Les évolutions réglementaires successives augmentent les contraintes sur les substances actives mais aussi les formulations. Ainsi, les solvants utilisés dans celles-ci voient leur nombre diminuer et leur classement évoluer de façon plus contraignante. Il faut en trouver de nouveaux, ce qui n'est pas aisé.
C'est le cas par exemple avec le diflufénicanil, herbicide difficile à dissoudre. Il a fallu chercher son nouveau solvant en dehors de la gamme classique agricole, et mener une batterie de tests. Au final, une formulation a été brevetée et un nouveau produit lancé. Récit.
Pourquoi ce travail
Il fallait chercher un nouveau solvant
Récemment, le N-méthyl-2-pyrrolidone (NMP), un des solvants communs qui permet de solubiliser le diflufénicanil (DFF) dans des formulations de type concentré émulsionnable (EC), a vu son classement toxicologique aggravé, entraînant le changement du classement notamment de First (marque déposée Bayer Cropscience) (EC associant DFF, bromoxynil et ioxynil). Le nouveau classement T (Toxique) de cet herbicide ne permettait plus de l'utiliser en France en mélange avec d'autres produits.
Ceci remettait en cause l'utilisation à faible dose du diflufénicanil en application foliaire. Il fallait remplacer le solvant dans les formulations.
Pas disponible en agriculture
Cependant aucun des solvants actuellement utilisés en agriculture ne permettait de mettre en solution le diflufénicanil dans des concentrations susceptibles de remplacer celui qui est actuellement utilisé.
Pour trouver une alternative à la formulation de First, il fallait donc « dénicher » un nouveau solvant hors de la liste de ceux déjà connus comme utilisables en agriculture et développer une nouvelle formulation adaptée à son utilisation.
Sélection du nouveau solvant
Approche originale
Pour ce faire, Philagro France et son actionnaire majoritaire Sumitomo Chemical Company ont développé une approche originale de sélection des solvants et de mise au point des formulations.
Elle a permis de mettre au point OxaTech®, nouvelle génération de formulation EC qui a fait l'objet d'un brevet. Brennus Plus (et Pirogue autre nom de marque) a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM n° 2090018) pour le désherbage des dicotylédones des céréales d'hiver (blé tendre, blé dur, orge et triticale) à la dose de 2 l/ha avec un classement Xn. Il est composé de 26,8 g/l de diflufénicanil, de 120,6 g/l de bromoxynil octanoate et de 67,3 g/l d'ioxynil octanoate formulé en concentré émulsionnable (EC) Oxatech.
Méthodologie en quatre phases
La recherche du nouveau solvant a demandé de mettre au point une méthodologie pour identifier des nouveaux solvants, jamais encore utilisés en agriculture mais qui pourraient l'être, et auraient les caractéristiques physico-chimiques recherchées pour la dissolution du diflufénicanil. Cette recherche a été scindée en quatre phases :
1. La première sélectionne dans les bases de données les solvants qui possèdent les caractéristiques physico-chimiques recherchées, pour établir une première liste de solvants potentiels non utilisés à ce jour en agropharmacie.
2. La seconde phase, qui modélise les interactions entre le diflufénicanil et les candidats, procède à une nouvelle sélection.
3. Le processus continue par une troisième phase de tests biologiques sur les formulations candidates.
4. Il s'achève par une validation de la formulation mise au point, Brennus Plus.
Sélection de solvants, 84 sur plus de 60 000
Le diflufénicanil est une substance active très difficile à mettre en solution. Très peu soluble dans l'eau (solubilité inférieure à 0,05 mg/l à 20 °C et pH 6,9, peu dépendante de la température), cette substance active a une solubilité également limitée dans la plupart des solvants organiques [acétone (72,2 mg/l) ; éthyle acétate (65,3) ; méthanol (4,7) ; acétonitrile (17,6) ; dichlorométhane (114,0) ; n-heptane (0,75) ; toluène (35,7) ; n-octanol (1,9)]. En outre, le solvant recherché doit aussi être capable de mettre en solution deux autres substances actives, le bromoxynil octanoate et l'ioxynil octanoate.
Actuellement seul le N-méthyl-2-pyrrolidone (NMP), solvant largement utilisé en agriculture, permet de solubiliser le diflufénicanil à 40 g/l en suspension dans des formulations contenant également d'autres substances actives.
D'un point de vue théorique, les candidats sélectionnés doivent se situer dans la zone où l'on peut solubiliser de façon simultanée les substances actives cristallisées de la famille du diflufénicanil et de la famille de l'ioxynil et du bromoxynil. Cette étape a permis de sélectionner, parmi plus de 60 000 solvants présents dans les bases de données, 84 solvants potentiellement efficaces et 571 premières formulations.
Modélisation des interactions entre le diflufénicanil et les solvants candidats, il en reste 15
La seconde étape passe par une modélisation des interactions entre le diflufénicanil et les solvants.
Les chercheurs japonais de la station de Takarazuka (Sumitomo Chemical Company) ont dû résoudre quatre difficultés :
– une bonne solubilisation du diflufénicanil dans la formulation,
– la non cristallisation du diflufénicanil quand la formulation est mélangée à l'eau,
– la classification toxicologique pénalisante de nombre de solvants,
– et, pour finir, le coût des solvants.
Cette modélisation a permis de mettre en évidence que deux groupes de solvants sont susceptibles de dissoudre de façon satisfaisante le diflufénicanil, un premier groupe dont le rapport IV sur OV se situe sur une droite très proche de celle du NMP, un second groupe dont le poids moléculaire, faible, est très proche de celui de l'acétate ou des cétones.
À l'issue de cette étape, 15 formulations candidates restent en course, les autres n'ayant pu satisfaire à l'ensemble des critères retenus. Elles vont maintenant passer au crible des tests biologiques.
Tests biologiques sur les 15 sélectionnés
Les 15 formulations restantes sont passées au crible de deux séries différentes de tests biologiques.
Le premier consiste en des tests d'efficacité et de sélectivité réalisés sur plantules en chambre climatique, puis en serre. À l'issue de ces tests, seules 6 formulations restent potentiellement intéressantes.
Puis les formulations sont mises en comparaison en essais de plein champ conduits selon la méthode CEB n° 13. Le processus se poursuit de façon itérative pour arriver à obtenir la formulation finale, celle présente dans Brennus Plus. Elle se base sur l'utilisation d'un solvant inédit en formulation phytopharmaceutique. La découverte a fait l'objet d'un brevet. La technologie de formulation basée sur ce brevet est dénommée Oxatech.
Validation de la formulation mise au point
Spectre d'efficacité inchangé
En termes de spectre d'efficacité, il est inchangé. Le nouveau produit est efficace sur les adventices dicotylédones couramment rencontrées en cultures de céréales : æthuse*, alchémille, ammi élevé*, anthemis, bifora*, bleuet, capselle, chénopode, chrysanthème des moissons, coquelicot, gaillet, lamier, lampsane, matricaire, myosotis, pensée sauvage, ravenelle, renouée des oiseaux, renoncule, sanve, scandix*, séneçon, spéculaire, stellaire, véronique de Perse, véronique feuille de lierre...
Niveau d'efficacité au champ aussi
Il fallait également vérifier que Brennus Plus est aussi efficace que First qu'il remplace. La méthode de comparaison retenue est de mesurer la différence d'efficacité entre ces deux herbicides, sur l'adventice ou les adventices présentes dans l'essai et pour des doses de produits apportant la même quantité de substance active par hectare. Les différences sont ensuite notées sur un graphe à trois dimensions, dans lequel on trouve la valeur de la différence mais aussi le niveau d'efficacité moyen des deux spécialités pour l'adventice concernée. Nous avons réalisé ces comparaisons pour le désherbage d'automne et le désherbage de sortie d'hiver.
Nous avons comparé Brennus Plus à 1,125 l/ha et First à 0,75 l/ha en désherbage d'automne de post levée, sur des céréales à 3 feuilles et plus. Les deux produits apportent quasiment les mêmes doses/ha de substances actives (Tableau 1). Les résultats présentés figure 1 sont la synthèse des essais menés selon la méthode CEB n° 13 (désherbage des céréales). Sur 105 efficacités observées, la différence d'efficacité moyenne est de -0,07 %, les deux produits procurent la même efficacité. Il faut noter que les plus fortes différences sont dans les cas d'efficacité médiocre, ceux où les techniciens rencontrent le plus de difficulté pour obtenir des mesures répétables.
De même, nous avons comparé Brennus Plus à 1,5 l/ha et First à 1 l/ha en désherbage de sortie d'hiver, sur des céréales au stade tallage. Les résultats présentés figure 2 sont la synthèse d'essais menés eux aussi selon la méthode CEB n° 13. Sur 149 efficacités observées, la différence d'efficacité moyenne est de -0,19 %, les différences les plus importantes étant dans les zones d'efficacité médiocre, zone où les techniciens rencontrent le plus de difficulté pour obtenir des mesures répétables.
Ainsi, aux deux périodes de désherbage, post précoce d'automne et sortie d'hiver, les deux produits ont montré une efficacité identique.
Cette équivalence au champ suggère que le diflufénicanil, tel qu'il est formulé dans Brennus Plus possède une très grande biodisponibilité.
Et la sélectivité ?
Par ailleurs, le nouveau produit a fait preuve d'une sélectivité d'un niveau acceptable dans toutes les situations (une notation de sélectivité d'un niveau de symptômes supérieur à 20 % est non acceptable pour les agriculteurs).
L'ensemble des essais d'efficacité et de sélectivité ont validé la pertinence de cette nouvelle formulation.
Comparaison d'Oxatech avec une formulation SC au laboratoire
La formulation ayant été validée, nous avons voulu la comparer avec une suspension concentrée (SC) conventionnelle en conditions contrôlées.
Ce travail a été confié à l'équipe de BIOtransfer qui a évalué en chambre climatique le développement d'adventices : véronique de Perse Veronica persica Poiret (VERPE) et pensée sauvage Viola tricolor L (VIOTR).
Dans ces tests (encadré 1), la formulation Oxatech du diflufénicanil appliquée à faible dose, comparée à une formulation classique suspension concentrée (SC) apportant pourtant une dose double de DFF, induit un plus fort ralentissement de la croissance, constaté par observations visuelles et par la mesure du poids de matière sèche aérienne.
On peut attribuer cette meilleure efficacité à la forme dissoute du DFF dans la formulation Oxatech alors qu'il est présent sous forme de micro particules solides dans la formulation SC.
Comparaison DFF seul avec Brennus Plus
Dans une seconde série de tests menés par BIOtransfer (encadré 2), le DFF en formulation Oxatech, à la dose de 20 g/ha de substance active, est comparé à Brennus Plus dans lequel de l'ioxynil et du bromoxynil octanoate sont ajoutés à la même dose de DFF, là encore en formulation Oxatech. Les tests sont effectués sur mouron des champs Anagallis arvensis L. (ANGAR), capselle bourse-à-pasteur Capsella bursa-pastoris L. (CAPBP) et coquelicot Papaver rhoeas L. (PAPRH).
On constate que la dose de 20 g/ha de DFF a bien une activité significative, mais insuffisante pour contrôler ces trois adventices. En revanche l'association, pour une même dose de diflufénicanil apportée, montre une efficacité satisfaisante ainsi qu'une meilleure rapidité d'action.
Conclusion générale
Le remplacement du solvant utilisé antérieurement pour mettre le diflufénicanil en solution Concentré émulsionnable a imposé le développement d'une nouvelle méthode de sélection des solvants utilisables pour l'agriculture.
En effet aucun des solvants actuellement utilisés en agriculture ne pouvait arriver au même résultat que le NMP au plan de la concentration de substance active mise en solution, de la possibilité de solubiliser d'autres substances actives ou de la garantie de bonne sélectivité pour la culture. Les chercheurs de Sumitomo Chemical Company ont mis au point une méthode originale basée sur une démarche en quatre temps.
La première phase sélectionne, dans les bases de données de substances chimiques, les solvants possédant les caractéristiques physico-chimiques recherchées pour lister les solvants potentiels non utilisés à ce jour en phytopharmacie.
La seconde phase, qui modélise les interactions entre le diflufénicanil et les solvants candidats, procède à une seconde sélection.
La troisième phase est celle des tests biologiques des formulations candidates. La technologie de formulation ainsi découverte, dénommée Oxatech, a fait l'objet d'un brevet.
Une quatrième phase a permis de valider une formulation : proportion des substances actives et conditions d'efficacité et de sélectivité (dose, etc.).
Si cette technologie a permis de proposer Brennus Plus, herbicide anti-dicotylédones des céréales qui remplace First, elle ouvre aussi de nouvelles perspectives pour la mise au point de nouveaux produits phytopharmaceutiques à base de substances actives difficiles à mettre en solution.
Fig. 1 : Aussi efficace à l'automne.
Comparaison entre l'efficacité de Brennus Plus 1,125 l/ha et celle de First 0,75 l/ha en post précoce (essais 2005 à 2010).
Fig. 2 : Aussi efficace en sortie d'hiver
Comparaison entre l'efficacité de Brennus Plus 1,125 l/ha et celle de First 0,75 l/ha en sortie d'hiver (essais 2005 à 2010).
1- Étude au laboratoire. Intérêt de la formulation Oxatech par rapport à une formulation SC sur l'efficacité du DFF en application foliaire
LE TRAVAIL RÉALISÉ
Des plants de véronique de Perse et de pensée sauvage
Veronica persica Poiret (VERPE) et Viola tricolor L (VIOTR) sont cultivés en chambre climatique (14 heures jour/10 heures nuit) puis traités au stade 3-4 feuilles par du DFF à des doses sublétales (ne tuant pas les plantes dans ces conditions particulières mais permettant de visualiser et comparer les effets) :
– d'une part la formulation Oxa-Tech (26,8 g m.a./l) à une dose apportant 100 g/ha de DFF ;
– d'autre part un diflufénicanil SC (suspension concentrée, 500 g m.a./l) conventionnel à une dose apportant 200 g/ha de DFF.
Les efficacités des produits sont évaluées par :
– notation visuelle : état général des plantes, intensité des symptômes de chlorose (cf. photo ci-dessous), nécrose, etc.,
– analyse d'image à partir de clichés réalisés durant l'expérimentation (calcul de pourcentage de croissance relatif par rapport au témoin non traité) et – mesure de poids frais des parties aériennes en fin d'essai soit 21 JAT (jours après traitement).
Les détails méthodologiques sont disponibles dans la version intégrale de l'article.
L'ESSENTIEL DES RÉSULTATS
Les résultats, tant en mesure de la surface foliaire qu'en moyenne de poids frais (évalués en % du témoin), montrent que la formulation Oxatech a :
– un effet significativement supérieur (au seuil de 10 %) à celui de la formulation SC sur V. persicae,
– un effet significativement équivalent (et numériquement supérieur) sur V. tricolor.
LA CONCLUSION
L'étude établit clairement les différences d'efficacité entre les formulations OxaTech et SC du diflufénicanil.
OxaTech provoque des décolorations marquées des parties vertes en croissance. Il provoque une inhibition marquée de la croissance des plantes.
Le SC, moins actif au niveau de la décoloration, ne ralentit que faiblement la croissance des plantes. Le diflufénicanil est plus actif à la dose de 100 g/ha en formulation Oxatech qu'à la dose de 200 g/ha en formulation SC.
Pensée marquée. Différence d'effet, sur pensée sauvage, du DFF en formulation Oxatech à 100 g/ha comparé au DFF en formulation SC à 200 g/ha.
2- Étude au laboratoire. Intérêt d'associer le bromoxynil et l'ioxynil au DFF pour étendre l'efficacité foliaire en formulation Oxatech
LE TRAVAIL RÉALISÉ
Une fois établi l'intérêt de la formulation OxaTech pour le diflufénicanil, il fallait mesurer ce qu'apporte l'adjonction du bromoxynil et de l'ioxynil présents dans Brennus Plus. Pour cela, le laboratoire BIOtransfer a mené une seconde étude.
Sur mouron des champs Anagallis arvensis L. (ANGAR), capselle bourse-à-pasteur Capsella bursa-pastoris L. (CAPBP) et coquelicot Papaver rhoeas L. (PAPRH), on a comparé :
• Le diflufénicanil OxaTech (26,8 g diflufénicanil/l) ;
• Brennus Plus (26,8 g diflufénicanil /l, 67,3 g ioxynil/l et 120,6 g bromoxynil/l-HBN sous forme octanoate).
Les détails méthodologiques ainsi que les résultats chiffrés sont disponibles dans la version intégrale de l'article.
L'ESSENTIEL DES RÉSULTATS
Les résultats ont été évalués visuellement, par analyse d'image et par mesure du développement végétatif (pesée).
Le diflufénicanil formulé en EC Oxatech, utilisé à 20 g/ha en application foliaire, permet une réduction importante de la surface foliaire des adventices étudiées. Cette réduction variant de 51 à 72 % est obtenue au bout de 7 à 21 jours selon les adventices (ci-contre, photos de coquelicot à 7 jours).
La réduction de poids frais des adventices varie de 40 à 76 %. Ceci ne permet pas un contrôle suffisant des adventices dans la pratique.
Brennus Plus formulé en EC OxaTech utilisé à une dose apportant 20 g/ha de diflufénicanil et appliqué par voie foliaire améliore la réduction de la surface foliaire des adventices étudiées. Cette réduction, variant de 95 à 100 %, est obtenue au bout de 7 à 21 jours selon les adventices (cf. photos). La réduction de poids frais des adventices varie également de 95 à 100 %. Cela permet un contrôle complet des adventices en pratique.
Lorsque l'on compare la dynamique de limitation de la surface foliaire entre les deux modalités, Brennus Plus permet une réduction de surface foliaire plus importante dès la première observation (2 à 7 jours en fonction de l'adventice étudiée) : 33 à 66 % contre 0 à 24 %.
LA CONCLUSION
L'addition de bromoxynil et d'ioxynil à la formulation Concentré émulsifiable Oxa-Tech du diflufénicanil permet d'améliorer le niveau de réduction des surfaces foliaires et des poids frais des adventices tout en augmentant la vitesse d'action, pour 20 g/ha de DFF apporté.
Coquelicot contrôlé. Effet sur coquelicot du bromoxynil et du ioxynil en renfort du DFF à 20 g/ha, le tout en Oxatech.