Depuis 2012, la rouille jaune est redevenue une maladie majeure du blé en France. État des lieux en mai 2014.

En France, tout a recommencé en 2012 : cette année-là, la rouille jaune du blé, classée depuis belle lurette comme une maladie cantonnée à la bordure maritime de notre pays, refait parler d'elle. Au printemps 2013, confirmation... En 2014, démarrage en fanfare ! Que se passe-t-il ?

La victoire de Warrior

Progression fulgurante

La recrudescence vue en France depuis 2012 est liée à des conditions climatiques favorables, mais aussi à l'arrivée d'une nouvelle race de l'agent de la rouille jaune Puccinia striiformis f. sp. tritici. Cette race a été nommée au départ Warrior/Ambition, du nom des deux variétés de blé tendre sur lesquelles on l'avait trouvée en premier lieu. C'était en 2011.

Dès cette année-là, elle représentait la moitié des isolats analysés dans notre pays ! C'est ressorti du suivi annuel des populations réalisé par l'Inra en collaboration avec Arvalis, la SDQPV(1) et ses SRAL-SRPV(2), le Geves(3), des établissements de sélection intéressés par la résistance variétale et enfin des coopératives via notamment le réseau InVivo. Mais en 2011, comme en 2010, la pression des maladies du feuillage avait été très faible et l'information quasi ignorée sur le terrain.

En 2012, la pression était forte et on a vu de la rouille jaune là où on l'attendait mais aussi ailleurs. Les attaques ont affecté le blé tendre mais aussi le blé dur et le triticale, non seulement en bordure maritime mais aussi dans l'intérieur du pays...

Analyses faites, la race Warrior, comme on dit maintenant, était ultra-majoritaire en France : 94 % des 244 isolats testés.

Toujours hyper-dominante en 2013

Et en 2013 ? En France, la rouille jaune a démarré tard suite à l'hiver rigoureux. Elle s'est montrée moins virulente qu'en 2012 sur blé, comme toutes les maladies fongiques (on a fini sur une année moyenne). En revanche, le triticale a été très attaqué. Quant aux résultats d'analyse (Vallavieille-Pope et al., 2014), ils sont sans appel : 96 % des 156 souches de rouille jaune collectées en 2013 et analysées étaient de la race Warrior.

Rappel sur ses particularités

Cette race a deux particularités principales :

– Elle contourne les résistances de certaines variétés de céréales en cumulant des gènes de virulence, dont deux absents des races présentes auparavant et notés « Yr 7 » et « Yr SP ».

– Elle est, bien plus que les races « habituelles », capable de produire des téleutosores et téleutospores. Ainsi, Warrior a une aptitude à la reproduction sexuée plus élevée que les autres races trouvées précédemment en France.

2014, année des records

Précocité record le long de la Manche

En 2014, la rouille jaune a démarré bien plus tôt qu'en 2013. Certes, la végétation a, elle aussi, démarré tôt vu la douceur de l'hiver. Mais la maladie a été encore plus rapide. Citons le BSV (Bulletin de santé du végétal) Grandes cultures de Normandie : il la signale sur des parcelles n'ayant « pas encore atteint le stade épi 1 cm » et ajoute que « la situation est inédite, la rouille jaune n'ayant jamais été observée en foyers à des stades si précoces ». Ainsi la rouille jaune est signalée dans tous les BSV des régions bordant la Manche, dès février :

– dans le Nord-Pas-de-Calais sur variétés dites sensibles (Alixan, Altigo, Expert, Fairplay, Trapez) ;

– en Picardie, là encore sur variétés sensibles (Allez-y, Altigo, Barok, Boregar, Expert, Trapez) ;

– en Normandie sur Allez-y, Altigo, Expert, Trapez ;

– en Bretagne sur Alixan, Altigo et Expert dans les Côtes-d'Armor, et sur Chevron en Ille-et-Vilaine.

Mais aussi ailleurs en France

Mais la maladie est signalée aussi dès février dans les BSV de :

– Poitou-Charentes « sur variétés sensibles » ;

– Aquitaine, là aussi sur variétés sensibles (le BSV cite Sollario, semis du 20 octobre) ;

– Midi-Pyrénées : « très nombreux foyers [...] en Aveyron, Gers, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne (surtout sur) Sollario et Quality et (parfois aussi sur) Galibier et Tiepolo » ;

– Languedoc-Roussillon sur blé dur (var. Byblos et Surmesur).

En allant vers l'est, où les BSV Céréales démarrent en mars, la rouille jaune est elle aussi signalée tôt. Dans le Centre, celui du 4 mars la cite « notamment sur Altigo ».

En Bourgogne, elle est signalée le 11 mars.

En Champagne-Ardenne dans celui du 13 mars : « Des symptômes de rouille jaune en foyers sont signalés dans 7 parcelles du réseau (fixe et flottant) dans l'Aube et la Marne. Des cas ont été également signalés dans les Ardennes dans des réseaux d'observations partenaires. [...] La présence [de rouille jaune] est également signalée depuis plusieurs semaines dans les régions voisines [dont l'Île-de-France] sur variétés sensibles type : Allez-y, Altigo, Barok, Boregar, Expert et Trapez (semis précoce, fin septembre-début octobre). »

Ainsi, la campagne 2013-2014 se distingue par un démarrage précoce de l'épidémie, précoce en date mais aussi vis-à-vis du stade des céréales malgré l'avance de ces dernières.

Forte gravité

Ensuite, cette rouille a continué à croître et s'annonce fortement nuisible. Début mai, des conseillers préconisaient le deuxième traitement qui la vise (avec d'autres maladies).

Tolérance variétale et identité des souches

Présence sur des variétés moins sensibles

Point important : selon G. Couleaud et al., la rouille jaune ne s'est pas manifestée seulement sur les variétés réputées sensibles (ils citent Alixan, Allez-y, Altigo, Barok, Chevron, Ephoros, Expert, Hywin, Sollario, Trapez...). On l'a vue aussi sur des variétés classées comme résistantes à Warrior, notamment Cellule, Joker, Lyrik, Rubisko et SY Moisson.

De plus, information de dernière minute : le 13 mai, Michael Tarvernier (CapSeine) signalait une attaque sur Apache. Attaque modérée, certes, mais...

...Une nouvelle race serait-elle arrivée avec de nouveaux gènes de virulence contournant la résistance d'Apache ?

Hypothèse « nouvelle race »

C'est l'hypothèse de Cédric Dufour (coopérative Qualisol, Beaumont-de-Lomagne, Tarn-et-Garonne), dans une vidéo diffusée sur le site de La France Agricole le 2 mai. Il signale la très forte et précoce pression sur des parcelles suivies. Il ajoute : « Parmi les variétés tolérantes, cette année, certaines sont touchées. » Pour savoir s'il y a « de nouvelles souches », il attend les résultats de l'analyse de ses échantillons par l'Inra.

À l'appui de son hypothèse, un fait : une autre nouvelle race est apparue au Royaume-Uni en 2011. Nommée KWS Sterling, elle contourne la résistance d'Apache, blé connu en France et parent d'autres variétés. En 2013, KWS Sterling n'a pas été détectée en France. Mais en 2014 ?

Hypothèse « résistance adulte »

On peut se poser la question. Mais la réponse n'est pas forcément oui. En effet, les variétés tolérantes à la rouille jaune attaquées début 2014 n'ont probablement que des résistances adultes – comprendre : qui ne se manifestent qu'au stade adulte. Or les années précédentes, même en 2012, la rouille jaune n'avait pas attaqué avant ce stade. Les variétés résistantes au stade adulte avaient donc, effectivement, bien résisté.

Pour en savoir plus, l'Inra a contaminé des plantules des variétés Cellule et Rubisko, classées résistantes au champ, avec les races présentes en France (Warrior et les autres). Bilan : vis-à-vis de ces races, ces variétés de blé résistantes au stade adulte sont sensibles au stade plantule (Couleaud et al., 2014). Normal d'avoir vu des symptômes début 2014 ! De même, le vénérable Soissons est, au stade plantule, sensible aux races présentes en France, mais il résiste au stade adulte et continue donc à faire pièce à la rouille jaune.

Au final, que faire ?

Les résultats des analyses des souches de P. striiformis f. sp. tritici devraient tomber fin 2014. On saura alors si Warrior est talonnée par une race inédite en France, KWS Sterling voire une autre. En attendant, il faut gérer la maladie. Les fongicides autorisés contre elle (281 préparations selon e-phy) sont efficaces sur toutes les races présentes. Les nouvelles races de P. striiformis contournent des résistances variétales des céréales mais ne résistent pas aux fongicides. G. Couleaud et al. conseillaient, le 14 avril, face à « des foyers importants sur feuilles supérieures aux stades 1-2 nœuds d'intervenir avec un traitement efficace pour limiter l'extension qui peut être rapide et très dommageable ».

<p>(1) Sous-direction de la qualité et de la protection des végétaux de la DGAL, direction générale de l'Alimentation, du MAAF, ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Forêt.</p> <p>(2) Services régionaux de l'Alimentation/Services régionaux de la protection des végétaux.</p> <p>(3) Groupe d'études et de contrôle des variétés et des semences.</p>