéré des plantes-fleuries sur les flux d'auxiliaires.

Figure 2 - Effet de la potentille sur les rosiers.

Importance des populations de ravageurs et d'auxiliaires en parcelle avec et sans plantesfleuries.

Figure 3 - Plantes-fleuries, quel rayon d'action ?

Effectif des ravageurs et des auxiliaires sur rosier suivant leur éloignement par rapport à l'ensemble fleuri.

Figure 4 - Effet des plantes-fleuries sur les pieds de chrysanthème.

Évolution des populations d'auxiliaires au sein des parcelles de production de chrysanthème.

Figure 5 - Plantes-fleuries, comment ça marche ?

Hypothèse sur les flux d'auxiliaires au sein d'une parcelle avec plantes-fleuries (PF).

Résumé

En cultures ornementales de plein air, la PBI par lâchers massifs d'auxiliaires est peu efficace car ces auxiliaires ne s'installent pas sur les parcelles. La solution pourrait être de rendre ces parcelles attractives pour les auxiliaires spontanés présents dans l'environnement. À cette fin, on a testé l'apport de plantes fleuries en cultures de rosiers (deux essais en 2008 et 2009) et de chrysanthèmes (deux essais en 2009 et 2010) avant floraison des cultures, pour attirer des adultes d'auxiliaires et favoriser leurs populations. La plante-fleurie la plus appropriée semble la potentille. Elle attire un large cortège d'auxiliaires dont une partie (différente sur le rosier que sur le chrysanthème) passe sur la culture.

Des éléments sur les limites et conditions d'efficacité sont donnés.

Mots-clés : cultures ornementales, rosiers, chrysanthèmes, PBI, protection biologique intégrée, culture de plein air, plantes-fleuries, potentille Potentilla fruticosa, attraction, auxiliaires spontanés, syrphes, chrysopes, hyménoptères parasitoïdes, Orius sp., thrips prédateurs.

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