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Cervidés en forêts : Sylvafaune pour contribuer à l'équilibre

JEAN-MICHEL SOUBIEUX* - Phytoma - n°664 - mai 2013 - page 16

Les cerfs et chevreuils sont parfois déprédateurs, particulièrement en forêt. Une démarche nommée Sylvafaune a pour but d'y remédier.
Cerf. Leurs effectifs, ainsi que ceux des chevreuils, ne cessent de croître.      > Or tous sont friands d'arbrisseaux. ph. Luc Barbier, ONCFS. Photo vignette : Fanny Thoizon

Cerf. Leurs effectifs, ainsi que ceux des chevreuils, ne cessent de croître. > Or tous sont friands d'arbrisseaux. ph. Luc Barbier, ONCFS. Photo vignette : Fanny Thoizon

Forêt en hiver. Le changement climatique fait craindre que la forêt française ne s'adapte pas assez vite.      > Aussi, après les coupes de bois ou sur peuplements dépérissants, on a recours à la plantation...      Mais les jeunes plantations sont très appétentes pour les cervidés. ph. Luc Barbier, ONCFS

Forêt en hiver. Le changement climatique fait craindre que la forêt française ne s'adapte pas assez vite. > Aussi, après les coupes de bois ou sur peuplements dépérissants, on a recours à la plantation... Mais les jeunes plantations sont très appétentes pour les cervidés. ph. Luc Barbier, ONCFS

 Photos : Luc Barbier, ONCF

Photos : Luc Barbier, ONCF

Biches à gauche, ci-dessus avec un cerf au printemps (bois de velours).      > Les cervidés participent de la biodiversité forestière mais, s'il y a déséquilibre, leurs populations doivent être régulées pour préserver les végétaux (à droite).

Biches à gauche, ci-dessus avec un cerf au printemps (bois de velours). > Les cervidés participent de la biodiversité forestière mais, s'il y a déséquilibre, leurs populations doivent être régulées pour préserver les végétaux (à droite).

 ph. Eric Midoux

ph. Eric Midoux

Dès les années 1960, les dégâts causés par les cervidés aux peuplements forestiers ont souvent rendu très conflictuelles les relations entre chasseurs et forestiers.

De fait, les cerfs et chevreuils peuvent être des déprédateurs des forêts. Alors, faut-il les éradiquer ? Plutôt viser un équilibre. Comment ? Sylvafaune va chercher les réponses.

Déséquilibre forêt-cervidés, une problématique récurrente

Politique forestière : plantations, peuplements sensibles

Après la Deuxième Guerre mondiale, la politique forestière, visant à produire la matière première nécessaire à la modernisation et au développement de la filière bois, a conduit à accroître les surfaces boisées, par plantation. Cette politique soutenue par le Fonds forestier national (2 millions d'hectares boisés après guerre), et le recours assez fréquent à la plantation pour régénérer les peuplements arrivés à maturité, ont conduit à mettre en place des peuplements de jeunes arbres. Or ceux-ci sont plus sensibles à la dent du cerf et du chevreuil que les parcelles en régénération naturelle.

Reconstitution des populations de cervidés

Dans le même temps, la mise en place des plans de chasse et la reconstitution de populations de cerfs dans de nouveaux massifs, par des lâchers de repeuplement ou par une « diffusion naturelle » des populations depuis des massifs voisins, ont conduit à leur accroissement très important.

Il a donc été constaté à la fois une extension géographique des cervidés et une augmentation des densités d'animaux.

Multiplication des cervidés, division des revenus du bois

Depuis, le problème n'a cessé de s'amplifier, malgré la fin de la période des grands reboisements et le recours bien plus important aux techniques de régénération naturelle amenant à la constitution de jeunes peuplements forestiers moins vulnérables aux dégâts des cervidés.

Les effectifs de cervidés n'ont cessé de croître. Les prélèvements de cerfs par la chasse ont ainsi été multipliés par 3,2 en 20 ans, et ceux de chevreuil par 2,3. Parallèlement, le marché du bois n'a fait que se contracter : depuis la fin des années 80, le prix moyen du bois s'est au mieux maintenu au même niveau, en euros constants, alors que dans le même temps le salaire minimum était multiplié par deux. Ainsi, les revenus de la forêt ne permettent plus aux propriétaires forestiers, privés comme publics, d'investir sans limite pour mettre en place des protections dans les peuplements en cours de régénération, sensibles aux dégâts de cervidés.

Dans certains massifs, la densité des cervidés est telle que la pression d'abroutissement qu'ils exercent sur la forêt remet en question sa pérennité. Les espaces boisés font alors place à des paysages de landes.

Face au changement climatique, des forêts plus sensibles

D'autres facteurs pourraient rendre encore plus prégnant cette thématique des dégâts de cervidés. Les changements climatiques en cours et à venir, s'annoncent à une très grande vitesse. Le phénomène est incompatible avec l'adaptation « naturelle » des forêts existantes.

On pourrait alors assister au dépérissement de très importantes surfaces boisées, et au recours systématique aux plantations pour remplacer les essences forestières dépérissantes.

Les essences choisies sont en général plus adaptées à ces nouvelles conditions climatiques que celles qu'elles remplacent...

Mais, en revanche, ces jeunes boisements seront, dans un bon nombre de cas, bien plus appétents pour les grands herbivores sauvages.

Et par rapport à la biodiversité ?

De même, la biodiversité est devenue un enjeu majeur de nos politiques environnementales. Ce facteur est prépondérant pour la résilience des écosystèmes. Or l'abroutissement répété de la flore forestière par les cervidés va à l'encontre de cette diversité biologique.

Les cervidés, comme de nombreuses espèces animales, font partie intégrante des écosystèmes forestiers. Leur seule présence induit un prélèvement sur la biomasse forestière pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Toutefois ces dégâts « alimentaires » ne doivent pas dépasser un niveau audelà duquel la pérennité de l'écosystème auquel ils prennent part serait remise en question.

Un équilibre à préserver, voire retrouver

La forêt, ressource renouvelable

Par ailleurs, la forêt dans nos pays tempérés et développés a depuis longtemps été façonnée par l'homme, ne serait-ce que pour satisfaire ses besoins en énergie et en matériau.

Au-delà de la simple pérennité de la forêt, l'équilibre forêt-cervidés doit donc permettre de maintenir les capacités de production de cette matière première renouvelable.

Autres services de la forêt

Enfin les forêts assurent également un certain nombre de services pour la société :

– contribution à l'amélioration qualitative et quantitative de la ressource en eau potable ;

– contribution à la lutte contre l'effet de serre et les changements climatiques induits, par stockage de carbone dans le bois et les sols forestiers ;

– participation au cadre de vie de nos concitoyens, etc.

Il convient donc de réfléchir à cet équilibre forêt-cervidés dans un contexte élargi et plus complexe.

Une démarche opérationnelle et partenariale

S'entendre sur l'état des lieux

Le temps est donc venu que chasseurs et forestiers partagent, à l'échelle des massifs sylvo-cynégétiques, un même état des lieux de l'équilibre – ou du déséquilibre – entre la forêt et les populations de cervidés.

Ils doivent également s'accorder sur un objectif commun de retour à une situation acceptée de tous les acteurs et de toutes les parties prenantes.

Lorsque le constat d'une situation dégradée est partagé, ils doivent ensuite pouvoir s'engager volontairement vers un retour à une situation plus équilibrée.

Moins de cervidés, davantage de capacité d'accueil, des peuplements moins sensibles

Il faut en général envisager une réduction des populations de cervidés – qui dans certaines situations devra être très importante. Mais il faut en parallèle mettre en œuvre des pratiques sylvicoles améliorant les capacités d'accueil des populations de grands ongulés. Par ailleurs et pour le moins, les peuplements forestiers devront être moins sensibles aux dégâts des cervidés.

Des outils, un état des lieux, des actions

Pour cela, chasseurs et forestiers doivent avoir à leur disposition des outils très opérationnels, techniquement simples à mettre en œuvre et peu coûteux afin d'établir cet état des lieux. Ensuite il faudra engager des actions permettant le retour vers une situation acceptée de tous.

Sylvafaune mis en place

Ses objectifs

La mise en place d'une démarche « Sylvafaune », sous le pilotage de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), répond à cette demande.

Elle vise à :

– expertiser des outils opérationnels permettant de partager l'état des lieux de la situation existante,

– construire dans la concertation des objectifs compris de tous les acteurs,

– mettre en œuvre les conditions de l'atteinte de ces objectifs de retour à une situation plus équilibrée entre forêt et cervidés, et moins conflictuelle entre forestiers et chasseurs.

La diffusion et la vulgarisation de ces outils auprès des gestionnaires forestiers et cynégétiques, suivra ensuite la première phase de cette démarche.

Un réseau pour tester

Pour mettre en œuvre cette expertise, un réseau de territoires « Sylvafaune » va être constitué en 2013, afin de tester des outils et des pratiques, dans des contextes aussi divers que ceux rencontrés sur le territoire national.

On tiendra compte de la diversité du foncier (petite ou grande propriété, forêts privées ou publiques), des peuplements forestiers (feuillus et résineux, futaies régulières et irrégulières) ainsi que du contexte sociologique (forêts périurbaines et forêts rurales).

Les pratiques à tester viseront le maintien sur un massif déterminé d'une population maîtrisée et contrôlée de grands animaux dont les impacts sur les peuplements seront acceptés par les forestiers.

Le contrôle des populations de cervidés (réduction de la densité des populations par la chasse), et des interventions acceptées sur les peuplements forestiers (réduction de la sensibilité des peuplements, amélioration des capacités d'accueil du milieu, tant alimentaire que de refuge) participeront certainement de ces bonnes pratiques.

Une approche intégrée, pour contrer les dégâts sans éradiquer les populations

Cette approche intégrée, pour la résolution de problématiques liées aux dégâts forestiers, est donc très spécifique.

Les cervidés qui sont à l'origine des dégâts ne sont pas considérés comme des ravageurs de la forêt. Bien au contraire, ils font partie des écosystèmes forestiers et interagissent avec les autres composantes de ces milieux, par ailleurs très complexes. L'homme ayant depuis fort longtemps façonné ces écosystèmes forestiers pour en tirer divers produits (énergie, matériaux) et services (accueil du public, protection des sols et des ressources en eau), se doit d'intervenir au bon niveau pour maintenir des équilibres précaires.

Il ne peut viser l'éradication d'une composante de l'écosystème forestier, en l'occurrence la grande faune. Cela mettrait peut-être un terme aux dégâts forestiers dûs à ces animaux... Mais avec le risque de voir apparaître d'autres déséquilibres.

Les cervidés ont leur utilité

La présence des cervidés est utile, ne seraitce que parce qu'elle permet aux propriétaires d'en tirer des revenus. Mais cette présence doit être compatible avec les autres fonctions de la forêt, y compris d'un point de vue économique.

Or les impacts négatifs de cette présence sur ces différentes fonctions, écologiques, économiques et sociétales, peuvent être atténués par des pratiques cynégétiques et sylvicoles appropriées.

La démarche Sylvafaune vise à mettre ces bonnes pratiques en évidence et à les promouvoir auprès des gestionnaires et acteurs de ces territoires.

L'ONCFS, établissement public national, a pour missions l'acquisition et la vulgarisation de connaissances sur la faune sauvage et ses habitats, et l'exercice de la police de l'environnement. Il est constitué de 1 700 agents dont 1 350 commissionnés « police de l'environnement » et 150 ingénieurs et cadres affectés à la recherche et à la gestion. Il gère directement 60 000 ha de territoires sous statut de protection.

RÉSUMÉ

-CONTEXTE : Les cervidés (cerfs et chevreuils) peuvent être déprédateurs des végétaux en forêts (jeunes arbres). Le problème s'est accentué vu l'augmentation des populations de cervidés et celle de la sensibilité des peuplements forestiers (recours à la plantation, changement climatique).

Les dégâts sont économiques (bois) et écologiques (biodiversité). Ils sont sources de conflits entre utilisateurs de la forêt, notamment les chasseurs et les forestiers.

-PROGRAMME : Il est hors de question d'éradiquer les cervidés vu leur intérêt par ailleurs. Il faut chercher le retour à l'équilibre. Pour cela, une démarche nommée Sylvafaune a été mise en place sous le pilotage de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ses objectifs sont de faire partager par les acteurs l'état des lieux de la situation actuelle. Puis de fixer des objectifs de maîtrise des populations acceptés là encore par tous. Enfin, de mettre en place les conditions pour un retour aux équilibres dans les massifs forestiers. Un réseau pour tester les outils et pratiques est mis en place en 2013. Il s'agit d'une approche intégrée pour diminuer les déprédations tout en maintenant les populations.

- MOTS-CLÉS : vertébrés déprédateurs, cervidés, forêts, dégâts, population, déséquilibre, biodiversité, approche intégrée, Sylvafaune, ONCFS, Office national de la chasse et de la faune sauvage.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *J.-M. SOUBIEUX, Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Directeur adjoint des actions territoriales.

CONTACT : jean-michel.soubieux@oncfs.gouv.fr

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