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Protection intégrée au champ : Quand l'Inra Dijon-Époisses et Dephy-Ferme se complètent

NICOLAS MUNIER-JOLAIN*, AXEL OLIVIER**, PHILIPPE TRESCH***, NICOLAS CHARTIER ***, PASCALINE PIERSON** **, BABACAR DIOP** *** ET PASCAL FARCY*** *** - Phytoma - n°670 - janvier 2014 - page 39

Pour explorer des systèmes de culture à faible usage de pesticides, les « expérimentations système » et les réseaux de fermes sont complémentaires.
Paysage du Loiret.      Noter le pois au premier plan : on retrouve l'introduction de légumineuses au sein de la rotation dans l'« expérimentation système » de Dijon et dans le réseau Dephy. Photo : M.-F. Delannoy 2013

Paysage du Loiret. Noter le pois au premier plan : on retrouve l'introduction de légumineuses au sein de la rotation dans l'« expérimentation système » de Dijon et dans le réseau Dephy. Photo : M.-F. Delannoy 2013

Herse-étrille. C'est un des outils de désherbage mécanique utilisés dans l'« expérimentation système » (sauf en système S3, qui « mime » une exploitation non équipée).  Photo : Inra

Herse-étrille. C'est un des outils de désherbage mécanique utilisés dans l'« expérimentation système » (sauf en système S3, qui « mime » une exploitation non équipée). Photo : Inra

Cet article, issu d'une communication à la 22e conférence du Columa de l'AFPP, illustre la complémentarité de deux approches pour produire des connaissances sur les systèmes de culture à faible usage de pesticides : l'« expérimentation système » et l'analyse de réseaux d'exploitations agricoles. Pour cela, nous présentons les méthodes et résultats :

– d'une part d'une expérimentation pluriannuelle conduite à l'Inra de Dijon-Époisses,

– d'autre part du réseau Dephy-Ferme mis en place dans le cadre du plan Ecophyto.

Chercheurs et agriculteurs, les approches possibles

Évolutions nécessaires face à des exigences à concilier…

En effet, l'agriculture française doit satisfaire à des exigences dont certaines risquent d'être antagonistes. Il faut faire de la production agricole de qualité en quantité, assurer le revenu de la profession, limiter la dépendance aux pesticides, réduire la pollution des eaux, favoriser la biodiversité et l'utiliser contre les bioagresseurs des cultures, améliorer le bilan énergétique, limiter les émissions de gaz à effets de serre voire contribuer au stockage du carbone…

… Dont la réduction d'usage des pesticides

Il y a des pressions fortes pour réduire l'usage des pesticides. Les agriculteurs, l'encadrement technique et la recherche sont mobilisés pour concevoir des systèmes agricoles innovants et les évaluer sur une base multicritère pour intégrer la diversité des enjeux.

Sur le plan agronomique, les pistes sont diverses et les systèmes imaginés peuvent être très contrastés. Les systèmes innovants peuvent résulter de combinaisons variées de stratégies, selon la grille d'analyse ESR proposée par Hill et MacRae, 1995 :

– efficience optimisée des techniques culturales,

– substitution de techniques par d'autres alternatives,

– redéfinition en profondeur des systèmes agricoles.

Dispositifs « expérimentation système », des particularités

L'adoption de systèmes de culture à faible usage de pesticides n'est possible que si cela préserve la performance économique et n'induit pas trop d'inconvénients pour les agriculteurs. De plus, il faut vérifier qu'il n'y a pas de nuisance environnementale et évaluer l'impact potentiel sur les filières et marchés agricoles. Des dispositifs expérimentaux ont été mis en place pour évaluer de tels systèmes de culture. Ils sont conçus selon une méthodologie qui tranche avec les dispositifs habituels : l'« expérimentation système ».

L'objet d'étude est le système de culture : un ensemble de techniques culturales combinées de façon cohérente pour atteindre les objectifs fixés (ex. : maîtriser les bioagresseurs avec peu de pesticides). Les « traitements expérimentaux » sont des systèmes de culture qui diffèrent entre eux par plusieurs modalités techniques.

On n'évalue donc pas les effets d'une technique culturale « toutes choses étant égales par ailleurs » comme dans l'expérimentation factorielle classique. L'« expérimentation système » permet d'évaluer les performances de systèmes cohérents, non contraints par la règle du « toutes choses égales… » mais considérés dans leur globalité. Par ailleurs, elle permet d'intégrer des temps longs, des séquences pluriannuelles. Elle peut donc rendre compte de processus cumulatifs (ex. : l'évolution des adventices).

En revanche, elle est lourde à conduire et difficile à répéter. Ses résultats posent un problème de généricité : auraient-ils été les mêmes sur un autre site, dans une autre région, dans d'autres conditions ?

Réseaux d'exploitations, augmenter la « généricité »

Ces expérimentations sont très complémentaires de l'analyse de réseaux de systèmes de culture pratiqués dans des exploitations agricoles. Cette analyse permet de valoriser la grande diversité des pratiques pour augmenter la généricité des connaissances.

Mais la diversité des situations de production (contextes pédo-climatique, socio-économique…) au sein d'un réseau peut compliquer l'analyse (ex. : comment comparer des rendements sur des sols à potentiels agronomiques contrastés ?) Elle exige des développements méthodologiques spécifiques.

Chercheurs, le dispositif de Dijon-Époisses

Démarrage en 2000

L'« expérimentation systèmes » de Dijon-Époisses a été mise en place sur le domaine expérimental Inra en 2000. L'objectif était d'évaluer les possibilités de réduire la dépendance de systèmes de culture aux herbicides en valorisant les principes de protection intégrée contre la flore adventice.

Cinq systèmes comparés, spécificités de chacun

Cinq systèmes de culture ont été définis. Le système S1 est la référence locale : rotation colza-blé-orge d'hiver, labour annuel, herbicides choisis selon leur efficacité attendue, leur prix et la flore présente.

Les quatre autres systèmes relèvent de la protection intégrée contre la flore adventice visant à réduire la dépendance aux herbicides, mais avec des stratégies différentes.

– Système S2 : de 2000 à 2006, techniques culturales simplifiées (TCS) avec travail du sol superficiel fréquent pour effet faux semis ; à partir de 2007, semis direct sous couvert sans travail du sol si possible.

– Système S3 : protection intégrée sans contrainte sur le travail du sol mais sans désherbage mécanique (comme une ferme pas équipée pour ce désherbage).

– Système S4 : « protection intégrée type », intégrant tous les leviers de gestion de la flore adventice : désherbage mécanique et, en dernier recours, désherbage chimique.

– Système S5 : sans herbicide, tous les leviers de gestion de la flore sont alternatifs.

Pour les quatre systèmes en protection intégrée, des points communs

Les quatre systèmes S2, S3, S4 et S5 reposent sur une combinaison cohérente de leviers de gestion :

– rotation diversifiée sur 6 ans avec colza, céréales d'hiver, cultures de printemps (orge, féverole…) et d'été (maïs, soja, tournesol, sorgho) pour diversifier les dates de semis et réduire, pour chaque espèce adventice, le renouvellement du stock semencier par production de semences ;

– travail du sol raisonné pour gérer le stock semencier avec labour environ un an sur deux (sauf S2) et faux semis répétés (sauf S2 depuis 2007) ;

– retard des semis des céréales d'hiver pour esquiver les périodes de levée des adventices d'automne ;

– fertilisation réduite des céréales (convient au semis tardif, limite le développement d'adventices nitrophiles) ;

– choix de variétés compétitives vis-à-vis des adventices et peu sensibles aux maladies, semées à forte densité et faible interrang pour intensifier la compétition sur les adventices ;

– désherbage mécanique : binage, herse-étrille, houe rotative (sauf S2 et S3) ;

– désherbage chimique en dernier recours (sauf S5).

La succession culturale a été ajustée selon les contraintes des systèmes et l'état des parcelles. Ainsi, les parcelles S5 (sans herbicide) ayant été infestées de chardon des champs, la luzerne a été introduite pour ses fauches successives (Meiss et al., 2010).

Pour les systèmes S2, S3 et S4, les traitements herbicides sont décidés en tenant compte de la flore observée dans la culture en place, du risque pour les cultures suivantes, de l'efficacité et du profil écotoxicologique des herbicides candidats.

Deux fois 2 ha par système, notations effectuées

Deux îlots (A et D) comprennent chacun cinq parcelles élémentaires d'environ 2 ha. Cela permet de tester des variantes de certaines règles de décision pour lesquelles on manquait d'informations (ex. : aptitude à la concurrence de différentes variétés). La taille des parcelles permet aussi de suivre la dynamique spatio-temporelle des infestations. Le sol, à forte teneur en argile (35-45 % d'argile), est profond d'environ 90 cm sur l'îlot A et 60 cm sur le D.

L'évolution de la flore adventice est évaluée avec quatre méthodes complémentaires :

– comptages de densité sur quadrats plusieurs fois par an, si possible au minimum avant la première intervention de désherbage et après la dernière intervention ;

– notations qualitatives d'abondance géoréférencées ;

– mesures de la biomasse relative des adventices et de la culture à la fermeture du couvert ou au début de la floraison de la culture ;

– estimations du stock semencier sur 30 cm de profondeur (six fois en dix ans).

Par ailleurs, on évalue les performances environnementales (émission de gaz à effets de serre, eutrophisation, impact des résidus de pesticides…), économiques (productivité, rentabilité) et sociales (temps de travail, son organisation).

Agriculteurs, le réseau « Dephy-Ferme »

Lancé en 2010, six filières

Le réseau Dephy-Ferme, initié dans le cadre du plan Ecophyto, a été constitué progressivement : 180 agriculteurs entrés en 2010, environ 1 000 en 2011 et 700 en 2012, soit près de 1 900 agriculteurs volontaires.

Six filières sont représentées : grandes cultures et polyculture- élevage, arboriculture, viticulture, horticulture, cultures légumières, cultures tropicales.

Le réseau est structuré en groupes d'une dizaine de fermes, chacun animé par un ingénieur réseau qui accompagne les agriculteurs, communique localement sur les systèmes économes en pesticides et contribue à produire des références. Pour cela, il caractérise les systèmes de culture (données factuelles des techniques culturales, description des stratégies de pilotage des systèmes et des règles de décision) de façon standardisée.

Deux facettes pour un objectif

Les objectifs du réseau sont de démontrer qu'on peut réduire l'usage de pesticides dans les systèmes agricoles français, de repérer les situations dans lesquelles la réduction est la plus facile, et d'identifier les stratégies permettant d'atteindre cet objectif. Il y a deux facettes distinctes et complémentaires :

– Les fermes sont très diverses à l'entrée dans le réseau : certaines consomment déjà très peu de pesticides et d'autres présentent des niveaux initiaux d'usage conformes à la moyenne, voire supérieurs, mais s'engagent dans un projet de réduction. L'analyse de cette diversité initiale doit permettre de repérer les systèmes à la fois économes en pesticides et performants sur le plan économique, démontrant par leur existence même qu'on peut produire avec peu de pesticides.

– Le suivi des trajectoires sur plusieurs années doit permettre de démontrer que des changements de pratiques sont possibles, y compris chez des agriculteurs initialement fortement consommateurs.

Repérage des SCEP, attention à la « situation de production »

Le repérage des « SCEP » (systèmes de culture économes en pesticides et performants au plan économique) semble simple. On quantifie le niveau d'usage de pesticides avec l'indicateur de fréquence de traitement (IFT) (Gravesen, 2003) et la rentabilité économique avec la marge semi-nette (produit brut – charges opérationnelles et de mécanisation). Mais en fait, il y a une difficulté méthodologique.

En effet, le niveau d'usage de pesticides et la rentabilité économique dépendent, tous deux, certes de la stratégie agronomique de l'agriculteur mais aussi de la situation de production : environnements pédoclimatique, biotique (pression de bioagresseurs), sociotechnique (structure de l'exploitation, contexte agroindustriel…).

Il faut distinguer les effets des stratégies agronomiques de ceux des situations de production pour identifier les systèmes économes et performants, non pas dans l'absolu mais en tenant compte des contraintes locales.

Pour identifier l'effet des stratégies agronomiques sur l'usage de pesticides, on exprime les IFT en relatif par rapport à une référence régionale, définie par filière à partir :

– d'enquêtes sur les pratiques culturales dans la région pour les cultures principales,

– de l'assolement régional.

Cet IFT de référence régional rend compte des différences interrégionales de nature des productions et de pressions biotiques.

Il a fallu constituer un référentiel interne

Sur le plan économique, aucun référentiel national n'était disponible. Un référentiel interne de marge semi-nette (en euros/ ha/an) a donc été constitué sur la base des données du réseau, intégrant le concept de situation de production. La performance économique de chaque système est ainsi évaluée au regard de celles des systèmes à situation de production similaire.

La situation de production est définie avec les informations facilement disponibles. Pour la filière « grandes cultures et polyculture-élevage », il y a cinq critères :

– potentiel pédoclimatique (rendement potentiel),

– classement ou non en agriculture biologique (AB),

– accès ou non à des productions à forte valeur ajoutée (betterave sucrière, pomme de terre…),

– accès ou non à l'irrigation,

– association ou non à l'élevage (cultures fourragères, autoconsommation).

Résultats du dispositif de Dijon-Époisses

Usage d'herbicides et autres pesticides

En moyenne sur 12 ans, l'IFT-herbicide (glyphosate compris) pour le système de référence (SI) s'élève à 2,06, soit un peu plus que celui de la Côte-d'Or (1,8). En effet, l'expérimentation n'a pas exploré de stratégie de réduction de dose pratiquée par certains agriculteurs bourguignons(1).

Par rapport à cette référence, l'IFT-herbicide a été réduit respectivement de 36 % en système S2 sur la période TCS (2001-2006), de 48 % en système S3 (sans désherbage mécanique), de 65 % en S4 (protection intégrée type) et bien sûr de 100 % en S5.

Cette réduction d'IFT n'est pas liée à une réduction de doses mais à :

– l'abandon (sauf en S2) des herbicides antigraminées suite à la régression du vulpin,

– la baisse de la fréquence des traitements dans certaines cultures. Ainsi, la majorité des colzas des systèmes S3 et S4 ont été conduits sans herbicide : désherbage mécanique (S4) ou couvert de lentille semé en association (S3) pour étouffer les adventices. Attention : ce n'est possible que grâce aux autres adaptations du système (rotation, faux semis) !

En revanche, la réduction d'herbicide n'a pas été possible dans le système S2 en semis direct (après 2007) : IFT-herbicide moyen de 2,08, la moitié pour du glyphosate.

Les stratégies de protection intégrée contre la flore adventice ont permis de réduire l'ensemble des pesticides par rapport au système de référence (IFT moyen de S1 : 6,0) : réduction de respectivement 51 % pour S2-TCS, 22 % pour S2-semis direct, 57 % pour S3 et S4, et 80 % pour S5.

Évolution de la flore adventice

La flore adventice est globalement bien maîtrisée dans la durée sur l'ensemble du dispositif.

Le stock semencier (Figure 1) et la densité d'adventices levées ne tendent pas à augmenter au cours du temps. La biomasse relative des adventices ne dépasse qu'exceptionnellement 1-2 % de celle du couvert végétal : les pertes de rendement dues à la concurrence des adventices sont négligeables.

Une infestation croissante de chardon des champs, vulpin et gaillet grateron sur une parcelle du système S5 sans herbicide (îlot D) a été efficacement réprimée par trois années de luzerne. Il y a quand même des difficultés :

– l'autre parcelle du système S5 (îlot A) reste infestée de chardon et gaillet après implantation de luzerne (mais depuis un an seulement),

– la situation tend à se dégrader en système S2 depuis le passage en semis direct sous couvert, les dits couverts s'étant révélés peu efficaces dans nos conditions expérimentales (prédation des limaces et rongeurs),

– une parcelle du système S3 a été très infestée en 2012 (culture chétive en sortie d'hiver) puis 2013 (année difficile pour les herbicides).

Globalement, on observe une évolution de la flore adventice :

– disparition (sauf en S2 semis direct sous couvert) des graminées hivernales très sensibles à la protection intégrée vu la faible persistance de leurs semences dans le sol,

– développement d'espèces moins sensibles à la diversification des rotations, à la compétition du couvert cultivé, au désherbage mécanique, comme le gaillet grateron et le chardon des champs.

Impact environnemental

Pour comparer l'impact environnemental des systèmes testés, une analyse de cycle de vie a été réalisée avec la méthode suisse SALCA sur la période 2001-2006 (Deytieux et al., 2012).

Elle révèle que les systèmes de protection intégrée testés tendent à réduire la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre par hectare, par rapport au système de référence S1. Ceci est dû surtout à la baisse de fertilisation azotée (très énergivore) liée à l'introduction de légumineuses (féverole, soja, lupin) dans les rotations et aux objectifs de rendement réduits des céréales après semis tardifs. La contribution des émissions au champ à l'eutrophisation des milieux est réduite pour les mêmes raisons.

L'impact en terme d'écotoxicité aquatique, estimé avec la méthode CML (Guinée et al., 2001), est très fortement réduit.

Si ces impacts sont exprimés par unité de production agricole ou par unité de revenu agricole généré, la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre diffèrent peu entre systèmes ; en revanche, le bénéfice en terme d'écotoxicité aquatique reste très important en systèmes de protection intégrée.

Faisabilité et organisation du travail

Des simulations de l'organisation du travail ont été réalisées avec l'outil Equip'Agro, pour des exploitations fictives (130 ha, 1 UTH) pratiquant les systèmes de culture testés (Pardo et al., 2010). Il en ressort que le temps de travail total augmenterait de 0,4 h/ha/an (56 h/an, +8 %) en système S4 (protection intégrée type) vu le temps consacré aux faux semis et au désherbage mécanique, mais serait mieux distribué dans l'année grâce à la diversification de l'assolement.

En confrontant le temps requis avec le nombre de jours disponibles par période vu les conditions pédo-climatiques de la plaine de Dijon, on note que les travaux additionnels de désherbage mécanique et de faux semis s'organisent du printemps à l'automne en périodes de temps disponible et conditions climatiques favorables. En revanche, le retard du semis des céréales, utile pour l'esquive des levées d'automne, peut créer des difficultés en année difficile (peu de jours disponibles après mi-octobre).

Productivité et marge brute

Le produit brut estimé pour un scénario de prix moyen sur la dernière décennie est en moyenne de 1 077 euros par ha et par an pour le système S1 de référence. Il tend à baisser en systèmes de protection intégrée (Figure 2), en moyenne de 19 %, pour deux raisons :

– rendements du blé plus faibles (dates de semis tardives, choix variétal fondé sur des critères autres que la productivité, baisse de la fertilisation azotée) ;

– rendements des cultures de printemps et été en général plus faibles que ceux des céréales d'hiver, non compensés par le prix de vente.

Rentabilité par la marge semi-nette

La marge semi-nette des systèmes de culture testés sur 12 ans (2001-2012) a été calculée pour 10 scénarios de prix représentant la volatilité des prix des produits agricoles, des engrais et de l'énergie de la décennie passée. Bilan : le classement de la performance économique des systèmes dépend beaucoup du scénario de prix.

Cela dit, certains systèmes en protection intégrée (ex. : S3 et S2 avec semis direct sous couvert mal maîtrisé) sont quasi systématiquement moins performants que le système S1 de référence : les baisses de charges ne compensent pas celles de productivité. En revanche, les systèmes S4 et S5 sont aussi performants que le système de référence voire légèrement supérieurs pour 7 scénarios sur 10, et bien moins performants pour les 3 autres scénarios (prix très élevés favorisant les systèmes très productifs).

Résultats du réseau Dephy-Ferme

Classement des systèmes au démarrage du plan

Nous présentons ici les résultats du repérage des systèmes de culture économes en pesticides et performants sur le plan économique (SCEP) pour un sous-échantillon de 728 systèmes du réseau Dephy grandes cultures et polyculture-élevage.

Les systèmes ont été répartis dans 64 situations de production. Elles ont des marges semi-nettes très différentes, de celles sans élevage avec betteraves ou pomme de terre en très bons potentiels (médianes de 1 600 à 2 643 euros/ha) à celles avec cultures fourragères en petits potentiels (médianes de 260 à 495 euros/ha).

La Figure 3 montre la répartition des systèmes en fonction de leur IFT et de leur marge semi-nette relativement à leur situation de production. On observe une très grande variabilité de niveau de dépendance aux pesticides. 63 % des systèmes ont des IFT inférieurs à l'IFT de référence régionale correspondant. On ne voit aucune corrélation entre niveau d'usage de pesticide et performance économique.

Repérage des SCEP de deux niveaux

Les systèmes de culture économes et performants (SCEP) sont situés dans le haut à gauche du graphique. On définit arbitrairement deux niveaux :

– les SCEP I, systèmes les plus vertueux, avec un IFT inférieur à 50 % de la référence régionale et une marge dans le premier quartile de la situation de production correspondante ;

– les SCEP II avec IFT inférieur à70 % de la référence régionale et marge supérieure à la médiane de la situation de production, mais qui n'atteignent pas le niveau des SCEP I.

Le repérage sur ce sous-échantillon permet d'identifier 39 systèmes de culture en SCEP I (5 % de l'échantillon) et 92 en SCEP II (13 %), soit 131 SCEP au total.

Certains systèmes en bas à gauche du graphique (IFT et marge faibles) pourraient être classés performants si la marge n'est pas un indicateur pertinent (ex. : en polyculture-élevage si l'objectif est l'autonomie fourragère du troupeau, atelier prioritaire de l'exploitation).

Diversité des stratégies des SCEP

Enfin, il faut souligner la diversité des stratégies agronomiques permettant de concilier économie en pesticides et performances économiques : de nombreux SCEP sont associés à l'élevage avec prairies temporaires, mais on en trouve aussi à base de céréales et maïs plus ou moins diversifiés, ou de betterave sucrière, ou de céréales, colza et tournesol, voire même en monoculture de maïs ! La répartition des SCEP dépend des situations de production. Certaines semblent plus favorables pour concilier faible IFT et bonne performance économique.

Ainsi, on retrouve en SCEP 50 % des systèmes en AB par construction(2), mais aussi 32 % des systèmes avec prairies temporaires et artificielles, contre seulement 4 % des systèmes avec cultures industrielles et 13 % des systèmes en fort potentiel.

62 % des systèmes devront réduire leur usage de pesticides pour pouvoir être classés comme économes en pesticides (moins de 70 % de l'IFT régional).

Complémentarité d'approches

Expérimentation système, montrer l'efficacité, dénicher des questions, mais quelle généricité ?

Les deux exemples présentés ici illustrent la complémentarité entre l'approche expérimentale et l'analyse des systèmes de culture diversifiés organisés en réseaux, pour la production de connaissances sur les systèmes de culture à faible usage de pesticides.

L'« expérimentation système » permet d'explorer des systèmes de culture en forte rupture dans un environnement donné (ici la plaine de Dijon) et de caractériser finement l'impact des pratiques sur le niveau de maîtrise des bioagresseurs (ici la flore adventice à long terme). C'est un outil précieux pour montrer l'efficacité technique de la combinaison de leviers alternatifs, chacun partiellement efficace.

Elle permet aussi de dénicher des questions à aborder par la recherche.

Ainsi, dans le contexte bourguignon dominé par les cultures d'hiver, la protection intégrée a permis de réduire la dépendance aux pesticides mais a fait baisser la productivité par l'introduction des cultures de printemps et les semis tardifs de céréales. Ces deux mesures réduisent la durée des cycles culturaux donc le potentiel de production de biomasse. Le défi pour la recherche sera d'explorer des systèmes permettant de concilier perturbation du cycle biologique des adventices et maximisation de l'interception du rayonnement solaire avec sa valorisation en biomasse récoltée.

Par ailleurs, la généricité des résultats des « expérimentations système » peut être mise en question. La mauvaise performance économique du système S3 n'est-elle pas liée à des choix spécifiques de succession culturale ? Aurait-on pu éviter les difficultés du semis direct sous couvert (S2 à partir de 2007) avec d'autres choix techniques ou d'autres conditions pédo-climatiques ?

Réseau, analyser le rapport stratégies/situations

L'analyse des systèmes de culture organisés en réseaux a le potentiel pour fournir des connaissances plus génériques. Nos résultats indiquent déjà que :

– il semble possible de concilier faible usage de pesticides et performance économique ;

– certaines situations de production le permettent plus aisément que d'autres.

Une analyse plus fine doit permettre d'identifier les stratégies agronomiques offrant des systèmes à la fois économes en pesticides et performants, et les situations de production favorables et défavorables (sol, climat, environnement sociotechnique…). Nos résultats suggèrent que les stratégies agronomiques sont probablement diverses et adaptées au contexte local.

Dans le réseau « Dephy grandes cultures et polyculture- élevage », les herbicides représentent 50 % des pesticides utilisés, et davantage en systèmes à faible IFT global. C'est le groupe de pesticides le plus difficile à réduire en grandes cultures. On pourra réaliser une analyse centrée sur les herbicides en vue d'identifier les stratégies avec lesquelles les agriculteurs du réseau minimisent leur dépendance et les situations de production qui le permettent.

Dephy est donc un outil probablement unique au monde pour valoriser les modes de production performants mais aussi produire des connaissances utiles pour faire changer les pratiques des agriculteurs. Il faut valoriser ce dispositif à la hauteur de son potentiel.

<p>(1) NDLR : Il faut préciser que, à notre connaissance, ces stratégies ont souvent eu des effets indésirables en terme de sélection de résistance des adventices… (2) Vu la construction du repérage : tous les IFT en AB sont à moins de 70 % de la moyenne régionale et, comme on compare les marges des systèmes en AB entre eux, la moitié est au-dessus de leur médiane et la moitié au-dessous. </p>

Fig. 1 : Expérimentation système, suivi de la maîtrise de la flore adventice sur 11 ans

Évolution du stock semencier (nb semences/m²) des adventices dans les deux parcelles du Système S4 (protection intégrée type) : celle de l'îlot A en haut, celle de l'îlot D en bas. Pour chaque comptage, la colonne de gauche représente le stock superficiel (moins de 10 cm de la surface) et celle de droite le stock profond (de 10 à 30 cm). On voit que ce système maîtrise globalement le stock semencier.

Fig. 2 : Produit brut cumulé sur 12 ans des cinq systèmes de culture du dispositif « expérimentation système » de Dijon-Époisses

Tous les systèmes en protection intégrée ont des produits bruts inférieurs à celui du système de référence (N. B. : calculs effectués avec le scénario de prix moyen sur la période). Mais celui qui se passe d'herbicides et fait intervenir la luzerne (S5) et celui en protection intégrée type (S4) semblent plus performants que ceux qui se privent de moyens mécaniques de désherbage (S2 et S3).

(N.B. : Par ailleurs, S4 et S5 ont de meilleures marges semi-nettes que S2 et S3, même si les scénarios de prix comptent beaucoup). Cela dit, pour le S2, est-ce que d'autres modalités de semis sous couvert auraient mieux réussi ? Quel serait le produit du S4 sans betterave dans la rotation ? La parcelle A du S5 maintiendra-t-elle son résultat vu son salissement par le chardon et le gaillet ? Bref, la généricité des résultats peut être mise en question.

Fig. 3 : Réseau Dephy-Ferme, la variabilité initiale des systèmes

728 systèmes de culture du réseau Dephy, filière grandes cultures et polyculture-élevage, sont placés selon leur IFT (% de la référence régionale) et leur marge semi-nette (centrée autour de la marge de référence médiane de la situation de production correspondante, et normée par la marge maximale de la situation de production). Les systèmes de culture sont classés en 21 types de succession culturale (symboles).

Les SCEP (systèmes de culture économes en pesticides et performants au plan économique) sont très variés. Et ceci pour :

– les 39 SCEP de niveau I (IFT inférieur ou égal à la moitié de l'IFT de référence et marge standard dans le premier quartile de la situation de production correspondante), les plus « vertueux », et...

– les 92 SCEP de niveau II (IFT inférieur à 70 % de l'IFT régional et marge brute supérieure à la médiane de la situation de production correspondante, mais ne remplissant pas simultanément tous les critères pour être classés en SCEP de niveau I).

Le Point de vue de

REMERCIEMENTS

L'« expérimentation système » de Dijon-Époisses est soutenue par la région Bourgogne et l'ANR (projet advherb stra-08-02), en collaboration avec l'unité expérimentale UE 115 de l'Inra, et avec le soutien technique de D. Meunier, F. Strbik et F. Dugue. Le réseau Dephy-Ferme est conduit dans le cadre du plan Ecophyto piloté par le ministère en charge de l'Agriculture et financé par l'Onema. Merci aux agriculteurs du réseau Dephy et aux ingénieurs qui les accompagnent pour leur contribution.

RÉSUMÉ

EXPÉRIMENTATION SYSTÈME - Les « expérimentations système » permettent de tester des prototypes en rupture forte par rapport aux pratiques agricoles dominantes. Une telle expérimentation a été conduite par l'Inra de Dijon sur la maîtrise des adventices.

RÉSULTATS ET LIMITES - Elle a permis :

– de montrer que la protection intégrée permet de maîtriser la flore adventice en réduisant l'usage des herbicides ;

– de quantifier ses bénéfices environnementaux et ses effets sur la productivité et la rentabilité.

Cependant, le nombre de stratégies explorées est limité et la généricité des résultats mise en question, notamment pour l'adaptation des systèmes à d'autres contextes pédo-climatiques.

COMPLÉMENT RÉSEAU - L'analyse des performances de systèmes dans des réseaux d'agriculteurs permet d'apporter des connaissances complémentaires en valorisant la diversité des pratiques.

Le réseau Dephy-Ferme du plan Ecophyto est un outil unique pour identifier les situations de production et les stratégies qui permettent d'être à la fois économe en pesticides et performant.

MOTS-CLÉS - Système de culture, expérimentation, réseau, protection intégrée, Ecophyto.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *N. MUNIER-JOLAIN, Inra, UMR 1347 Agroécologie, Dijon.

**A. OLIVIER, InVivo AgroSolutions, 83, av. de la Grande-Armée 75016 Paris.

***P. TRESCH et N. CHARTIER, Institut de l'élevage, Agrapole, Lyon-7.

** **P. PIERSON, Arvalis, 55160 Saint-Hilaire-en-Woëvre.

** ***B. DIOP, Institut de l'élevage, MNE, Paris.

*** ***P. FARCY, Inra, Domaine expérimental de Dijon-Époisses.

CONTACT : nicolas.munier-jolain@dijon.inra.fr

LIEN UTILE : afpp@afpp.net

VERSION INITIALE : Disponible dans les annales de la 22e conférence du Columa de l'AFPP, Journées internationales sur la lutte contre les mauvaises herbes, Dijon – 10, 11 et 12 décembre 2013 (lien ci-dessus).

BIBLIOGRAPHIE : Deytieux V., Nemecek T., Freiermuth Knuchel R., Gaillard G., Munier-Jolain N.M., 2012 - Is Integrated Weed Management efficient for reducing environmental impacts of cropping systems ? A case study based on life cycle assessment. European Journal of Agronomy, 36, 55-65.

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