L'an dernier, nous avions qualifié de « poignée de millions d'ha » la progression des cultures transgéniques dans le monde de 12 millions d'hectares, soit 8 % de plus qu'en 2010, annoncée par l'Isaaa(1). En 2012, toujours selon l'Isaaa, la progression est de 10,3 millions d'ha soit seulement 6 %. Une pincée... Qui mène le total à 170,3 millions d'ha. Plus de six fois la SA U(2) française, quand même.
Un total de quelle taille ?
OGM dans le monde, un hectare cultivé sur neuf
Autre ordre de grandeur ; si on estime la surface des terres cultivées dans le monde à 1,5 milliard d'hectares(3), les OGM en couvrent 11,3 %. Un hectare sur neuf cultivé sur notre planète l'est avec une PGM, plante génétiquement modifiée. Le tout dans 28 pays, un de moins qu'en 2011. Mais désormais onze d'entre eux, et non plus dix comme l'année précédente, sont millionnaires en hectares d'OGM.
Pays, c'est toujours l'Amérique
Les États-Unis en tête, le Brésil fonce
Plus de 86 % de ces PGM sont cultivées sur le continent américain. Les États-Unis restent en tête avec 69,5 millions d'ha. Les surfaces augmentent légèrement depuis 2011 mais le poids relatif du pays ne cesse de baisser : il ne pèse plus que 41 % des surfaces d'OGM mondiales (Tableau 1).
Derrière, le Brésil grimpe à 36,6 millions d'ha, soit 21,5 % des surfaces d'OGM mondiales et une progression en un an de 6,3 millions d'hectares, soit de 21 %... Le Brésil fournit à lui seul 61 % de l'augmentation des surfaces d'OGM dans le monde. Où va-t-il s'arrêter ?
Dix autres pays d'Amérique
On trouve ensuite l'Argentine avec presque 24 millions d'hectares en 2012. Puis le Canada, avec 11,6 millions d'ha, récupère la quatrième place où l'Inde s'était hissée en 2008(4).
Le Paraguay monte à 3,4 millions d'ha. L'Uruguay suit avec 1,4 million d'ha. La Bolivie, qui avait démarré les OGM en 2008, arrive au million d'ha. Elle est ainsi le onzième pays millionnaire en hectares d'OGM dans le monde. Sept de ces « millionnaires » sont américains.
En y ajoutant les 200 000 ha du Mexique et en citant, sans compter leurs surfaces, les pays à moins de 50 000 ha (Chili, Colombie, Honduras, Costa Rica), on arrive à un total de :
– 12 pays du continent américain...
– ... y cultivant 147,6 millions d'ha, soit 86,7 % des OGM mondiaux.
En 2011 on était à 86,6 %, en 2010 à 86,9 %, en 2008 à 88,8 %(5)... En termes de surfaces, l'Amérique est et reste le continent des OGM. Avec un glissement progressif vers le sud.
Et ailleurs dans le monde ?
La part prise par l'Asie
Ailleurs, l'Inde cultive 10,8 millions d'hectares, la Chine 4 millions d'hectares déclarés, le Pakistan 2,8 millions d'hectares, les Philippines 800 000 ha et la Birmanie 300 000 ha. Ces cinq pays asiatiques totalisent 18,4 millions d'hectares, soit 10,8 % des surfaces d'OGM.
Afrique, Océanie
Les autres continents accueillent à eux trois... à peine 2,5 % des surfaces d'OGM mondiales soit moins de 4,3 millions d'ha. L'Afrique est représentée par l'Afrique du Sud avec 2,9 millions d'ha, puis le Burkina Faso avec 300 000 ha et, pour moins de 50 000 ha, l'égypte et désormais le Soudan qui démarre en 2012 la culture de coton GM.
En Océanie, l'Australie a cultivé en 2012, comme en 2011, autour de 700 000 ha.
... et voilà le cas de Cuba
Reste le cas de Cuba, nouveau pays à cultiver des OGM. On pourrait le rattacher au continent américain... S'il n'était pas insulaire et ses OGM strictement personnels, on y reviendra.
La situation en Europe
Il y a de plus en plus de Pyrénées
Reste l'Europe. En 1700, lors de l'accession au trône d'Espagne d'un petit-fils de Louis XIV, ancêtre de l'actuel roi Juan Carlos, un grand personnage(6) aurait dit : « Il n'y a plus de Pyrénées » pour vanter l'union des royaumes... Pour les OGM, il semble qu'il y ait, au contraire, de plus en plus de Pyrénées.
En effet, les OGM se sont développés dans la péninsule ibérique alors que le reste de l'Europe boude la technique. Ainsi, les surfaces d'OGM espagnols ont atteint 116 300 ha (les statistiques européennes sont précises du fait de la réglementation). Une hausse de 19,9 % par rapport aux 97 000 ha de 2011.
Il s'agit de maïs Bt c'est-à-dire pourvu de gène(s) du Bacillus thuringiensis. Il résiste aux chenilles de pyrale et de sésamie, ravageurs importants dans le pays. En 2012, 30 % des maïs espagnols sont GM. L'Espagne, qui cultivait 85 % des OGM européens en 2011, en truste désormais 90 %.
Ailleurs qu'en Espagne
Le reste de l'Europe cultive en tout 12 700 ha de maïs Bt. Les surfaces diminuent en République tchèque, Roumanie et Slovaquie. De plus, trois pays européens ayant cultivé des OGM en 2011 ont arrêté en 2012. L'Allemagne et la Suède ont stoppé la pomme de terre OGM et la Pologne le maïs. Même si, dans le sud de ce dernier pays, on aurait semé du maïs Bt acheté de l'autre côté de la frontière.
Résultat : globalement, les surfaces d'OGM européennes ont augmenté de 13 % mais le nombre de pays concernés a diminué. Et l'Europe a cultivé, avec 129 000 ha... 0,08 % des OGM mondiaux.
Parenthèse française
Quant à la France, elle est sous moratoire. Parions qu'il sera maintenu en 2013. Il est devenu politiquement néfaste à un ministre de l'Agriculture, quel qu'il soit, d'autoriser la culture d'OGM. La médiatisation de l'étude du Pr Séralini publiée l'automne dernier dans FCT(7), a conforté le moratoire. Pourtant cette étude porte sur un maïs tolérant à un herbicide, le NK 603, différent des maïs Bt cultivés en Europe et bloqués par le moratoire. Mais ce fait n'a pas pesé lourd... Alors que le maïs NK 603, incriminé de toxicité par l'étude, continue à être autorisé à l'importation en Europe donc à la consommation par notre bétail.
Pour les sociétés, la messe est dite
De toute façon, pour les sociétés agrochimistes et/ou semencières fabricantes d'OGM, la messe est dite : puisque l'Europe non ibérique en général, et la France en particulier, ne veulent pas cultiver d'OGM, ces sociétés lèvent le pied. Elles délocalisent leur recherche et leurs essais au champ, cas de Basf en 2012 mais d'autres l'avaient fait avant discrètement. Elles vont mettre au point et vendre leurs semences d'OGM ailleurs.
En même temps, les agriculteurs et négociants états-uniens et brésiliens vendent en Europe les OGM récoltés ailleurs. Et, selon l'AFP (Agence France Presse), Monsanto menace d'attaquer en justice, non pas un gouvernement européen interdisant le semis d'OGM sur son sol, mais l'Efsa(8) qui a divulgué des données du dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché européen (pas de semis !) de son NK 603.
Côté cultures
Bande des quatre bien adoptée
En 2012, la quasi totalité des OGM cultivés dans le monde restent le soja, le maïs, le coton et le canola, cousin américain du colza (Tableau 2).
Selon le site français ogm.org qui se réfère à l'Isaaa, 81 % des sojas et des cotons cultivés dans le monde en 2012 étaient transgéniques : respectivement 81 millions d'ha sur 100 millions d'ha de soja, et 24,3 millions d'ha sur les 30 de coton. Les taux sont moins forts mais non négligeables pour le maïs (35 % soit 55,65 millions d'ha GM sur 159 millions) et le colza (30 % soit 9,3 millions d'ha sur 31).
On peut s'interroger sur le degré de précision de ces statistiques globales un peu trop rondes et lisses. Hélas le rapport complet de l'Isaaa n'est pas accessible sur le net(9) et, au contraire des années précédentes, son résumé ne donne pas de chiffres à ce niveau.
Restent les ordres de grandeur : pour ces cultures, que nous qualifions déjà de « bande des quatre » il y a dix ans (février 2003), le taux d'adoption de la technique est important.
Et les autres cultures ?
Quant aux autres cultures, la betterave et la luzerne cultivées en Amérique du Nord semblent avoir régressé par rapport à l'année précédente. Biais statistique ou autre explication ? Par ailleurs, l'Isaaa ne chiffre pas les surfaces de peuplier, papaye, courge, tomate et poivron qu'elle cite.
Et le riz ? Et la canne à sucre ? On attend.
Côté événements
Information partielle, qu'en déduire ?
Parlons maintenant des événements, dits aussi caractères introduits, ou encore « traits » par anglicisme. Cette année, dans son résumé en accès libre, l'Isaaa ne publie pas leur répartition mondiale en termes de surfaces alors qu'elle le faisait jusqu'à l'an dernier. Elle ne chiffre que les « caractères empilés » : 43,7 millions d'ha soit un bon quart (25,7 %) des surfaces. Pratiquement comme en 2011.
Pourquoi cette rétention d'information ? Faisons un pari : celui que cette répartition a très peu évolué et que l'Isaaa n'en parle pas pour cette raison. En effet :
– Pour les communicants en général
– or, le(s) rédacteur(s) de l'Isaaa en est (sont)
– ce qui ne change pas ne peut pas intéresser grand monde.
– Pour les défenseurs des PGM en général
– or, l'Isaaa en est
– annoncer une absence d'évolution est contre-productif.
Contre-productif, pourquoi ? Parce que cela revient à publier que, comme avant, presque 60 % des OGM sont tolérants à un herbicide et environ 15 % résistent à des insectes, le quart restant empilant différents caractères.
L'épineuse question des tolérances aux herbicides
Concrètement, cela signifie que les quatre cinquièmes des OGM cultivés dans le monde tolèrent un herbicide (en résistant, ou non, par ailleurs à des insectes) et le font donc utiliser.
Les opposants aux OGM affirment que cela augmente les ventes de pesticides. C'est faux à l'échelle d'un champ : on remplace les herbicides habituels par celui auquel résiste la culture, du glyphosate le plus souvent. Mais c'est vrai à l'échelle mondiale car cela permet de défricher de nouvelles terres. Pour défendre les OGM, il faut parler d'autres événements. Ce que fait l'Isaaa en parlant d'autres caractères et avec des chiffres partiels.
Les PGM « Bt » résistantes à des insectes
Par exemple, le coton Bt représente 94 % des surfaces de coton aux États-Unis, 93 % en Inde, 80 % en Chine... Un succès, donc, pour cet événement économiseur de pesticides sur une culture non alimentaire.
De fait, une étude menée sur plusieurs années dans 36 sites de six régions chinoises et publiée dans Nature en juin 2012 a montré que, dans ces régions, les champs de coton Bt sont plus favorables à la biodiversité que les champs de coton conventionnel traités avec des insecticides eux aussi conventionnels. La médiatisation de ce travail ne fut certes pas séralinienne, mais on peut le trouver sur le net(10).
À souligner : ce coton est en majorité issu de la recherche chinoise et non de celle d'une firme multinationale d'origine américaine.
À noter aussi, le lancement à Cuba de maïs Bt également issu d'une recherche nationale : 3 000 ha ont été cultivés en 2012.
Et les autres événements ?
Et les autres événements que la tolérance aux herbicides et la résistance aux insectes ?
La commercialisation des maïs tolérants à la sécheresse aux États-Unis est attendue pour le printemps 2013. Celle de maïs tolérants au climat africain pour 2017.
La canne à sucre tolérante à la sécheresse est un « candidat possible en Indonésie », mais l'Isaaa ne dit pas pour quand. Le riz doré enrichi en provitamine A est espéré « aux Philippines en 2013-2014 », ceci « sous réserve d'approbation réglementaire ». Pour mémoire, Phytoma a évoqué ce riz doré en 2001.
Enfin, verra-t-on planter quelque part les pommes de terre résistantes au mildiou et celles à composition modifiée bannies d'Europe ? à suivre !
Agriculteurs, c'est toujours l'Asie
En attendant, l'Isaaa estime que les PGM ont été cultivés en 2012 par plus de 17 millions de producteurs dont 15 millions de petits agriculteurs de pays en développement. Elle compte 7 millions de producteurs de coton chinois, et autant d'indiens. Comme d'habitude en matière d'OGM, les surfaces sont en Amérique et les planteurs en Asie.
<p>(1) International Service For the Acquisition of Agribiotech Applications.</p> <p>(2) SAU = surface agricole utile : terres arables + cultures pérennes (vignes, vergers, etc.) + prairies permanentes et pâturages <i>(« surfaces toujours en herbe »</i>). 26,965 millions d'ha en 2010 (source Insee, voir <i>« Pour en savoir plus »</i>).</p> <p>(3) 1,5 milliard d'hectares de terres arables et cultures pérennes (il y a 3,4 milliards d'hectares de prairies permanentes, parcours et pâturages extensifs, territoires agricoles sans être des terres cultivées). Chiffre supposé stable, les défrichements (y compris du cerrado, la savane brésilienne, pour le soja OGM) compensant le grignotage des terres arables par l'urbanisation et l'érosion.</p> <p>(4) et (5) Voir <i>Phytoma</i> de mars 2012, mars 2011, juin 2009... (Voir <i>« Pour en savoir plus »</i>).</p> <p>(6) Louis XIV, ou plus probablement l'ambassadeur d'Espagne... Si des chroniqueurs d'alors, précurseurs de notre story-telling, n'ont pas un peu inventé ou du moins reformulé la phrase.</p> <p>(7) Revue <i>Food and Chemical Toxicology.</i> Voir <i>« Pour en savoir plus ».</i></p> <p>(8) Ou AESA, Agence européenne de sécurité sanitaire de l'alimentation.</p> <p>(9) Il est disponible, moyennant finances pour les pays développés, uniquement sur papier.</p> <p>(10) Voir <i>« Pour en savoir plus ».</i></p>