On l'a lu pages 14 à 18, nous en avons encore à apprendre sur les facteurs favorisant les fusarioses de l'épi et leur production de mycotoxines. Voici des références, en direct de Suisse, sur le blé et le maïs. Cette traduction d'une communication de la 10e CIMA(1) organisée par l'AFPP(2) en décembre 2012 a été aimablement vérifiée et actualisée par le premier auteur.
Dix années d'étude
Un problème à mieux comprendre
Les céréales à paille et le maïs sont souvent infectés par des espèces de Fusarium toxinogènes. Ces espèces fongiques entraînent, outre des pertes de rendement, la contamination des épis par des mycotoxines pouvant conduire au refus de la récolte. Des limites maximales de déoxynivalénol (DON), de zéaralénone (ZEA) et de fumonisines (FUM) ont été fixées en Suisse et dans l'Union européenne. Par ailleurs, diverses espèces de Fusarium produisent d'autres mycotoxines, certaines plus toxiques que le DON, cas du nivalénol (NIV) (Ueno, 1983).
Le but du travail présenté ici était de mieux comprendre le système hôte-pathogène environnement et de développer des conseils de pratiques culturales combinées optimisées en direction des agriculteurs et conseillers, afin d'éviter l'infection par les Fusarium sp. et ainsi réduire les risques de contamination par leurs mycotoxines.
2001 à 2004, agronomie, climat, stade : analyses pour un modèle
De 2001 à 2004, nous avons suivi les contaminations par Fusarium graminearum (FG) et les teneurs en DON dans des champs de blé labourés et non labourés du canton d'Argovie. À partir des données obtenues de 2001 à 2003 sur 316 parcelles, nous avons mesuré l'influence des facteurs agronomiques que sont la rotation, le travail du sol et la variété, et quantifié les risques dans les principaux systèmes de culture. Puis nous avons élaboré un modèle pour évaluer les risques d'infestation par FG en fonction des conditions météorologiques.
En 2004, nous avons mis au point le système pronostique FusaProg. Installé sur internet, cet OAD (outil d'aide à la décision) permet de prévoir le risque d'infection par FG et de contamination par le DON aux échelles de la région et de la parcelle. Il intègre le stade de croissance du blé comme facteur de risque de contamination et le combine avec les facteurs agronomiques et météorologiques (Musa et al., 2007).
En 2006, les services de conseil suisses ont eu accès au système (www.FusaProg.ch). Depuis 2007, les agriculteurs l'utilisent pour optimiser la lutte contre les fusarioses du blé, et le secteur industriel pour une évaluation pré-récolte du risque de DON.
2003 à 2007, essais au champ
De l'automne 2003 à la moisson 2007, une expérimentation au champ (« on farm ») a été conduite sur 14 sites. Le blé d'hiver était semé après un maïs grain, sans labour entre les cultures. On a comparé les effets sur le développement de la maladie, l'infection et la contamination par les toxines, de :
– quatre types différents de broyage des résidus de maïs (« mulching ») ;
– un témoin (résidus de maïs intacts en surface du sol).
Nous avons estimé visuellement les symptômes de fusariose sur épi au champ. Puis des échantillons de grains de blé et de paille ont été collectés selon le protocole décrit par Vogelgsang et al. (2011). Après nettoyage, chaque échantillon de grain a été divisé en sous-échantillons représentatifs. L'incidence des différentes espèces à l'origine de fusariose de l'épi a été évaluée par test de santé des grains (Vogelgsang et al., 2008). La teneur en DON dans les grains et la paille a été mesurée par test ELISA (Vogelgsang et al., 2011).
Par ailleurs, sur deux années, nous avons prélevé des échantillons de résidus de maïs à la surface du sol, séparé ces débris suivant leur taille (moins de 5 cm de long, de 5 à 15 cm, de 15 à 40 cm, plus de 40 cm) et leur état (intacts ou blessés) et pesé chaque lot. Ceci pour évaluer la qualité du broyage.
2007 à 2010, « monitorage » (= surveillance) à travers la Suisse
De 2007 à 2010, on a surveillé les fusarioses et mycotoxines sur blé dans toutes les régions productrices de Suisse. Les échantillons de blé récolté et les données sur les pratiques culturales ont été fournis par les agriculteurs. Les grains ont été étudiés comme décrit ci-dessus. Les mycotoxines (trichothécènes et ZEA) ont été quantifiées par LC-MS/ MS (Hartmann et al., 2008). L'ADN de FG a été analysé et quantifié par qPCR (Nicholson et al., 1998). Les grains de maïs ont été surveillés de 2008 à 2010, les échantillons étant préparés comme décrit par Dorn et al., (2009). Les trichothécènes, la ZEA et les fumonisines ont été quantifiés par test ELISA. L'analyse de la quantité d'ADN des différentes espèces de Fusarium dans les grains de maïs(3) livre de premiers résultats en 2013 (Musa et al., en préparation).
Résultats obtenus
L'OA D FusaProg, validé
FusaProg s'est montré un outil valable pour :
– évaluer l'influence des différents systèmes de culture sur l'infection par FG et la contamination par le DON,
– estimer les risques régionaux et locaux d'infection par FG durant l'anthèse(4) du blé,
– estimer les contaminations spécifiques de DON au champ pour recommander les applications fongicides,
– gérer et optimiser la gestion des lots de blé par les centres de collecte et les moulins.
La première version de l'outil a été validée en 2004 dans le canton d'Argovie en comparant le risque DON prévu aux taux réels. La prévision (taux supérieur ou inférieur à 500 μg/kg(5)) était correcte dans 75 % des cas (données non publiées).
Essais « on-farm » sur blé après maïs sans labour, des facteurs identifiés
Les essais au champ avec rotation maïs/ blé en non-labour ont montré la claire dominance de FG sur les autres espèces de Fusarium présentes, avec une incidence globale de 15 % de grains infectés sur la période 2003 à 2007.
Dans ces essais maximisant le risque fusariose/ mycotoxines, la teneur moyenne de DON, dans les grains de blé comme dans les pailles, était approximativement de 5 000 μg/kg. Le taux de DON des troisquarts des échantillons de grains (74 %) dépassait 1 250 μg/kg, valeur limite européenne fixée pour les grains bruts destinés à la consommation humaine.
La réduction de la teneur en DON moyenne variait de 21 à 38 % selon le type de broyage. Mais l'année et la variété de blé étaient des facteurs bien plus influents sur l'infection.
Ainsi, la teneur en DON était de 650 μg/kg en 2005 et 7 990 μg/kg en 2007 : un écart de 1 à 12 ! Concernant l'effet variétal, l'incidence moyenne de FG variait de 1 à 7 entre la variété la moins sensible et la variété la plus sensible : 6 % de grains touchés sur Titlis et 41 % sur Levis.
Les différents broyeurs ont réduit fortement le poids total des résidus intacts de taille comprise entre 5 et 15 cm, ainsi que celui des résidus intacts et blessés de 15 à 40 cm. Le poids des résidus de maïs intacts de 5 à 15 cm s'est trouvé fortement corrélé avec l'incidence de FG et la teneur en DON dans les grains de blés.
La recommandation de FusaProg d'effectuer ou non un traitement a été pertinente dans 76 % des cas (Vogelgsang et al., 2011).
Surveillance des blés d'agriculteurs, des résultats cohérents
L'analyse de 527 échantillons de grains de blé d'hiver récoltés de 2007 à 2010 chez des agriculteurs a révélé la dominance de trois espèces de Fusarium : F. graminearum (FG, 64 % des souches trouvées), suivi de F. poae (FP, 19 % des souches) et F. avenaceum (FA, 10 %). Concernant FG, les résultats de tests de santé ont été cohérents avec les données obtenues par PCR quantitative.
Le ratio annuel de grains à teneur en DON dépassant 900 μg/kg, limite recommandée pour l'alimentation des porcins, allait de 30 à 70 %. En revanche, seul un petit nombre d'échantillons a révélé une contamination par des FUM.
L'effet des pratiques culturales était moins visible que sur blé. On a seulement noté une tendance à une plus forte incidence de FG dans les échantillons issus de parcelles à labour réduit. On n'a pas décelé d'effet variété.
Ce qu'on peut en tirer
FusaProg utile
Les résultats présentés ici sur les espèces de Fusarium et les mycotoxines dans le blé et le maïs servent leur but général. Il s'agissait de développer des recommandations pour les agriculteurs sur les moyens de réduire le risque de fusariose de l'épi et de contamination par des mycotoxines.
Le système de prévision FusaProg s'est avéré hautement utile pour quantifier les facteurs influençant la maladie et prédire les situations à haut risque. Il est aujourd'hui largement utilisé par les agriculteurs suisses et contribue à optimiser les systèmes de culture et à sécuriser les produits récoltés.
Blé après maïs : gare au non-labour, même en cas de broyage
Les résultats de notre étude au champ de 2003 à 2007 soulignent les hauts risques de fusariose de l'épi et de contamination par le DON chez le blé d'hiver suivant un maïs, si la parcelle n'est pas labourée entre-temps.
Même si un broyage optimisé des résidus de maïs diminue la teneur en DON de 30 % (par rapport au fait de laisser les résidus intacts), la valeur limite réglementaire européenne a été dépassée dans la majorité des cas.
Bien que le broyage mécanique réduise vraiment la quantité des résidus les plus volumineux, cela ne se traduit pas clairement par une réduction de l'incidence de F. graminearum (FG) ni de la teneur en DON. Mais l'étude sur la taille des résidus a été menée sur deux années à très forte pression de maladie. Les résultats peuvent être liés à cette forte pression, et/ou à l'arrivée d'inoculum fongique issu de parcelles voisines.
Blé, penser variétal
La variété de blé a montré un effet fort sur la fusariose de l'épi, ce qui accentue l'importance de choisir les variétés les moins sensibles pour réduire les risques d'infection par FG, surtout en système de culture à haut risque (blé après maïs en non-labour).
Les agriculteurs ajustent
De façon cohérente avec les données acquises sur l'infection par FG, les teneurs en DON et les effets de la culture précédente et du travail du sol, le monitorage des blés cultivés de 2007 à 2010 a confirmé les résultats de l'expérimentation au champ. De plus, il a montré que de nombreux agriculteurs ont ajusté leurs systèmes de culture en fonction de ces résultats.
Face à F. poae (FP), que faire ?
Bien qu'ayant analysé plus de 500 échantillons, nous n'avons pu identifier, outre la variété de blé, que deux facteurs influençant l'infection par F. poae (FP), seconde espèce dominante parmi les responsables de fusariose de l'épi et première productrice de NIV. C'est inquiétant car les souches de FP sont connues pour produire des mycotoxines (NIV, monoacétoxyscirpenol, diacétoxyscirpenol, toxines T-2 et HT-2) donc certaines parfois plus toxiques que le DON.
Il n'y a pas que FG, FP et DON sur l'épi
La raison pour laquelle, lors de cette surveillance, nous n'avons pas trouvé de corrélation entre l'incidence de FP et le taux de NIV pourrait être la présence en Suisse de chémotypes-NIV de FG, c'est-à-dire des souches de FG productrices de NIV.
Il est aussi possible que l'incidence de FP ait été sous-estimée par les tests de santé sur des grains. En effet, FG est l'espèce qui se développe le plus vite sur semences en boîte de Petri : elle concurrence souvent avec succès les autres isolats. Néanmoins, les quantités d'ADN de FP n'ont pas démontré une meilleure corrélation entre FP et NIV.
Dans l'avenir, les analyses de chémotypage pourraient fournir des informations plus claires sur la présence des deux espèces et la corrélation avec les toxines.
Maïs, un fort effet année et du DON inquiétant
La surveillance des grains de maïs, avec près de 300 échantillons analysés, a montré la variabilité massive entre années en terme d'incidence des espèces et de contamination par des mycotoxines. De ce fait, il n'est pas surprenant que, à part une tendance du travail du sol réduit à favoriser l'infection par FG et la production de DON, aucun autre effet n'ait pu être mis en évidence.
La proportion d'échantillons (30 à 70 %) excédant les limites recommandées de taux de DON dans les aliments pour porcins était alarmante, d'autant qu'on ne sait pas clairement comment réduire d'infection par FG. Cependant, ce monitorage a montré que des récoltes précoces du maïs grain ont entraîné des teneurs en DON réduites.
Fumonisines, masquées ou défavorisées ?
Par ailleurs, vu la forte occurrence, sur grains de maïs, des espèces de Fusarium productrices de fumonisines (FUM), nous attendions des concentrations notables de ces toxines. Cependant, nous en avons détecté une faible abondance.
Ce résultat pourrait être lié aux FUM masquées (une réaction chimique les rend indécelables à l'analyse, une réaction inverse les libérant après ingestion). Par ailleurs, des interactions avec FG peuvent influencer négativement la production de FUM. Ou encore les conditions climatiques ont pu défavoriser la production de FUM.
Et demain ?
Blé, FG et DON, gare au précédent maïs sans labour
Nous en concluons que le maïs est un mauvais précédent pour le blé dans les systèmes de culture sans labour, car cette combinaison élève fortement les risques de fusariose de l'épi et de contamination par le DON dû à FG (Fusarium graminearum). En rotation maïs/blé, seule une approche intégrée associant le choix de variétés le moins sensibles possibles, un traitement minutieux des résidus de récolte et des applications de fongicides réalisées au bon moment grâce à un système pronostique peuvent réduire les risques.
Des traitements complémentaires à base d'antagonistes vivants pourraient être un élément supplémentaire prometteur pour la maîtrise de la fusariose de l'épi.
Entre espèces de Fusarium, interactions à étudier
D'autres espèces que F. graminearum sont présentes dans le blé et surtout dans le maïs. Il en résulte des risques de contaminations par des mycotoxines encore plus dangereuses que le DON.
Pour mieux comprendre les interactions entre espèces de Fusarium, il faut mener une analyse en profondeur des effets des pratiques culturales – c'est en cours en 2013 – et aussi une étude par PCR quantitative et de l'expression des gènes, encore à réaliser à ce jour. Il faut mener des suivis au champ en faisant varier moins de facteurs culturaux en même temps, et des études de co-inoculations en conditions contrôlées.
Maïs, études en cours
Actuellement, nous étudions des échantillons de grains de maïs issus de variétés expérimentales en cherchant des effets variétaux reproductibles. Des résultats sont attendus début 2014.
Les résultats préliminaires de suivis de maïs ensilage nous ont montré une très grande variabilité avec un nombre substantiel d'échantillons à teneurs élevées de DON. Comme pour le maïs grain, nous continuons à rechercher quels facteurs déterminent l'infection et la contamination.
Une première analyse des résultats des trois dernières années montre qu'une prairie précédant un maïs, sans labour entre les deux, entraîne une teneur en DON supérieure à celle des autres précédents.
<p>(1) Confér. internationale sur les maladies des plantes.</p> <p>(2) Association française de protection des plantes.</p> <p>(3) Analyse en cours fin 2012, lors de la CIMA (NDLR).</p> <p>(4) Moment de la floraison durant lequel l'épi, « ouvert », est particulièrement vulnérable aux infections.</p> <p>(5) μg/kg = microgramme/kg.</p>
Tableau 1 - Teneurs en mycotoxines des blés selon le précédent et le travail du sol.
Teneurs moyennes de mycotoxines (μg/kg = microgrammes/kg) dans les échantillons de blés d'hiver récoltés dans des parcelles d'agriculteurs en Suisse de 2007 à 2010.
Techniques d'analyse, ce qui bouge en France
Où faire analyser ses grains ? En France, des laboratoires privés liés à des instituts de recherche (ex. Qualtech), filiale de groupes multi-filières (ex. SGS Multilab), ou indépendants (ex. Phytocontrol) proposent des analyses de mycotoxines.
De nouvelles prestations sont offertes. Ainsi Qualtech dose désormais « les 12 alcaloïdes d'ergot par HPLC-MS/MS ». Cela s'ajoute à sa vaste panoplie d'analyses de mycotoxines et autres contaminants.
Phytocontrol lance de nouveaux « screening multimycotoxines » par UFLC (plus des screening multi-résidus de pesticides et multi-événements OGM par qPCR en temps réel, entre autres).
SGS Multilab propose le screening multimycotoxines en HPLC/MS (plus l'analyse multi-résidus de 400 substances en UPLC/ MS/MS et GC/MS/MS, et celle des métaux lourds en EMIssion atomique ICP/MS).
Côté reconnaissances officielles, Qualtech, déjà accrédité COFRAC pour l'analyse de mycotoxines et pesticides, vient de l'être pour les métaux lourds (et A BIO C pour les OGM sur colza après les maïs et soja).
Leur maison-mère l'IFBM, déjà reconnue BPL* pour l'étude d'effets des produits phytos et le suivi de leurs résidus et autres contaminants, dont les mycotoxines, pour la malterie-brasserie, vient de l'être pour la meunerie-panification.
De son côté Phytocontrol a été accrédité par le COFRAC en portée flexible sur les trois multi-screening cités plus haut.
Quant à SGS Multilab, il est lui aussi reconnu BPL, et il a 21 accréditations COFRAC en portée flexible. Mais ça, ce n'est pas nouveau !
* Bonnes pratiques de laboratoire.