Comment satisfaire les besoins, réels, des producteurs de légumes en produits phytopharmaceutiques tout en limitant les quantités de produits utilisés et en améliorant leurs profils toxicologiques et écotoxicologiques ? Par l'arrivée de nouveautés.
En effet, il n'y a pas contradiction entre baisse de quantité et hausse de variété. Et il y a une volonté d'augmenter la proportion de véritables innovations à bon profil et de type « biocontrôle ». Ce fut le cas en 2012. Aperçu.
Pourquoi tant d'usages orphelins ou mal pourvus ?
30 espèces, des centaines d'usages
Les cultures légumières se caractérisent par une forte diversité avec plus de 30 espèces différentes cultivées. De plus, les cortèges parasitaires, autrement dit l'armée des ennemis de chaque culture, sont très variés eux aussi.
Le résultat est que la protection des cultures légumières représente 829 usages différents selon l'ancien catalogue national des usages phytopharmaceutiques… Le catalogue réactualisé rendu public le 27 février 2012 est certes simplifié : il n'en liste plus « que »… 580 ! Quand même…
Techniques variées, petits marchés
Par ailleurs, pour la majorité des espèces cultivées, les techniques et créneaux de production sont très variés. D'où de faibles surfaces concernées par culture et technique de production. De nombreux usages représentent chacun un tout petit créneau de marché pour les produits phytopharmaceutiques.
D'où, pour la majorité des autorisations de tels produits sur des usages cultures légumières, un faible retour sur l'investissement que représente le coût des dossiers de demandes d'autorisation (taxes, mais surtout constitution des dossiers).
Nombreux produits disparus
Par ailleurs, il faut se souvenir que les cultures légumières, à quelques exceptions près, ne bénéficiaient d'innovations qu'après les grandes cultures. Voire bien après...
Et pas de toutes. Elles utilisaient encore beaucoup de produits anciens.
Or, depuis 1997, du fait de la révision européenne des substances actives(1), de nombreuses substances anciennes utilisées en cultures légumières ont été retirées du marché, certaines d'entre elles après examen et d'autres faute de société les défendant donc sans examen.
Dans ce dernier cas, il s'agit de substances dépassées techniquement sur grandes cultures : le coût de leur procédure de réexamen ne pouvait être rentabilisé. Et ceci même si elles étaient efficaces et utiles sur des légumes et acceptables aux plans toxicologique et écotoxicologique.
Pourquoi vouloir mieux les pourvoir ?
Usages bien pourvus, mal pourvus…
La situation est très contrastée entre espèces légumières. Certaines cultures sont relativement bien dotées pour certains usages même si les évolutions parasitaires créent des difficultés pour certains bioagresseurs (ex. tomate et laitue contre leurs mildious)... mais pas pour tous les usages (ex. pas d'anticochenilles sur tomate, le soufre seul antioïdium sur laitue jusqu'en 2011).
D'autres se trouvent fort dépourvues. Ainsi, en 2012, parmi les 829 usages « Cultures légumières » de l'ancien catalogue, seulement 26 % peuvent être estimés bien pourvus et 29 % sont en situation délicate.
Ce dernier cas représente des usages pour lesquels des produits sont autorisés, mais :
soit ils contiennent une ou des substances actives ayant toutes le même mode d'action, donc on ne peut pas alterner les modes d'action pour prévenir les résistances ;
soit ils représentent seulement deux modes d'action différents, situation fragile vis-à-vis des résistances ;
soit leurs efficacités sont partielles ;
soit les spécialités sont menacées de (voire promises au) retrait pour des raisons réglementaires ou commerciales.
Bref, ces usages ne sont pas, ou pas encore, orphelins, mais doivent être « regarnis ».
… Et usages orphelins
Et les 45 % restant ? Ce sont les usages orphelins. Ceux pour lesquels il n'y a aucun produit autorisé.
La situation devrait s'améliorer avec l'entrée en vigueur du nouveau catalogue des usages. Ce dernier « couvre » enfin des cultures jusque là totalement orphelines car non déclarées dans les anciens usages (ex. courge, pastèque, topinambour…) ainsi que des bioagresseurs négligés. Il permettra de modifier les équilibres en faveur des usages pourvus. Il augmentera leur proportion de 7 % par rapport à la valeur actuelle.
Pourquoi autoriser de nouveaux produits
Les contraintes actuelles du marché et de la législation voulant des produits « sains, loyaux et marchands » obligent à mettre sur le marché des légumes exempts de symptômes de bioagresseurs. Dans de nombreux cas, il est difficile d'y arriver sans l'aide de produits phytopharmaceutiques.
La pire situation est celle où les producteurs, manquant de spécialités efficaces et autorisées, sont tentés d'utiliser des produits interdits pour l'usage concerné voire, pire, interdits en France ou jamais autorisés donc jamais testés et dont on ignore les dangers… Et où les productions locales sont concurrencées par des légumes traités avec des produits autorisés dans leur pays d'origine mais interdits en France ! D'où la nécessité d'autoriser, après examen, des produits dûment testés, efficaces et estimés acceptables sur les plans toxique et écotoxique.
Par ailleurs, le plan Ecophyto lancé en 2008 et le Projet agro-écologique lancé le 18 décembre 2012 (qui renforce Ecophyto et lance le programme Ambition Bio 2017), poussent à l'autorisation de produits UAB (utilisables en agriculture biologique) et « Nodu vert » c'est-à-dire inscrits sur la liste « Nodu vert Biocontrôle » (2).
Le travail de la Commission Usages orphelins
En ordre de marche depuis 2008
Une commission dite des « usages orphelins » créée en juin 2008 regroupe le ministère de l'agriculture, l'Anses (auparavant l'Afssa), les instituts techniques concernés et les représentants des agriculteurs et des producteurs de produits phytos (Uipp , IBMA).
Elle travaille à faire autoriser, après évaluation, des produits sur ces usages. Il s'agit soit d'autorisations de mise sur le marché (AMM) de produits inédits, soit d'extensions d'autorisation de produits autorisés par ailleurs. Dans ce cas, souvent, c'est la procédure dite des usages mineurs qui est suivie. Ces autorisations concernent les cultures légumières (entre autres, car il y a aussi des usages orphelins dans d'autres secteurs de l'agriculture).
Le but est de pouvoir compenser les disparitions de produits au fur et à mesure, et même d'améliorer la situation, selon deux critères :
offrir davantage de choix de produits,
proposer de nouveaux produits à meilleur profil toxicologique et environnemental que les anciens.
Avancées de 2012 : trois nouvelles substances, toutes « type biocontrôle »
En 2012, les AMM obtenues suite aux travaux conduits dans le cadre de la commission des usages orphelins ont permis de réduire les difficultés rencontrées pour différents légumes.
De plus, on note l'arrivée de trois produits contenant des substances inédites. Fait marquant, toutes sont de type biocontrôle. Il s'agit de :
Armicarb (tableau 1), à base de bicarbonate de potassium, produit sans classement( 3), reconnu UAB et « Nodu vert » ;
Flocter (tableau 2), à base Bacillus firmus souche I-1582 (substance sans classement), produit classé Xi R36 (irritant pour les yeux), UAB et « Nodu vert » ;
Prestop (tableau 1), à base de Gliocladium catenulatum souche J 1446, produit sans classement, remplissant les critères pour être UAB et « Nodu vert » (N.B. La liste a été actualisée le 1er octobre 2012 et l'autorisation du produit date du 15).
L'« événement phosphite »
Par ailleurs, une des substances arrivant sur cultures légumières après avoir été autorisée sur d'autres cultures est fort notable. C'est le phosphonate de potassium.
Il a été autorisé dans trois spécialités (LBG- 01F34, Pertinan et Etonan, pas UAB mais sans classement toxicologique). Et ceci sur une belle variété de cultures : 12 usages différents dont certains, correspondant au nouveau catalogue, accueillent des espèces jusqu'ici orphelines (Tableau 1). Par exemple les cucurbitacées à peau non comestible englobent, à côté du potimaron, une série d'espèces dont les courges et pastèques citées plus haut.
Ces autorisations sont un événement car c'est la première substance assimilable à un phosphite autorisée sur cultures légumières depuis le fosétyl-al. Et c'est la première fois que des autorisations sont obtenues via la procédure simplifiée d'extension pour usage mineur selon un dispositif prévu à l'article 51 du règlement n° 1107/2009(4).
Elles sont le fruit d'un partenariat entre Légumes de France et le Ctifl. En accord avec la société détentrice du produit, ils ont demandé à la DGAL(5) la mise en œuvre de cet article 51 afin que ces produits à base de phosphonate de potassium autorisés sur vigne le soient aussi sur des cultures légumières. La décision de la DGAL est une première en France depuis l'entrée en vigueur du règlement.
Extensions pour orphelins et mal pourvus
Il y a aussi les extensions d'emploi, sur usages orphelins ou mal pourvus, de produits déjà autorisés sur légumes (ex. tableau 1, le biologique Prev'Am à base d'huile essentielle d'orange, déjà connu sur tomate et courgette sous serre, autorisé en 2012 contre l'oïdium sur laitue, mâche, estragon, persil, etc.)
Après les précédentes
Elles succèdent aux extensions d'emploi et arrivées de substances nouvelles des deux années précédentes. Citons notamment :
le Metarhizium anisopliae souche F52 de Met52 granulé, bio-insecticide sans classement, reconnu UAB et inscrit sur la liste « Nodu vert » autorisé en 2011 notamment sur fraisier,
le Bacillus subtilis souche QST 713 de Serenade Max, SDN (stimulateur de défenses naturelles)/fongicide sans classement, UAB et inscrit « Nodu vert » autorisé fin 2010 notamment sur cucurbitacées (à peau comestible ou non), laitue et tomate.
l'Ampelomyces quisqualis d'AQ 10, bio-fongicide lui encore sans classement, UAB et inscrit « Nodu vert », autorisé en 2010 notamment sur aubergine, concombre, courgette, melon, poivron, tomate et fraisier,
le chlorantraniliprole (marque rynaxypyr) d'Altacor et Coragen autorisés en 2010, le premier sur aubergine, tomate, concombre, courgette, melon, poivron, laitue, chou et carotte (puis haricot en 2011) et le second sur maïs doux. C'est certes un insecticide chimique mais il n'est classé que N R50/53 (au plan écotoxicologique : dangereux pour les organismes aquatiques) et sans classement toxicologique. Vu les produits qu'il remplace (organophosphorés, carbamates...), quel progrès !
Tout n'est pas réglé
Malgré ces avancées, certaines problématiques majeures restent très importantes. Il y a le désherbage pour lequel les vraies nouveautés sont rares (tableau 3), ainsi que certains ravageurs du sol (mouches, taupins, nématodes) et aériens (aleurodes, mouches). Le travail continue.
<p>(1) Cette révision exigée par la directive n° 91/414 de 1991 entrée en vigueur en 1993, initialement programmée à partir de 1993, n'a vu les premières décisions qu'en 1997. Ce fut une longue période de rodage, mais elle était nécessaire : les substances phytopharmaceutiques ont été les pionnières de la réglementation européenne des substances chimiques ! Elles en ont largement « essuyé les plâtres » et permis de roder moult procédures, bien avant la réglementation des biocides avec sa directive n° 98/8 publiée en 1998.</p> <p>... Et bien avant Reach, règlement n° 1907/2006 publié fin 2006 et entré en vigueur en 2007.</p> <p>(2) Présentée dans « Le Nodu vert est arrivé » en p. 4 & 5 de Phytoma n° 657 d'octobre 2012.</p> <p>3) Dans cet article, « sans classement » désigne des produits ou substances exemptés de classements toxicologique et écotoxicologique après examen. C'est donc… le meilleur classement qui soit ! Rien à voir avec des produits ayant dédaigné se faire évaluer.</p> <p>(4) Nouveau règlement européen de mise sur le marché des produits phytos entré en vigueur en juin 2011.</p> <p>(5) Dir. générale de l'Alimentation (min. de l'Agriculture).</p>
1 - Nouveaux fongicides (et assimilés) pour cultures légumières en 2012. (Source : publications dans Phytoma, de février 2012 à ce numéro de janvier 2013).
2 - Nouveaux insecticides (et assimilés) pour cultures légumières en 2012. (Source : publications dans Phytoma, de février 2012 à ce numéro de janvier 2013). Publiées dans Phytoma en avril 2012 (n° 653)