Sur le métier

François Corbel soigne l'herbe pour 22 000 sabots

PAR MARIANNE DECOIN - Phytoma - n°655 - juin 2012 - page 52

5 500 chevaux par an, ce qui fait bien 22 000 sabots, chargent au grand galop sur les pistes d'Auteuil, survolent les obstacles et font gicler l'herbe, la bruyère et les genêts. Pourtant les pelouses de l'hippodrome ont l'air d'un somptueux tapis d'émeraude et ses haies de tentures de luxe. Derrière cette santé végétale préservée, il y a le travail de l'équipe du « responsable des pistes ». Il s'appelle François Corbel.

Pas de solution de continuité dans le vert des pistes d'Auteuil, ni de flaques ou fondrières en ce printemps pluvieux. Et pas davantage de maladie cryptogamique. On aperçoit bien ce qui semble être du fil rouge… sur le stade municipal qui, occupant un espace libre au milieu du site, est utilisé les jours sans course.

« Forcément, ils tondent à 3 cm, c'est obligé pour le foot. Quand on le coupe aussi ras, le gazon est fragile », explique François Corbel, responsable des pistes d'Auteuil pour France Galop, le gestionnaire de l'hippodrome. Quant aux pistes hippiques, on s'en approche : herbe longue, vert vif, moelleuse.

Tonte longue, arrosage modulé

« Nous tondons l'herbe à 12 cm », explique F. Corbel. Mais il s'agit bien de tonte : « En saison poussante, comme l'est ce printemps 2012, c'est deux fois par semaine ! La hauteur de l'herbe ne doit pas dépasser 16 à 18 cm. »

Cette tonte longue est-elle le seul et unique secret de cette pelouse verte, de cette insolente bonne santé ?

« C'est un ensemble. Ça commence avec la fertilisation et la gestion de l'eau. Très important pour la santé de l'herbe. »

Et de faire visiter le poste de contrôle de l'arrosage, casemate demi-souterraine discrète quoique tapie au beau milieu des pistes.

« L'emprise est divisée en 13 secteurs. On peut ainsi moduler l'arrosage en fonction des besoins de chacun. »

Comment les déterminer ?

« Pénétrométrie. Il y a 60 points de mesure de l'état d'humectation du sol. Ainsi, jour par jour et secteur par secteur, on sait exactement combien il faut apporter d'eau, ni trop ni trop peu. »

Et s'il pleut trop ?

«Toute l'emprise des pistes est drainée. Pas question d'avoir des flaques même s'il pleut une veille ou un matin de course. »

Mais ce drainage, cela ne risque pas de faire partir à la Seine des nitrates issus de la fertilisation du gazon ?

Fertilisation de fond

« Dès que j'ai pris la responsabilité des pistes, j'ai opté pour une fertilisation de fond avec des engrais retard à libération lente. J'ai fait abandonner l'usage de l'ammonitrate, très soluble donc lessivable.

En plus, c'était tellement « coup de fouet » qu'il fallait tondre tous les deux jours. Et l'herbe n'en était pas plus solidement enracinée, plus résistante aux chocs physiques.»

Cette question du choc physique, on y reviendra.

Santé végétale, s'organiser en amont

En attendant, on comprend déjà la façon qu'a F. Corbel de gérer la santé végétale : s'organiser bien en amont des problèmes. Est-ce que ça marche tout le temps, ou seulement cette année ?

« Voilà des années que je n'ai pas fait appliquer un seul fongicide sur les pistes ! »

Des insecticides ?

« Non plus. »

Et le désherbage sélectif ?

« Mon avis, c'est que ce doit être de l'herbe, point. On regarnit toujours en ray-grass anglais mais ensuite on ne va pas chasser les autres graminées. On traite une fois par an, sur les zones où c'est vraiment nécessaire. En juillet, après la saison de printemps. »

Les courses ont lieu en effet de début mars à fin juin, puis de fin août à novembre inclus.

Les opérations de regarnissage sont donc réalisées durant l'intersaison d'été.

« On sème pas loin d'une tonne par an de ray-grass anglais. »

Le cheval fauteur de chocs physiques

Oui, mais comment fait-on entre les courses, si la pelouse est trop abimée ? Car le principal ravageur des pistes d'Auteuil, c'est bien le… cheval ! 5 500 chevaux sur 39 journées de courses sont les fauteurs des « chocs physiques » déjà évoqués.

« En cas de gros dégâts, on regarnit avec du gazon de plaquage comme sur n'importe quel terrain de sport entre deux compétitions. »

« Mais le plus gros travail des lendemains de course comme aujourd'hui, il est en cours. »

Sur la piste, s'avancent des lignes de piétons faisant tournoyer de longs bâtons. De près, ces derniers se révèlent munis de crocs qui attrapent les mottes d'herbes arrachées par les fameux sabots pour les remettre en place. Accrocher, replaquer, tasser d'un petit coup de dos de croc. Tour de main bien rodé. Tous des salariés de France Galop ?

« Non. J'ai une équipe de 24 permanents mais il faut 30 personnes pour ce travail. J'emploie des intérimaires, qui peuvent revenir car leur prestation est programmée comme les courses elles-mêmes. Aujourd'hui j'en ai 12 et 18 permanents sur le chantier. »

Gérer troènes et bruyères

Les autres permanents sont ailleurs, à tondre ou encore à tailler les haies.

Car Auteuil, c'est aussi des obstacles. Mythiques.

Or, à l'exception du « petit open-ditch » en genêt synthétique, et bien sûr du « mur de pierre », ils sont végétalisés : balais de genêts, façonnés par l'équipe durant l'intersaison d'hiver, et troènes et bruyère naturelle qu'il faut cultiver, placer, puis entretenir.

Sereinement et finement

Sur la pépinière-réserve située sur le site, s'alignent des troènes en bacs-palettes. « Avant, on les implantait en pleine terre et on les remplaçait tous les ans. J'ai fait creuser sous les obstacles qui le permettent. On place les troènes dans leur bac sans les déraciner. On n'est plus obligé de les changer tous les ans, je peux les soigner et les remettre en place… »

Engrais retard, apports d'eau maîtrisés, protection phytosanitaire raisonnée et gestion astucieuse des plantations : F. Corbel gère sereinement et finement ces végétaux au centre des passions les plus débridées.

<p>NB. Les abords des tribunes, restaurants, etc., sont gérés par une autre équipe de 4 personnes. Les deux équipes partagent les hangars de matériel, une partie de ceui-ci, le local phyto et le phytobac</p>

BIO EXPRESS

FRANÇOIS CORBEL

1981 à 1988. Moniteur d'atelier espaces verts au CAT du Domaine de la Simonière (35). Il y crée la filière horticole.

1989-1990. Prépare un certificat de capacité de technicien agricole en 18 mois.

1991. Rentre à l'hippodrome d'Auteuil comme adjoint au responsable des pistes et prend la fonction de son prédécesseur (qui part en retraite) 6 mois plus tard.

Depuis lors. Chargé, avec une équipe de 24 permanents (plus des intérimaires après les courses), d'entretenir les pistes : sol enherbé et obstacles.

L'essentiel de l'offre

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