Suivi de terrain

Biovigilance flore adventice le point dans trois bassins de production de colza

GUILLAUME FRIED(1)*, BRUNO CHAUVEL**, ALAIN RODRIGUEZ***, JÉRÔME JULLIEN**** ET XAVIER REBOUD** - Phytoma - n°664 - mai 2013 - page 8

Le dispositif de Biovigilance permet un bilan sur la dynamique récente de la flore adventice du colza.
Géranium disséqué

Géranium disséqué

Mercurialeannuelle Photos : Guillaume Fried

Mercurialeannuelle Photos : Guillaume Fried

Adonis d'automne

Adonis d'automne

Le colza est cultivé comme tête de rotation, notamment en systèmes de culture céréaliers à rotation courte. Vu sa date de semis précoce dès mi-août, les familles d'herbicides utilisés et sa couverture du sol en saison, il génère une flore particulière variant selon les zones géographiques. Sa culture permet de rompre la dynamique de développement d'adventices hivernales très concurrentielles.

Mais, au fait, comment évolue sa flore adventice ? Réponses par le réseau biovigilance.

Biovigilance colza

Biovigilance en général

Début 2012, le nouveau dispositif national de biovigilance a été mis en place par les pouvoirs publics en application de la loi(1). Il a pour objectif le suivi des effets non intentionnels des pratiques phytosanitaires sur des espèces indicatrices et inclut notamment la flore des bordures de champs. Il succède au dispositif Biovigilance Flore (BF), consacré de 2002 à 2010 au suivi de la flore adventice en grandes cultures.

Colza tête de série

Cet article est le premier d'une série qui fait le point sur ce que le réseau initial de biovigilance nous a appris de la dynamique de la flore adventice en réponse aux pratiques culturales.

Pour le colza, un bilan national avait été réalisé en comparant des données des années 1970 (Barralis, 1977) aux premières données BF de 2002 à 2005 (Fried & Reboud, 2007). Avec des données désormais plus nombreuses, nous avons établi un bilan plus précis des changements à l'échelle de trois grands bassins de production du colza.

Cultivé de façon importante depuis une trentaine d'années, le colza est la principale culture d'hiver non céréalière en France (près de 1,5 million d'hectares en 2012). Sa place dans la rotation des systèmes de culture du Nord de la France est importante d'un point de vue économique comme agronomique. Nous allons évoquer ici l'évolution de sa flore au cours des dernières décennies, la diversité de la communauté adventice dans le colza et l'effet des pratiques culturales sur cette communauté adventice.

Données et méthodes utilisées

467 parcelles suivies

Entre 2002 et 2010, 467 parcelles ont fait l'objet de relevés de flore et d'enquêtes sur les pratiques en culture de colza d'hiver. La distribution des parcelles est représentative des principales zones emblavées en colza, situées au nord d'une ligne allant de la Charente-Maritime à la Moselle (Figure 1).

Trois grandes régions ont été distinguées lors de la première compilation de données (Barralis, 1977) : une large région Ouest, la partie Nord associée au Bassin parisien et un large quart Est (Figure1).

Relevés floristiques et analyses statistiques

Chaque parcelle a fait l'objet de plusieurs relevés floristiques par campagne (voir Fried et al., 2007). Pour chacune, on dispose d'un relevé de flore dans une zone témoin non désherbée chimiquement et dans une zone de surface équivalente dans la partie désherbée de la parcelle.

Dans chacune de ces zones, les relevés sont effectués à deux dates : N1 autour du 8 octobre et N2 autour du 12 mars.

Des méthodes statistiques multivariées (analyse canonique des correspondances) ont permis de relier les flores observées aux pratiques et aux conditions environnementales. Par rééchantillonnage, la significativité des données a été appréciée sur les 467 relevés du jeu de données BF. La comparaison des fréquences d'observations des espèces sur chaque période permet d'identifier leur statut en progression ou régression depuis 1976 (détails de méthode : v. Fried et al., 2005).

Tendance nationale depuis 1976 et depuis 2005

Huit espèces en progression

Depuis 1976, huit espèces ont significativement progressé sur au moins deux grands bassins de production (Tableau 1 page suivante : noms d'espèce en rouge).

L'expansion la plus spectaculaire est celle du géranium disséqué (Geranium dissectum) avec une apparition à plus de 1 individu/m² dans environ 17 % des parcelles sur l'ensemble du territoire. Cela représente la colonisation de dizaines de milliers de parcelles de colza à l'échelle de la France.

Statut intermédiaire

L'extension des autres espèces est restreinte à certains territoires (cf. infra). La capselle bourse-à-pasteur (Capsella bursa-pastoris) et la moutarde des champs (Sinapis arvensis), restent stables parmi les 10 premières espèces identifiées.

Neuf espèces déclinent

À l'opposé, neuf espèces sont en déclin dans trois bassins de production. Cinq sont encore détectées : le coquelicot (Papaver rhoeas), la stellaire intermédiaire (Stellaria media), la folle avoine (Avena fatua), le lamier pourpre (Lamium purpureum) et les céraistes (Cerastium spp.). Pour quatre autres espèces, la régression est telle que le nombre de parcelles suivies par le réseau n'a plus permis de les détecter. Il s'agit du chiendent rampant (Elytrigia repens), de l'avoine de Ludovic (Avena sativa var. ludoviciana), du pâturin commun (Poa trivialis) et enfin de la spergule des champs (Spergula arvensis).

Pour le chiendent rampant, cette régression, probablement ancienne, peut s'expliquer par des travaux du sol profonds (en conditions asséchantes) et un désherbage plus systématique dans l'interculture. Pour sa part, le pâturin commun est très sensible aux herbicides anti-graminées foliaires. La spergule des champs, espèce inféodée aux sols sableux acides et plutôt présente dans les cultures de printemps, a tendance à régresser dans toutes les cultures (Fried et al., 2005). Elle est maintenant listée dans le plan national d'action pour la conservation des messicoles (Cambecèdes et al., 2011).

Depuis 2005, les enseignements

Les changements de flore depuis 2005 sont moins marqués mais néanmoins instructifs sur le plan agro-environnemental et phytosanitaire.

Dans le Nord-Bassin parisien, le coquelicot, le fumeterre officinal (Fumaria officinalis) et le myosotis des champs (Myosotis arvensis) ont poursuivi leur déclin. Par exemple pour le coquelicot, la fréquence passe de 24,6 % en 1976 à 17,9 % en 2005 puis à 5,6 % en 2010. L'abandon de la trifluraline depuis 2009 semblerait toutefois profitable au coquelicot dont les populations seraient à nouveau en hausse (Duroueix, com. pers.). La capselle bourse-à-pasteur et la moutarde des champs, qui étaient stables à long terme, semblent avoir amorcé une baisse ces dernières années.

La pensée des champs (Viola arvensis) et les matricaires restent très stables à des fréquences importantes (>20 %).

Pour la pensée, cette stabilité s'explique par une insensibilité à la plupart des molécules herbicides utilisées en colza. Pour les matricaires, les nombreuses levées de sortie d'hiver en zones froides sur limons ne sont plus contrôlées par les produits appliqués en automne (persistance insuffisante) et profitent d'une période où le colza n'a encore qu'une faible couverture.

De même, les repousses de céréales ont poursuivi leur progression récente en lien avec le développement des façons culturales simplifiées.

Effet des pratiques culturales et du milieu sur la flore

Influence du travail du sol

L'analyse de l'influence des facteurs agronomiques et environnementaux montre que le brome stérile (Bromus sterilis) est favorisé en situation de travail du sol superficiel, tout comme le ray-grass, les repousses d'orge et le chardon des champs (Cirsium arvense).

À l'opposé, des espèces comme le chénopode blanc (Chenopodium album), le lamier pourpre ou la renouée persicaire (Persicaria maculosa) se trouvent préférentiellement dans les parcelles labourées de façon conventionnelle en système céréalier.

On note également une corrélation négative entre « Labour » et « IFT ». L'intensité de traitements est globalement plus élevée en non-labour. Elle vise en particulier à gérer les graminées annuelles (bromes, ray-grass) favorisées par cette pratique.

Influence du pédoclimat mais aussi de la date de semis et de la rotation

Certaines espèces répondent plutôt au pédo-climat avec une répartition suivant un gradient altitudinal (couplé ici à un gradient longitudinal et thermique). On peut parler de flore des plaines de l'Ouest, avec la présence d'espèces à germination printanière-estivale type mercuriale annuelle (Mercurialis annua) ou encore morelle noire (Solanum nigrum), opposée à une flore des plateaux calcaires de l'Est. Cette distribution est à relier à la capacité de populations d'espèces à germination printanière et a priori gélives, ayant germé en fin d'été, à passer l'hiver dans les régions océaniques à hiver doux.

Indépendamment de la région, ce phénomène peut être favorisé par des semis très précoces début août (Dejoux, 1999) et une rotation incluant des cultures de printemps.

Diversité et densité des adventices en lien avec le désherbage

Le désherbage diminue l'abondance des adventices mais aussi leur diversité

La distribution des coefficients d'abondance montre logiquement un écart entre les zones témoin et traitée (Test du Khi2, Z=211,66 ; P<0,001, n=8959 notes d'abondance).

Les notes de faible abondance, + et 1 selon l'échelle Barralis (1976), sont globalement en excès dans les zones désherbées et les notes 2, 3, 4 et 5 sont en excès dans les zones témoins. Autrement dit, le désherbage permet en général de ramener les densités à moins de 1 plante/m².

Par ailleurs, le nombre d'espèces dans la zone traitée est réduit en moyenne à 5,43 +/- 4,25 (médiane=4 ; min=0 ; max=24) contre 8,02 +/- 5,07 (médiane=7 ; min=0 ; max=28) en zone témoin, soit une baisse de 32 % de la richesse spécifique (Test apparié de Wilcoxon, p<0,001, n = 333 parcelles).

À noter qu'une quinzaine d'espèces parviennent toutefois à maintenir des densités assez élevées (notes 3 à 5) après désherbage dans 1 à 7 % des parcelles (Tableau 2), notamment : la mercuriale annuelle, la pensée des champs, le vulpin des champs, le géranium disséqué, la moutarde des champs ou encore la ravenelle (Rapahanus raphanistrum).

Les pratiques herbicides

On compte en moyenne 1,66 traitement herbicide (min=0 ; médiane=2, max=5). L'IFT herbicide moyen ressort à 1,56 (+/- 0,80) et ne montre pas de tendance significative vers une baisse ou une hausse (mise à part certaines années exceptionnelles avec 1,78 en 2004 et 1,81 en 2006). Dans 80 % des cas, les traitements sont réalisés en automne. Dans 12 % des cas, ils sont répartis de l'automne au printemps et exceptionnellement uniquement au printemps (4 %).

Sur l'ensemble de la période 2002-2010, trois solutions (non exclusives) se dégagent nettement. Celle basée sur la trifluraline (interdite depuis 2009), arrive largement en tête (42 % des parcelles), suivie par l'association métazachlore + quinmérac (26 % des parcelles) et l'association diméthachlore + clomazone + napropamide (24 % des parcelles).

L'IC, mesure de l'effet des pratiques, mais pas seulement elles

En comparant la densité d'une espèce adventice après les traitements herbicides, lors de la notation N2 à celles observées en automne (N1) et dans le témoin des notations N1 et N2, on peut calculer un indice de contrôle (IC) rendant compte de l'évolution de la densité après désherbage (Encadré 1).

Pour une espèce donnée, son IC moyen calculé sur l'ensemble des parcelles donne une indication du niveau moyen de contrôle atteint pour cette espèce (ICesp).

On qualifiera ici ce contrôle de « brut » car il ne différencie pas l'effet des herbicides de la disparition « spontanée » d'une espèce suite à des conditions climatiques défavorables, la compétition d'autres plantes ou encore l'effort consenti pour maîtriser l'espèce par d'autres moyens que les herbicides.

Plus l'ICesp est proche de 1, plus l'espèce est bien contrôlée. À l'inverse, les espèces à l'ICesp moyen le plus faible sont celles qui persistent le plus dans le dernier relevé après désherbage, soit parce que, jugées peu préoccupantes, elles ne sont pas ciblées par les pratiques de désherbage, soit parce qu'elles ont réussi à échapper à l'itinéraire technique mis en place pour les contrôler ; seul ce deuxième groupe mérite attention.

Des espèces à surveiller

Ces espèces probablement mal maîtrisées bien que ciblées, sont l'anthrisque commun (Anthriscus caucalis, ICesp=0,33), la barbarée vulgaire (Barbarea vulgaris, ICesp=0,38), le peigne-de-Vénus (Scandix pecten-veneris, ICesp=0,33) et la calépine (Calepina irregularis, ICesp=0,49). À surveiller.

À l'opposé, le chénopode blanc et l'amarante réfléchie (Amaranthus retroflexus) ont l'ICesp parmi les plus élevés (0,96) probablement parce que les plantules observées en septembreoctobre disparaissent en général aux premières gelées. Bien que fréquent et en progression, le chénopode blanc ne serait donc pas spécialement à craindre dans le colza ?

Une évaluation de l'efficacité du désherbage

Si l'on considère l'agrégation des données par parcelle, la somme des IC de chaque espèce (ICpar) donne une indication, là encore brute, de l'efficacité du désherbage.

L'ICpar s'élève en moyenne à 8,8. Autrement dit les traitements herbicides éliminent ou empêchent le développement de l'équivalent de 9 espèces en moyenne.

La figure 2a illustre l'absence de relation entre l'intensité des traitements herbicides (via l'IFT entre le semis et la récolte) et la flore résiduelle en fin de saison (Test de Spearman, rhô =0,07 ; P=0,37 ; n=179). Cela n'est pas surprenant. En effet, le nombre initial d'adventices par parcelle n'est pas le même et le désherbage est ajusté en fonction de ces écarts.

En revanche on observe une légère corrélation entre l'IFT et l'ICpar (Figure 2b), c'est-à-dire entre intensité du désherbage et la diminution des densités au sein de la communauté adventice (Figure 2b, Test de Spearman, rhô=0,16 ; P=0,03 ; n=179).

Des espèces spécialistes du colza !

Comment évaluer la spécialisation

En utilisant toute les données du réseau, on peut calculer la fréquence relative (Fr) ainsi que la densité relative (Dr) de chaque espèce dans les différentes cultures. En combinant ces deux mesures, l'indice IndVal permet de quantifier l'affinité d'une espèce à une culture donnée via une présence et une abondance accrues relativement aux autres cultures.

17 espèces inféodées au colza

Le tableau 2 permet ainsi d'identifier 17 espèces comme particulièrement inféodées au colza. Ces spécialistes du colza ont un ICesp moyen de 0,55 (+/- 0,10) légèrement inférieur à celui des autres espèces (parmi celles de fréquence supérieure à 3 % dans le colza) avec un ICesp moyen de 0,63 (+/- 0,18) (Test de Wilcoxon, P=0,08). On peut relever parmi ces spécialistes, trois espèces de géraniums, quatre espèces de brassicacées et quatre espèces d'astéracées (Tableau 2).

La faible valeur de l'ICesp et les données connues de sensibilité (Mamarot & Rodriguez, 2003) suggèrent que la spécialisation de ces espèces au colza découle largement d'une faible sensibilité aux principaux herbicides utilisés dans cette culture. Leur succès est aussi lié à une synchronisation forte des levées aux dates de semis de fin d'été du colza qui rend le désherbage et notamment les faux-semis moins efficaces.

Tendances différentes selon les régions

Dans l'Est

Dans l'Est de la France, vulpin des champs et matricaires restent les principales adventices du colza (Tableau 1).

Si le vulpin des champs semble mieux contrôlé que dans les années 1970 (densité passant de 13,3 à 7,8 ind./m²), les matricaires posent au contraire un problème de désherbage croissant (densité augmentant de 4,9 à 7,7 ind./m²).

L'adaptation des matricaires aux travaux superficiels du sol, des levées importantes en sortie d'hiver (dans les trous non couverts par le colza) lorsque les herbicides ne sont plus efficaces et l'utilisation du clopyralid désormais restreinte au printemps peuvent expliquer cette tendance.

La pensée des champs, discrète et peu nuisible à l'échelle individuelle, voit ses populations significativement augmenter et devient ainsi la troisième adventice du colza dans cette région. On note aussi la progression de plusieurs graminées : les raygrass passent du 17e au 5e rang avec une augmentation de la densité moyenne de 2 à 5,4 ind./m² et le brome stérile entre directement au 10e rang, en lien avec l'adoption croissante des TCS, la diminution de l'usage d'herbicides anti-graminées et le retrait de la trifluraline (pour le brome).

Dans l'Ouest

Dans l'Ouest (Tableau 1), les repousses de céréales arrivent en tête et la mercuriale annuelle fait un bond de 20 places en colonisant 31 % de parcelles supplémentaires et en multipliant par deux sa densité (de 2,4 à 5,4 ind./m²). Elle est suivie du séneçon vulgaire (Senecio vulgaris) au 4e rang avec 21 % de parcelles supplémentaires colonisées.

À l'inverse de l'Est de la France, la principale graminée est le pâturin annuel (Poa annua) mal contrôlé par certains herbicides anti-graminées (Fop) et en progression, tandis que vulpin des champs et ray-grass descendent dans le classement.

L'Ouest se distingue aussi par une augmentation plus marquée des fréquences du chénopode blanc, du laiteron rude et de l'euphorbe réveil-matin (Euphorbia helioscopia) présents dans environ une parcelle sur cinq. Des observations du Cetiom (Duroueix, com. pers.) indiquent que l'euphorbe réveil-matin a progressé aussi dans l'Est (Bourgogne) et la Champagne (le tableau 1 le confirme sans indiquer de tendance significative).

Nord-Bassin Parisien

Assez logiquement, la position géographique intermédiaire de la région nord-bassin parisien entraîne une flore de composition et de dynamique intermédiaire entre les tendances observées dans l'Est et l'Ouest de la France (Tableau 1).

À noter : les ray-grass, qui n'étaient pas notés dans les colzas de cette région dans les années 1970, apparaissent avec des densités non négligeables (3,4 ind./m²).

Une flore originale et dynamique, à la veille de nouvelles conduites ?

Changements remarquables

La comparaison des données du réseau BF aux références plus anciennes (Barralis, 1977) montre que la composition de la flore adventice inféodée au colza a, suivant les régions, évolué régulièrement. On relève 4 à 6 nouvelles espèces dans la liste des 24 premières espèces en l'espace de 30 ans, soit une nouvelle espèce majeure apparaissant tous les 6-9 ans. Un tel changement de fréquence observé à l'échelle de centaines de parcelles du réseau BF peut être considéré comme remarquable : il correspond en réalité à un changement sur des dizaines de milliers de parcelles.

À noter que les changements varient entre régions et que le réseau BF ne peut avoir capté toute la diversité des situations locales. Ainsi l'emblématique bleuet (Cyanus segetum), cité comme localement abondant dans les colzas du centre-est, apparaît au-delà du 50e rang au niveau national (fréquence de 3 %, 14 parcelles).

Causes multiples

Les causes de ces changement sont multiples : rotation, travail du sol, herbicides. Il est difficile de pointer une pratique particulière au sein d'un itinéraire qui combine plusieurs changements dans une logique définie (ex. : simplifier le travail du sol fait modifier le choix des herbicides).

De plus, à cause du stock semencier des adventices, les changements observés résultent non seulement de ce qui se passe l'année de la culture mais aussi des années précédentes.

La hausse des cultures estivales depuis les années 1970 peut ainsi expliquer la présence et l'augmentation dans les colzas de certaines espèces à germination printanière ou indifférente : chénopode blanc, séneçon vulgaire, laiteron rude, surtout observées dans l'Ouest où le colza s'insère dans des rotations incluant maïs ou tournesol.

De plus, la gamme d'herbicides utilisés sur colza a évolué. Neuf molécules herbicides étaient autorisées en désherbage du colza en 1977 pour 15 molécules en 2010 après un maximum de 23 molécules en 2002 (voir www.histoire-des-herbicides.info). Certaines sont utilisées depuis plus de 40 ans (propyzamide et napropamide) mais des molécules « historiques » du colza ont été retirées récemment (trifluraline en 2009). En même temps, peu de nouvelles molécules ont été autorisées : clomazone en 1990 et cléthodime en 1995.

Données chiffrées plus ou moins attendues

L'adoption de nouvelles solutions de désherbage entraînera de nouveaux changements floristiques. Cette étude apporte ainsi des données chiffrées là où l'on ne disposait en général que de dire d'experts ou d'intuitions. Certaines étaient attendues (progression du géranium disséqué, association du brome stérile avec un travail superficiel du sol), mais on voit aussi apparaître des éléments plus inattendus.

C'est le cas de la forte progression du ray-grass dans le Bassin parisien et l'Est et de la mercuriale dans l'Ouest et de l'augmentation des densités de matricaires dans l'Est, ainsi que la baisse généralisée de la stellaire et de plusieurs autres espèces. Ces situations nous semblent pouvoir faire l'objet d'une vigilance particulière.

Aujourd'hui, le colza abrite une flore originale et diverse, notamment quelques messicoles rares (Fried & Cadet, 2007). Du fait de « trous » dans l'efficacité du désherbage chimique, on trouve, outre les infestations locales de bleuet déjà évoquées, des crucifères : caméline à petits fruits (Camelina microcarpa), neslie apiculée (Neslia apiculata), des ombellifères : buplèvre à feuilles rondes (Bupleurum rotundifolium) caucalis à fruits larges (Caucalis platycarpos), ou encore des adonis comme l'adonis d'automne (Adonis annua) de la photo ci-contre, par ailleurs raréfiés dans les céréales d'hiver.

Cette mise à jour sur la flore du colza constitue donc un point d'étape important avant le développement annoncé de variétés de colzas tolérantes aux herbicides à même de constituer un tournant dans le désherbage de cette culture avec l'introduction des inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS).

De notre point de vue, il serait pertinent que leur usage se focalise spécifiquement sur les seules situations les plus préoccupantes d'infestations globalement moins bien contrôlées à ce jour (Tableau 2) pour diminuer les risques de sélection de populations adventices résistantes aux herbicides.

Remerciements : les auteurs remercient l'ensemble des agents des SRAL et des FREDON ainsi que les agriculteurs impliqués dans le réseau Biovigilance Flore entre 2002 et 2010, sans qui ces bilans n'auraient pu voir le jour. Merci également à Franck Duroueix (Cetiom) pour ses commentaires ayant permis de préciser les effets des différentes pratiques phytosanitaires. La compilation du jeu de données a bénéficié d'un soutien financier du Ministère de l'Agriculture ainsi que de l'ANR (projet Vigiweed).

<p>(1) art. L. 251-1 et 251-2 du Code rural et de la pêche maritime relatifs à l'organisation de la surveillance biologique du territoire.</p>

Fig. 1 : Trois bassins de production de colza.

Répartition des parcelles de colza dans le réseau de Biovigilance et au sein des trois grands bassins de production analysés (Ouest, Nord-Bassin parisien et Est).

1- Calculer l'IC, indice brut du niveau de contrôle des adventices

L'IC de chaque espèce est calculé avec la formule suivante :

avec dmax la densité maximale observée pour l'espèce, N1 et N2 les notations d'octobre et de mars respectivement et tem et par, les relevés dans la zone témoin et désherbée respectivement.

Pour chaque espèce dans chaque parcelle, l'IC varie de -1 à 1. IC = 1 si l'abondance de l'espèce a été réduite à 0 (quelle que soit l'abondance initiale), IC = -1 si l'espèce est apparue alors qu'elle était absente des premiers relevés, et IC = 0 si l'abondance n'a pas changé. Ex. si dans une parcelle un géranium disséqué présente, lors de la première notation, les notes (N1tem = 75.5 ; N1par = 35.5) et à la deuxième notation (N2tem = 35.5 ; N2par = 11.5), la valeur d'IC sera :

Fig. 2 : Relation entre l'intensité du désherbage et la flore.

a) Relation entre le nombre d'espèces adventices persistant dans la zone traitée lors de la notation N2 en fonction de l'intensité du désherbage (Test de Spearman, rhô =0,07 ; P=0.37 ; n=179).

b) Modèle de régression linéaire donnant la relation entre la variation de densité des adventices entre zone traitée et non traitée (ICpar) en fonction de l'intensité du désherbage (IFT) : ICpar = 4.68 IFT ; R² ajusté= 0,61 ; P<0.001, n=179 parcelles). En rouge l'enveloppe de confiance, en bleu l'enveloppe de prédiction.

RÉSUMÉ

- CONTEXTE : Le dispositif national de biovigilance mis en place en 2012 intègre les informations de réseaux pré-existants, notamment le dispositif biovigilance flore (BF) mis en place en 2002.

- INVENTAIRE : Ceci permet d'évaluer les évolutions de flore en lien avec les pratiques culturales, entre autres l'usage des herbicides chimiques, ceci par rapport à des inventaires antérieurs.

L'article présente les résultats concernant la flore adventice du colza dans les trois principales régions de production (Ouest, Est, Nord+ Bassin parisien). Le suivi de 467 parcelles a montré que le colza a une flore spécifique, qui a évolué au cours du temps. Ainsi, le géranium disséqué progresse dans les trois régions ainsi que les repousses de blé et d'orge. La pensée des champs et les matricaires restent stables et très fréquentes. Par ailleurs, le vulpin des champs et les matricaires sont les principales adventices dans l'Est, alors que dans l'Ouest ce sont la mercuriale annuelle (en forte progression) et les repousses de céréales.

- EXPLICATIONS : On peut relier de façon objective certaines évolutions avec ces pratiques culturales : type de travail du sol (ex. façons superficielles ou labour profond), herbicides employés (en lien avec les autorisations et les retraits), etc.

Par ailleurs, des mesures en comparaison avec l'ensemble des parcelles du réseau Biovigilance ont montré que 17 espèces sont inféodées du colza (plus fréquentes dans cette culture que d'autres), notamment le géranium disséqué et les repousses de céréales.

De futurs changements de pratiques culturales pouvant faire évoluer la flore, il faut maintenir la vigilance.

- MOTS-CLÉS : biovigilance, colza, adventices, relevés floristiques, espèces, abondance, diversité, herbicides, désherbage, évolution.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : Groupe de travail Biovigilance flore adventice. *G. FRIED, Anses, Laboratoire de la Santé des végétaux. **B. CHAUVEL, X. REBOUD, INRA, UMR 1347 Agroécologie. ***A. RODRIGUEZ, ACTA. ****J. JULLIEN, DGAl-SDQPV.

LIENS UTILES : www.infloweb.fr

BIBLIOGRAPHIE : – Barralis G., 1976 - Méthode d'étude des groupements adventices des cultures annuelles : application à la Côte-d'Or. Ve Colloque Int. Ecol. Biol. Mauvaises herbes, Dijon, 59-68.

– Barralis G., 1977 - Répartition et densité des principales mauvaises herbes en France. Document INRA-AFPP, 22 p.

– Cambecèdes J., 2011 - Plan national d'action en faveur des plantes messicoles. Version provisoire 4 juillet 2011. Document soumis à consultation. CBN des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, Dir. de l'eau et de la biodiversité, Bur. de la faune et de la flore sauvages, 110 p. + Annexes.

– Dejoux J.F., 1999 - Évaluation agronomique environnementale et économique d'itinéraires techniques du colza d'hiver en semis très précoces. Thèse de Doctorat INA P-G Paris 243 p.

– Fried G., Bombarde M., Délos M., Gasquez J., Reboud X., 2005 - Les mauvaises herbes du maïs : ce qui a changé en 30 ans. Phytoma-LDV 586 : 47-51.

– Fried G., Cadet E., 2007 - Le lieu-dit « Beuchail » à Fleurey-sur-Ouche (21) : un site remarquable pour la flore messicole. Le Monde des Plantes 493 : 19-23.

– Fried G., Reboud X. 2007 - Évolution de la composition des communautés adventices des cultures de colza sous l'influence des systèmes de cultures. Oléagineux, Corps gras, Lipides 14 : 130-138.

– Fried G., Reboud X., Gasquez J., Délos M., 2007 - Le réseau « Biovigilance Flore » : Présentation du dispositif et première synthèse des résultats. XXe conf. du Columa. Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes. Dijon, 11 et 12 décembre 2007 : 315-325.

– Infloweb (voir plus haut).

– Mamarot J., Rodriguez A., 2003 - Sensibilité des mauvaises herbes aux herbicides en grandes cultures (1re ed.) Paris : ACTA.

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