Le 4 mars 2013 commençait le quatrième congrès international sur le contrôle biologique des arthropodes (ISBCA) à Pucón, au Chili, pour quatre jours (v. Encadré 1). Sur proposition du journal, je rapporte ici quelques-uns des thèmes qui y ont été abordés et qui m'ont intéressée. Je les ai parfois accompagnés de commentaires subjectifs.
Lutte biologique classique et invasions biologiques
Restaurer des écosystèmes
Les premières sessions portaient sur la conservation de la biodiversité. Ce fut l'occasion d'aborder la restauration d'écosystèmes dégradés par des espèces invasives introduites accidentellement (lors d'échanges commerciaux surtout) voire volontairement, notamment pour la lutte biologique classique (définition en Encadré 2).
Le chercheur P. McEnvoy (université d'Oregon, USA) souligna que le contrôle de l'espèce invasive, s'il est tardif, n'est pas suffisant pour conduire à la restauration d'un écosystème dégradé. Il faut des moyens complémentaires, comme par exemple la dissémination d'espèces végétales locales (premier maillon de la chaîne alimentaire) pour espérer retrouver, à long terme, un écosystème proche de celui préinvasion.
Des risques, oui, mais quand même...
Les sessions sur la lutte biologique classique ont mis l'accent sur les risques liés à l'introduction d'auxiliaires exotiques, conseillant parfois de n'y avoir recours qu'en... dernier recours. C'était l'avis du Dr D. Simberoloff (université du Tennessee, USA), spécialisé dans la biologie de la conservation.
Il insistait, à juste titre, sur le fait que l'impact des espèces invasives va au-delà des espèces auxquelles elles s'attaquent (interactions directes) par le biais de cascades trophiques (interactions indirectes moins visibles) ayant ainsi des effets, pouvant être catastrophiques, sur tout l'écosystème.
Cependant, si tout le monde s'accorde sur le fait qu'il faut prendre d'importantes précautions avant toute introduction, précautions à établir dans un cadre clair et plus strict que ce qui s'est fait précédemment, la majorité des congressistes (dont je suis) estiment que les risques pour la santé, d'abord des agriculteurs mais aussi des consommateurs, sont bien moindres qu'avec la lutte chimique.
Il serait donc probablement bon de ne pas mettre un coup d'arrêt trop handicapant à cette méthode de lutte.
Biodiversité et contrôle biologique
Paysage et fleurs à nectar
L'effet de la biodiversité à l'échelle du paysage et de la parcelle a été l'objet de plusieurs sessions, montrant un effet global bénéfique de la richesse en espèces végétales sur la lutte biologique. Il est notamment apparu que les plantes portant des fleurs riches en nectar sont à favoriser : elles constituent une source importante d'énergie pour les ennemis naturels. Le nectar augmente la capacité de prospection des ennemis naturels, sans remplacer les proies car il ne contient pas de protéines (au contraire du pollen) qui sont nécessaires aux auxiliaires.
Prédateurs et biodiversité
De nombreuses présentations portant sur les prédateurs omnivores ont mis en évidence leur rôle dans la lutte biologique. Leurs populations sont liées à l'enrichissement de la biodiversité, car ils sont favorisés par la présence de proies alternatives (autres que les ravageurs des cultures), de pollen (utile malgré tout en absence de proies pour maintenir les populations d'auxiliaires aux alentours des parcelles) et de nectar.
Des présentations (en particulier celle du Dr B. Pfannentiel, USDA, USA) ont souligné que les araignées consomment du pollen, ce qui est assez mal connu.
D'autre part, le Dr J. G. Lundgren (USDA, USA) a présenté un aspect intéressant de certains prédateurs omnivores qui consomment à la fois des ravageurs et des graines d'adventices, ayant ainsi un double intérêt. Les arthropodes consommant des graines d'adventices sont en particulier les myriapodes, les criquets et les carabes.
Combiner les méthodes
Associer la technique des ravageurs stériles aux auxiliaires de lutte biologique
L'une des idées maîtresses de ce congrès, et de plus en plus présente dans les esprits, est qu'en matière de contrôle biologique il y a rarement une solution unique, mais plutôt un ensemble de solutions qui conduit à un contrôle satisfaisant du ravageur. Les propositions avancées portaient en particulier sur l'association de SIT (Sterile Insect Technique) et d'agents de lutte biologique (prédateurs/parasitoïdes).
Les lâchers de ravageurs, mâles ou femelles, rendus stériles par irradiation sont un moyen de lutte étudié depuis quelques années et déjà mis en place au niveau industriel. Si les premières tentatives se sont concentrées sur les insectes vecteurs de maladies humaines (mouches et moustiques), aujourd'hui ce travail concerne aussi la protection des cultures. De bons résultats semblent avoir été obtenus aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Argentine et en Afrique du Sud.
En Afrique du Sud, par exemple, J. Carpenter (USDA, USA) et son équipe ont démontré que les trichogrammes préfèrent les œufs de lépidoptères non irradiés (lors de l'utilisation de la méthode SIT : stérilisation du ravageur juvénile), limitant ainsi les risques de recoupement des deux méthodes. Cependant, les œufs de ravageur irradiés peuvent tout de même servir de ressource aux parasitoïdes en cas de besoin. La méthode des insectes stériles a même supplanté l'utilisation des parasitoïdes dans certains endroits tant elle est efficace.
Associer plantes-banques, nématodes, biopesticides et prédateurs ou parasitoïdes
L'accent était aussi mis, en particulier par M. Browinbrige (entreprise de floriculture, Canada) et P. Parrella (université de Californie, USA), sur la combinaison des méthodes de type plantes banques, nématodes, biopesticides et prédateurs ou parasitoïdes. Ils expliquaient que cela donne des résultats satisfaisants en floriculture.
Pour autant, il faut tenir compte de la forte valeur ajoutée de la culture de fleurs coupées, qui fournit une marge supérieure quant à l'investissement dans la protection des cultures par rapport à d'autres productions. D'après eux, la création de labels reflétant la qualité du produit (aucun pesticide) permet de valoriser à la vente les éventuels coûts associés.
Associer des auxiliaires entre eux
De nombreuses présentations ont valorisé l'utilisation d'une combinaison d'auxiliaires incluant des prédateurs généralistes pour obtenir une protection optimale même vis-à-vis d'un seul ravageur.
C'est notamment ce qu'a souligné le Dr G. Messelink (université de Wageningen, Pays-Bas) en culture de poivrons, pour lutter contre les aleurodes. Chaque fois, une bonne coexistence entre les espèces a été observée même en cas de prédation intraguilde (entre auxiliaires). Les résultats que j'ai moi-même présentés à ce congrès sur la coexistence des ennemis naturels de Tuta absoluta vont également dans ce sens.
Élevage de masse, crustacé testé
Une session particulièrement intéressante pour les industriels portait sur l'élevage en masse des auxiliaires pour les luttes par inondation et inoculation (définies en Encadré 2). Malheureusement, peu de nouveautés ont été annoncées.
On peut néanmoins noter l'intérêt d'Artemia franciscana comme source de nourriture prometteuse pour l'élevage de masse d'acariens prédateurs. Ce petit crustacé est généralement vendu sous forme déshydratée, donc facile à stocker. On peut le réhydrater et le fournir aux élevages de prédateurs.
Cela est aussi utilisé pour l'élevage des punaises prédatrices, mais la qualité nutritive ne leur semble pas adaptée ; pour l'instant, les œufs d'Ephestia kuehniella (teigne de la farine), que l'on sait produire en masse, semblent rester la meilleure solution.
Effets non intentionnels
Effet létaux et sublétaux des pesticides, des producteurs pas assez informés
La session sur la production sous serre a été l'occasion de souligner le manque d'informations des producteurs, quel que soit le pays, sur les effets létaux et sublétaux (baisse de fécondité, modification du comportement) des pesticides sur les auxiliaires (Dr R. Ripa, Centre d'entomologie appliquée, Chili).
Cette thématique est pourtant de plus en plus étudiée par les chercheurs et les effets négatifs de nombreux pesticides sont avérés sur les pollinisateurs et divers ennemis naturels (parasitoïdes et prédateurs).
Par exemple, les effets des néonicotinoïdes sur T. urticae ont été présentés. Ces insecticides sont à l'origine d'explosions des populations de cet acarien ravageur à cause de leur effet négatif sur ses ennemis naturels (coccinelles, chrysopes, phytoseïdes). Anecdote, l'imidaclopride fut à l'origine d'une pullulation d'acariens sur les arbres de Central Parc à New York, ce qui déclencha diverses recherches (Dr A. Szczepaniec, université du Maryland, USA).
Réchauffement climatique, un effet compliqué
L'effet potentiel du réchauffement climatique sur le contrôle biologique a aussi été abordé. Le Dr M. Monstserrat (CISC, Espagne) a montré que ce réchauffement pourrait modifier l'organisation des réseaux trophiques, en particulier les interactions de prédation intraguilde (entre auxiliaires).
Le Dr D. Gillespie (AAFC, Canada) a souligné que l'effet sera plus compliqué qu'un simple décalage des écosystèmes en latitude. En effet, si les températures vont augmenter, les photopériodes, elles, ne changeront pas. Or les cycles de vie des espèces végétales et animales sont réglés par ces deux paramètres. Ainsi les espèces devront s'adapter, pas seulement se déplacer.
Utilisation des signaux sémiochimiques
Pour l'instant, seulement sur les ravageurs...
La partie sur les signaux sémiochimiques produits par les insectes ou les plantes a quant à elle mis en évidence, de façon très intéressante, le fait que ces signaux sont sous-utilisés car utilisés seulement sur les ravageurs (piégeage et confusion sexuelle).
Pourquoi pas sur les auxiliaires ?
Le Dr N. Mills a rappelé que si l'un des objectifs des chercheurs est de faire prendre conscience aux agriculteurs des effets des pesticides sur les auxiliaires, il faut pouvoir le leur prouver. D'où l'intérêt d'utiliser ces signaux pour attirer les auxiliaires et évaluer leur dynamique au champ.
Notons qu'il ne serait pas superflu d'utiliser cette technique aussi pour prouver l'efficacité des auxiliaires, en permettant aux agriculteurs d'observer le lien entre présence des auxiliaires et réduction des ravageurs. Les composés volatils émis par les plantes sont évoqués pour de tels usages.
Et même dans le sol
De plus, la présentation du Dr I. Hitpold (université du Missouri, USA) a rappelé que les ravageurs du sol émettent eux aussi des phéromones : il se produit en sous-sol les mêmes interactions que celles observées à l'air libre. Certains nématodes, parasites de larves ravageuses des racines, utilisent ces signaux sémiochimiques pour repérer leurs proies.
Ceci rappelle l'importance de maintenir une vie dans les sols des cultures aussi bien que dans la végétation, pour optimiser l'utilisation des ennemis naturels dans le contrôle des ravageurs.
Les OGM
Travaux sur les maïs Bt
L'impact des OGM sur les insectes utiles a été abordé en se focalisant uniquement sur le maïs Bt.
Divers travaux, menés par un même groupe de collaborateurs(1), ont conclu que les auxiliaires (notamment araignées) consommant des ravageurs ayant eux-mêmes consommé des plantes Bt n'en ont pas été affectés, ni au laboratoire ni au champ. L' équipe recommande donc d'arrêter les recherches à ce sujet, le nombre d'études concordantes lui paraissant suffisant.
Bien que ces résultats soient positifs, certains participants (dont je suis) estiment qu'il n'en reste pas moins une possibilité d'effets sur les insectes herbivores autres que la pyrale du maïs : il s'agit d'effets à long terme sur la dynamique des populations. Une orientation vers des méthodes de protection des cultures prenant en compte l'écosystème dans sa globalité, favorisant notamment le contrôle biologique, serait à privilégier, d'autant que certains ravageurs ont déjà développé des résistances au Bt.
Nouvelle génération d'OGM
D'autre part, J. G. Lundgren (USDA, USA) a présenté, afin d'en informer la communauté scientifique, une nouvelle génération d'OGM qu'il considère comme bien plus préoccupante que les OGM actuellement cultivés dans le monde. Il s'agit de plants modifiés génétiquement qui produisent des ARNi (ARN interférence) allant bloquer l'expression de certains gènes essentiels à la survie des insectes ravageurs (action sur l'ADN).
D'après J. G. Lundgren, cela pose question en termes de spécificité donc d'effet sur les espèces non cibles. Il lui semble que, même si diverses méthodes sont utilisées pour limiter le champ d'action des ARNi, cela ne sera jamais spécifique. En effet, l'action de ces OGM cible une caractéristique, non pas des insectes seuls mais des êtres vivants en général. D'où un risque d'effets chez d'autres groupes que les insectes. Des études indépendantes semblent indispensables avant le lancement d'un tel produit. Elles seront probablement difficiles à mener vu notre méconnaissance du génome d'un grand nombre d'espèces.
Forêt, zones urbaines...
D'autres sessions abordaient des sujets très intéressants mais me touchant moins, tel le contrôle biologique en forêt avec focus sur l'eucalyptus, ou en zone urbaine (potager, plantes ornementales).
Les thèmes abordés dans ce congrès, malgré leur grande diversité, n'en étaient pas moins tous liés au contrôle biologique et ont donné un intéressant état de l'art sur le sujet.
J'espère l'avoir retransmis ici, au moins en partie.
<p>(1) NDLR (note de la rédaction) : M. Shelton (Cornell, USA), M. Meissle (Agroscope, Suisse) et S. E. Naranjo (USDA, USA).</p>
1 - Congrès ISBCA, carte d'identité
Tous les quatre ans, le congrès ISBCA (International Symposia on the Biological Control of Arthropods) a lieu, dans différentes villes du monde et rassemble de nombreux pays. Le premier était à Hawaï, le second en Suisse et le troisième en Nouvelle-Zélande. Ce type de congrès présente de nombreux intérêts pour les chercheurs, il est à la fois très ciblé sur une thématique tout en étant réellement international. Ce faisant, il permet des échanges d'idées entre personnes de tout pays.
Le congrès 2013 fut dominé par des présentations états-uniennes. Mais les pays d'Amérique du Sud étaient bien représentés, ainsi que la France. L'Inra a, en particulier, participé à l'organisation d'une session portant sur l'impact de la variation génétique des prédateurs ou parasitoïdes en lutte biologique classique (définition en Encadré 2). Pour ma part, j'y étais dans le but de présenter mes travaux sur l'importance sur les interactions dans les agroécosystèmes (voir Phytoma n° 662, mars 2013).
2 - Quatre formes de lutte biologique
– classique (dite aussi « par acclimation ») consiste à introduire dans un milieu, à titre d'espèce utile, un ennemi naturel d'une espèce nuisible souvent récemment introduite. Son but : que l'espèce utile s'acclimate et régule durablement l'espèce nuisible.
– par inondation (ou « inondative »), consistant en lâchers (en général massifs) d'auxiliaires qui combattront les ravageurs mais ne s'acclimateront pas ; les lâchers sont donc répétés comme des traitements phytosanitaires.
– par inoculation consistant en lâchers (en général moins massifs que ceux de la lutte inondative) d'auxiliaires qui se reproduiront, mais sans s'acclimater définitivement.
– par conservation consistant à manipuler le milieu pour favoriser les auxiliaires déjà présents, sans en lâcher.