Matricaires dans l'Orne (essai P12PHH030BG10) : 1 - Plantules au stade 16, le jour du traitement (J). 2 - Au stade 18 dans le témoin, 17 jours après (soit à J + 17). 3 - Au stade 28 dans le témoin, à J + 33 jours. Photos : B. Gentil
Trois des essais sur coquelicot 4 et 5 - Dans la Somme, désherbage du blé tendre en sortie d'hiver, essai codé 13PHH6023CL601. 6 et 7 - Dans les Alpes-de-Haute-Provence, désherbage du blé dur en sortie d'hiver, essai codé P12PHH030AP09. À gauche, la parcelle a été traitée avec le mélange DFF/ioxynil/bromoxynil. À droite, le témoin non traité. Photos prises le 12 avril 2012. 8 - Dans l'Orne, vue d'ensemble de l'essai désherbage d'automne du blé tendre à l'automne 2011, essai codé P12PHH029BG11. Sur ces sites, les inhibiteurs de l'ALS n'ont jamais atteint 50 % d'efficacité – même à quadruple dose ! En revanche les autres herbicides testés ont été performants. Photos : 4-5 : C. Delarre ; 6-7 : A. Pey ; 8 : B. Gentil
Dans les céréales, il faut penser aussi aux dicotylédones... Certes, le contrôle des graminées résistantes aux herbicides est une préoccupation très répandue dans toutes les régions agricoles en France, car chacun connaît le surcoût que génèrent ces résistantes pour le désherbage. Mais les dicotylédones aussi résistent...
Pourquoi ce travail
Coquelicot, matricaire et groupe B2
Des populations de dicotylédones résistantes à des herbicides sont connues depuis longtemps en Europe (Claude et al., 1998), mais c'est seulement en 2007 que des premiers cas de résistance aux herbicides du groupe HRAC B/2 (les inhibiteurs de l'ALS-acétolactate synthase) ont été rapportés en France sur le coquelicot Papaver rhoeas (Délye, 2007).
Puis des baisses d'efficacité ont été décrites sur des matricaires. Des populations de matricaire camomille Matricaria chamomilla résistantes aux inhibiteurs de l'ALS ont été décrites dès 2008 en Allemagne (Petersen, 2008).
Ces adventices ont des nuisibilités similaires, et fortes : une infestation de 22 plantes/m² suffit pour provoquer une baisse de 5 % du rendement final de la céréale. La longévité dans le sol de la semence de coquelicot peut atteindre 40 ans (Pawlowski et al., 1970), celle des matricaires, 20 ans (Pawlowski et al., 1970).
Tester l'alternance avec les groupes F1 et C3
Les herbicides de la famille des inhibiteurs de l'ALS étant très largement répandus pour contrôler les populations de matricaires et de coquelicots, il est intéressant, dans un souci de gestion des modes d'action et de limitation de la dissémination des résistances, d'introduire dans les programmes de désherbage d'autres modes d'action. Ceci, bien sûr, à des doses assurant une très bonne efficacité. Nous avons donc évalué l'intérêt d'herbicides à base de diflufenicanil (groupe HRAC F1), ioxynil et bromxynil (groupe HRAC C3).
Matériel et méthode
Automne et sortie d'hiver
Notre objectif est de confirmer l'efficacité des herbicides à base de diflufenicanil, ioxynil et bromoxynil Brennus® Plus (dit aussi Pirogue) et Chamois®, utilisés seuls ou en programme. Il s'agissait d'applications de post-précoce, les unes en automne au stade 3 feuilles/début tallage des céréales, les autres en sortie d'hiver, au stade mi à fin tallage des céréales (Tableaux 1 à 4). On vise les espèces P. rhoeas et M. chamomilla. Les herbicides sont appliqués sur des adventices peu développées, car il ne faut pas dépasser le stade rosette.
Critères de choix des parcelles
Pour sélectionner les parcelles comportant des populations résistantes et identifier les mécanismes, nous ne disposons pas de techniques de laboratoire rapides et exhaustives.
Par ailleurs, la sélection des parcelles à partir des résultats de l'année précédente est insuffisante. En effet, il est possible qu'un pourcentage significatif des plantes présentes dans la parcelle lors du traitement soit issu du stock semencier antérieur aux deux années précédentes et, de ce fait, que seule une faible proportion de la population soit résistante.
Aussi, nous avons implanté les essais dans des régions différentes et des parcelles dans lesquelles les agriculteurs ne parviennent plus depuis plusieurs années à avoir un contrôle satisfaisant des adventices visées. Nous demandions à ce que ce manque d'efficacité des herbicides de la famille des inhibiteurs de l'ALS ait été confirmé par un technicien qui connaît la parcelle.
Méthodologie retenue
Nous confirmons cette résistance pratique en analysant la différence d'efficacité entre la dose couramment utilisée à cette période pour apporter une efficacité proche de 100 % et la dose autorisée multipliée par 4 (4N) dose utilisée pour confirmer la résistance, suffisamment élevée pour être très robuste face à des conditions d'application peu favorable à l'efficacité de l'herbicide.
Le dispositif expérimental comporte trois répétitions, en blocs randomisés, avec témoins « semi-adjacents » et bande témoins de contrôle entre les blocs. Les observations sont réalisées en suivant la méthode CEB 013. Les efficacités sont notées en % d'infestation par rapport au témoin le plus proche.
Résultats
Détection de sites où les herbicides inhibiteurs de l'ALS n'apportent pas le niveau d'efficacité attendu
Dans quatre des essais réalisés, non seulement les sulfonylurées (groupe B2) utilisées à leur dose préconisée n'ont pas l'efficacité attendue, c'est-à-dire proche de 100 %, mais le metsulfuron-methyl apporté à 4N est très décevant.
Il s'agit de deux sites traités à l'automne 2011 (essai sur coquelicot P12PHH029BG1 dans l'Orne, photo 8 ci-dessus, essai sur matricaires P12PHH029LG06 dans la Somme) et deux sites à coquelicots traités en sortie d'hiver, l'un en 2012 (Alpes-de-Haute-Provence P12PHH030AP09, photos 6 et 7) et l'autre en 2013 (Somme 13PHH6023CL601, photos 4 et 5).
Pour sa part Brennus Plus apporte son efficacité habituelle à 1,5 l/ha à l'automne et 1,8 l/ha en sortie d'hiver.
Ces résultats (Figures 1 et 2) invalident l'hypothèse de conditions d'application ou stades d'adventices non adaptés au traitement herbicide. On en conclut que, dans ces sites, P. rhoeas et Matricaria sp. sont vraisemblablement résistantes aux herbicides au mode d'action inhibiteur de l'ALS.
Il en va autrement dans deux sites d'essais en sortie d'hiver, sur matricaires dans l'Orne (P12PHH030BG10) et coquelicots dans la Somme (P12PHH030LG07).
Certes, le metsulfuron-methyl et le tribenuron-methyl à la dose réputée suffisante pour offrir une bonne efficacité (Arvalis, 2012) n'offrent pas satisfaction. Mais si l'on utilise la dose 4N, une efficacité proche de la performance attendue est atteinte dans les deux essais, le meilleur résultat étant celui de l'essai P12PHH030LG07 (Figure 3). Ceci suggère (après vérification des conditions météorologiques lors de l'application) une résistance partielle des populations. Pour avoir une certitude quant au niveau et mécanisme(s) impliqués, des tests de laboratoires seraient indispensables.
Sur « sites résistants », les herbicides à base de DFF + ioxynil et bromoxynil sont efficaces
Nous présentons ci-après les situations dans lesquelles nous avons totalement levé le doute quant à la présence de coquelicots ou de matricaires insensibles aux herbicides inibiteurs de l'ALS (Figures 4, 5, 6 et 7).
On trouvera tous les résultats des expérimentations dans Le contrôle des populations de coquelicots et de matricaires dans les cas d'échecs de traitement avec des herbicides de la famille des ALS, Armengaud, 2013. (voir « Pour en savoir plus »).
Dans ces sites à populations de Papaver rhoeas et de Matricaria sp. (finalement identifiée comme M. perforata) résistantes aux inhibiteurs de l'ALS, l'herbicide Brennus Plus contrôle très efficacement les populations de Papaver rhoeas, avec une tendance à un effet dose à l'automne et en sortie d'hiver. Chamois permet lui aussi de contrôler les conditions de P. rhoeas et M. perforata, la dose de 0,8 l/ha étant un peu insuffisante à l'automne sur M. perforata (Figures 4 et 5).
Ces performances sont en accord avec les efficacités attendues de ces deux herbicides, utilisés à ces doses dans de bonnes conditions d'application.
Pas de résistance croisée avec inhibiteurs de l'ALS
Le maintien des performances de Brennus Plus et Chamois contre les populations résistantes de P. rhoeas et M. perforata à un niveau conforme aux attentes montre que les herbicides cumulant les modes d'action F1 (diflufenicanil) et C3 (bromoxynil et ioxynil) ne sont pas sujets à une résistance croisée avec le mode d'action B (les ALS, ex. : les sulfonylurées).
Ces modes d'actions F1 et C3 peuvent donc être utilisés efficacement pour lutter contre les populations résistantes au mode d'action B avant l'apparition de résistances pratiques au champ, pour alterner les modes d'action et prévenir ou ralentir l'apparition de populations résistantes.
Ajouter un herbicide ALS à un autre herbicide n'offre pas de gain d'efficacité sur populations résistantes
Les performances de Brennus Plus et Chamois contre les populations résistantes de Papaver rhoeas et Matricaria perforata ne sont pas améliorées par l'addition de metsulfuron-méthyl (Figures 6 et 7).
Ceci montre que l'addition d'un herbicide du groupe B (inh. ALS) n'entraîne pas d'interaction positive avec ces herbicides non affectés par la résistance. L'usage de ce mode d'action sur les dicotylédones résistantes ne se justifie donc pas.
Son application dans des parcelles où l'on trouve des dicotylédones résistantes devra être raisonnée en fonction des autres adventices présentes dans la parcelle et des performances, sur la flore présente, des herbicides qui seront utilisés pour contrôler les dicotylédones résistantes.
Récapitulons
Brennus Plus (et son jumeau Pirogue) et Chamois, à base de diflufénicanil, ioxynil et bromoxynil, permettent de contrôler efficacement les populations de dicotylédones résistantes aux herbicides du groupe B (inhibiteurs de l'ALS). Leur efficacité n'est pas affectée par cette résistance, ce qui montre l'absence de résistance croisée, fait prévisible vu leur appartenance à des groupes de mode d'action différents : F1 pour le diflufénicanil, C3 pour le bromoxynil et l'ioxynil.
En cas de population résistante aux herbicides du groupe B, l'adjonction d'un herbicide de ce dernier groupe ne permet pas d'améliorer l'efficacité du programme.
Le contrôle et la prévention des populations de P. rhoeas et de M. perforata résistants aux herbicides inhibiteurs de l'ALS sont possibles en traitement de post-levée d'automne comme de sortie d'hiver, si on utilise à leur dose efficace des herbicides appartenant à d'autres familles que celle des inhibiteurs de l'ALS. Brennus Plus et Chamoi s sont des outils efficaces pour retarder l'apparition de populations résistantes aux inhibiteurs de l'ALS ou pour les contrôler.
Fig. 1 à 7 : Résultats des essais
Les densités d'adventices s'entendent dans les témoins.
Figures 1 et 2 - Quatre essais sur des sites où les coquelicots et matricaires résistent très vraisemblablement aux inhibiteurs de l'ALS (ici le Metsulfuron-méthyl et le Tribénuron-méthyl).
Figure 3 - Deux essais sur des sites où, si résistance il y a, elle est partielle : le metsulfuron redevient efficace si on augmente fortement la dose (dose expérimentale interdite en culture).
Figures 4 et 5 - Là où les coquelicots et matricaires font échec aux inhibiteurs de l'ALS, les herbicides à base de DFF, ioxynil et bromoxynil (Chamois et Brennus Plus) sont efficaces en application d'automne (Figure 4) et de sortie d'hiver (Figure 5).
Figures 6 et 7 - L'ajout du PHF 0920, inhibiteur de l'ALS, n'améliore pas l'efficacité de Chamois et Brennus Plus : pas d'interactions positives, pas d'intérêt sur populations résistantes.