Pour l'entretien des vignes, le désherbage mécanique et l'enherbement permettent de diminuer la quantité d'herbicides chimiques appliqués. Mais si l'on veut se passer de ces herbicides, comment gérer le rang de vigne ? Réponses de l'IFV au 22e Columa.
Pourquoi tester l'enherbement du rang ?
Les techniques « non chimiques » disponibles aujourd'hui
Aujourd'hui, l'entretien non chimique des sols de vigne passe surtout par le travail du sol et l'enherbement. L'autorisation de bioherbicides tarde à venir, le binage manuel est difficile à relancer...
L'enherbement et le travail du sol de l'interrang sont des techniques rodées. Reste la question de l'entretien du rang lui-même. Dans les vignes sans herbicides, jusqu'ici, on le désherbe mécaniquement.
Chercher une alternative au travail mécanique du rang
Mais cette opération est délicate car il ne faut pas blesser les racines des ceps. Elle est donc lente. De plus, il y a des exigences en matière de conditions météo.
Or un couvert enherbé offre plus de souplesse, explique une communication au 22e Columa de Christophe Gaviglio et Laure Gontier, de l'IFV Sud-Ouest. La tonte, « bien moins dépendante des facteurs » type humidité du sol/météo que le travail du sol, offre des « fenêtres d'intervention plus larges ». Elle est réputée « limiter l'impact physique lié aux outils interceps » de l'entretien mécanique. Mais il y a concurrence entre l'herbe et la vigne pour l'eau et les éléments nutritifs.
Les deux auteurs ont comparé, sur vignes installées à interrang enherbé, trois techniques d'entretien du rang : mécanique, chimique et par enherbement.
Dans les microparcelles
Sept essais dans le Sud-Ouest
Des essais en microparcelles à l'interrang enherbé ont été effectués dans le Sud-Ouest, de 2007 à 2012.
Pour tous ces essais, l'enherbement sous le rang, avec différentes espèces, a été comparé au désherbage chimique et au désherbage mécanique du rang. Ils ont été menés sur quatre sites de Midi-Pyrénées : AOP Cahors, IGP Côtes-de-Gascogne, AOP Fronton et AOP Gaillac.
Des résultats agronomiques
Résultat, le travail du sol diminue le rendement et la vigueur (par rapport au désherbage chimique du rang) les trois premières années après son introduction. Puis les effets sont irréguliers.
Pour sa part, l'enherbement permanent total à base de graminées pérennes entraîne une diminution de rendement, de vigueur, d'expression végétative et de teneur en azote des moûts ; mais on note une « augmentation du degré potentiel et de la teneur en polyphénols ». Tous les couverts ne sont pas équivalents : il faut semer des espèces choisies.
Enfin, dans un des sites, on a testé l'entretien mécanique d'un interrang sur deux, tout le reste (rang et deuxième interrang) étant enherbé, avec de bons résultats. Avantages :
– l'interrang enherbé garde de la portance pour passer les engins, et freine l'érosion ;
– l'autre interrang baisse la concurrence de l'herbe par rapport à l'enherbement total ;
– sur l'interrang enherbé, on risque moins de chahuter les ceps qu'avec le désherbage mécanique du rang.
En grandeur nature
Sept parcelles jouent les vitrines
D'où l'idée de « transferts à grande échelle de cette pratique ». Pour ce test, sept parcelles de vignes installées du Sud-Ouest (Aquitaine, Midi-Pyrénées, Charente), de 0,5 ha à 1 ha, ont été élues « sites vitrines » du programme « Zéro herbi viti » financé par l'agence de l'eau Adour-Garonne.
À l'automne 2009, on a enherbé leurs rangs, investi dans du matériel de tonte interceps... Et là, ça s'est compliqué.
En vraie grandeur, la question « organisation du travail »
De fait, la communication au Columa est titrée : « Conduite de la vigne sans herbicides : des résultats agronomiques en microparcelles au transfert à grande échelle, une remise en question de l'organisation du travail ».
Car c'est principalement l'organisation du travail qui a soulevé des problèmes inédits.
Semis, matériel adéquat recherché
Il y a d'abord le semis du couvert. Ici, la préparation du sol et le semis ont été faits manuellement... Difficile à faire adopter largement aux viticulteurs !
Heureusement, selon les auteurs : « Le programme a permis, face à ce manque, d'identifier les solutions de mécanisation potentielle pour cette application. » : houe rotative interceps, épandeur d'engrais localisé, montage de toute pièce d'un semoir spécifique...
Tonte, attention au fignolage
Ensuite il y a eu trois à quatre tontes annuelles. Le temps de travail a coûté cher.
Mais, citons la communication : « Les responsables des sites se sont montrés zélés afin que les parcelles vitrines soient très bien entretenues, peut-être plus qu'il ne serait nécessaire dans la pratique viticole (...) vitesse réduite, nombreux passages, compléments à la tonte interceps avec épampreuse mécanique. » Les coûts peuvent être maîtrisés.
Interactions diverses
Enfin, cette façon de gérer le rang a interagi avec les autres travaux. L'épamprage, manuel ou mécanique dans une vigne sans herbicide, doit se faire après la tonte. À noter : il existe des « tondeuses interceps équipées de modules d'épamprage à l'arrière pour pouvoir combiner les deux actions ». Intéressant.
Pour le relevage, la végétation ne doit pas avoir bloqué les fils releveurs avant la tonte. Il faut donc « équiper les piquets de façon, lors de la descente des fils, à les disposer juste en dessous des fils porteurs ».
L'enherbement total a entraîné une « compétition trop forte ». On a donc géré un interrang sur deux par travail du sol. L'effet est satisfaisant : le test grandeur nature confirme les résultats en microparcelles. Mais « lorsque les tondeuses interceps sont montées sur des girobroyeurs utilisés dans l'interrang, ces derniers ne peuvent pas fonctionner sur sol travaillé ». Il faut adapter le matériel.
Bonne nouvelle, sur un des sites, on a pu « économiser deux interventions de rognage par rapport à l'itinéraire de culture habituel ».
Que peut-on en tirer ?
Améliorations possibles, et freins
Tout n'est pas encore totalement au point. L'IFV a pointé les pistes d'améliorations notamment du matériel : tondeuse à dispositif d'évitement des ceps pour avancer plus vite, combinaisons de matériels, etc.
Par ailleurs, une analyse sociologique menée en parallèle a pointé des freins à l'adoption de ces pratiques et des « leviers pour lever ces freins ». Ils diffèrent d'une région à l'autre mais la place manque pour en dire plus.
Valable dans le Sud-Ouest
Enfin, ces résultats sont valables dans le Sud-Ouest. Mais pas forcément là où le climat est plus sec (Sud-Est) ou les vignes plus étroites (Bourgogne).
Deux moralités
On peut tirer deux moralités de cette étude. D'abord, toute référence en placettes a intérêt à être testée grandeur nature avant son adoption : vérification agronomique, confrontation à la pratique.
Ensuite, l'enherbement du rang de vigne est prometteur dans le Sud-Ouest, mais pas l'enherbement total permanent à base de graminées pérennes. On peut travailler le sol un interrang sur deux pour recréer le rapport surface enherbée/surface travaillée d'une vigne à interrang enherbé/rang désherbé. Sans chahuter les ceps.