Drosophila suzukü, espèce invasive récemment introduite, est responsable de ravages conséquents en arboriculture fruitière et sur fraisier aux USA et en Europe de l'Ouest, dont la France. Afin de pouvoir envisager des méthodes de lutte alternatives aux insecticides, il est nécessaire de mieux connaître les traits biologiques de l'espèce ainsi que sa vulnérabilité aux parasitoïdes naturels. C'est l'objet de cette étude, réalisée en conditions de laboratoire.
Pourquoi la lutte biologique contre D. suzukü ?
Pourquoi la lutte : un ravageur invasif et virulent
Drosophila suzukü, petite mouche de la famille des Drosophilidés (photos 1 et 2), décrite du Japon en 1931, a colonisé l'Amérique du Nord et l'Europe (Italie et Espagne) en 2008 (Hauser et al., 2009 ; Calabria et al., 2012), pour être ensuite signalée dans pas moins de neuf pays de l'Europe de l'Ouest en 2011 (Cini et al., 2012). Après s'être établie dans le sud de la France en 2009, elle a colonisé avec succès l'ensemble du territoire français, ravageant des récoltes entières de cerises et de fraises dans le sud, ainsi que de framboises, mûres et myrtilles en Rhône-Alpes (Weydert & Bourgouin, 2012). Ceci a conduit le Laboratoire de la santé des végétaux à diffuser une fiche d'alerte sur la reconnaissance de D. suzukü dès 2011.
En effet, à la différence de la quasi-totalité des espèces de drosophiles frugivores, qui pondent dans des fruits en décomposition, D. suzukü pond ses œufs dans des fruits sains en cours de maturité grâce à son ovipositeur denté (ph. 3, Withers & Allemand, 2012). Les dégâts sont ensuite amplifiés par le développement des larves à l'intérieur du fruit, puis par d'éventuelles infections bactériennes ou fongiques.
Pourquoi biologique : trois raisons
La lutte chimique expérimentée contre elle en 2011 en France s'est révélée peu efficace, surtout dans les cas de pullulation (Weydert & Bourgouin, 2012).
De plus, D. suzukü infestant des fruits presque mûrs, le respect des délais avant récolte limite le recours aux insecticides.
Enfin, son temps de génération très court implique des traitements fréquents avec le risque d'entraîner l'apparition rapide d'individus résistants aux insecticides.
Il est donc indispensable de développer des méthodes de lutte alternatives.
Pourquoi D. suzukü a-t-elle ce potentiel invasif ?
La propension d'une espèce introduite à devenir invasive dépend de plusieurs facteurs incluant ses traits biologiques propres, les propriétés biotiques (compétiteurs, prédateurs, distribution des ressources…) et abiotiques (conditions climatiques…) de l'environnement colonisé, et enfin l'adéquation entre les deux (Sakai et al., 2001). L'espèce étant plutôt discrète dans son aire d'origine, sa biologie n'avait été que peu étudiée jusqu'à présent.
Adaptable face au climat
Concernant la tolérance aux conditions climatiques, la vaste distribution de D. suzukü au Japon (Kimura, 2004) suggère une bonne capacité d'adaptation à des climats contrastés. Elle est capable de coloniser le milieu montagnard (altitude supérieure à 1 500 m) au Japon (Mitsui et al., 2010), et en France dans les Alpes-Maritimes (Calabria et al., 2012).
En parallèle, elle tolère des températures particulièrement élevées : en conditions de laboratoire, les mâles sont fertiles jusqu'à une température de développement de 30 °C (Walsh et al., 2011).
Peu confrontée à des concurrentes
Un second frein à l'établissement d'une espèce exotique est la confrontation ou non à des espèces locales potentiellement compétitrices. Dans le cas de D. suzukü, cette compétition est très limitée dans la mesure où :
D. suzukü colonise une très large gamme de fruits,
elle exploite cette gamme avant la plupart des autres drosophiles (Encadré 1).
Espèces « ennemies », l'inconnue
Enfin, la démographie d'une espèce invasive peut être naturellement régulée par la présence d'éventuels « ennemis » résidents (prédateurs, parasites et pathogènes ; Hairston et al., 1960). Si, à ce jour, 14 espèces de parasitoïdes ont été identifiées comme étant capables de parasiter D. suzukü (Mitsui et al., 2007 ; Ideo et al., 2008 ; Kacsoh & Schlenke, 2012 ; Chabert et al., 2012), la question concernant la capacité effective des parasitoïdes de drosophiles présents en France à réguler cet hôte reste posée.
Deux volets d'étude au laboratoire
Biologie de D. suzukü, pour savoir comment l'élever
Deux volets ont été abordés dans le cadre de cette étude. Le premier vise à comparer en laboratoire le développement de D. suzukü avec celui de Drosophila melanogaster, espèce modèle dont l'élevage est très bien maîtrisé. On peut ainsi évaluer dans quelle mesure on pourra utiliser les techniques d'élevage existantes. En effet, optimiser l'élevage de D. suzukü est une étape préliminaire indispensable à l'optimisation de celui de ses auxiliaires spécifiques.
Efficacité des parasitoïdes, avant des tests en plein champ
Le second volet porte sur l'étude de l'efficacité parasitaire au laboratoire des cinq principaux hyménoptères parasitoïdes français de drosophiles frugivores sur cette espèce invasive.
Volet biologie
Souche de D. suzukü testée et conditions expérimentales
Nous avons étudié la biologie d'une souche de D. suzukü issue d'un petit nombre d'individus collectés en septembre 2010 dans un jardin de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône). Elle a été conservée au laboratoire en conditions standards de développement sur le milieu nutritif classique de D. melanogaster. Durant les expériences elles-mêmes, les drosophiles ont été développées sur un milieu à base de banane (Chabert et al., 2012).
Comparaison d'après la littérature avec D. melanogaster
Les traits biologiques de D. suzukü ont systématiquement été comparés avec ceux d'une souche française de D. melanogaster trouvés dans la littérature. Cette espèce cosmopolite de référence est en effet souvent dominante dans les communautés de drosophiles frugivores, notamment en France (Encadré 1).
Effet de la température sur trois traits biologiques
Trois traits biologiques ont été mesurés après développement de l'œuf à l'adulte, aux trois températures de 15 °C, 21 °C et 25 °C.
1- Succès de développement (proportion d'adultes vivants/œufs)
La température n'a pas d'effet significatif sur ce trait « succès de développement » aux modalités étudiées. Si l'on cherche un optimum, il semblerait se situer autour de 18 °C (Figure la).
Le succès de développement de D. suzukü, d'environ 60 % (Tableau 1 page 37), est très inférieur à celui observé par David et Clavel (1967a) pour D. melanogaster, et qui est de l'ordre de 90 % aux mêmes températures.
2 - Durée de développement, de la ponte à l'émergence de l'adulte
Ce trait diminue avec l'augmentation de la température, passant de 26 jours à 15 °C à 11 jours à 25 °C (Tableau 1). L'optimum thermique correspond à une plage de température comprise entre 15 °C et 21 °C (méthode utilisée par David & Clavel, 1967a). Sur ces deux mêmes critères de succès et de durée de développement, David et Clavel (1967a) ont trouvé un optimum thermique de 21 °C pour D. melanogaster.
3 - Nombre d'ovarioles par ovaire, mesure de la fécondité potentielle
Ce nombre d'ovarioles est assez stable chez D. suzukü, de 11 à 16 avec une moyenne de 13 par ovaire pour les trois températures étudiées (Tableau 1). C'est un faible nombre comparé à celui de D. melanogaster qui en possède le double aux mêmes températures (Figure 1b ; David & Clavel, 1967b).
Effet de l'âge des mères sur la taille et la qualité de ponte
La qualité de la ponte des drosophiles dépend de divers facteurs, l'âge des mères en particulier (David & Clavel, 1969). Nous l'avons mesurée selon quatre critères différents.
1 - Taille de ponte journalière des femelles à 21 °C
À 21° C, D. suzukü pond en moyenne 3,3 œufs par jour avec un pic de 6/jour autour de l'âge de 25 jours (Fig. 2). Ainsi, sur le milieu utilisé, une femelle aura pondu 230 œufs au total en moyenne dans sa vie. Cette taille de ponte est faible comparée à celle de D. melanogaster, qui peut pondre jusqu'à 60 œufs par jour à 19 °C, soit environ 2 000 œufs au total (David & Clavel, 1969). Mais la ponte de D. melanogaster chute assez rapidement alors que les femelles de D. suzukü âgées de plus de 60 jours continuent à pondre, bien que la longévité des adultes des deux espèces soit comparable(1).
2 & 3 - Taux de fécondation et taux d'éclosion des œufs à 25 °C
Ces données mesurent respectivement la proportion d'œufs pondus fécondés et la proportion d'œufs pondus éclos. Les deux taux diminuent significativement avec l'augmentation de l'âge des parents (Figure annexe B).
4 - Succès de développement des œufs à 25 °C (proportion d'adultes vivants/œufs)
Ce succès, mesuré jusqu'à l'âge de 52 jours (Figure annexe B), est indépendant de l'âge des mères et vaut en moyenne 48,9 % à 25 °C. Cette valeur a servi à estimer le nombre de drosophiles adultes attendu (T) en l'absence de parasite, comme témoin pour l'étude de l'efficacité parasitaire : T = 0,489 x 60 = 29 adultes attendus à 25 °C sur 60 œufs. Ce succès est donc d'environ 50 % (48,9 % en moyenne à 25 °C).
En comparaison, le taux d'éclosion des œufs de D. melanogaster, très élevé au début, chute rapidement sous 50 % (David & Clavel, 1969) : D. melanogaster concentre son effort de reproduction sur ses premières semaines de vie. Drosophila suzukü semble répartir son effort de reproduction sur toute sa durée de vie. Ainsi, D. suzukü maintient sa fécondité et sa fertilité sur une longue durée par rapport à D. melanogaster mais pond en revanche environ dix fois moins. Son succès de développement reste relativement faible, entre 50 et 60 % selon la température (optimum autour de 18 °C).
Volet « efficacité parasitaire de parasitoïdes »
Cinq hyménoptères « rhônalpins » parasitoïdes de drosophiles
Pour tester l'efficacité parasitaire des cinq parasitoïdes de drosophile résidents de la vallée du Rhône, des femelles isolées de chaque espèce parasite ont été mises en contact avec 60 hôtes dans un tube d'élevage. Pour chaque espèce de parasitoïde, deux populations ont été testées.
Trois indices calculés
Trois indices qui résument les relations hôteparasite ont été calculés :
le degré d'infestation (DI) mesure la proportion de drosophiles infestées,
le succès parasitaire (SP) mesure la proportion de drosophiles infestées ayant permis le développement de parasitoïdes adultes,
le taux d'encapsulation efficace (TEE), mesure la proportion de drosophiles infestées ayant survécu jusqu'au stade adulte en tuant l'hôte parasitoïde par « encapsulation » (Encadré 2).
Une espèce japonaise comme témoin
À titre de témoin, nous avons réalisé la même expérience en utilisant une espèce de parasitoïde originaire du Japon, Asobara japonica (testée à 21 et 25 °C), connue comme capable de parasiter D. suzukü (Ideo et al., 2008). Du fait de leurs préférences thermiques, les expériences avec les parasitoïdes français ont été réalisées à 25 °C, excepté pour Asobara tabida pour qui elles ont été menées à 21 °C.
Résultats
Genre Asobara (Braconidae), seule l'espèce japonaise est efficace
Nos résultats confirment la très grande capacité d'infestation de l'espèce japonaise A. japonica pour les deux températures testées (DI > 90 % ; Tableau 2 p. 38). Conformes avec ceux obtenus par Ideo et al. (2008), ces résultats valident le protocole expérimental. A. japonica affiche par ailleurs un succès de développement (SP) variant entre 40 et 70 % selon la température.
L'autre espèce du même genre, A. tabida, semble en revanche quasiment incapable d'infester D. suzukü (Tableau 2 p. 38), même lorsqu'elle est en groupe.
Une expérience complémentaire réalisée sur le comportement de ponte de cette espèce confirme ces résultats : sur 160 larves de D. suzukü de second stade présentées à 40 femelles de A. tabida pendant une heure, seules 3 larves ont été infestées (130 larves infestées sur 160 en parallèle pour D. melanogaster).
Genre Leptopilina (Eucoilidae) : elles infestent, mais se font ensuite encapsuler
Les deux parasitoïdes de larve L. boulardi et L. heterotoma infestent assez bien D. suzukü : 66 % en moyenne pour les deux populations de L. boulardi, et entre 52 % et 83 % selon la population de L. heterotoma (Tableau 2). Ils sont en revanche incapables de se développer sur cet hôte : D. suzukü développe une très forte encapsulation vis-à-vis de ces parasites (Encadré 2).
Celle-ci paraît très efficace : 52 % des larves infestées par L. boulardi et 75 % des larves infestées par L. heterotoma survivent à l'attaque du parasitoïde. Pour sa part, D. melanogaster affiche des taux d'encapsulation efficace (TEE) de 0 à 49 % selon les populations (Carton & Nappi, 1991).
Ces taux d'encapsulation de D. suzukü très élevés pourraient s'expliquer par sa très forte production d'hémocytes (5 à 8 fois plus que D. melanogaster ; Kacsoh & Schlenke, 2012 ; Poyet et al., sous presse).
Ces résultats étaient attendus pour L. boulardi, considéré comme parasitoïde spécialiste. Ils le sont moins pour L. heterotoma, parasitoïde relativement généraliste. Cependant, une expérience complémentaire réalisée en augmentant le nombre de femelles de L. heterotoma (Antibes) a permis le développement de trois parasitoïdes adultes. Ainsi, même si le développement de cette espèce semble difficile sur D. suzukü, il est physiologiquement possible.
À noter : même si ces deux espèces de Leptopilina sont manifestement encore incapables de se développer sur D. suzukü, elles peuvent tuer un certain nombre de drosophiles dans nos conditions de laboratoire (33 % pour L. boulardi et 17 % pour L. heterotoma).
Parasitoïdes de pupe, espèces les plus prometteuses
Les deux parasites de pupe montrent une forte capacité d'infestation.
P. vindemmiae (Pteromalidae) infeste en moyenne 61 % des larves, et 58 % des individus se développent jusqu'au stade adulte pour les deux populations.
T. cf drosophilae (Diapriidae) infeste D. suzukü plus efficacement que P. vindemmiae avec un DI de 69 % à 85 % selon la population ; mais il se développe plus aléatoirement, 38 % à 76 % selon la population. Ces résultats sont conformes avec le fait que P. vindemmiae est un parasitoïde très généraliste et T. cf drosophilae plus spécialiste.
Conclusion
Les deux parasitoïdes de pupes sont capables de se développer sur D. suzukü tandis que les deux espèces de Leptopilina, bien que capables d'attaquer les larves, succombent face à la réaction immunitaire qu'elles provoquent. L. heterotoma pourrait néanmoins être susceptible de s'adapter. Enfin, A. tabida est incapable d'infester ce nouvel hôte.
Une première étape
D. suzukü, une « droso » presque comme les autres
Drosophila suzukü ne présente pas de traits biologiques particulièrement marquants par rapport à l'ensemble des drosophiles. Mais ses bonnes capacités physiologiques et sa grande tolérance à la température lui permettent une adaptation rapide aux nouvelles conditions rencontrées.
Elle montre une fécondité plus faible mais plus étalée dans le temps que D. melanogaster, ce qui doit faciliter la dispersion des attaques et favoriser l'invasion. Sa capacité à pondre dans les fruits en cours de maturité lui permet d'éviter la compétition avec les autres espèces. Cette absence de compétition à ce stade de maturation des fruits a probablement favorisé son expansion.
Parasitoïdes, le labo était un préalable
Parmi les parasitoïdes naturels testés, le choix systématique de deux souches d'origine différente pour chaque espèce montre des différences dans leur efficacité. L'origine est probablement génétique, ce qui laisse présager une potentialité adaptative assez forte comme auxiliaires. Selon les espèces testées, les résultats sont très différents. Asobara tabida est incapable de parasiter les jeunes larves de D. suzukü, contrairement à son espèce cousine A. japonica. Les deux autres espèces de parasitoïdes larvaires (Leptopilina) en sont capables, mais les défenses immunitaires de l'hôte empêchent leur développement(2).
Les parasites de pupes se révèlent plus efficaces pour limiter cet hôte, avec tous deux un degré d'infestation et un succès parasitaire très prometteurs.
Pas encore extrapolable
Tous les résultats ont été obtenus au laboratoire, préalable indispensable pour évaluer les potentialités physiologiques des espèces. Leur extrapolation en pratique est bien sûr hasardeuse, notamment pour des raisons écologiques et comportementales.
En particulier, les parasitoïdes résidents sont surtout attirés pas les fruits endommagés, habitat de leurs hôtes habituels (D. melanogaster et autres). Or, D. suzukü pondant sur des fruits sains, ses jeunes larves sont a priori à l'abri des attaques. Mais lorsque la drosophile atteint le stade pupe, les fruits sont endommagés et sont donc devenus attractifs pour les parasites de pupes qui sont justement les espèces les plus virulentes.
Ces deux espèces, Pachycrepoideus vindemmiae et Trichopria cf drosophilae, pourraient donc se révéler de bons auxiliaires capables de s'adapter à ce nouvel hôte et d'en limiter l'expansion(3).
2013, un projet CASDAR prend le relais
Des études plus approfondies en laboratoire et en conditions naturelles sont nécessaires afin de pouvoir apporter des solutions pour la maîtrise du ravageur. C'est l'objectif du projet CASDAR financé par le Ministère de l'Agriculture, et porté par Claire Weydert, du Ctifl, qui démarre début 2013.
<p>Remerciements… chaleureux à la station INRA de Gotheron (Valence) pour son accueil, à Théotime Colin, Gevork Arakelian et Martin Hauser pour la mise à disposition gratuite de leurs photos, ainsi qu'à Mathilde Poyet et Benjamin Galliot pour les corrections apportées au manuscrit.</p> <p>(1) <i>D. melanogaster</i> vit jusqu'à 60 jours en moyenne à 19 °C en labo (David et al., 1983).</p> <p>(2) On peut toutefois légitimement s'attendre à une sélection naturelle de <i>L. heterotoma</i> qui deviendrait capable de se développer sur <i>D. suzukü</i>. À terme, ce parasitoïde pourrait donc s'adapter à ce nouvel hôte suivant la théorie du « boom and bust » en biologie de l'invasion (Kondoh, 2006).</p> <p>(3) Il faudra cependant tenir compte du fait que P. vindemmiae est un hyperparasitoïde : cette espèce est capable de parasiter, et donc de tuer de nombreuses autres espèces de parasitoïdes hyménoptères, qui sont autant de potentiels auxiliaires de culture (Hawkins & Marino, 1997 ; Goubault et al., 2003 ; Wang & Messing, 2004).</p>
1- Les drosophiles frugivores de la vallée du Rhône
Présentes avant D. suzukü
Avant l'arrivée de D. suzukü, plusieurs espèces de drosophiles frugivores étaient déjà présentes en France. Contrairement à D. suzukü, ces drosophiles se développent sur des fruits en décomposition tombés au sol et ne sont donc pas dangereuses en vergers.
En France, des études de terrain menées durant plusieurs années permettent d'avoir une image assez fiable de la dynamique de la communauté de drosophiles (Fleury et al., 2009). Les deux espèces les plus abondantes sont D. melanogaster et D. simulans. D. melanogaster est l'espèce prédominante au nord et D. simulans au sud, avec des variations saisonnières importantes dans la zone intermédiaire de Valence (Figure annexe A).
Cas de D. melanogaster
D. melanogaster est certainement l'espèce la plus connue à la fois des biologistes et du grand public.
Cette espèce cosmopolite est en effet commensale de l'homme et occupe souvent les habitations, volant autour des corbeilles de fruits ou des verres de vin. De plus, pour les chercheurs, cette espèce est utilisée comme un organisme modèle en génétique et en biologie du développement, notamment pour sa facilité et sa rapidité d'élevage (développement en 9 jours à 25 °C), qui permet d'obtenir de très nombreux individus en peu de temps. Par exemple, D. melanogaster est le modèle utilisé par Jules Hoffmann (prix Nobel de médecine 2011) pour ses travaux sur l'immunité.
2 - Parasitoïdes de drosophiles de la vallée du Rhône auxiliaires potentiels de lutte contre D. suzukü
5 - Femelle de Leptopilina heterotoma (Hymenoptera : Eucoilidae) infestant une larve de D. melanogaster (non visible).
6 - Femelle de Pachycrepoideus vindemmiae (= dubius, Hymenoptera : Pteromalidae) infestant une pupe de D. suzukü.
Les parasitoïdes sont des organismes qui tuent systématiquement leur hôte pour se développer. Certains, spécialisés sur un groupe restreint d'hôtes, sont à ce titre utilisés en lutte biologique. On recense une cinquantaine d'espèces de parasitoïdes de drosophiles dans le monde. En vallée du Rhône, cinq espèces majeures sont connues pour parasiter les drosophiles frugivores (Fleury et al., 2004) : Asobara tabida (ph. 4), Leptopilina heterotoma (ph. 5), Leptopilina boulardi, Pachycrepoideus vindemmiae (ph. 6) et Trichopria cf drosophilae (ph. 7). Elles sont responsables d'une grande part de la mortalité des drosophiles. En région méditerranéenne, on a trouvé jusqu'à 90 % de drosophiles parasitées dans certains fruits !
Parmi ces cinq espèces, A. tabida, L. heterotoma et L. boulardi sont des endoparasites de larves : ils pondent un œuf à l'intérieur des larves de premier ou second stade. L'œuf éclot au bout d'un jour, puis la larve du parasite dévore la larve de drosophile de l'intérieur en commençant par les organes non vitaux pour la maintenir en vie (ces parasitoïdes sont dits koïnobiontes). Au 3e stade, la larve du parasite sort du corps de la drosophile nymphosée en pupe et achève de la consommer de l'extérieur avant de se métamorphoser à son tour en adulte. Leptopilina heterotoma et L. boulardi sont majoritaires dans la communauté de parasitoïdes de drosophiles dans les vergers de la vallée du Rhône (Fleury et al., 2009).
Pachycrepoideus vindemmiae et T. cf drosophilae sont des parasites de pupes : le premier pond un œuf à la surface de la nymphe de drosophile et se développe en ectoparasite, tandis que le second pond à l'intérieur de la nymphe et se développe en endoparasite.
Pour localiser et reconnaître leurs hôtes, ces parasitoïdes utilisent différentes informations (Kaiser et al., 2009) :
1) Localisation de l'habitat : ils détectent les odeurs de fruit et de fermentation, ainsi que les phéromones d'agrégation émises par les drosophiles adultes pour se reproduire.
2) Localisation de l'hôte : les parasitoïdes larvaires localisent les larves hôtes en sondant le fruit avec leur ovipositeur en réponse à des odeurs et des vibrations causées par les larves dans le fruit. 3) Reconnaissance de l'hôte lors de la piqûre avec l'ovipositeur.
En retour, les drosophiles ont développé une puissante réaction immunitaire : l'encapsulation (Eslin et al., 2009). Ce phénomène consiste chez les larves de drosophiles parasitées à enveloppe l'œuf parasite avec des cellules sanguines appelées hémocytes pour l'isoler et le tuer par asphyxie avant qu'il n'éclose (ph. 8). La capacité pour une espèce de drosophile à se défendre par encapsulation dépend directement de la concentration naturelle de son hémolymphe en hémocytes et de leur spécificité.
Fig. 1 : Effet de la température de développement sur la reproduction de D. suzukü, en comparaison avec D. melanogaster.
(a) Le succès de développement (proportion d'œufs pondus atteignant le stade adulte). 10 réplicats par modalité de température. 60 œufs par réplicat pondus par des femelles de 6 jours. Données sur D. melanogaster d'après David et Clavel (1967a).
(b) La quantité d'ovarioles par ovaire (±SD). 30 femelles adultes disséquées par modalité de température. Données sur D. melanogaster d'après David et Clavel (1967b).
Fig. 2 : Effet de l'âge de D. suzukü, en comparaison avec D. melanogaster sur la taille de ponte journalière (±SE) à 21 °C (19 °C pour D. melanogaster). Plan expérimental constitué de 20 boîtes de ponte contenant 6 femelles (et au moins 4 mâles). Données sur D. melanogaster d'après David et Clavel (1969).
Tableau 2 - Efficacité parasitaire (en % ±SE) de six espèces de parasitoïdes sur D. suzukü.
À l'exception de l'espèce japonaise témoin A. japonica, deux populations françaises ont été testées pour chacune des autres espèces ; et pour chaque population, plusieurs réplicats ont été réalisés. Trois estimateurs de la relation hôte-parasitoïde ont été calculés (voir texte) : le degré d'infestation (DI), le succès parasitaire (SP) et le taux d'encapsulation efficace (TEE ).