Pourquoi fonder une société privée après plus de quarante ans dans un laboratoire du secteur public ? Par goût de l'application de ses trouvailles et de celles de l'Inra, c'est clair.
Et puis Gérard Catroux sait créer quelque chose puis le développer dans la durée, ce qui n'est pas évident pour tout le monde.
Plonger dans l'application
Il a dirigé depuis sa création et largement développé le laboratoire de microbiologie des sols à l'Inra de Dijon. Alors en 2005, plutôt que de prolonger encore sa vie de chercheur, il a plongé dans l'application grandeur nature. « Dans mon laboratoire, spécialisé dans l'étude des microorganismes bénéfiques, on a toujours cherché à ce que les résultats de nos recherches soient appliqués », explique-t-il.
L'équipe a travaillé sur l'inoculation de soja avec des Rhizobium, par exemple. Mais aussi sur les moyens de connaître la microflore naturelle du sol et de la favoriser. »
Mais c'est parfois compliqué de foncer dans le pratique et l'économique en restant dans la grande maison nationale de recherche agronomique... Laquelle, en revanche, a facilité le lancement de la société, baptisée Biotisa. Aujourd'hui encore, son siège est hébergé dans l'enceinte des laboratoires de l'INRA de Dijon.
Gérard Catroux mène de front trois activités, dont l'une est nettement plus développée que les autres.
Il s'agit de la conception, la fabrication, la distribution et l'installation de Biobacs, marque déposée Biotisa, version maison des « Phytobac », eux-mêmes marque déposée de Bayer... Rappelons que ces bacs sont des systèmes de traitement des effluents phytosanitaires.
C'est tout simple, on draine
Pourquoi s'être lancé dans cette activité ?
« Une des équipes de mon laboratoire avait travaillé sur la biodégradation des molécules chimiques, notamment les phytos( 1), par les bactéries naturelles du sol. Cela avait contribué au développement et à la reconnaissance officielle des dispositifs « Phytobac », et nous avions étudié les conditions qui font qu'un tel bac fonctionne bien ou pas. » Il était donc particulièrement bien placé pour concevoir et fabriquer des dispositifs efficaces.
En route vers un site où fonctionne un de ses biobacs, il explique : « Le problème à éviter, ce n'est pas le manque d'eau, qui ne fait que stopper temporairement le fonctionnement du bac, c'est l'excès d'eau... » Suit une explication biologique, développée dans notre précédent numéro(2). On y apprend que les bactéries du sol ont besoin d'air car un sol, et oui, doit être aéré...
La solution ?
« C'est tout simple, on draine. » Simple... pour l'agriculteur qui n'a pas à intervenir. Mais intelligent dans la conception. Il y a de l'appareillage derrière et un brevet déposé en 2006.
Bactéries et tuyauterie
« Voyez, les rampes arrosent le substrat d'effluent à un rythme prédéterminé, adapté mois par mois à la climatologie habituelle, notamment l'ETP(3). Mais si les conditions météo s'écartent de la normale, pas de problème : tout excès d'eau est naturellement drainé et retourne dans la cuve tampon, sans avoir besoin de modifier l'apport d'eau et bien sûr sans perte dans le milieu... »
Où l'on découvre que ce microbiologiste du sol est aussi un ingénieux ingénieur...
Au fait, comment un amateur de bactéries peut-il gérer de la tuyauterie ? On n'ose poser la question, mais plus tard on l'entendra se rappeler :
« Quand j'étais jeune, mon père, garagiste, démontait entièrement des moteurs de voiture et me faisait les remonter, pour m'apprendre... »
On comprend, en visitant le chantier d'un biobac en cours d'installation, puis l'atelier où s'alignent ceux en cours de fabrication, avec les diverses variantes, adaptations, améliorations... les « plus » qu'apportent l'ingéniosité pratique alliée à la science microbiologique.
De fait, l'activité biobacs a décollé en 2010-2011 avec environ 60 dispositifs vendus en un an, et un carnet de commandes garni en ce début 2012. C'est une occupation à plein temps pour les trois collaborateurs de l'entreprise. « On est un peu polarisés sur nos biobacs, en ce moment », concède G. Catroux.
Résilience des sols
Les deux autres activités de Biotisa concernent la production, à terme, de micro-organismes bénéfiques, et l'analyse de sol, microbiologique bien sûr.
Côté production :
« Nous étudions des formulations de souches hypovirulentes de Cryphonectria parasitica pour prévenir le chancre du chataîgnier. »
Quant aux analyses microbiologiques, d'autres sociétés pratiquent déjà cette activité, mais... « Beaucoup se limitent à la mesure de la biomasse microbienne totale. »
Et alors ?
« C'est une mesure intéressante et significative, certes, mais on peut aller beaucoup plus loin ! »
Et G. Catroux d'expliquer l'intérêt d'évaluer le taux d'organismes bénéfiques comparé à celui des pathogènes, se lancer dans l'éloge de microorganismes utiles, conter sa recherche d'une « batterie de tests de résistance des microorganismes bénéfiques ».
Résistance à quoi ?
« Pour l'instant, aux stress liés à des variations de température, d'humidité. » Il continue en parlant « d'évaluer la résilience des sols »...
L'ingénieux microbiologiste n'a pas fini de se passionner pour nos invisibles alliés telluriques.
<p>(1) « Phytos » = substances phytopharmaceutiques, souvent qualifiées de pesticides (latino-anglicisme signifiant : qui tue les « pests » c'est-à-dire les ennemis des cultures) ce que sont effectivement la grande majorité d'entre elles.</p> <p>(2) Effluents, l'installation des stations, dans <i>Phytoma</i> n° 653, avril 2012, p. 31.</p> <p>(3) Évapotranspiration potentielle. Dépend de la température et de l'humidité.</p>