Actus - Interview

Entretien avec Marion Guillou à propos de santé végétale dans le projet agroécologie

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE DECOIN* - Phytoma - n°667 - octobre 2013 - page 9

Marion Guillou, auteur du rapport agroécologie utilisé par le ministre de l'Agriculture pour sa loi d'avenir, commente le volet « santé végétale ».

Sous le titre : Le projet agroécologique : vers des agricultures doublement performantes pour concilier compétitivité et respect de l'environnement, Marion Guillou a remis son rapport sur l'agroécologie en mai dernier au ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. Il en a repris des propositions dans le projet de loi d'avenir présenté le 17 septembre. Certaines concernent la santé végétale. Éclairage.

Autour des certificats d'économie des produits phytos

Phytoma - Un des points du rapport concernant la protection des végétaux a été très cité. Il s'agit du certificat d'économie de produits phytosanitaires. Le projet de loi d'avenir prévoit d'autoriser le gouvernement à instituer de tels certificats par ordonnance. D'où vient l'idée ?

Marion Guillou - c'est un élément d'une logique générale. Le fait central, pour la protection des plantes comme pour toute l'agriculture, c'est qu'on se trouve dans une période de transition, avec une contradiction entre les intérêts à court terme, et ceux à moyen et long termes.

C'est-à-dire ?

À court terme, le système d'agriculture intensive fonctionne. Des rotations simplifiées produisent des récoltes abondantes de quelques espèces vedettes au prix d'une dépense forte d'énergie fossile pour la mécanisation et la fabrication d'engrais chimiques, et d'atteintes à l'environnement liées aux engrais chimiques et produits phytopharmaceutiques. C'est performant aujourd'hui, mais pas durable : c'est ou ce sera bientôt dépassé. Il faudra demain produire en puisant moins dans les ressources fossiles. En utilisant les ressources renouvelables, mais fragiles, que sont la fertilité du sol, l'eau de qualité, etc. Mais en les ménageant, donc en polluant moins.

On y arrivera car on y sera forcé. Il faut le préparer dès maintenant. Si on attend d'être acculés à le faire, ce sera dans de mauvaises conditions.

Mais aujourd'hui, le système intensif fonctionne, il est efficace, et il profite à beaucoup de gens qui, toujours à court terme, ont intérêt à le conserver. Les signaux économiques à court terme ne vont pas dans le bon sens.

Signaux économiques : exemple, les cours qui poussent à semer du blé plutôt que de la luzerne, puis à viser le rendement maximum donc ne pas lésiner sur les engrais et les produits phytos ?

Exact. Sans oublier de semer des variétés à haut potentiel de rendement mais, qui, pour obtenir ces rendements, ont besoin d'un itinéraire technique utilisant beaucoup d'engrais et de produits phytopharmaceutiques...

Et cela fait aussi que les vendeurs de produits phytos des coopératives et négociants ont un double intérêt à en vendre : pour leur chiffre d'affaires phyto, mais aussi pour le chiffre d'affaires de collecte de grains que ces coopératives et négoces vont pouvoir valoriser.

Attention ! Je ne suis pas malthusienne, je ne pense pas que la ferme France doive produire moins. Il faudra produire autant et même plus. Nous serons 9 milliards sur Terre bientôt. En agriculture, il faut une croissance. Mais verte.

Pour cela, il faut entamer la transition écologique le plus tôt possible. Il y a la recherche, on va en parler... En attendant, les certificats d'économie phytosanitaires me semblent un outil actif, que l'on peut utiliser à relativement court terme.

De quoi s'agit-il ?

Le principe est le même que celui des certificats d'économie déjà utilisés en France. Très schématiquement, celui qui utilise moins de produits phytopharmaceutiques qu'un seuil fixé a priori gagne un droit qu'il peut vendre, donc valoriser, auprès de celui qui dépasse le seuil et qui, lui, doit acheter ou bien payer une pénalité.

Mais il y a beaucoup d'utilisateurs de phytos : agriculteurs et autres utilisateurs ! Vous ne craignez pas l'usine à gaz ?

C'est pourquoi il ne faut pas agir au niveau des utilisateurs mais à celui des distributeurs. Là, on est dans une mesure applicable et réaliste. Et j'espère efficace : elle leur donnera un intérêt économique à vendre moins, alors qu'aujourd'hui, ils ont clairement intérêt à vendre le plus possible. Bien sûr, ce système ne génère pas de ressources supplémentaires pour l'État, au contraire d'une augmentation de la redevance pollutions diffuses. Mais je le crois davantage incitatif.

Autour du conseil

À propos des distributeurs, chez qui le conseil est séparé de la vente depuis le 1er octobre, votre rapport préconise d'aller plus loin.

Oui. Aujourd'hui l'acte de vente est séparé du conseil mais les deux peuvent encore être réalisés par la même personne. Certes l'intéressement direct aux ventes du conseiller-vendeur, sur la fiche de paye, a vécu. Mais la structure qui l'emploie reste intéressée. Aussi le rapport préconise, je le cite, « pour l'obtention de la certification d'entreprise, une séparation plus nette (filialisation ou, à tout le moins, indépendance fonctionnelle et comptabilité analytique distinguant la vente) ».

C'est au gouvernement de décider s'il souhaite suivre cette recommandation, et surtout son mode réaliste de mise en place auprès des acteurs.

Autour de la diversification, du biocontrôle

Revenons au niveau des exploitations agricoles. Votre rapport préconise la diversification des assolements et des rotations.

Oui. Elle a divers avantages, notamment en matière de santé végétale. En effet, elle s'accompagne le plus souvent d'un moindre besoin d'utilisation de produits phytos. Mais il faut apprendre ou réapprendre à cultiver ces espèces nouvelles. Et dans les exploitations de grandes cultures, il faut que des structures aval puissent collecter les nouvelles espèces cultivées... Tout se tient.

On peut aussi diversifier, je cite encore le rapport, « via des cultures intermédiaires et des plantes de service » non récoltées. Par exemple, encore la santé végétale, des cultures intermédiaires entre deux cultures, ou des plantes compagnes pendant la culture, peuvent aider à maîtriser les adventices donc diminuer le désherbage chimique.

Il y a aussi le travail sur les IAE, les infrastructures agroécologiques. Là, c'est une gestion à l'échelle de l'exploitation, plus large que la culture. Et bien sûr il faut encourager le biocontrôle.

C'est repris par le projet de loi.

Oui, ce dernier sépare les produits de biocontrôle des autres dans plusieurs dispositions, cela va dans le bon sens.

Mais il ne différencie pas les autres produits phytos entre eux, pourtant ils sont loin d'être équivalents en termes de toxicité et d'écotoxicité...

C'est vrai. Mais la redevance pollutions diffuses le fait... Peut-être pourrait-on aller plus loin. Cela dit, il y a aussi la prise en compte de ces éléments dans la recherche.

Autour de la connaissance

Vous aviez commencé à parler de recherche ?

Oui, elle prépare l'agriculture de demain. Le rapport recommande de renforcer les recherches sur le temps long, à des échelles spatiales larges, davantage pluridisciplinaires. Bien entendu, il faut développer celles qui concernent le biocontrôle. Utilisation et mise au point de produits, mais aussi approches plus globales, agronomiques, on l'a vu à propos des plantes compagnes.

Il y a aussi, je cite encore le rapport, « le rôle clé de l'amélioration des plantes », vers des variétés alliant productivité, qualité des récoltes et moindre besoins d'intrants. Il faut des années pour obtenir des résultats.

L'État peut chercher lui-même, notamment avec l'Inra et les autres instituts de recherche publics, mais aussi orienter la recherche par le Casdar(1), dont les appels à projets peuvent être encore davantage orientés vers la double performance, agronomique et environnementale.

De même, il y a l'enseignement et la formation... Mais le temps et la place vont nous manquer ! Lisez le rapport.

<p>(1) Compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural.</p>

Marion Guillou en quelques lignes

En 1998, quand Phytoma l'avait interviewée une première fois, Marion Guillou était DGAL, directrice générale de l'Alimentation au ministère chargé de l'Agriculture, depuis novembre 1996(1).

En 2000, elle est devenue directrice générale de l'Inra. Elle en a été PDG de 2004 à 2012. Celle qui vous accueille d'un malicieux : « Moi, maintenant, je ne suis plus qu'une retraitée », (officiellement, c'est vrai depuis août 2012), continue à siéger dans diverses instances et notamment à présider le conseil d'administration d'Agreenium (« consortium qui regroupe les principaux acteurs de la recherche et de la formation supérieure agronomiques et vétérinaires en France ». Source : www.agreenium.org/).

(1) Et avant : polytechnicienne + eaux et forêts. Avait travaillé en DDA, Draf, à l'Inra, au Cemagref, à la DGAL (sous-directrice de la Recherche, l'Innovation et la Réglementation), et attachée agricole à Londres. Voir Phytoma n° 506, juin 1998, p. 19.

RÉSUMÉ

CONTEXTE : Dans le cadre de la préparation de la loi d'avenir, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, a confié à Marion Guillou, présidente d'Agreenium et ancienne PDG de l'Inra, un rapport sur l'agroécologie.

RAPPORT : Les propositions de ce rapport tendent toutes à concilier la compétitivité économique et la préservation de l'environnement, en basant l'agriculture sur l'utilisation judicieuse des ressources renouvelables.

La santé végétale est prise en compte dans le cadre global des systèmes d'exploitation à repenser (diversification, etc.). Il y a des mesures spécifiques, notamment la proposition de certificat d'économie de produits phytosanitaires et des recommandations sur le conseil.

MOTS-CLÉS – Agroécologie, Marion Guillou, performances, compétitivité, environnement, certificat d'économie de produits phytosanitaires, diversification, recherche.

POUR EN SAVOIR PLUS

CUEILLEUSE de propos : M. DECOIN, Phytoma

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIEN UTILE : http://www.agreenium.org/RE MISE-DU-RAPPORT -SUR-LAGRO -ECO LOGIE-PAR-MARION-GUILLOU-A-STE PHANE-LE-FOLL

L'essentiel de l'offre

Phytoma - GFA 8, cité Paradis, 75493 Paris cedex 10 - Tél : 01 40 22 79 85