Rucher en grandes cultures, avec bande mellifère (premier plan) et parcelle de colza, chez B. Soenen (Calvados). Photo : D. Lardillier-Agrial
Trente-quatre coopératives engagées dans le développement des territoires et le conseil technique et stratégique se sont mobilisées, avec plus de 300 de leurs adhérents, pour participer à l'expérimentation collective FERMEcophyto – réseau des coopératives.
Elles ont souhaité, en plus de leur engagement dans le réseau Ferme Dephy (objectif : réduire et améliorer l'usage des produits phytosanitaires), améliorer l'impact des pratiques agricoles sur l'environnement sans perdre en compétitivité. Voici le volet « abeilles » de ce travail.
Étude de l'offre alimentaire sur 33 exploitations
Relevés botaniques sur les 8 745 hectares totalisés par 33 fermes et leur milieu environnant
En lien avec la biodiversité agricole, une évaluation de la ressource alimentaire en nectar et pollen pour les pollinisateurs a été réalisée sur 33 exploitations agricoles (repérage Figure 1) à l'aide d'un outil cartographique développé par InVivo Agro-Solutions, filiale de recherche et développement de solutions en agronomie de l'union de coopératives InVivo.
Objectif : suivre l'évolution spatiale et temporelle de la ressource alimentaire disponible sur un territoire et identifier les périodes et zones de carence par rapport aux besoins des pollinisateurs. Sur chacune des 33 exploitations, tous les éléments paysagers présents ont été répertoriés sur le terrain. Leurs caractéristiques (hauteur, largeur...) et leur composition floristique (espèces végétales, proportion) ont été précisément décrites.
4 603 hectares de surface agricole utile et 4 142 hectares de leur milieu environnant ont été étudiés entre mai et août, en 2011, 2012 et 2013 par des experts d'InVivo AgroSolutions.
Un long travail bibliographique pour paramétrer l'outil cartographique
Afin de paramétrer l'outil cartographique permettant de calculer les productions de nectar et pollen de chaque élément paysager, un long travail bibliographique a été réalisé : on a recensé, pour un grand nombre d'espèces végétales présentes sur le territoire français, leurs potentiels nectarifère et pollinifère et leur période de floraison (Carpentier et al., 2009 ; Mertens de Villemans et al., 1989 ; Royan et Roth, 1998).
Les surfaces de floraison de chacun de ces éléments sont calculées précisément à l'aide d'un système d'information géographique (SIG). La production totale de nectar et pollen d'une exploitation correspond à la somme des productions de chaque élément paysager, elles-mêmes dépendant des productions de nectar et pollen de chaque espèce végétale le constituant, pour chaque mois de floraison.
L'évolution quantitative de la production totale de nectar et pollen peut être suivie à l'aide d'histogrammes et de cartes (exemple Figure 2) localisant l'offre alimentaire pour les pollinisateurs chaque mois sur chaque territoire (24 cartes par territoire).
Comparaison des ressources en nectar et pollen avec les besoins alimentaires des colonies d'abeilles
Les ressources totales en nectar et pollen au cours d'une année pondérées par la surface étudiée (en kg/ha) sont ensuite mises au regard d'une courbe présentant les besoins alimentaires d'une colonie d'abeilles par mois (jachère-apicole et Bruneau E.). En divisant la production alimentaire par les besoins, on peut calculer par hectare étudié le nombre d'équivalent ruche pouvant être nourri par la ressource alimentaire disponible sur le territoire. Cet indicateur permet de comparer l'offre en nectar et pollen aux besoins des pollinisateurs, variables au cours de l'année en fonction de leur activité.
Résultats trouvés
Chaque année, 77 kg de pollen et 122 kg de nectar produits par hectare étudié
Sur ces 33 exploitations agricoles et leur milieu environnant, la production totale annuelle est de 771 tonnes de pollen et de 1 116 tonnes de nectar. Sur cet échantillon, les principales sources alimentaires pour les pollinisateurs sont les forêts, bois et bosquets qui produisent 66 % de la ressource totale en pollen et 44 % de la ressource totale en nectar.
Les cultures sont importantes dans la production de ressources alimentaires pour les pollinisateurs : elles sont la deuxième source de pollen et la troisième en nectar (après les prairies et jachères) sur les territoires agricoles.
Ainsi les surfaces en colza, vergers, plantes aromatiques, légumineuses et protéagineux, moutarde, tabac, tournesol, vigne et cultures intermédiaires produisent 19 % de la ressource annuelle totale en pollen et 15 % en nectar.
Les prairies et jachères fournissent 11 % du pollen total et 36 % de la production totale de nectar. Enfin, les haies produisent 3 % du pollen total et 3 % du nectar et les bandes enherbées et bords de champs sont les moins productifs en termes de quantité de pollen (1 %) et de nectar (2 %).
Toutefois, ces résultats sont fortement dépendants des surfaces des différents éléments paysagers. En termes de potentiel pollinifère et nectarifère, c'est-à-dire en ramenant les productions de nectar et pollen des éléments paysagers aux surfaces couvertes, les prairies et jachères sont particulièrement intéressantes pour la production de nectar : elles produisent en moyenne 0,44 tonnes (440 kg) de nectar/ha/an.
En moyenne, sur les 33 territoires étudiés, la production totale annuelle de ressource alimentaire pour les pollinisateurs est de 77 kg de pollen et 122 kg de nectar/ha. Mais il y a une grande variabilité selon les territoires étudiés (Figure 3). Cela dépend de l'orientation technico-économique et de la localisation des exploitations : les fermes et régions de polyculture élevage ayant plus de surfaces en prairies et plus de haies sont les plus intéressantes pour la production de nectar et pollen.
Importance de la diversité des éléments paysagers
Afin de mieux se rendre compte de ce que représente l'offre alimentaire pour les pollinisateurs sur l'exploitation, nous avons comparé l'offre en nectar et pollen par rapport aux besoins d'une ruche d'abeilles domestiques, Apis mellifera.
Ceux-ci ont été déterminés grâce au concours de Julien Chagué (Jachère-apicole). Les besoins moyens d'une ruche sont en cumul sur l'année, de 50 kg de pollen et de 300 kg de nectar (pour un nectar à 20 % de sucre).
La diversité des éléments paysagers permet de produire une offre en nectar et pollen importante et durable tout au long de l'année : les surfaces en bois, forêt et sylviculture, en haies, et en prairies et jachères assurent en effet une production de nectar et pollen continue de février à octobre.
Au cœur de la saison, les cultures permettent d'augmenter significativement les ressources en nectar et pollen lors de leurs floraisons : avril et mai pour les colzas et pommiers, juin pour la vigne, juin, juillet et août pour les protéagineux, juillet et août pour le tournesol et les cultures aromatiques types lavande, lavandin, et septembre octobre pour les cultures intermédiaires types moutarde et phacélie... Les résultats montrent qu'en moyenne, sur les 33 exploitations, l'offre pollinifère par hectare est supérieure aux besoins en pollen d'une ruche pour chaque mois (Figure 4).
Nectar limitant, surtout en mars
En revanche, les résultats moyens montrent une période critique en mars par rapport aux besoins en nectar des abeilles domestiques (Figure 5). Sur l'ensemble des 33 exploitations, tous systèmes confondus, il apparaît que ce sont les ressources en nectar qui sont limitantes par rapport aux ressources en pollen au regard des besoins des pollinisateurs.
Nous avons ensuite étudié les périodes de l'année où l'offre est limitante par rapport aux besoins des pollinisateurs.
Au vu des résultats moyens, il ressort que la ressource en nectar au mois de mars, période sensible pour les pollinisateurs car celle de leur sortie d'hivernation, permet de combler les besoins alimentaires d'une seule ruche par hectare.
Après avoir étudié au cas par cas, pour chaque exploitation, les périodes limitantes, il ressort que dans 70 % des exploitations, le mois de mars est limitant pour les pollinisateurs. La seconde période identifiée comme la plus limitante est le mois d'octobre, quand les pollinisateurs accumulent la ressource et constituent leur réserve pour l'hivernation (Figure 6).
Pistes d'action pour améliorer la ressource en nectar pour les pollinisateurs
Deux types de solution
Concernant le nectar, l'étude met en évidence une possible carence en mars et avril, période cruciale pour la vie du rucher. Pour y remédier, deux solutions principales sont envisagées :
– augmenter les surfaces des couverts végétaux à floraison précoces (haies, forêts, bandes enherbées),
– favoriser ou introduire des espèces nectarifères ou mellifères à floraison précoce.
Autour des parcelles cultivées
Tout d'abord, la mise en place de haies composées d'espèces à floraisons précoces et mellifères sur le bord des routes et des parcelles culturales permettrait d'augmenter significativement l'offre alimentaire pour les pollinisateurs en mars et avril.
Ainsi, des espèces comme le saule (marsault, cendré, blanc, des vanniers, daphné), le prunier myrobolan, l'aucuba, l'aulne glutineux, le buis ou le prunellier augmenteraient la production de nectar sur la zone.
Associés à cela, le maintien des bandes enherbées ou leur installation en bords de champs, ainsi que le maintien des prairies permanentes compléteraient efficacement l'offre alimentaire (pâquerette, trèfle...).
La création de corridors « verts » le long du réseau hydrographique serait aussi idéale pour augmenter l'offre en nectar en mars et avril. Les couverts (haies ou bandes enherbées) devront présenter la même composition florale et arbustive que celle décrite plus haut.
Les bois peuvent assurer aussi une bonne partie de la production de nectar par l'intermédiaire de nombreuses espèces florales (jonquille, anémone des bois, scille à deux feuilles, petite pervenche, pulmonaire...) et ligneuses (espèces déjà citées pour les haies). Il serait souhaitable de favoriser le maintien ou le développement de quelques hectares de bois permettant à ces espèces de se développer.
Dans les parcelles mêmes
Ensuite, cette étude a montré l'importance des prairies, jachères et cultures d'oléagineux dans la production nectarifère totale de la zone. Il est donc important de maintenir ces types de couverts végétaux pour assurer une production suffisante de nectar d'année en année. Ils sont d'ailleurs très importants dans la préparation à l'hivernation des ruches.
Enfin, la mise en place de cultures intermédiaires, en particulier avant tournesol et maïs, implique une augmentation de la productivité nectarifère des parcelles concernées.
Il serait intéressant de promouvoir l'implantation de ces couverts végétaux afin d'augmenter la production de nectar en septembre/octobre.
Une exploitation céréalière du Calvados passée au crible
Coopérative partante
Engagés dans le projet FERMEcophyto – réseau des coopératives, la coopérative Agrial et l'un de ses agriculteurs ont mis en place un projet multipartenaire. Objectif : faire l'état des lieux et améliorer la biodiversité sur cette exploitation, notamment via des jachères mellifères, pour en tirer parti en termes de productivité des cultures et de lutte contre les ravageurs.
Lancé début 2011, le réseau Dephy, animé par la coopérative Agrial, compte quatorze exploitants. Accompagnés par Mathieu Poirier, animateur du réseau, ils ont relevé le défi supplémentaire de FERMEcophyto–réseau des coopératives : améliorer les performances économiques et environnementales de leur exploitation en maintenant une production de qualité.
Exploitant très engagé
Bruno Soenen, exploitant à Potigny (Calvados), s'est fortement engagé. Sur ses 86 hectares, il cultive du blé tendre, du colza, du pois de printemps et de la betterave sucrière. Afin de mieux connaître la biodiversité en milieu agricole, il s'est porté volontaire pour être « l'exploitation biodiversité de référence » du réseau de fermes d'Agrial et participer à l'Observatoire agricole de la biodiversité.
Papillons et abeilles comptés
Formé par le Museum national d'histoire naturelle à la reconnaissance de quelques pollinisateurs, Mathieu Poirier s'est rendu cinq à huit fois par an sur l'exploitation pour réaliser des comptages de papillons et des relevés d'abeilles sauvages dans le cadre de l'Observatoire agricole de la biodiversité.
Les relevés papillons doivent être effectués par temps ensoleillé, peu venté, entre 11 et 16 heures, en parcourant une longueur de cinq cents mètres et en notant ceux observés dans un périmètre de cinq mètres autour de soi. Les nichoirs à abeilles sauvages, posés à partir de mars, sont relevés une à deux fois par mois.
En complément, InVivo AgroSolutions a réalisé un inventaire floristique en juin 2011. Les résultats ont permis de cartographier et calculer, par mois, les quantités de nectar et pollen disponibles sur l'exploitation. Résultat : mars/avril et octobre sont les mois limitants en termes de production de nectar.
Actions mises en place
Bandes mellifères en test
Face à ces résultats et soucieux d'améliorer la biodiversité présente sur son exploitation, Bruno Soenen s'est tourné vers Agrial pour mettre sur pied un projet multiacteurs sur le thème « Pollinisateurs et biodiversité » : y sont associés quatre semenciers expérimentés dans les mélanges mellifères (Caussade, Syngenta, Semental et Semences de France) et InVivo AgroSolutions. Les associations Noé Conservation et l'Abeille Normande du Calvados (le syndicat d'apiculteurs du département) sont invitées en tant qu'observateurs du projet.
Un essai a été mis en place en 2012 pour évaluer l'impact des pollinisateurs sur les rendements en colza. Une bande mellifère de cinquante ares constituée de trèfle incarnat, phacélie, bourrache et radis fourrager a été implantée en octobre le long d'une parcelle de colza. Un apiculteur a prêté dix-huit ruches, installées entre avril et juillet (photos p. 8 et 11).
Les résultats sont satisfaisants : sur les cinquante premiers mètres, le rendement en colza est amélioré de près de 3 q/ha par rapport à l'autre extrémité de la parcelle, et la teneur en huile de 0,5 %. Quatre nouvelles bandes mellifères ont été semées à l'automne 2013. L'idée est de tester différents mélanges variétaux pour repérer les plus adaptés au cahier des charges de l'agriculteur et aux conditions climatiques. Un objectif : fleurir en amont et au cours de la floraison du colza, et les pérenniser sur trois ans. Parmi les espèces implantées dans ces mélanges, on trouve la navette, la luzerne, le sainfoin, le mélilot et diverses espèces de vesce et trèfle... En théorie, la mise en place de ces mélanges sur environ un hectare permet d'augmenter la production de nectar de l'exploitation de 528 kg et celle de pollen de 84 kg entre avril et juillet. De quoi subvenir aux besoins alimentaires de pollinisateurs équivalents à deux ruches d'abeilles domestiques !
Nichoirs pour pollinisateurs sauvages
Pour les pollinisateurs sauvages, des nichoirs à abeilles solitaires (« hôtels à insectes ») ont été posés en juin 2011 sans succès (colonisés par des forficules), puis en mars 2012, année durant laquelle le taux de colonisation a montré le potentiel de l'outil. En 2013, l'implantation a eu lieu en avril mais le taux de colonisation a été moindre sans être mauvais (Tableau 1).
On ne peut pas savoir s'il faut mettre en cause le type de modèle (pour des raisons de comparabilité dans le réseau, on est passé d'un nichoir à tubes de diamètres variés à un modèle à tubes de diamètres identiques) ou le climat de l'année.
Un partenariat agriculteurs-apiculteurs
Cette année encore, un apiculteur installe des ruches sur l'exploitation de B. Soenen : trois ruches sont placées toute l'année par cet apiculteur adhérent à l'Abeille Normande du Calvados, et 30 ruches sont installées durant la floraison du colza.
Auxiliaires des cultures
En 2014, d'autres relevés devraient être réalisés pour mieux connaître les pollinisateurs et auxiliaires des cultures (bourdons, syrphes, chrysopes, staphylins, carabes, vers de terre, etc.). En parallèle, l'agriculteur souhaite communiquer sur les bonnes pratiques et améliorer les relations entre agriculteurs et apiculteurs. Bref, une belle démonstration d'initiatives concrètes venant du terrain, en faveur de la biodiversité, mises en place par cet agriculteur et sa coopérative !
Fig. 1 : Localisation des 33 exploitations participant à l'étude de l'offre alimentaire pour les pollinisateurs
Ce sont 16 exploitations de grandes cultures (GC), 13 de polyculture-élevage (PE), 3 de vigne (V) et une d'arboriculture (ARBO).
Fig. 2 : Exemple d'une des cartes individuelles
Potentiel nectarifère en mai d'une des exploitations suivies (celle de B. Soenen, de la coopérative Agrial).
Fig. 4 : Ressources et besoins en pollen
Répartition mensuelle moyenne du potentiel pollinifère/ha pour les différents éléments paysagers sur les 33 exploitations et comparaison aux besoins mensuels d'une ruche.
Fig. 5 : Ressources et besoins en nectar
Répartition mensuelle moyenne du potentiel nectarifère/ha pour les différents éléments paysagers sur les 33 exploitations et comparaison aux besoins mensuels d'une ruche.
Fig. 6 : Abeille, quelles périodes critiques pour le nectar ?
Identification des périodes limitantes par rapport aux besoins en nectar des pollinisateurs sur les 33 exploitations étudiées.
Mathieu Poirier, animateur du réseau de fermes Dephy d'Agrial
« Les plaines céréalières sont réputées pour être pauvres en biodiversité, notamment en pollinisateurs. Or ceux-ci sont indispensables pour la productivité des cultures.
Notre objectif est de favoriser leur présence et la pollinisation du colza. Pour cela, il nous faut comprendre leur comportement, avoir des informations sur leur période d'apparition.
D'où les comptages de papillons et abeilles sauvages depuis 2011 sur une exploitation pilote.
Ces trois années d'observation confirment déjà la pauvreté de la biodiversité en plaine avec seulement deux à trois espèces principales de papillons observées. Les pollinisateurs sont visibles uniquement entre mai et août.
En dehors de cette période d'activité, leur absence s'explique par une offre alimentaire insuffisante.
D'où l'implantation de jachères apicoles à l'automne 2013 pour vérifier si cela permet d'augmenter la biodiversité.
En favorisant cette faune, nous espérons également qu'elle puisse nous aider à lutter contre les ravageurs des cultures. »