La prédation de graines d'adventices par les carabidés est le sujet de deux communications. Ci-contre, appareillage pour la mesurer. Photo : A. Trichard, Inra Dijon
Dijon, 8h30, le 12 décembre 2013, début de la session « Méthodes alternatives » de la 22e conférence du Columa de l'AFPP. Nous allons évoquer ici les communications qui nous ont semblé les plus novatrices. Elles sont publiées intégralement, avec l'ensemble de la conférence, dans ses Annales (voir « Pour en savoir plus » p. 37).
Méthodes alternatives en session, pourquoi ?
Après la guerre, le règne des herbicides
C'est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que les premiers herbicides sont apparus en Europe et ont été utilisés avec succès par les agriculteurs : colorants nitrés, 2-4-D, MCPA, MCPP, urées substituées, triazines... Dès les années 60 tous les agronomes (ou presque) avaient conclu que très rapidement l'industrie phytopharmaceutique trouverait des solutions pour détruire les mauvaises herbes dans toutes les cultures tout en respectant ces dernières ! Le salut semblant venir de la chimie, on négligea les recherches sur d'autres moyens.
Pollution et résistances, les herbicides détrônés
Mais depuis lors, ces recherches ont repris. Pourquoi ce regain d'intérêt ? D'abord, un constat : en France, parmi les 13 substances actives dépassant les normes de la DCE (Directive cadre sur l'eau) dans les eaux souterraines, 12 sont des herbicides ou des produits issus de leur dégradation. Ce constat incite à remettre en cause la gestion des adventices.
Dans le même temps, l'apparition de résistances aux herbicides, aussi bien chez les graminées que chez les dicotylédones, oblige à trouver de nouvelles solutions ou à revenir à des solutions abandonnées pour diverses raisons.
Désherbage mécanique ou le retour aux sources
Sur céréales à paille, effet efficacité et rendement
Plusieurs interventions de la session ont fait le point sur le désherbage mécanique. Ainsi, une publication commune Arvalis-Institut du végétal /ITAB (Institut technique de l'agriculture biologique) présente des résultats sur céréales à paille.
Au regard de l'efficacité, il ressort que les passages les plus précoces sont généralement les plus efficaces mais que la multiplication des passages est elle aussi un gage de réussite, aussi bien en agriculture conventionnelle que biologique.
L'impact sur le rendement varie en fonction du système. En agriculture conventionnelle, les désherbages mécaniques réalisés tardivement sont pénalisants pour le rendement. En revanche, en agriculture biologique, les passages répétés l'impactent favorablement.
Évaluation multicritère
Une autre publication d'Arvalis présente une étude évaluant « l'impact du désherbage mécanique à l'échelle d'une exploitation type de polyculture élevage de l'ouest de la France, en utilisant un ensemble de critères économiques, techniques et environnementaux ».
Différentes simulations ont été réalisées dans l'outil Systerre développé par (et marque déposée d') Arvalis. Elles montrent que « la mise en œuvre du désherbage mécanique dans l'exploitation type fait baisser l'IFT herbicide (-50 %) et le prix du programme herbicide d'environ 40 %.
En revanche, le temps d'intervention s'accroît d'environ 38 heures par an sur l'exploitation, et la consommation d'énergie primaire en carburant augmente de près de 5 % ».
Cette évaluation multicritère permet une première approche économique et écologique des deux techniques de désherbage.
Combiner les méthodes
Herbicide et binage, trois ans sur tournesol
Après les méthodes mécaniques remplaçant les herbicides, quelle place aux méthodes combinant binage et herbicide, ou encore herbicide et robotique, pour diminuer les doses d'herbicides chimiques ?
Le Cetiom a étudié pendant trois années le désherbinage et le binage du tournesol. L'institut a comparé deux conduites de désherbage associant toutes les deux le binage de l'interrang et un traitement herbicide sur le rang, ce dernier pratiqué à des moments et avec des produits différents.
« L'efficacité du traitement localisé de prélevée couplé au semis (herbisemis) suivi par le binage a été clairement supérieure à celle du traitement localisé de postlevée couplé au binage (désherbinage). »
Pourquoi ? Parce que l'herbisemis sécurise précocement la ligne de semis : en gros, le tournesol démarre sa végétation sans concurrence de mauvaises herbes sur la ligne. Ceci à condition de choisir le(s) produit(s) adapté(s) à la flore.
Par ailleurs, le binage du tournesol, réalisé par temps sec et sur des adventices jeunes, « élimine en tendance pluriannuelle près de 80 % des adventices présentes au sol au moment de l'intervention ».
Herbicide et... robot, pour localiser le désherbage
Le « I Weed Robot » a été présenté par six chercheurs des UMR 1347 – Agroécologie, AgroSup Dijon et de l 'UMR 6306 – Laboratoire électronique, informatique et image de l'IUT de Dijon-Auxerre. Le « I » de son nom signifie intelligent.
Ce dispositif « a été conçu et réalisé pour être un robot autonome (...). Cette miniplateforme mobile a pour objectif de réaliser un désherbage chimique localisé pour des parcelles cultivées ».
Le robot se localise dans la parcelle à l'aide d'un signal de positionnement de haute précision (RTK). « En comparant la trajectoire préenregistrée à celle obtenue en temps réel, la direction et la vitesse du robot sont ajustées. » (détails dans la communication).
Le système est conçu pour permettre « en temps réel, de pulvériser uniquement sur les plantes, après avoir différencié les plantes du sol grâce à un système de composants optoélectroniques ».
Les performances et la robustesse de l'algorithme de navigation ont été testées en utilisant des trajectoires virtuelles et en dégradant le signal GPS avec trois niveaux de bruits (GPS, DGPS et RTK).
Ceci dit, pas d'impatience ! Il s'agit pour l'instant de « résultats simulés ». Certes, ils « démontrent la fiabilité de l'algorithme de guidage », estiment les auteurs, mais eux-mêmes reconnaissent que « des tests en parcelles expérimentales doivent encore être réalisés ».
Et si on demandait aux auxiliaires de manger les graines d'adventices ?
Pourquoi s'en préoccuper
Passons maintenant aux méthodes biologiques : utilisation de prédateurs ou de substances naturelles. Pour l'instant, nous en sommes au stade de la recherche.
Ainsi, un premier état des connaissances sur la prédation des graines adventices par les invertébrés nous a été présenté par l'Inra, UMR1347 Agroécologie de Dijon.
« Mettre en place une gestion agroécologique des parcelles cultivées nécessite de connaître les différents organismes en interaction et l'intensité des services écologiques rendus par cette biodiversité. La prédation de semences d'adventices par les carabidae ( Coleoptera, Adephaga, Carabidae) est un service écologique qui stimule actuellement de nombreuses recherches. La présentation fait un état des connaissances sur les déterminants de cette prédation ainsi que sur les facteurs potentiellement importants pour la renforcer. »
Les phénomènes de prédation semblent importants dans les agrosystèmes, mais le lien entre présence de prédateurs et niveau de prédation réelle reste difficile à appréhender.
Carabes en vedette
Les carabidés sont des prédateurs généralistes bien connus en grandes cultures pour leur rôle d'auxiliaires dans la lutte contre les limaces (Archambeaud, 2004). Mais ils sont aussi capables de consommer des graines d'espèces adventices, ce qui les rend potentiellement intéressants.
« Bien que leur capacité d'ingestion soit limitée, leur action est à prendre en compte dans la dynamique de la flore adventice et les modèles de prédiction démographique. »
Il semblerait que la prédation de graines adventices puisse, dans certains cas, « participer à réguler le stock de semences dans le sol ». Il reste des données à caractériser... Mais les auteurs estiment que « plus de diversité de prédateurs de graines signifie plus d'espèces adventices susceptibles d'être consommées ».
Vu en Allemagne aussi
Sur le même sujet, une publication venue d'au-delà du Rhin (Julius Kühn-Institut, Institute for Crop and Soil Science, Bundesallee 50, 38116 Braunschweig, Allemagne), traite des effets de la gestion des cultures et du travail de déchaumage sur la prédation des graines d'adventices.
La communication fait état d'essais au champ menés en 2008, 2010 et même 2013 dans le nord de l'Allemagne. « La prédation de graines d'adventices a été étudiée pour évaluer l'impact de la culture (blé tendre/colza), de la gestion des cultures (biologique/conventionnel) et du travail du sol (avec et sans déchaumage). L'abondance des prédateurs a été évaluée à l'aide de pièges. »
Au final, « l'espèce la plus abondante dans les pièges fut Pterostichus melanarius. Le piégeage a montré qu'il y avait plus d'individus ainsi que plus d'espèces de carabidés après le déchaumage ».
Après l'Allemagne, partons vers le sud
D'abord en Tunisie, rôle des rhizobactéries
Une présentation de l'Institut national agronomique et de l'Institut national des grandes cultures, El Marja, Jendouba (Tunisie), concerne la suppression des (ou tout au moins l'effet sur les) adventices annuelles par les rhizobactéries dans différents systèmes de cultures. « La fréquence et l'activité des rhizobactéries ont été comparées dans trois systèmes de cultures et une jachère non travaillée au nord de la Tunisie. L'activité phytotoxique des rhizobactéries isolées des adventices a été évaluée sur des plantules de Lactuca sativa puis sur leurs plantes hôtes. »
Les résultats ont montré que le pourcentage de rhizobactéries délétères le plus important est obtenu dans la jachère non travaillée, puis dans la monoculture du blé dur avec travail du sol. Pour les auteurs, « ces résultats pourraient être pris en compte dans la gestion intégrée des adventices ».
Burkina Faso, extraits de plantes testés in vitro contre la striga
Continuons notre voyage en Afrique avec les propriétés allélopathiques de plantes locales contre Striga hermonthica au Burkina Faso. Elles sont le sujet d'une publication commune de l'Institut de l'environnement et de recherches agricoles, de l'Unité de formation et de recherche en sciences de la vie et de la terre, université de Ouagadougou (Burkina Faso), et de l'université Claude-Bernard Lyon I , UMR CNRS 5557 Écologie microbienne à 69622 Villeurbanne.
Striga hermonthica n'est pas une adventice mais une plante parasite, et c'est pire ! En Afrique subsaharienne, c'est l'espèce « la plus répandue et la plus destructrice des cultures céréalières », expliquent les auteurs. Aussi, pour eux, « l'utilisation de dérivés des plantes locales, biodégradables et sans dommage environnemental, serait une alternative à la lutte chimique ».
Ils ont testé in vitro l'effet des extraits de 23 espèces endogènes à induire ou à inhiber la germination des graines de S. hermonthica. Bilan : « Quinze extraits aqueux de 12 espèces ont inhibé la germination des graines de Striga à plus de 70 %. » Cela suggère qu'on pourrait les utiliser sur les cultures en place.
Par ailleurs, « les extraits aqueux de Ceiba pentandra (écorce), d' Eucalyptus camendulensis (feuilles) et Faidherbia albida (écorce) ont significativement induit la germination des graines de Striga avec un taux respectif de 39,2 %, 38,9 % et 57 % ».
C'est intéressant aussi. En effet, si les résultats au champ confirment ce qu'on a vu in vitro (cela reste à vérifier), on pourrait épandre ce type d'extrait sur sol nu en interculture. Cela ferait germer les strigas qui, ne trouvant pas de plantes hôtes à parasiter, n'auraient plus qu'à mourir... Ainsi, « les métabolites produits par certaines espèces locales pourraient avoir un effet potentiel pour être utilisés comme des bio-herbicides contre Striga, et leur utilisation prolongée pourrait contribuer à réduire le stock semencier de Striga dans le sol ».
Des méthodes alternatives qui sont déjà au point
En Guadeloupe, paillage papier en plein champ
Maintenant, petit tour outre-Atlantique, en Guadeloupe, avec une expérience originale et innovante : le contrôle des adventices avec du paillage papier présenté par l'Inra, UR Astro, Domaine Duclos, Prise-d'Eau 97170 Petit-Bourg et l'EPLEFPA Convenance 97122 Baie-Mahault.
« En milieu tropical, la pression exercée par les adventices en terme de compétition et la raréfaction des herbicides homologués sont telles que toutes les cultures nécessitent un recours important au désherbage manuel ou mécanique. (...) Cet article propose une alternative écologique, facile à mettre en place, adaptable à tous types de culture et sans danger : le paillage papier. »
Le procédé est testé et utilisé en Guadeloupe depuis quelques années. « Il commence à faire ses preuves et affiche des résultats plus que satisfaisants dans la lutte contre les mauvaises herbes et le respect de l'environnement, notamment sur cultures d'ignames ».
Retour en métropole, mais en forêt, avec trois techniques au choix
L'Inra Nancy-Lorraine, UMR 1092, LER FoB, ainsi que l'entreprise Concept et Formation C. Becker, à Toul, traitent le thème : comment maîtriser la végétation pour régénérer la forêt ? Quelles alternatives efficaces ? Quelles nouvelles pistes ?
En effet, expliquent les auteurs, « l'utilisation des herbicides régresse régulièrement en forêt française depuis les années 2000 », à cause notamment d'interdictions de produits. Or ces herbicides étaient efficaces à faible coût. Actuellement, « les gestionnaires se trouvent devant un dilemme au moment de la régénération ou de la plantation des forêts : comment intervenir sans herbicides et à moindre coût, face à une végétation herbacée qui concurrence ou empêche la régénération ? »
Il y a certes les techniques de dégagement manuel. Mais « elles coûtent cher et ont un effet limité dans le temps ».
Trois autres méthodes alternatives sont proposées aux forestiers :
– une sylviculture de régénération dynamique,
– une couverture végétale artificielle,
– le désherbage mécanique, mais avec de nouveaux outils montés sur minipelle.
Pour les auteurs, « ces méthodes permettent de maîtriser efficacement et durablement la végétation qui concurrence la régénération des forêts ».
Pour conclure
Même s'il est vrai qu'il reste beaucoup detravail à faire pour mettre au point de nouvelles techniques de désherbage ou d'améliorer des anciennes, on peut affirmer que cette session aura eu le grand mérite de faire émerger ou de clarifier des méthodes alternatives pour protéger les récoltes de la concurrence des herbes indésirables.
Nul doute que dans les prochaines conférences de l'AFPP, de nouvelles communications seront faites sur ce sujet.
Défaner n'est pas désherber... mais la logique est comparable
Le défanage des pommes de terre est le sujet d'une communication d'Arvalis d'Estrées-Mons, dans la Somme, intitulée : « Synthèse pluriannuelle des méthodes de défanage des pommes de terre combinant mécanique et chimique ».
Il s'agit de défaner les pommes de terre, autrement dit : « Procéder à une destruction de la végétation avant sa maturité naturelle afin de fixer la qualité des tubercules présents dans les buttes pour les faire correspondre au mieux au cahier des charges des acheteurs (calibre, teneur en matière sèche...). »
Arvalis a testé pendant quatre ans la combinaison de défanage mécanique et défanage chimique, en plein ou localisé, pour les principaux produits homologués.
Cette association de méthode mécanique et de défanant à dose réduite avait pour but, citons la communication, « dans l'optique du Plan Ecophyto (d'évaluer) les possibilités de réduction de dose de produits phytosanitaires apportés selon la difficulté de destruction du couvert foliaire ».
Bilan : le broyage préalable à l'application du produit permet de supprimer « plus des trois quarts de la végétation » et donc de réduire facilement les doses pour les cultures à couverts foliaires peu vigoureux.
Et celles plus vigoureuses ? « Pour les situations plus difficiles, la localisation permet généralement de réduire l'importance des reprises de végétation. »