Depuis que l'ambroisie à feuilles d'armoise (Ambrosia artemisiifolia L.) est installée en France, le RNSA, réseau national de surveillance aérobiologique, surveille ses émissions de pollen à l'échelle régionale via ses capteurs de pollen. Il a des données polliniques de fond. Mais peut-on multiplier les capteurs pour suivre plus localement l'efficacité des mesures de lutte contre la plante ? Il faudrait pour cela des capteurs adaptés. Est-ce possible ? Réponse.
Pourquoi tester activement des capteurs passifs
L'ambroisie, grave problème
Rappelons que l'ambroisie à feuilles d'armoise (dite ambroisie dans la suite de l'article) est connue pour son pollen allergisant disséminé à partir de juillet. Une concentration de plus de dix grains de pollen par mètre cube d'air, considérée comme élevée, peut provoquer de graves symptômes voire même de l'asthme chez les personnes allergiques (Déchamp et Méon, 2002). Ainsi, cette espèce pose un grave problème de santé publique. C'est aussi une plante envahissante, difficile à maîtriser du fait de sa forte capacité d'adaptation aux pratiques de gestion (Thibaudon et al., 2010). Son caractère invasif pose des problèmes économiques en agriculture.
L'ambroisie occupe dans certaines régions françaises une grande partie du paysage en se développant sur des milieux divers : bords de route, champs cultivés ou berges de rivières. En revanche, les communautés végétales naturelles (forêts, prairies) semblent pour le moment en grande partie épargnées. L'ambroisie fait l'objet de campagnes d'informations et de tentatives d'éradication autour des grandes villes par arrachage notamment (Chauvel et Martinez, 2013).
Le manque d'indicateurs positifs décourage
Parmi les difficultés, le manque d'indicateurs de réussite ou d'amélioration de la situation contribue à décourager les gestionnaires.
L'objectif de ce travail est d'utiliser la mesure de la quantité de pollen dans l'air comme un indicateur simple concernant l'amélioration de la situation dans une zone donnée. Une première expérimentation réalisée en 2012 a pour objectif de tester la validité des capteurs dit SLT, de type passif, comparés avec les données polliniques de fond obtenues avec les capteurs de type Hirst. Ces derniers, ayant une fonction d'aspiration d'air, sont les capteurs de référence.
Des capteurs sur deux zones
Type de capteur testé, le SLT
Nous avons testé les capteurs Sigma 2 (Sigma 2 Like Trap ou SLT). Ces capteurs de type passif (photo 1) ont été utilisés dans des études sur le suivi des flux de gènes des cultures génétiquement modifiées (Hofman et al., 2011).
– Le capteur comporte une zone de transfert de flux d'air au-dessus d'une zone de réception des particules par sédimentation. Le flux d'air traverse le capteur, les particules sédimentent et s'impactent sur une lame enduite disposée en partie basse.
– Cette lame est changée chaque semaine. Les mesures ont été effectuées sur 10 semaines du 24 juillet au 6 octobre 2012.
– La lame est analysée au microscope optique avec comptage des pollens d'ambroisie et du total des pollens ; on obtient des résultats en grains comptés/unité de temps (ici, la semaine).
La référence, capteur de type Hirst
Les appareils de référence sont des capteurs de fond de type Hirst (photo 2). Il s'agit de capteurs volumétriques à aspiration continue et enregistrement en continu. Des appareils plus « haut de gamme » que les capteurs SLT... y compris pour leur prix d'achat et de maintenance, d'où la difficulté à multiplier leurs implantations. Grâce à eux, le RNSA peut dénombrer tous les pollens, y compris d'ambroisie, et les enregistrer sur une base de données bihoraire. Cela permet la diffusion à des médecins sentinelles d'un bulletin clinique afin de suivre l'impact sanitaire des pollens d'ambroisie (Thibaudon et al., 2009).
– Ce capteur comprend un corps contenant le moteur pour générer l'aspiration, et une tête fonctionnant comme une girouette afin que l'entrée de l'air soit toujours face au vent.
– L'air est aspiré à raison de 10 l/min. Les particules présentes sont impactées sur une bande enduite défilant devant l'orifice du capteur à raison de 2 mm/h, et ce de façon continue durant une semaine complète.
– La bande est ensuite fractionnée en section de 24 heures et préparée pour observation microscopique.
– L'analyse se fait au microscope optique (grossissement x 400) en utilisant les critères de la clé de détermination des pollens établie par le RNSA ; elle fournit des données quantitatives et qualitatives (grains par m3 par unité de temps).
Deux zones d'étude, quatre exemplaires du capteur SLT dans chacune
On a ciblé deux zones à densités d'ambroisie très différentes :
– le département de la Côte-d'Or (21) qui est en front de colonisation de l'espèce (Chauvel, 2010) ;
– une commune de l'Isère (38), Estrablin, située en pleine zone d'infestation de l'ambroisie.
Dans chacune, on a implanté quatre exemplaires du capteur SLT. En Côte-d'Or, ils sont répartis sur quatre communes :
– sur Spoy, Pagny-la-Ville et Tart-l'Abbaye, des plants d'ambroisie ont été répertoriés ;
– sur Etormay, aucun plant d'ambroisie n'avait été signalé.
À Estrablin :
– un capteur a été placé sur un site témoin non traité (Chapulay), sans aucun traitement ni arrachage ;
– trois autres capteurs ont été placés chacun dans un site traité : la Plaine d'Estrablin, La Rosière et Septème.
Les deux groupes de capteurs SLT sont affiliés au capteur de type Hirst du RNSA le plus proche : celui de la ville de Dijon en Côte-d'Or et celui de Roussillon pour Estrablin (carte).
Des résultats encourageants
En Côte-d'Or, pics repérés et décalage explicable
Les quantités de pollens d'ambroisie recensées dans l'ensemble des capteurs de Côte-d'Or sont relativement faibles (Figure 1). Le pic le plus important pour cette zone est le premier des deux pics décelés par le capteur de type Hirst implanté à Dijon. Il est de 95 grains/semaine.
Les données de l'ambroisie des capteurs SLT sont réparties en deux niveaux : d'une part Pagny et Tart-l'Abbaye avec des pics de quantités dépassant 50 grains et d'autre part Spoy et Etormay (commune estimée non encore touchée lors de l'étude) dont les maximales tournent autour de 20 grains.
Le premier pic de pollinisation des ambroisies a lieu au même moment (vers le 20 août) à Dijon et Spoy, deux lieux géographiquement très proches. Il est décalé d'une semaine pour les autres capteurs, mais ceux-ci sont relativement éloignés (voir carte).
Le deuxième pic est moins marqué (20 à 40 grains selon les communes). Il a lieu en même temps, vers le 10 septembre, pour les 5 capteurs.
À Estrablin, fortes quantités, différence entre zones, concordance dans le temps
Les quantités de pollens enregistrées sur les capteurs situés autour d'Estrablin sont très importantes (Figure 2).
Les pics dépassent 1 000 grains (sans atteindre 2 000) pour les capteurs SLT de la Plaine d'Estrablin et de Septème, et le capteur de type Hirst de Roussillon. Des pics dépassent 2 000 grains de pollen d'ambroisie sur le site de La Rosière et il y a un pic de 9 500 grains sur le site du Chapulay. Ainsi, le capteur SLT du Chapulay, placé dans un site non traité, capte bien davantage de pollen que les capteurs des sites traités.
Par ailleurs, les dates des deux pics de pollinisation sont identiques sur tous ces capteurs situés dans une même zone géographique. Les valeurs du capteur Hirst de Roussillon permettent de valider la concomitance des pics.
Cohérence temporelle et variations de quantité entre zones et à l'intérieur
Les graphiques obtenus montrent ainsi la concomitance temporelle tant entre capteurs SLT qu'avec les capteurs Hirst, en zones d'infestation mais aussi de front de colonisation.
Dans les conditions expérimentales de l'été 2012, le capteur SLT a permis de mesurer des variations de quantité de pollen entre et à l'intérieur des zones d'étude et semble bien répondre aux objectifs fixés.
Entre zones, les quantités de pollen observées dans l'Isère à Estrablin (plus de 1 000 grains de pollen/semaine) sont 100 fois supérieures à celles notées en Côte-d'Or. En revanche, la dynamique de production de pollen est comparable dans les deux zones.
À l'intérieur des zones :
– En Côte-d'Or, la quantité de pollen est triple dans deux communes où l'ambroisie a été recensée. Elle est plus faible mais reste de l'ordre de quelques dizaines de grains sur les capteurs des communes de Spoy et d'Etornay ; pour cette dernière, commune « témoin », l'identification des pollens correspond très certainement à une origine exogène.
– À Estrablin, où les quantités sont très élevées, on observe une différence entre les sites où une gestion du pollen a été réalisée (trois des capteurs SLT et le capteur Hirst) et un site voisin ou aucune gestion n'est faite.
Suite des événements
Ces capteurs semblent pouvoir servir d'indicateurs pour évaluer le succès de mesures de gestion en zones fortement touchées par la plante. Ces mesures peuvent constituer un outil pour continuer une gestion rigoureuse de la plante. Même si, dans ce cas précis, les concentrations restent très élevées, au-delà des seuils tolérables pour des personnes allergiques.
Dans les zones de progression de la plante, ces capteurs peuvent être utilisés comme un outil d'avertissement des responsables de collectivités locales pour mettre en place des plans de gestion préventifs.
En 2013, un dispositif plus complet en termes de nombre de capteurs, donc permettant des comparaisons statistiques, a été mis en place pour confirmer et affiner ces résultats déjà encourageants.
Fig. 1 : Évolution de l'index pollinique de l'ambroisie en Côte-d'Or, zone de progression
L'index du capteur d'Etormay, commune en principe pas encore touchée par l'ambroisie, ne dépasse pas 20 (20 grains de pollen/semaine), comme celui de Spoy. Ce dernier, proche du capteur Hirst de Dijon, a ses pics en même temps mais moins hauts.
Index pollinique = somme des concentrations journalières sur un pas de temps donné.
Fig. 2 : Évolution de l'index pollinique de l'ambroisie sur la commune d'Estrablin, zone déjà très infestée
Attention, les échelles diffèrent entre les capteurs SLT et le capteur Hirst (et avec la Figure 1). Le pic le plus haut (9 500 grains/semaine) est atteint à Chapulay, site sans mesures anti-ambroisie.
À l'inverse, les valeurs sont plus faibles (des pics dépassent 1 000 grains quand même) dans les capteurs placés dans des sites où des mesures ont été prises. Les périodes de pics coïncident entre capteurs.
Index pollinique = somme des concentrations journalières sur un pas de temps donné.