Adultes de la chrysomèle du maïs. Quand on les voit, les dégâts ont déjà eu lieu, et ceux de l'an prochain se préparent. Photos : Arvalis
La chrysomèle des racines du maïs Diabrotica virgifera virgifera, que nous appelons ici chrysomèle du maïs, a très mauvaise réputation... Dans de nombreux pays, et en France en particulier, cette mauvaise réputation a largement précédé son installation.
Histoire européenne
De l'avion au camion
En effet, ce ravageur invasif d'origine américaine a d'abord été présenté par le coût économique engendré par sa lutte et par sa nuisibilité dans son pays d'origine, les États-Unis. Et ce coût est, en effet, très important : il s'agit là-bas du principal ravageur du maïs, devant la pyrale Ostrinia nubilalis.
Le premier réflexe a été de mettre en œuvre des mesures d'éradication pour éviter que la chrysomèle du maïs s'installe en France suite à la découverte du ravageur en Europe dans les années 1990. C'était complètement justifié à l'époque. Ainsi, les premières mesures réglementaires ont été instaurées en 2002, année des premières détections en région parisienne.
Depuis lors, le contexte a changé. Les connaissances concernant la progression du ravageur ont évolué. Si initialement la question de l'introduction du ravageur à proximité des aéroports a été posée (Paris-Charles-de-Gaulle et Orly, Mulhouse), il est clairement admis que les autres modes de transports anthropiques, et plus particulièrement les transports routiers, contribuent plus largement à la propagation de cet insecte sur le territoire. Ainsi, la chrysomèle du maïs est capable de progresser par projection au-delà de zones sans maïs (ex. : franchissement des Alpes par camion).
Inexorable progression
Compte tenu des niveaux de population présents dans des pays européens proches, la progression de la chrysomèle du maïs en France est inexorable et ne pourra être contenue sur des zones restreintes sur le long terme.
Les producteurs de maïs français devront donc intégrer progressivement dans leur stratégie et leur conduite de culture la problématique de la chrysomèle du maïs. Ceci est déjà le cas dans les pays d'Europe où elle est installée (Europe centrale, Italie...).
États-Unis, Hongrie, Italie : nuisibilité très variable entre pays
Les connaissances concernant la nuisibilité de la chrysomèle du maïs ont également beaucoup progressé. Une des conclusions du projet européen Diabr-Act (diabract.vitamib.com) mettait en exergue ces différences entre le contexte américain et les contextes – très variés – rencontrés en Europe.
Par exemple, les pertes de rendement ont pu être très importantes sous le climat continental hongrois dès 2003, soit cinq à six ans après l'arrivée du ravageur, alors que la nuisibilité engendrée par la chrysomèle du maïs est plus limitée en Italie dix ans après l'installation du ravageur.
Mieux, la situation semble stabilisée dans ce pays et ce ravageur est désormais géré comme d'autres bioagresseurs, quasiment en routine.
France, nuisibilité potentielle à évaluer
En France, les populations sont actuellement faibles et n'occasionnent à ce jour aucune nuisibilité.
Il est cependant pertinent d'évaluer le potentiel de nuisibilité de la chrysomèle du maïs afin de déterminer les secteurs où ce ravageur présentera réellement un risque de nuisibilité – justifiant alors l'anticipation de mesures de gestion des risques – et les secteurs où la présence de la chrysomèle du maïs ne devrait pas remettre en cause la durabilité du maïs dans le système de culture actuel. Cette évaluation a été réalisée en deux étapes.
Travail d'évaluation effectué
Détermination des facteurs de nuisibilité
La première étape consiste à recenser et estimer les différents facteurs qui influencent la nuisibilité de la chrysomèle du maïs. Pour cela, de nombreuses ressources bibliographiques ont été valorisées, puis consolidées par des expertises techniques acquises dans des situations européennes diverses par des organismes de recherche appliquée, voire directement par Arvalis grâce à des expérimentations conduites dans des situations infestées par le ravageur.
La nuisibilité engendrée par le ravageur varie selon différents facteurs qui déterminent le niveau de population de l'insecte, et par d'autres facteurs qui influencent l'incidence des dégâts du ravageur sur le rendement de maïs.
Cartographie fine des risques
La seconde étape a été de cartographier les risques sur l'ensemble de la France en choisissant une échelle appropriée. Celle de la parcelle était trop fine, celle de la région ou du bassin de production pas assez. Nous avons choisi l'échelle du « segment », notion qui sera expliquée plus loin.
Facteurs influençant le niveau de population
Facteur « intensité du maïs »
Parmi les facteurs déterminant le niveau de population de chrysomèle du maïs, il y a en premier lieu l'intensité du maïs, dans la rotation et dans le paysage.
Le terme d'intensité dans la rotation désigne plus précisément les surfaces de maïs ayant du maïs en précédent et antéprécédent (car la succession maïs – maïs est indispensable pour la survie de l'insecte et en considérant comme négligeable le nombre de pontes hors maïs dans le contexte européen).
L'intensité du maïs dans le paysage (fréquence de présence dans l'assolement à l'instant T) a également été prise en considération. En effet, ce facteur peut contribuer à maintenir une population à un niveau élevé dans un secteur géographique.
Sol et climat
Le type de sol influence également le potentiel de développement de la chrysomèle du maïs. Notamment, les sols argileux – plus favorables aux pontes et entraînant une moindre dessiccation des œufs et des jeunes larves – semblent plus favorables que les sols très sableux. Dans ces derniers, l'abrasivité et le risque de dessiccation seraient plus néfastes pour les jeunes larves.
Les conditions climatiques influencent beaucoup les niveaux de population. Les observations récentes réalisées en France et en Italie le confirment : les printemps 2012 et 2013 très humides ont eu à chaque fois pour conséquence des populations plus limitées au cours de la période estivale.
Cependant, les contextes climatiques particuliers n'ont pas été pris en compte dans l'étude. Nous avons considéré les conditions climatiques comme non limitantes et globalement favorables à l'augmentation des populations.
Protection insecticide au semis
Enfin, un autre critère susceptible d'influencer le niveau de population est la protection insecticide. Seule la protection appliquée au semis – contre les larves – a été prise en compte et avec une incidence relativement limitée par rapport aux autres facteurs.
La protection insecticide appliquée en végétation contre la pyrale ou la sésamie n'a pas été retenue dans l'analyse car les traitements chimiques – qui concernent de faibles surfaces – sont le plus souvent réalisés en dehors de la période de présence des adultes de chrysomèle du maïs. Ces traitements réalisés en végétation auront donc a priori une incidence très limitée sur les populations de ce ravageur.
Facteurs influençant la nuisibilité pour un niveau donné de population
Constat : même population, pertes différentes selon le stress hydrique
Le niveau de population n'est pas le seul élément qui détermine la nuisibilité. Les travaux de Dun, Mitchell & Agosti montrent qu'un même niveau de dégâts sur racines peut occasionner des nuisibilités différentes. Ainsi, la perte de rendement est environ six fois plus importante dans les conditions de l'Illinois que dans la plaine du Pô en Italie. Les conditions climatiques, et plus précisément le stress hydrique auquel le maïs est exposé durant la période estivale, expliquent en grande partie ces écarts de nuisibilité économique. Cela signifie que l'incidence des attaques de chrysomèle du maïs peut être appréhendée selon le climat estival, le type de sol et sa réserve utile ainsi que de l'éventuelle irrigation de la parcelle.
Mais aussi selon l'état des racines avant l'attaque
D'autres facteurs peuvent également influencer l'incidence des attaques sur le rendement. D'une façon générale, moins la biomasse racinaire du maïs sera développée et plus l'incidence d'une attaque sera prononcée sur le rendement. Donc toute pratique agronomique favorable à l'installation des plantes et procurant un fort développement racinaire avant les attaques de larves sera en théorie plus favorable à la culture.
L'implantation précoce d'une variété dont l'indice de précocité est élevé avec une fertilisation starter au semis esquivera mieux les attaques de larves sur racines. Cela diminuera en partie l'incidence des attaques du ravageur. L'application d'une protection insecticide au semis – ciblant par exemple les taupins – contribuera aussi à la préservation du système racinaire et donc à la diminution de l'incidence sur le rendement des attaques de la chrysomèle.
Cartographie fine des risques
Trois millions d'hectares de maïs potentiellement touchés ?
Ces différents critères permettent d'estimer le risque de nuisibilité de la chrysomèle du maïs en fonction de quelques caractéristiques de la parcelle.
Cependant, les 3 millions d'hectares de maïs que comporte la France sont répartis dans des parcelles dont les caractéristiques peuvent être très différentes. Justement, une description fine de la culture du maïs a été réalisée par Arvalis.
La France des segments
La France a été découpée en différentes entités géographiques – appelées segments – considérées comme relativement homogènes sur différents critères : type de sol, disponibilité climatique, potentiel de rendement, système de culture, système de production...
54 segments maïs grain et 51 segments maïs fourrage ont ainsi été géoréférencés. (N. B. : les segments maïs grain et maïs fourrage peuvent se chevaucher).
Chacun de ces segments a été décrit précisément grâce à des informations issues de base de données (statistiques agricoles, texture du sol...) complétées par des données d'experts (itinéraire technique...).
Potentiel de population dans chaque segment
En utilisant les informations relatives aux critères discutés précédemment, en émettant les hypothèses que la chrysomèle serait présente partout sans qu'aucun obstacle n'empêche son installation et sa progression sur l'ensemble du territoire, il est possible d'estimer le potentiel de développement de la population de la chrysomèle du maïs dans chacun des segments.
Comme nous l'avons vu pour d'autres régions du monde, la population de chrysomèle du maïs a une incidence variable selon les risques d'exposition au stress hydrique et l'itinéraire technique. Les informations concernant ces critères permettent donc d'évaluer l'incidence théorique du ravageur dans l'hypothèse d'une population de chrysomèle installée uniformément.
Nuisibilité de chaque population potentielle
Il est ainsi fort probable que des cultures de maïs implantées tardivement dans sols favorables aux ravageurs et exposées à un stress hydrique estival important (faible RU, réserve utile, du sol, absence d'irrigation) en zone continentale subissent une plus forte perte de rendement qu'un maïs semé tôt et dont le stress hydrique estival serait limité grâce à une RU du sol importante ou encore à une irrigation.
À partir de la prévision du risque de présence (Figures 1 et 2), une prévision du risque de nuisibilité de la chrysomèle du maïs peut ensuite être calculée (Figures 3 et 4).
Pour cela, on croise les informations concernant le potentiel de développement de population avec l'incidence des attaques.
Ce travail a été réalisé pour chacun des segments de maïs grain et de maïs fourrage. Les segments sont classés en valeur relative en fonction du risque de nuisibilité de la chrysomèle du maïs.
Évalué seulement pour les maïs à précédent maïs
Il est important de noter que le risque indiqué ne concerne pas toutes les parcelles présentes dans le segment, mais seulement les parcelles de maïs ayant un, voire deux maïs comme cultures précédentes.
À l'échelle nationale, cela ne concerne environ plus que 44 % des surfaces de maïs grain et 13 % des surfaces de maïs fourrage.
Résultats de l'évaluation
La chrysomèle ne sera pas nuisible partout où elle sera présente
Dans l'hypothèse où le ravageur s'installerait sur l'ensemble du territoire et que les producteurs ne modifieraient pas leurs pratiques culturales actuelles, environ 25 % des surfaces de maïs grain et 10 % des surfaces de maïs fourrage seraient exposées à un risque de nuisibilité liée à la chrysomèle du maïs. Les plus forts risques de pertes devraient se concentrer sur moins de 10 % des surfaces de maïs grain et 6 % des surfaces de maïs fourrage.
Nuisible dans certains secteurs
Les maïs situés dans les régions Alsace, Bourgogne, Rhône-Alpes et du Sud-Ouest sont les plus exposés.
Il faut aussi ajouter les maïs fourrage de Normandie parmi ceux concernés par les plus forts risques de nuisibilité.
Sans surprise, les secteurs où le maïs est largement dominant dans la rotation, et plus particulièrement en monoculture, sont ceux où le risque de nuisibilité sera le plus élevé. À l'opposé, nombreux sont les secteurs géographiques où cette chrysomèle n'aura pas d'incidence économique car l'assolement, le type de sol ou bien un autre facteur n'est pas favorable au ravageur.
Ainsi, la chrysomèle du maïs peut potentiellement s'installer et se développer partout en France. Mais les surfaces concernées par un fort risque de nuisibilité de ce ravageur sont en fait assez limitées.
Elles sont comparables aux superficies déjà exposées à d'autres ravageurs du sol comme par exemple les taupins – selon les estimations réalisées par Arvalis dans la base de données présentée précédemment – et dont la qualité de la protection actuellement disponible est, du reste, loin d'être parfaite.
Cela représente au final des surfaces largement inférieures à celles actuellement concernées par la pyrale du maïs (laquelle concerne 50 % des surfaces).
Concentrer les efforts en zones à risque
Cependant, cette analyse ne doit pas encourager au laxisme et à l'absence de lutte contre la chrysomèle du maïs.
Au contraire, cela doit permettre de concentrer les efforts de surveillance et d'accompagnement technique dans les secteurs qui pourraient être réellement exposés à un risque de nuisibilité économique dans l'avenir.
Dans ces secteurs géographiques désormais bien identifiés (voir Figures 3 et 4), anticiper la mise en œuvre de mesures de gestion des populations de cette chrysomèle du maïs est sans aucun doute une solution à privilégier pour garantir une production durable de la culture.
Fig. 1 à 4 : Cartographie de prévision du risque chrysomèle du maïs
Cartes 1 et 2, la présence : potentiel de développement des populations.
Cartes 3 et 4, la nuisibilité : potentiel de nuisibilité pondéré par le niveau de population, non pas pour l'ensemble des parcelles de maïs du segment, mais seulement pour celles ayant un voire deux maïs comme culture(s) précédente(s).