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Mycotoxines, à la découverte de l'exposition environnementale

THOMAS D. BUCHELI*, HANS R. FORRER*, NICCOLO HARTMANN*, JUDITH SCHENZEL*, SUSANNE VOGELGSANG* ET FELIXE. WETTSTEIN*, D'APRÈS LEUR COMMUNICATION A LA 10e CIMA, DU 3 AU 5 DÉCEMBRE 2012 (TRADUCTION M. DECOIN ). - Phytoma - n°659 - décembre 2012 - page 22

On savait qu'elles passent dans les aliments, on les trouve dans l'environnement aussi, les eaux en particulier. Et on commence à savoir comment et à quels taux.
Fig. 1 : Site expérimental.      Mesures des émissions de mycotoxines au champ.

Fig. 1 : Site expérimental. Mesures des émissions de mycotoxines au champ.

Les mycotoxines coûtent des millions de dollars par an dans le monde. Elles causent des pertes de production agricole (ex. retards de croissance d'animaux nourris avec des fourrages contenant certaines mycotoxines) et nuisent à la santé animale et humaine. De nombreuses recherches ont été menées sur les mycotoxines dans les aliments et l'alimentation du bétail : présence dans ces « matrices », exposition alimentaire, effets sur la santé. Mais l'exposition environnementale à ces toxines a été peu étudiée.

Voici les résultats de travaux récents sur cette dernière question. Notamment les travaux menés par l'équipe de T. Bucheli en Suisse.

Les mycotoxines et leurs sources

Rappelons que les mycotoxines sont des métabolites secondaires naturellement produits par certains champignons. De nombreuses espèces fongiques peuvent produire ces toxines au champ sur une grande diversité de cultures, allant des céréales à paille aux fruits et légumes en passant par le maïs, le riz ou la vigne, ainsi que sur la matière organique du sol. Par ailleurs des moisissures sont capables de produire des mycotoxines dites « de stockage » dans les denrées végétales stockées. Nous nous penchons ici sur trois sources présumées d'émissions de mycotoxines dans les eaux, à savoir l'eau de ruissellement et de drainage de champs de céréales au sens large (blé, maïs), les fuites issues du pâturage du fait des déjections animales, et enfin les excrétions humaines via les systèmes d'égoûts.

En parallèle, nous étudions la situation dans l'eau des rivières, destination principale de tous ces effluents.

Nos études en Suisse

Techniques de détection et quantification

Les techniques de quantification des mycotoxines dans le blé et le maïs ont été décrites par Hartmann et al. (2008a) et Schenzel et al. (2012a). La zéaralénone (ZEA) est dosée dans les déjections animales par la méthode d'Hartmann et al.(2008a).

Les méthodes de quantification des mycotoxines dans des échantillons aqueux à des niveaux de concentrations de type « éléments traces » ont été développés pour la ZEA et ses métabolites par Hartmann et al. (2007) puis, pour un panel d'environ 30 mycotoxines, par Schenzel et al. (2010).

Toutes ces méthodes sont basées sur l'extraction de la phase solide d'échantillons d'un litre d'eau filtrée suivie par une séparation avec la chromatographie en phase liquide et détection par spectrométrie de masse en tandem.

Trois sources pour nos prises d'échantillons destinées à évaluer les émissions de mycotoxines

L'étude des émissions de mycotoxines au champ a été conduite sur deux parcelles expérimentales situées en Suisse et portant l'une du blé et l'autre du maïs, tous deux infectés par Fusarium sp. L'eau de drainage des champs a été prélevée en quantité proportionnelle au débit d'émission et analysée pour les composés d'intérêt.

Les détails sur les champs expérimentaux et leur mode de culture ont été décrits par Hartmann et al. (2008b) et Schenzel et al. (2012b). La photo ci-dessus est extraite de la première de ces publications.

En complément, la zéaralénone a été recherchée dans des déjections issues du pâturage. La méthode d'échantillonnage est décrite par Hartmann et al. (2008a).

Enfin, les échantillons d'eaux issues des usines de traitement des eaux usées ont été collectés comme décrit dans les publications de Wettstein & Bucheli (2010) et Schenzel et al. (2012c).

Échantillons d'eau de rivière, destination de toutes ces émissions

Les échantillons d'eau de rivière ont été obtenus hebdomadairement du programme de surveillance des rivière de l'Office des déchets, de l'eau, de l'énergie et de l'air (Air, water, waste, energy = AWEL) et du gouvernement suisse (Programme national de surveillance et de protection des rivières, NADUF). Pour les détails, voir Bucheli et al., (2008) et Schenzel et al. (2012c).

Nos résultats

Cinq mycotoxines trouvées dans l'eau de drainage des champs de blés et maïs

Parmi la trentaine de mycotoxines recherchées dans les eaux de drainage de parcelles de céréales, seules les plus hydrophiles et celles présentes aux plus fortes concentrations dans les plantes ont été détectées (Hartmann et al.,2008b ; Schenzel et al. 2012b).

Ce sont les :

– 3-acetyl-déoxynivalénol (3-AcDON) ;

– déoxynivalénol (DON) ;

– nivalénol (NIV) ;

– beauvericine (BEA) ;

– zéaralénone (ZEA).

Le DON et le NIV sont présents aux plus fortes concentrations, jusqu'à plusieurs microgrammes/l (µg/l).

La proportion de ce qui fuit dans l'eau de drainage des parcelles par rapport à ce qui est produit dans les plantes est faible, mais très variable : de 0,001 à 0,12 %.

Zéaralénone et déjections animales

La zéaralénone recherchée dans les déjections animales a été quantifiée à des concentrations allant de 8 à 333 nanogrammes/kg de matière sèche (Hartmann et al., 2008a).

Quatre mycotoxines dans des unités de traitement d'eaux usées

Une première étude publiée en 2010 (Wettstein & Bucheli, 2010) a porté sur le dosage du DON (et lui seul) dans les échantillons d'effluents issus de trois installations de traitement des eaux usées représentatives de la Suisse. Les échantillons ont été prélevés à l'entrée en station et dans les effluents après épuration. Dans cette étude, les concentrations allaient de 32 à 118 nanogrammes/l. Cela correspond à une pression 1,3 à 2,3 plus forte que celle attendue en se basant sur la littérature scientifique. Le taux d'élimination du DON dans ces installations de traitement varie de 33 à 57 %.

Parmi les 33 mycotoxines recherchées dans les effluents d'installation de traitement des eaux pour une étude publiée en 2012 (Schenzel et al., 2012c), seules les 3-AcDON, DON, NIV et BEA ont été détectées. Le DON a été quantifié dans tous les échantillons, avec une concentration maximale de 73,4 nanogrammes/l. La concentration la plus faible détectée est celle de BEA avec 1,3 nanogramme/l.

Dans les rivières

La quatrième série de données, celle des analyses des eaux de rivière, rend compte du résultat de toutes les sources de pollutions possibles. Celles-ci incluent donc les eaux de drainage des parcelles cultivées, les déjections animales et les eaux usées.

Le NIV a été détecté dans environ 37 % des échantillons prélevés hebdomadairement ou bi-hebdomadairement, et le 3-AcDON, le DON et la BEA dans 9 à 36 % de ces échantillons (Schenzel et al., 2012c).

Les concentrations dépendent du débit des rivières avec des chiffres plus élevés dans les petites rivières, mais globalement les taux sont inférieurs à ceux des eaux issues directement des stations d'épuration. Les maxima sont de 24,1 nanogrammes/l et 19 nanogrammes/l pour le NIV et le DON respectivement.

Comparaison avec la littérature

Eau de drainage des parcelles, cohérence champ/laboratoire

Les concentrations de DON dans les eaux de drainage de parcelles de blé et maïs peuvent être comparées aux résultats d'une étude récente menée en conditions contrôlées. Il s'agissait de plants de blé cultivés sous serre, infectés par des Fusarium sp. et arrosés artificiellement (Gautam & Dill-Macky, 2012). Les auteurs ont trouvé des concentrations de quelques microgrammes/l.

Ceci correspond très bien aux niveaux maximaux observés dans les eaux de drainage de notre parcelle prélevées en début d'émission du flux.

Stations italiennes de traitement des eaux, la nuance zéaralénone

La présence de mycotoxines dans les eaux entrant dans les usines de traitement des eaux usées et en sortant (eaux primaires et effluents), à des concentrations de l'ordre de quelques nanogrammes/l, a été documentée par quelques auteurs (voir la revue effectuée par Bester et al., 2010). Il y a quelques différences.

À noter : la présence de la zéaralénone (ZEA) et certains de ses métabolites dans les eaux de station d'épuration a été signalée en Italie (Lagana et al., 2004), mais pas dans notre étude. Cela peut être dû à une limite de détection plus haute dans notre étude car il s'agissait d'une analyse multi-résidus.

Rivières italiennes, polonaises et américaines, la cohérence

Les mycotoxines, en particulier ZEA et DON, ont été trouvées, à des concentrations comparables à celle de notre étude, dans des rivières en Italie (Lagana et al., 2004), Pologne (Gromadzka et al., 2009) et États-Unis (Kolpin et al., 2010), confirmant nos données.

Les taux quantifiés et estimés de mycotoxines issues des principales sources d'émission présumées « agriculture » et « eaux usées » sont cohérents avec ceux de nos études sur les rivières suisses (Wettstein & Bucheli, 2010 ; Schenzel et al., 2012c). Ils confortent nos connaissances sur la distribution environnementale de ces composés.

Et maintenant ?

Risque environnemental encore mal connu

Malgré la production récente de données sur l'exposition environnementale aux mycotoxines, par nous et d'autres équipes, on ne peut pas encore évaluer précisément le risque environnemental.

En effet, on manque de données sur les effets écotoxicologiques des mycotoxines, alors que l'on a des références sur les effets toxicologiques, sur l'homme et certains animaux, de plusieurs mycotoxines (et des normes réglementaires à leur sujet dans l'alimentation, voir encadré page précédente).

Mais il faudrait l'évaluer !

Pourtant les mycotoxines peuvent être considérées comme des micropolluants environnementaux, en particulier pour les eaux.

En effet, les données acquises sur les fractions émises par l'agriculture et les déchets alimentaires, leur fréquence, leur occurrence et les concentrations d'exposition, sont comparables à celles de nombreux pesticides.

L'évaluation des risques et des effets éco-toxicologiques des mycotoxines est donc un besoin urgent.

Remerciements à l'Office fédéral de l'environnement suisse, pour son aide financière.

L'eau n'est pas le blé, comparons les chiffres

Pourquoi les mycotoxines dans les eaux posent-elles une question environnementale plutôt qu'alimentaire ? Pourquoi les risques liés aux mycotoxines dans l'alimentation viennent-ils plutôt des aliments solides que de l'eau ? Voici des éléments de réponses, en tout cas pour l'exemple du DON <i>(NB. Cet encadré est une note de la rédaction)</i>.

Des normes réglementaires fixent les taux maximum de certaines mycotoxines dans l'alimentation, basés sur le rapport entre la dose journalière tolérable (DJT) et la quantité d'aliments consommés.

Ainsi, la DJT du DON dans l'alimentation est 1 µg (= microgramme)/kg) PC (poids corporel ; soit 70 µg par jour pour un humain de 70/kg) dans l'Union européenne. Sur cette base, le taux de DON ne doit pas dépasser 1 250 µg/kg de grains bruts de blé et 750 µg/kg de farine.

Dans le blé, des taux de DON de 200 µg/kg de grains semblent courants en France (Grosjean & al., 2007 et E. Gourdain, 2008, séminaires Mycotoxines des céréales, d'Arvalis-Institut du végétal, 2007 et 2008).

Dans les eaux, les concentrations de DON rapportées dans cet article sont largement inférieures.

Le maximum est, de loin, trouvé dans les eaux de drainage de champs de céréales avec des taux de « quelques microgrammes ». Cela pourrait aboutir à une exposition comparable à celle issue des produits céréaliers (consommation d'eau supérieure à celle de ces produits et concentration moindre), mais en principe on ne boit pas l'eau qui sourd des champs de céréales(1) !

La concentration maximum trouvée dans les eaux usées à l'entrée de stations d'épuration est bien moindre : 118 nanogrammes/l (soit 0,118 µg/l). Celle des rivières est encore moindre : au maximum 19 nanogrammes/l (0,019 µg/l). Et il s'agit d'eau de rivières brute, pas d'eau potable.

Pour le consommateur, l'exposition par le biais de l'eau semble donc négligeable par rapport à celle issue de l'alimentation proprement dite.

Voilà pourquoi le problème de la présence de mycotoxines dans les eaux soulevé par cette communication est essentiellement environnemental, tout du moins en France et en Suisse.

(1) En France et en Suisse, les populations même rurales boivent en général de l'eau potabilisée, et pas directement de l'eau brute puisée juste en aval de parcelles ! Mais le cas peut exister ailleurs (prélèvements dans des puits ou ruisseaux en aval, et très proches, des parcelles).

RÉSUMÉ

- CONTEXTE : Les mycotoxines sont étudiées depuis des décennies pour leur occurrence dans l'alimentation humaine et animale avec ses effets potentiels pour la santé humaine et animale. Mais par ailleurs, l'environnement aquatique en particulier peut être exposé à ces mycotoxines, on commence juste à le découvrir.

- CONSTAT : Les principales sources de mycotoxines dans l'environnement aquatique que nous avons étudiées sont :

– L'eau de ruissellement et de drainage des parcelles de céréales à paille (blé) et maïs ;

– Les déjections de bétail au pâturage ;

– Les excrétions humaines via les systèmes d'assainissements (égoûts, etc.).

L'article présente une brève revue de nos recherches dans ce domaine et identifie les lacunes des connaissances à ce sujet.

- MOTS-CLÉS : micropolluants, mycotoxines, éléments traces, eau de drainage, eau de rivière, DON déoxynivalénol, NIV nivalénol, 3-AcDON 3 acétyl-déoxynivalénol, ZEA zéaralénone, BEA beauvericine.

SUMMARY

- CONTEXT : Mycotoxins have been studied intensively for decades due to their occurrence in food and feed and, hence, their potential threat to human and animal health. However, the aquatic environment in particular can also be exposed to mycotoxins.

Recently identified main input sources of mycotoxins into the aquatic environment include :

1) run-off and drainage water from fields cultivated with cereals, like wheat or corn,

2) manure application and excretion from grazing livestock and

3) human excretion via sewer systems. This paper presents a short overview of our research in this area, and identifies current research gaps.

- KEY WORDS : mycotoxins, micropollutants, trace analysis, drainage water, river water.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *T.D. BUCHELI, H.R. FORRER, N. HARTMANN, J. SCHENZEL, S. VOGELGSANG ET F.E. WETTSTEIN, Agroscope Art, Reckenholzstrasse 191, CH-8046 Zurich, Suisse.

TEXTE INITIAL (en anglais) : disponible dans les Annales de la 10e CIMA, Conférence internationale sur les maladies des plantes, organisée par l'AFPP, Association française de protection des plantes, du 3 au 5 décembre 2012 à Tours (France).

CONTACT : thomas.bucheli@art.admin.ch

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