Fig. 1 : Le lait avant les légumes Couverture du Manuel d'utilisation du LP-S (lactoperoxydase system) pour préserver et le transporter le lait, édité par la FAO.
Le colza, objet d'un poster sur sa protection contre le sclérotinia à l'aide de la souche QST 2808 de Bacillus pumilus. Cette bactérie est testée associée à un fongicide conventionnel, la picoxystrobine, dont elle permet de réduire la dose, exactement de la diviser par deux. ph. M. Doumergue
La pomme de terre est concernée par deux communications. L'une, sur les bactéries du sol antagonistes de P. infestans (agent du mildiou) et Fusarium sp, est encore loin de la pratique. L'autre, sur la souche R138 de la bactérie Rhodococcus erythropolis, en est à un stade beaucoup plus avancé, celui des essais au champ contre la jambe noire et la pourriture molle. ph. MF Delannoy
Tours, le 5 décembre 2012, 14 heures. Place à la session « Nouvelles substances » de la dixième CIMA organisée par l'AFPP. Pour la première fois, 45 % de ces nouvelles substances sont du domaine du biocontrôle. Toutes sont citées dans les annales de la conférence (voir « pour en savoir plus » p. 29).
Nous évoquons ici celles qui nous ont semblé les plus novatrices parmi... ce qui nous avait été communiqué lors de l'écriture de ces lignes.
Vers des solutions intégrées
Trois domaines
Dans sa conférence introductive à cette session, Yves Monnet, Retraité du ministère de l'Agriculture(1) met en évidence que la recherche de nouvelles substances pour combattre les maladies des plantes intègre de plus en plus la volonté de combiner des solutions issues de trois « mondes ». Celui de la synthèse chimique, celui de propriétés antagonistes découvertes dans des produits naturels et enfin celui des possibilités de stimulation des capacités de défense des plantes – sachant que, dans les deux derniers mondes, certains produits sont des substances inertes et d'autres des microorganismes vivants.
Ces combinaisons nécessitent de nombreux travaux expérimentaux invitant les praticiens à intégrer de plus amples connaissances des risques épidémiologiques comme des modes d'action et des limites d'efficacité des intrants utilisés.
Ces efforts s'inscrivent dans les objectifs visés par la Directive 2009/128/CE pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Et, bien sûr, dans celui du plan français Ecophyto.
Trois exposés oraux représentatifs
Du laboratoire au terrain, trois étapes différentes
Quel que soit le « monde » d'origine d'une nouvelle substance, sa découverte passe par trois étapes.
La première, dite de premier criblage, consiste à l'identifier dans la nature ou dans un laboratoire de synthèse chimique, et à la tester en laboratoire in vitro.
La deuxième, longue, difficile et que peu franchissent avec succès, va des premiers tests in planta (sur des plantes) en laboratoire à l'autorisation du produit, en passant par les indispensables tests au champ.
La troisième est facultative, c'est celle de l'élargissement. Après la première autorisation, peuvent suivre des « extensions » (c'est le terme légal) à des usages nouveaux.
Chacun des trois exposés oraux présentés lors de cette session représente l'une de ces trois étapes du chemin.
Étape « criblage au labo », explorer le sol, milieu vivant et actif, pour espérer protéger les pommes de terre
Parmi les éléments du « petit monde vivant » du sol, les micro-organismes ont fait l'objet d'études anciennes (voir « pour en savoir plus » p. 29). Mais ils ont été relativement négligés durant des années où on s'intéressait davantage à la composition physique et chimique des sols. Depuis les années 90, on note un retour d'intérêt (voir encore « pour en savoir plus »). Et même un essor.
Ils sont l'objet de 5 posters (nous y reviendrons), mais aussi de la communication orale de Madame S. Mezaache-Aichour de l'Université algérienne Ferhat Abbas(2) intitulé : « Criblage de bactéries telluriques à caractère suppressif ».
On connaît de longue date l'existence des sols « suppressifs », autrement dit résistants aux maladies, tel le sol de Chateaurenard en France. Il s'agit de sols naturellement défavorables au développement de certaines maladies alors que les agents pathogènes en cause y sont pourtant présents.
Le but de cette étude était d'isoler et sélectionner des bactéries indigènes du sol de la région de Sétif, bactéries qui soient capables d'entraver le développement des champignons phytopathogènes affectant les cultures de pomme de terre.
Un criblage préliminaire a été réalisé. Il est basé sur des tests d'antagonisme direct par confrontations avec des champignons phytopathogènes (Phytophthora infestans et deux Fusarium sp.). Deux groupes de bactéries ont été isolés et identifiés comme des Pseudomonas sp. et Bacillus sp. Ils ont montré un effet antagonique variable contre les champignons telluriques étudiés. Certaines souches paraissent prometteuses contre une, deux, voire les trois espèces de champignons pathogènes.
Les résultats de ce travail montrent qu'il semble possible d'identifier des antagonistes naturels à des champignons phytopathogènes telluriques issus de la microflore indigène des sols à partir des champs de pomme de terre.
Il ne s'agit pour l'instant que d'activité antagonique directe évaluée au laboratoire et in vitro. Il faudra vérifier l'activité des souches les plus prometteuses par des tests au laboratoire mais in planta (sur des plantes) puis, pour celles qui resteraient prometteuses, par des tests au champ. Il s'agit bien d'un test préliminaire, une première étape !
Étape menant au lancement de produit, système anti-microbien pêché dans le lait bovin contre les oïdiums sous serre
La nature est pleine de ressources. Depuis une vingtaine d'années on s'intéresse à la stimulation des défenses des plantes. La publication de Mme Mireille Piron(3), de la Société Koppert France, présente un nouveau fongicide contre l'oïdium, à base du système lactoperoxydase (LPS).
Ce fongicide associe deux substances actives : iodure de potassium et thiocyanate de potassium. Toutes deux sont en cours d'examen au niveau européen. Comme elles ont été jugées recevables, les pays de l'Union peuvent octroyer des AMMP (autorisations de mise sur le marché provisoires) à des produits les contenant. Un tel produit, nommé Enzicur est autorisé aux Pays-Bas. Un dossier de demande d'autorisation a été soumis en France.
Ce fongicide naturel a été développé sur la base du système lactoperoxidase, en anglais « lactoperoxidase-system » ou« LP-system ». Ce système anti-microbien actif naturellement présent dans le lait bovin... est utilisé dans la filière lait (Figure 1). La nouveauté est de l'utiliser, demain, en production de légumes !
L'activité du LP-system consiste en la formation enzymatique de molécules réactives de l'oxygène qui agissent avec les protéines des microorganismes type bactéries et champignons. Ce fongicide de contact curatif contrôle les oïdiums des cultures sous abris, cucurbitacées notamment.
Par son action curative, l'absence de résidus et ses performances techniques équivalentes à celles des préparations disponibles sur ces cultures, cette nouveauté est d'un grand intérêt pour la profession. Notamment elle permet d'alterner les spécialités et de limiter le recours aux fongicides classiques existants dans le respect du plan Écophyto.
En maraîchage comme dans de nombreux domaines de l'agriculture, le maintien de l'efficacité des programmes de traitements passe par le renouvellement des produits disponibles. L'arrivée de cette nouvelle solution contribue à limiter les risques de baisse de sensibilité des champignons pathogènes suite à l'application répétée d'un faible nombre de substances actives.
Étape élargissement, un stimulateur des défenses naturelles pour protéger les arbres à pépins
La laminarine est un oligosaccharide extrait de l'algue Laminaria digitata. Approuvée au niveau européen depuis 2005 jusqu'à fin mars 2015, elle est autorisée en France comme stimulant des défenses des céréales contre des maladies fongiques (Phytoma n° 555 de décembre 2002, p. 62), du fraisier contre l'oïdium et des pommiers et poiriers contre le feu bactérien dû à Erwinia amylovora (Phytoma n° 615, mai 2008, p. 3).
Mais les professionnels de l'arboriculture attendaient une solution alternative pour protéger les vergers contre la tavelure du pommier (Venturia inaequalis).
C'est donc une avancée que la récente autorisation de la laminarine sur cet usage dans les produits identiques Vacciplant® Fruits et Légumes et Iodus 2 Cultures spécialisées (voir Phytoma n° 651 de février 2012 p. 40). Le produit a aussi été testé (mais n'a pas d'AMM) contre le Gloeosporium des pommes (G. album et G. perenans). La publication faite par A. Bernardon-Méry et J.-M. Joubert des laboratoires Goëmar(4) évoque ces deux maladies.
La laminarine est un éliciteur qui active la résistance naturelle des plantes par l'induction de leurs mécanismes de défense contre un large spectre de pathogènes de type champignon (V. inaequalis et Gloeosporium) mais aussi bactérie (E. amylovora).
Rapidement après son application, la laminarine est dégradée en oligosaccharides de petite taille qui eux-mêmes se dégradent rapidement en glucose. Comme ce dernier est par ailleurs un aliment, la substance n'est pas concernée par les LMR, limites maximales de résidus tolérables dans des denrées alimentaires. De ce fait, le produit peut être utilisé au plus près de la récolte (DAR : 0 jour) et entre les différentes cueilles.
Les applications se font en préventif durant la phase conidienne de la tavelure (on parle de « tavelure secondaire ») à la dose de 0,75 l/ha de produit commercial (soit 33,75 g/ha de laminarine), à une cadence moyenne de 7-10 jours. En période de risques forts de contamination (pluies successives durant au moins 18 h et supérieures à 25 mm), il est impératif d'appliquer un fongicide spécifique contre la tavelure. Si les conditions de risques forts se maintiennent, il faut continuer les applications de fongicides avant de reprendre celles de laminarine.
Par son activité contre des bio-agresseurs importants des arbres à pépins, la laminarine répond aux attentes des producteurs... Et, aussi, aux exigences du plan Ecophyto : les produits entrent dans la catégorie des produits NODU Vert et IFT Vert et devraient bientôt être reconnus UAB (utilisables en agriculture biologique ; la demande est faite et ils remplissent les critères).
Et trois posters
Après la pomme de terre voici le blé, étape « in vitro »
Un poster sur la microflore du sol de S. Mezaache-Aichour, de l'Université Ferhat Abbas, porte sur l'effet « d'isolats bactériens de la rhizosphère du blé vis-à-vis des phytopathogènes d'origine tellurique ».
But du travail : tester des micro-organismes capables d'inhiber la croissance des champignons phytopathogènes telluriques, extraits du sol de parcelles de blé de la région du sud de Sétif réputée pour ses bons rendements. Des champignons et des bactéries ont été isolés à partir de ces sols.
Le criblage a consisté en essais d'antagonisme in vitro contre un disque fongique des champignons phytopathogènes Fusarium (trois souches) et, là encore, P. infestans. Il a montré qu'au laboratoire, en culture mixte avec les champignons étudiés, certains isolats des bactéries ont un effet fongistatique. Une inhibition significative a été obtenue avec des Bacillus sp. et Pseudomonas sp.
Ainsi, on a pu isoler et identifier, dans la microflore indigène des sols de champs de blé comme de ceux de pomme de terre, des bactéries antagonistes aux champignons telluriques pathogènes.
Cela confirme que l'activité suppressive du sol ne dépend pas seulement de facteurs abiotiques mais est régulée par le potentiel antagoniste présent dans ce sol. Un ou plusieurs microorganismes, agissant isolément ou en combinaison, simultanément ou en séquence, sont responsables de cette activité suppressive. C'est bien un système basé sur la biologie du sol.
Ces effets évalués en laboratoire laissent entrevoir la possibilité d'utiliser ces microorganismes dans la lutte contre les maladies fongiques. Attention, l'utilisation ne pourra être envisagée que si les effets observés in vitro se confirment en milieu réel, jusqu'au champ. Pour l'instant, on n'en est qu'à la première étape !
Après le blé le colza, du labo ET du champ
Retour en France, mais sur du colza, pour le poster « Étude du mode d'action et de l'efficacité d'un agent biologique de lutte DPX-RNP31 contre le sclérotinia du colza », de A. Canot, E. Hinh, C. Coquin, A. Penaud, V. Calaora, T. Barchietto, S. Buchet et B. Straebler(5).
DPX-RNP31 est une nouvelle solution de biocontrôle issue de la souche Bacillus pumilus QST2808 découverte et brevetée par Agraquest et développée par DuPont Solutions SAS. Ce micro-organisme est en cours d'examen au niveau européen. Il est testé en association avec DPX-YT669 (picoxystrobine) pour lutter contre la sclérotiniose du colza due à Sclerotinia sclerotiorum.
Des études réalisées in vitro par BIO transfer ont révélé que DPX-RNP31 inhibe efficacement le développement mycélien de S. sclerotiorum. Elles ont également permis de préciser le mode d'action biologique de cet extrait bactérien.
En parallèle, d'autres études réalisées par le Cetiom en conditions contrôlées avaient pour but de déterminer l'activité de DPX-RNP31 in planta en comparant les positionnements préventifs ou curatifs, et de démontrer la complémentarité d'action de DPX-RNP31 et de DPX-YT 669 utilisés en mélange à demi-dose.
Enfin, en 2010 et 2011, des essais au champ ont été réalisés. On voit qu'on est là en fin de deuxième étape. Ils ont validé l'intérêt du mélange DPX-RNP31 + DPX-YT 669 appliqué à la chute des premiers pétales (stade BBCH 65) contre S. sclerotiorum sur colza (Figure 2).
Retour à la pomme de terre, du laboratoire aux premiers essais au champ
Le dernier poster que nous ayons remarqué, « Stratégie anti-quorum-sensing visant les bactéries macergènes de la pomme de terre », est présenté par N. Mothe, du CNRS (6).
Les bactéries macergènes de la pomme de terre des genres Pectobacterium et Dickeya sont responsables de la maladie de la jambe noire sur tiges et de la pourriture molle sur tubercules. La virulence de ces bactéries est fortement régulée par ce qu'on nomme un « quorum-sensing ».
Ce mécanisme de communication entre bactéries utilise des molécules signal de type N-acylhomosérine lactones (NAHL). Or, la souche bactérienne Rhodococcus erythropolis R138, isolée de la rhizosphère de pomme de terre, possède la capacité de dégrader les NAHL.
Un couplage de molécules biostimulantes comme la gamma-heptanolactone (GHL) avec cette souche permet d'optimiser et de valider la stratégie d'anti-QS en système hydroponique, en sol sous serre, mais aussi au champ, avec une baisse évaluée significative de l'émergence de la maladie de la jambe noire.
En vue d'une application directement au champ, différentes formulations sèches ou liquides de R138 sont à l'étude.
Cette stratégie de lutte alternative contre les bactéries macergènes de la pomme de terre a pu être développée et optimisée pour une application au champ.
La souche de R. erythropolis R138 couplée à la GHL montre des résultats prometteurs quant à son efficacité de bio-protection. Les tout récents résultats de l'essai au champ doivent être confirmés par de nouveaux essais multi-localisés avant une possible industrialisation du procédé.
Des tests sur la formulation mise au point comme support de la souche R138 sont en cours. Cette formulation est le point de départ d'une possible industrialisation du produit.
Mais pour l'instant l'examen européen de cette souche n'est, à notre connaissance, pas encore en cours. Autrement dit, on est là en cours de deuxième étape.
<p>(1) Précisément de la SdQPV (Sous-Direction de la Qualité et de la Protection des Végétaux) de la DGAL (Direction générale de l'Alimentation) du MAAF (ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt.</p> <p>(2), (3), (4), (5) et (6) Voir : pour en savoir plus p. 29.</p>
Fig. 2 : Association de substances alternatives et conventionnelles au champ.
Efficacité sur S. sclerotiorum du colza du DPX-RNP31 (à base de Bacillus pumilus) et du DPX-YT669 (à base de picoxystrobine), seuls à pleine dose puis associés à demi-dose, comparés à une référence. 4 essais en Europe en 2010 et 2011.