La technique de greffe-bouture herbacée associe la simplicité des techniques in vivo aux avantages du travail sur les organes jeunes. Elle permet de produire rapidement et en continu des plants greffés-soudés. Les plantes produisant le matériel végétal étant cultivées en serre, elles ne sont pas soumises aux pollutions et contaminations observées dans le vignoble.
Nous avons voulu savoir si cette technique pouvait être utilisée pour produire des plants de vigne exempts des champignons associés aux maladies du bois.
De la théorie à la pratique
En théorie, la production de plants issus de la technique de greffe-bouture herbacée, dite aussi « greffage en vert », permettrait d'obtenir des plantes dénuées de champignons inféodés aux maladies du bois. Mais en pratique ?
Notre objectif est d'évaluer ce mode de production pour connaître si cette technique pourrait effectivement produire des plants sans les champignons associés aux maladies du bois (black dead arm, esca, maladie de Petri, pied noir, dépérissements liés aux Phomopsis spp.).
124 greffes-boutures produites
Six porte-greffe testés avec du Cabernet-Sauvignon
Les greffes-boutures sont collectées sur de vignes-mères de greffons (Cabernet-Sauvignon) et des vignes mères de porte-greffe de diverses variétés (Némadex, 140 Ruggieri, 5BB, Rupestris du Lot, SO4, Riparia Gloire) cultivées en serre (photo1). 124 greffes-boutures herbacées sont ainsi produites par greffage en vert et plantées dans des mottes de terreau.
De la chambre climatique à la serre
Elles sont maintenues en chambre climatique (phase de stratification) à 26-27 °C pendant deux à trois semaines dans des mini-serres saturées en humidité (proche de 100 %) (température = 25 °C, hygrométrie ≈ 100 %) (ph. 2). Elles sont ensuite acclimatées sur un tablard en serre à une température non régulée de manière stricte (variation probable de 18 à 26 °C). Les greffes-boutures herbacées sont ensuite repiquées dans des pots d'un litre (ph. 3 ) et maintenues 2 à 8 mois en serre (tableau 1).
Analyses microbiologiques
Analyse du bois sur six niveaux, et en surface sur quatre
Effectuées selon la méthode de Larignon et Dubos (1997), les analyses microbiologiques sont réalisées à six niveaux dans le plant : le greffon (G), le point de soudure (S), 1 cm au-dessous de la soudure (PG1), mi-porte-greffe (PG2), 1 cm au-dessus du talon (PG3) et le talon (PG4).
Elles sont réalisées aussi en surface. Les zones analysées sont : greffon-soudure (GeSe), 1 cm au-dessous de la soudure (PG1e), mi-porte-greffe (PG2e) et à proximité du talon (PG3e/PG4e).
Dix champignons recherchés
Pour chaque zone, dix morceaux de bois sont prélevés et mis sur milieu de culture (malt : 15 g/l, agar-agar : 20 g/l).
Après un mois d'incubation, la présence des champignons est notée. Dix catégories (espèces ou genres) de champignons sont recherchées : Phaeomoniella chlamydospora, Phaeoacremonium aleophilum, Neofusicoccum parvum, Diplodia seriata, Fusicoccum aesculi, Diplodia mutila, autres Botryosphaeriaceae, Phomopsis spp., Ilyonectria spp. et Cadophora spp.
Résultats
Un seul des dix retrouvé
Aucun des champignons recherchés n'a été trouvé dans le matériel végétal analysé (greffes-boutures, porte-greffe) ni sur les écorces, à l'exception de Ilyonectria liriodendri (= Neonectria liriodendri) agent du pied-noir (Figure 1). Ce dernier est trouvé surtout à la base des plants : niveaux PG3, PG4 et PG3e/PG4e. Sachant qu'il s'agit d'un champignon du sol, il est probable qu'il ait été apporté par le substrat.
Cinq champignons autres que ceux recherchés, dont 2 colonisant tout le plant
Des champignons sont certes trouvés dans les greffes-boutures, mais ce ne sont pas ceux associés aux maladies du bois. Les plus souvent décelés sont :
Chaetomium globosum (identification réalisée par le CBS) : il est trouvé dans toutes les greffes-boutures analysées, tant au niveau de leurs tissus internes que sur les écorces. Ceci dans toutes les parties du plant, de façon homogène. Ce champignon est donc capable de coloniser la plante entièrement (Figure 2).
Fusarium proliferatum (Species complex) (identification réalisée par le CBS) : on le rencontre dans presque tous les plants analysés (93 %). Et, aussi, dans toutes les zones analysées, que ce soit au niveau des tissus ligneux ou des écorces (Figure 3).
Trichoderma sp. : il est trouvé dans quasi tous les plants analysés (86 %), davantage dans les tissus ligneux que sur les écorces. Il est localisé plus particulièrement au niveau des plaies qui se trouvent au niveau du talon (PG4) et de la soudure (S). Cela suggère qu'il ne colonise pas entièrement la plante (Figure 4).
Alternaria sp. : il est rencontré entre 60 et 70 % des plants selon les lots analysés. Il est surtout trouvé dans les tissus ligneux situés au niveau de la soudure (S) et sur les écorces prélevées à ce même niveau (GeSe) (Figure 5).
Penicillium sp. : il est rencontré entre 18 et 67 % des plants selon les lots analysés. Il est surtout trouvé dans les tissus ligneux situés dans la partie haute du plant (G, S, PG1) (Figure 6).
Conclusion
Pas de champignons associés, sauf si le substrat en contient
La technique de greffe-bouture herbacée permet d'obtenir des plants dénués des champignons associés aux maladies du bois, à l'exception de l'agent du pied noir s'il est apporté par le substrat.
Reste à transférer la technique en conditions réelles
Bien que le transfert aux conditions réelles de production de cette technique reste probablement délicat, la disponibilité d'une telle méthode de production serait très intéressante dans un cadre de recherche sur les maladies du bois.
Cela permettrait de mettre en place et de suivre dans le temps des parcelles issues de matériel végétal sain, afin de mieux comprendre le rôle éventuel des plants dans l'épidémiologie de la maladie.
Deux autres champignons à suivre
Cette étude a aussi montré la présence dans tous les plants analysés de deux champignons : Chaetomium globosum et Fusarium proliferatum. Leur particularité est leur présence de façon homogène dans toutes les zones analysées. Ceci suggère leur capacité à coloniser la totalité des greffes-boutures, contrairement aux Trichoderma qui restent cantonnés au niveau des blessures. Leur capacité à protéger les plantes face aux maladies du bois pourrait être étudiée.
<p><b>Remerciements.</b></p> <p>Ce travail a été réalisé grâce à la participation du CASDAR, sur l'appel à projets 2009-2012 maladies du bois de la vigne (projet V905).</p>