Dans une communication à la 22e conférence du Columa en décembre dernier, nous avons présenté quatre campagnes de tests de défanage de la pomme de terre basés sur le traitement chimique à dose pleine ou réduite après broyage. En voici l'essentiel.
Pourquoi tester le défanage combiné ?
Pourquoi le défanage chimique
Le défanage est une étape importante de l'itinéraire technique de la pomme de terre pour de nombreuses raisons : stabilisation de la qualité des tubercules (calibres, teneur en matière sèche), réduction des risques sanitaires (mildiou du tubercule, viroses), facilité d'arrachage de la culture, maturation de l'épiderme des tubercules pour limiter les blessures lors de la récolte.
Le recours au traitement chimique constitue la pratique générale, vu son efficacité, sa praticité et son coût.
Le combiner à d'autres techniques pour diminuer les doses de défanant
Mais aujourd'hui, ce défanage chimique doit faire face à plusieurs contraintes.
D'abord, le choix de spécialités autorisées représente aujourd'hui seulement quatre matières actives :
– diquat (Réglone 2),
– glufosinate ammonium (Basta F1),
– carfentrazone-éthyle (Spotlight Plus),
– pyraflufen-éthyl (Sorcier= Guerrier).
Certes une cinquième substance (acide nonanoïque d'origine végétale, donc de type biocontrôle) attend son autorisation, mais, en même temps, on note des restrictions réglementaires croissantes à l'utilisation de deux des substances actuellement autorisées (diquat et glufosinate-ammonium). Or ce sont celles-là même qui ont l'action visible la plus rapide sur la destruction de la végétation (feuilles, tiges).
Il y a ensuite le souhait du plan Ecophyto de réduire les quantités de produits phytosanitaires appliqués.
Dans ce contexte particulier, Arvalis-Institut du végétal a étudié la performance de techniques combinant broyage mécanique et pulvérisation chimique à doses réduites pour valider une solution satisfaisante répondant aux différents enjeux. Les travaux ont été réalisés dans le cadre d'une expérimentation pluriannuelle sur des couverts foliaires plus ou moins difficiles à détruire.
Quatre ans d'étude en Picardie
Un « timing » similaire
L'efficacité de destruction de la végétation de méthodes combinées mécanique + chimique a été étudiée de 2009 à 2012 sur le centre d'expérimentation Nord-Picardie d'Arvalis-Institut du végétal situé à Villers-Saint-Christophe, dans l'Aisne.
Chaque année, une expérimentation similaire est mise en place entre fin juillet et mi-août comparant ces méthodes sur différentes variétés. Celles-ci sont toutes défanées à la même date d'intervention. Celle-ci est plus ou moins précoce par rapport à leur cycle, de façon à disposer de couverts foliaires plus ou moins vigoureux et susceptibles d'entraîner ou non des reprises de végétation après défanage.
Parcelles et répétitions
Les expérimentations sont menées sur des parcelles selon un dispositif randomisé à trois ou quatre répétitions pour les conditions expérimentales le permettant facilement (témoins et traitements réalisés au pulvérisateur expérimental).
Pour les conditions expérimentales utilisant des matériels de type agricole, les interventions sont réalisées sur des parcelles discontinues placées dans le prolongement les unes des autres pour les conditions identiques. Cela permet de disposer de répétitions indépendantes malgré les contraintes de mise en œuvre des équipements. Les « bandes » de traitements avec équipement de type agricole sont également randomisées.
Les parcelles expérimentales sont constituées de quatre rangs de 10 m de longueur, composés de deux fois deux rangs contigus de chaque variété.
Variétés de pomme de terre utilisées
Chaque année, le défanage est réalisé à date identique pour au moins deux variétés, choisies de précocités différentes de façon à présenter ainsi plus ou moins de facilité au défanage (Tableau 1).
Matériel de broyage mécanique mis en œuvre
Le broyage des fanes est réalisé à l'aide d'un broyeur de fanes adapté à la culture de pommes de terre travaillant en simultané sur quatre rangs. Il dispose de fléaux de différentes longueurs, adaptés à la configuration des buttes, et de déflecteurs dans le coffrage de l'appareil. Ces derniers assurent la localisation des résidus dans les entre-buttes en laissant dégagées les fanes résiduelles pour recevoir le traitement chimique.
L'attache frontale du broyeur sur le tracteur (photo) permet d'éviter l'écrasement des fanes par les roues pour disposer d'un broyage plus homogène sur la parcelle à une vitesse d'intervention d'environ 5 km/h.
Trois produits testés
L'expérimentation est menée avec les principaux produits homologués pour le défanage des pommes de terre : Basta F1, Spotlight, Réglone 2 (le Sorcier a été lancé en 2013).
Les produits ont été appliqués seuls ou en mélange en 2009 car leur association était encore autorisée, puis seuls. Les doses appliquées correspondent à la dose pleine (dose N) et la dose réduite de moitié (N/2).
Les conditions expérimentales correspondant aux doses N sont listées dans le Tableau 2.
Matériels d'application comparés
Nous avons comparé trois techniques d'application de défanants, le tout aux mêmes doses/ha de produit mais avec différents volumes de bouillie appliquée (Tableau 2). La première était l'application localisée sur le rang avec buses à fente. Un pulvérisateur Chafer, distribué par Grimme UK, porté à l'arrière du tracteur, travaille sur quatre rangs en simultané. Il dispose de cloches de traitement équipées de buses à fente permettant de localiser la pulvérisation sur le rang. Les roues tasse-butte dont est équipé l'appareil ne sont pas mises en œuvre pour l'essai.
Le choix des buses ou de la vitesse d'avancement a permis de réaliser les traitements à des volumes de bouillie de 75, 100, 150 et 200 l/ha.
Les deux autres techniques d'application étaient une pulvérisation en plein, soit à bas volume soit avec les volumes couramment appliqués par les agriculteurs.
Pour la pulvérisation centrifuge bas volume, un pulvérisateur Loof-Does mis à disposition par la société Agricult et distribué par les Ets Cadart est composé d'un caisson de traitement travaillant sur quatre rangs. Il est porté à l'arrière du tracteur. Il dispose de quatre buses centrifuges alimentées depuis la cuve grâce à une pompe péristaltique permettant de traiter à très bas volume (35 l/ha).
Enfin, un pulvérisateur d'expérimentation Pulvélec a permis de disposer d'une condition expérimentale reproduisant une application habituellement réalisée par l'agriculteur en plein sur les parcelles à un volume de bouillie de 200 ou 300 l/ha.
Notations effectuées
L'efficacité de destruction de la végétation est évaluée en notant séparément la destruction des feuilles et des tiges pour :
– le broyage mécanique tout d'abord, à J+1 (le lendemain du broyage) ;
– l'efficacité de destruction liée à l'application des produits phytosanitaires sur ces deux compartiments de la végétation par plusieurs notations successives au cours des 3 semaines suivant le traitement.
Le pourcentage de tiges présentant des reprises de végétation est dénombré 15 jours et 21 jours après l'application.
Résultats généraux
Rôle des conditions climatiques après l'intervention
L'efficacité de destruction de la végétation est liée à la qualité d'application et au mode d'action des produits.
Les conditions météorologiques qui suivent l'application des produits peuvent aussi influer sur le résultat final de l'année (figures non montrées, disponibles dans la communication AFPP, voir « Pour en savoir plus », p. 31).
Les écarts entre années restent globalement modérés. Toutefois, 2010 montre des températures moyennes assez stables, généralement plus fraîches, notamment, comparativement à 2012, année par ailleurs la plus sèche des quatre sur les deux semaines suivant l'intervention.
Le broyage stoppe efficacement la végétation, mais ne l'empêche pas de redémarrer
La mise en œuvre du broyage mécanique conduit à une destruction instantanée d'un pourcentage élevé des tiges et feuilles présentes au moment de l'intervention, même s'il est conseillé de maintenir au minimum une longueur de tiges résiduelles d'une vingtaine de centimètres, au moins en sommet de butte pour faciliter leur élimination par les organes effaneurs de l'arracheuse.
Les observations réalisées (Tableau 3) montrent une élimination en général d'environ 90 % des feuilles et d'au moins 75 à 80 % des tiges. Ceci contribue à un arrêt rapide du grossissement des tubercules.
Par contre ce broyage mécanique seul ne suffit pas pour empêcher le redémarrage de la végétation. Un complément chimique s'impose donc pour parvenir à une destruction complète des fanes.
Effet des techniques d'application du traitement
Les différentes techniques d'application sont comparées les unes aux autres par le rapport d'efficacité observé, d'une part dans la destruction du feuillage, d'autre part sur les reprises de végétation.
Effet de la localisation du traitement sur l'efficacité
En ce qui concerne la destruction du feuillage, et ceci tant en situation de défanage facile qu'en situation plus difficile, la localisation du traitement n'apporte pas de bénéfice pour le glufosinate ammonium.
En revanche, un bénéfice de la localisation est observé les premiers jours suivant le traitement avec le diquat. Mais ce bénéfice disparaît en moyenne 8 jours après traitement pour l'efficacité sur feuilles, et après 14 jours pour les tiges. Pour la carfentrazone éthyl, l'effet favorable de la localisation est observé en défanage facile (variétés « faciles ») mais pas en situation difficile.
Effet de la localisation sur les reprises de végétation
Un effet positif de la localisation est généralement noté vis-à-vis des reprises de végétation et plus particulièrement en situation difficile et avec le glufosinate (Figure 1).
Les observations montrent par ailleurs que la réduction du volume de bouillie dans les traitements localisés (75 l/ha par rapport à 150 l/ha) n'influe que peu sur l'efficacité finale de défanage.
Effet de la pulvérisation centrifuge bas volume
Les années durant lesquelles la pulvérisation centrifuge à 35 l/ha a été introduite dans l'étude (2011 et 2012), on a observé des résultats améliorés sur toutes les situations pour cette technique d'application, en dehors du diquat et de la carfentrazone éthyl appliqués à demi-dose (Figure 2, p. 28).
De fait, pour l'ensemble des situations, les résultats de cette pulvérisation centrifuge restent toujours supérieurs ou égaux à ceux du traitement localisé sur le rang.
Effets de la réduction de dose et conditions pour l'accepter
À demi-dose, l'effet est en général moins rapide
Les résultats obtenus à demi-dose sont comparés à ceux obtenus à la dose pleine pour les différents types de traitement et sur les différents critères de destruction de la végétation. Le travail a été réalisé en situations de défanage facile ou difficile (Figures 3 à 6). Ceci toujours après broyage.
Dans la grande majorité des cas, on constate une efficacité moindre de la demi-dose dans les premiers jours suivants l'application.
Les écarts sont nettement plus importants en ce qui concerne la destruction des tiges (Figures 4 et 6) que pour celle des feuilles (Figures 3 et 5).
Huit jours après traitement, la destruction des feuilles est le plus souvent satisfaisante
Toutefois, en ce qui concerne la destruction des feuilles, tant en situation de défanage facile (Figure 3) qu'en situation de défanage difficile (Figure 5), seuls subsistent de minimes écarts de quelques pour-cent d'efficacité 8 jours après le traitement.
Ils se réduisent encore après 14 jours mais n'intègrent pas les reprises de végétation...
Destruction des tiges, différences entre produits et techniques
En ce qui concerne la destruction des tiges, on observe un effet plus marqué du produit appliqué ainsi que de la technique mise en œuvre, a fortiori en situation de défanage difficile.
En situation de défanage facile (Figure 4), toutes les conditions se regroupent toutefois déjà fortement 14 jours après traitement pour parvenir à 99/100 % d'efficacité après trois semaines.
En situation de défanage difficile (Figure 6), la réduction de dose affecte plus fortement la destruction des tiges. Cet effet préjudiciable est plus marqué avec le diquat.
Globalement la dispersion des efficacités sur tiges est encore grande après 14 jours. Il faut rappeler que l'efficacité reste généralement non satisfaisante 3 semaines après l'intervention dans cette situation.
Cette insuffisance sur tiges en situation difficile existe même à pleine dose. L'importance de la reprise de végétation observée sur ces variétés le traduit : la modalité la plus efficace laisse quand même un taux de reprise de 20 % au bout de 21 jours.
Qu'en dire, en pratique ?
On peut en tirer des enseignements :
– La modalité la plus efficace à pleine dose contre les reprises sur variétés difficiles, à savoir l'apport de glufosinate en localisé (Figure 1), voit son efficacité sur feuilles (Figure 5) et sur tiges (Figure 6) quasi maintenue pour l'application à demi-dose à l'aide du Loof-Does d'Agricult en pulvérisation centrifuge à bas volume. En revanche, elle diminue pour les autres modes d'application.
– Pour l'application de carfentrazone en localisé, il n'y a guère d'effet dose avec la pulvérisation centrifuge (Figure 6)... Mais attention, l'efficacité globale reste de toute façon insuffisante sur ces situations difficiles !
– L'application unique de diquat est toujours insuffisante dans ces situations.
Pas de problème de coloration de l'anneau vasculaire
Aucun problème particulier de coloration de l'anneau vasculaire n'a été observé durant le déroulement de l'expérimentation. Et ceci quels que soient la variété de pomme de terre, la technique d'application ou le produit utilisé.
Conclusion
Efficacité, la combinaison mécanique-chimique est souvent intéressante
Dans les conditions de nos expérimentations, la combinaison mécanique + chimique constitue le plus souvent une technique intéressante pour parvenir en un seul passage à une destruction rapide de la végétation.
De plus, et toujours dans ces conditions, la réduction des doses de produits phytosanitaires appliqués est possible lorsque la vigueur de redémarrage de la végétation n'est pas trop importante.
À noter toutefois : il est désormais impossible de mélanger le diquat à la carfentrazone-éthyle. Or le diquat utilisé seul ne peut parvenir à un résultat satisfaisant en situation difficile avec une seule application, et ceci même à pleine dose.
Praticité, les moyens et les contraintes
Pour réaliser ce type d'intervention combinée, le producteur bénéficie aujourd'hui du développement d'équipements spécifiques qui permettent d'optimiser ces interventions :
– broyeurs de grande largeur,
– pulvérisateur intégré permettant de travailler en plein ou en localisé à faible volume de bouillie,
– roule-buttes intégré.
Les principales contraintes à la généralisation de cette pratique restent :
– le coût élevé des équipements spécifiques nécessaires,
– un débit de chantier réduit par rapport à un pulvérisateur de plusieurs dizaines de mètres d'envergure,
– des interventions rendues délicates si de fortes précipitations surviennent au moment du défanage.
Fig. 1 : Localiser l'application du défanant améliore l'effet contre les reprises
Effet de la localisation à dose pleine sur les reprises de végétation au bout de 21 jours. (Br. = broyage).
Fig. 2 : Application du défanant, l'effet de la technique de pulvérisation
Efficacité comparative de la pulvérisation centrifuge bas volume (Loof-Does d'Agricult, 35 l/ha) par rapport à la pulvérisation localisée avec buses à fente (Chafer, 75 l/ ha). Résultats sur tiges en situation difficile (variété Markies).
N. B. : Basta est à base de glufosinate, Spotlight de carfentrazone-éthyle et Réglone de diquat.
Fig. 5 : Sur feuilles en condition « difficile », la demi-dose peut détruire les premières feuilles, mais attention aux reprises !
Le Point de vue de
REMERCIEMENTS
Arvalis-Institut du végétal remercie tout particulièrement les équipementiers ayant mis à disposition les différents matériels de type agricole utilisés lors des expérimentations successives : la société Grimme pour le broyeur et le pulvérisateur Chafer, la société Agricult et son distributeur, les Ets Cadart pour le matériel Loof-Does, le concessionnaire Agrisanterre pour l'équipement de traction équipé d'un attelage et prise de force avant.