État des lieux

Face aux ravageurs, les solutions de lutte directe

JEAN-LOUIS BERNARD* - Phytoma - n°675 - juin 2014 - page 9

Vu l'évolution des insecticides et des méthodes alternatives et complémentaires, quelles sont les pistes dans un avenir proche pour protéger les cultures ?
Les vergers de pommiers subissent les attaques de différents ravageurs, parmi lesquels le classique carpocapse, cible d'insecticides de synthèse et de méthodes alternatives. Photo : M. Decoin

Les vergers de pommiers subissent les attaques de différents ravageurs, parmi lesquels le classique carpocapse, cible d'insecticides de synthèse et de méthodes alternatives. Photo : M. Decoin

Nid de processionnaire... du pin, bien sûr. Les chenilles de ce lépidoptère occasionnent des nuisances comme les allergies. Le Bacillus thuringiensis est souvent utilisé contre ce ravageur d'arbres. Photo : J.-C. Martin

Nid de processionnaire... du pin, bien sûr. Les chenilles de ce lépidoptère occasionnent des nuisances comme les allergies. Le Bacillus thuringiensis est souvent utilisé contre ce ravageur d'arbres. Photo : J.-C. Martin

On connaît l'importance des dommages causés aux cultures par les ravageurs. Au niveau mondial, sur la période 2001-2003, on a ainsi calculé(1) qu'ils font perdre environ 18 % des récoltes au champ, plus les pertes durant le stockage et le transport des denrées végétales.

Si une protection efficace des cultures est nécessaire, il ne faut pas confondre « protection des cultures » et « pesticides ». Ces derniers ne sont que l'un des moyens de minimiser les dégâts(2).

Alors, dans le monde de la protection des cultures contre les ravageurs, quelles sont les nouvelles solutions ? Où sont les pistes de progrès ? Réponses ici, à propos des moyens directs de protection.

Les ravageurs posent des défis

Les classiques et les envahissants

Classiquement, la lutte contre des ravageurs indigènes à nos régions (ex. : carpocapse, tordeuses de la vigne, altises des crucifères) occasionne une bonne part de l'emploi des insecticides. Mais de nouvelles espèces envahissantes risquent d'entraîner d'énormes dépenses, voire de profonds bouleversements. En témoignent des exemples récents : chrysomèle américaine du maïs (Diabrotica virgifera), mineuse sud-américaine de la tomate (Tuta absoluta), diptère polyphage asiatique Drosophila suzukii et ses dommages sur cerisier, fraisier, etc.

Le commerce mondialisé est tel que le danger peut venir de tous côtés. Ainsi le nématode du pin (Bursaphelenchus xylophilus), introduit d'Amérique du Nord au Japon, semble avoir gagné la Chine et la Corée du Sud, puis le Portugal en 1999 et l'Espagne en 2008, d'où il menace la forêt des Landes.

Au fil des décennies, les ravageurs introduits ont orienté nettement l'emploi des insecticides. Par exemple sur le pêcher, les insectes arrivés au XXe siècle (ex. : tordeuse orientale, cératite, thrips Frankliniella...) et les virus que certains arthropodes véhiculent (ex. : Sharka) déclenchent aujourd'hui près de 40 % des interventions insecticides.

Résistants, réémergents, ex-secondaires

Un autre problème est la difficulté apparue dès les années 1960 pour contrôler des ravageurs devenus résistants à des solutions chimiques ou biologiques(3) mises en œuvre sans méthode, voire sans discernement.

Autre difficulté : l'apparition de ravageurs réémergents longtemps contenus grâce à l'emploi de substances persistantes et/ou à large spectre aujourd'hui retirées du marché. C'est le cas des taupins et vers blancs depuis la disparition des organochlorés et carbamates.

Enfin, depuis l'abandon d'anciens insecticides polyvalents et l'allégement des programmes de lutte, on note la recrudescence de ravageurs autrefois classés comme secondaires.

Une étude récente(4) sur les pommiers et poiriers du Val de Loire montre que plus de 23 espèces de tordeuses différentes cohabitent avec le carpocapse (Cydia pomonella), cible prioritaire des traitements insecticides. On peut voir ainsi resurgir des tordeuses tenues auparavant comme d'importance mineure, dans les parcelles en lutte raisonnée, les vergers conduits en confusion sexuelle ou en agriculture biologique(5). Depuis 2008, certains vergers suivis dans cette étude ont ainsi connu des dégâts atteignant 25 % des fruits attaqués.

En cultures ornementales sous abri, les infestations de cicadelles auparavant maîtrisées par les insecticides posent problème(6). En grandes cultures, on peut craindre que les restrictions d'emploi des néonicotinoïdes en protection des semences soient demain à l'origine de difficultés du même type.

Panoplie de lutte directe antiravageurs : l'agriculture relève les défis

Un flux de créativité depuis la fin des années 1990

Dans ce contexte évolutif, les interrogations portent d'abord sur les solutions nouvelles pour la lutte directe, même si la lutte indirecte a aussi sa place (voir Encadré 1).

Confrontée à des contraintes d'ordre réglementaire, environnemental ou sociétal, la protection des cultures contre les ravageurs semble générer depuis la fin des années 1990 un flux de créativité qui rappelle celui connu entre 1870 et 1920 (voir Encadré 2).

Parmi les avancées récentes en matière de lutte directe contre les ravageurs, il paraît important de souligner les faits saillants suivants.

Insecticides chimiques : baisse de tonnage

Depuis les années 1990, le progrès des stratégies de protection et de la lutte raisonnée, la mise au point de nouvelles substances actives à faible grammage par hectare, l'abandon de produits anciens pondéreux et la prise en compte des méthodes de lutte intégrée ont contribué à réduire l'emploi des insecticides et acaricides en agriculture (Figure 1).

Ce mouvement, entamé bien avant le Grenelle de l'environnement, touche tous les produits phytopharmaceutiques, mais la régression des quantités d'insecticides employées a été plus rapide que pour les autres catégories de substances.

Actuellement, insecticides et acaricides ne pèsent que 2 % environ du tonnage total des substances phytopharmaceutiques utilisées chaque année en France. Ces quantités sont probablement les plus basses utilisées par l'agriculture française au cours des cinquante dernières années.

Choix de solutions : moins d'insecticides chimiques mais davantage de macro et micro-organismes

Le retrait de nombreuses substances actives (lié à l'application de la directive 91/414), la mise en œuvre du « paquet pesticides » européen (quatre textes réglementation), les restrictions environnementales, le plan Ecophyto ainsi que la mise au point de nouvelles solutions ont dessiné une palette de moyens pour l'action directe bien différente de celle du passé.

Les conférences récentes ou celles en préparation organisées par l'Association française de protection des plantes (AFPP)(9) témoignent de la réalité des nouvelles menaces biologiques, mais aussi d'un renouveau de créativité pour un large éventail de moyens de lutte.

L'analyse rapide du nombre de solutions autorisées contre les arthropodes ravageurs laisse ainsi apparaître une certaine progression (Figure 2). Ainsi, nous sommes passés de 69 solutions officiellement autorisées en 1965 à 149 solutions en 2014, après un « pic » de 161 solutions en 2000. La nature des solutions autorisées a aussi changé avec l'inscription de plus de 60 macro-organismes depuis 1995, ainsi que de plusieurs insecticides à base de micro-organismes.

Attention au trompe-l'œil

Mais cette abondance apparente est trompeuse. La spécificité d'action des nouveaux moyens, jointe à la disparition de substances anciennes polyvalentes suite à l'application de la directive 91/414, fait qu'en pratique plus de 95 % des interventions reposent sur une base étroite de substances obtenues par synthèse ou par fermentation.

Cela n'est pas compensé par de nouvelles substances minérales ou des extraits végétaux dont le nombre stagne.

Un risque de résistance accru, pourquoi ?

Avec les anciennes stratégies de lutte aujourd'hui abandonnées, une telle situation peut conduire à l'apparition de résistances délicates à maîtriser.

Dans les cultures sous abri, la multiplication des auxiliaires et des outils biologiques rend possible le contrôle de la majorité des ravageurs avec un appoint limité d'insecticides classiques. Dans les cultures pérennes où plusieurs traitements insecticides interviennent chaque année (vigne, arboriculture...), la mise en œuvre des techniques de protection intégrée ralentit l'apparition du phénomène.

Mais il ne peut être totalement écarté dans certaines grandes cultures à forte pression de ravageurs. C'est en particulier le cas du colza d'hiver, soumis à une pression forte et régulière de ravageurs variés(10).

Insecticides de synthèse : des améliorations méconnues

Un criblage plus précis

Pour maîtriser les pullulations de ravageurs, les produits de synthèse restent donc majoritaires en cultures de plein champ. Mais leur nature a considérablement évolué.

Même si le flux des nouveautés s'est ralenti, les nouvelles substances de synthèse dotées d'une AMM ne sont plus issues d'un criblage de hasard comme entre 1950 et 1970. Au contraire, elles sont conçues pour permettre l'interaction la plus précise possible avec des cibles déterminées, tirant parti des connaissances biologiques les plus récentes, servies par de puissants outils informatiques et mathématiques qui permettent de travailler les molécules en trois dimensions.

Ce faisant, la sélection est devenue de plus en plus exigeante : aujourd'hui 150 000 structures chimiques sont examinées pour une seule substance active mise sur le marché ! En outre, l'effort s'exerce souvent sur des structures repérées dans le milieu naturel chez des bactéries, champignons ou végétaux dotés de propriétés intéressantes vis-à-vis de certains ravageurs.

Le profil se modifie

On assiste donc à un phénomène ignoré du public et occulté par les détracteurs de l'agriculture. Par le jeu du retrait des substances anciennes et de l'arrivée des nouveaux composés de synthèse, le profil de la pharmacopée est en train de se modifier rapidement sur la plupart des critères décrivant la toxicité ou le risque environnemental.

Ce changement profond peut être illustré par un regard simple sur un critère simple : la dose létale 50 orale sur rat des substances autorisées (Tableau 1).

Les insecticides ont été perçus, depuis leur origine, comme des poisons (ex. : arsenic, nicotine...). La pharmacopée du futur, alliant nouveaux produits de synthèse et insecticides issus de micro-organismes, pourrait transformer nettement cette perception des choses.

Produits phytos alternatifs

Les substances naturelles à considérer

Il existe par ailleurs des substances naturelles, insecticides ou répulsives, objets de recherches, voire récemment autorisées pour des usages précis (huiles essentielles, kaolin...). S'il est possible de repérer dans le milieu naturel des composés dotés d'effets répressifs sur des ravageurs, certains ne sont pas dénués de toxicité et/ou ont des performances fugaces insuffisantes pour répondre aux attentes des cultivateurs. Dans tous les cas, on devra considérer la valeur du service apporté (réalité des effets mesurables sur les arthropodes ravageurs) en regard des risques encourus et des coûts induits.

Le sens des évolutions positives que nous constatons ici pour la France existe dans d'autres pays. Aux États-Unis, une récente enquête sur les pratiques des viticulteurs californiens le démontre clairement(11).

Phéromones et confusion sexuelle

Si la chimie de synthèse a permis de produire des phéromones d'insectes dans les années 1970, autorisant la mise en place de réseaux de piégeage performants, la lutte par confusion sexuelle s'est développée dans les années 1990. Les progrès sont lents en grandes cultures, mais considérables en viticulture et dans les vergers.

Ainsi, pour le vignoble champenois, avec un engagement très fort des organismes de conseil locaux, les surfaces protégées par confusion sexuelle y ont atteint 4 660 hectares, soit 15 % du vignoble dès 1999. En 2013, cette superficie avoisine 13 000 ha soit près de 40 % de l'aire d'appellation et plus de 50 % de surfaces justifiant un traitement. Jointes à une meilleure prévision des risques, les zones ainsi protégées contre les tordeuses – ravageurs dominants – ont vu se réduire de près de 95 % l'emploi des insecticides en quinze années(12).

Le champ d'action de cette méthode est appelé à s'étendre avec la mise au point de diffuseurs à large spectre concernant simultanément les ravageurs dominants mais aussi secondaires d'une culture. Les progrès sont réguliers dans le domaine de la qualité des diffuseurs, de leur praticité (durée d'activité, abaissement du nombre à poser par hectare...).

Dans un proche avenir, il est vraisemblable que la lutte par confusion sexuelle s'étendra dans les productions à forte valeur ajoutée dans toute la France.

Piégeage de masse

Le piégeage de masse est une méthode ancienne, estimée dans le passé peu efficace car reposant seulement sur des attractifs alimentaires ou lumineux.

À partir de 1980, des pièges combinant un attractif alimentaire et un insecticide ont été employés contre les mouches de l'olivier, des agrumes, des fruits à noyau... Une meilleure connaissance de la biologie ou de la physiologie des ravageurs, souvent complétée par un emploi judicieux des phéromones, a remis cette technique au goût du jour avec des succès qui laissent bien augurer.

Ainsi, contre la processionnaire du pin, ravageur en extension régulière du sud vers le nord de la France, 15,9 % des communes pratiquant une lutte quelconque utilisaient en 2012 des pièges attractifs à phéromones afin de réduire les accouplements et le nombre de pontes. Le même pourcentage de communes appliquait une méthode de cerclage des troncs et de capture des chenilles. Les utilisateurs souhaitent développer ces deux techniques de piégeage dans le futur(13).

Dans les serres et en plein air pour les jardins ou les cultures d'arbres isolés (ex. : cerisier, olivier...), des pièges englués combinant phéromone et couleur attractive sont aujourd'hui commercialisés pour capturer les mâles de lépidoptères, thysanoptères, diptères... nuisibles aux végétaux.

Autre type de piégeage, le concept « attract and kill », développé dans certaines régions du monde, en particulier pour les diptères ravageurs des fruitiers, associe phéromone et insecticide au sein d'un piège réservoir vers lequel les mâles de ravageurs précis sont irrésistiblement attirés.

Une nette évolution de ces procédés est prévisible si on considère l'immense parti à tirer des synergies entre attractif visuel, substrat alimentaire, substances dérivées du végétal hôte du ravageur, phéromone spécifique, activateurs, forme des pièges... À l'exemple de ce que montrent les travaux sur le charançon rouge du palmier(14).

Micro-organismes

Certaines préparations font appel à des bactéries, champignons ou virus. Pour leur inventaire actualisé, renvoyons au point complet de C. Regnault-Roger(15). La plupart de ces substances visent un spectre de ravageurs assez étroit et présentent un risque faible pour les vertébrés. En revanche, leur persistance d'action est en général assez brève, leurs contraintes d'utilisation supérieures à celle des insecticides de synthèse et elles peuvent être concernées par l'apparition de résistances. Nombre d'entre elles nécessitent encore des travaux pour préciser leur valeur dans les conditions de la pratique agricole.

Avec le célèbre Bacillus thuringiensis, le règne des bactéries fournit un archétype éprouvé de ces moyens de lutte. Dans le monde, il est l'outil au moyen duquel sont réalisés la majorité des traitements insecticides biologiques. Deux Bt à sites d'action spécifiques sont utilisables en alternance contre les lépidoptères (Btk ou kurstaki et Bta ou aizawai), d'autres souches visent des coléoptères (Btt ou tenebrionis) ou diptères (Bti ou israelensis).

Le principal baculovirus utilisé en France est une préparation contre le carpocapse. Il existe d'autres virus insecticides potentiels, mais leur cible étroite, leur brève durée d'action, leurs particularités de stockage et de mise en œuvre et leurs contraintes de fabrication limitent leur expansion.

Ces dernières années, des préparations insecticides à base de spores de champignons ont été autorisées. Divers Beauveria sp. sont utilisables contre la pyrale du maïs, le ver blanc de la canne à sucre ou le papillon palmivore (Paysandisia archon).

Des souches de Beauveria bassiana sont prometteuses contre le charançon rouge du palmier(16). Une souche de Metarhizium anisopliae a été récemment autorisée contre les otiorhynques. Sous serres, il y a des solutions anti-aleurodes à base de Verticillium lecanii ou Paecilomyces fumosoroseus.

Du côté des auxiliaires

Apport en lâchers : réussir la production et la suite

Il ne suffit pas de repérer dans le milieu un organisme « candidat » au statut d'auxiliaire pour le rendre efficient en lâchers inoculatifs ou inondatifs. Il faut réussir sa production en masse, son conditionnement, sa distribution et sa conservation, puis affiner les conditions de sa mise en œuvre pour pouvoir proposer son utilisation. Or les moyens de la recherche publique consacrés à la lutte biologique en Europe, France comprise, tendent à s'amenuiser, alors que de nouveaux ravageurs arrivent tous les ans sans leur cortège de parasites(17).

Net succès sous abris, plus mitigé en plein air

Parmi les domaines en progrès régulier, les productions sous abri voient aujourd'hui leurs populations de pucerons, mineuses, aleurodes, thrips et acariens phytophages bien régulées grâce à ces moyens biologiques. Il faut peu d'insecticides mais moult connaissances pour détecter précocement la présence des ravageurs et piloter à l'optimum l'introduction d'auxiliaires adaptés. Les cultures les plus concernées sont la tomate et le concombre, suivies du poivron, de la courgette, du fraisier et de diverses productions florales et ornementales.

La situation n'est pas aussi favorable en cultures de plein air. Un exemple de succès demeure l'utilisation à grande échelle du parasitoïde Trichogramma brassicae contre la pyrale du maïs qui concerne chaque année en France des surfaces de l'ordre de 120 000 ha. Ailleurs, des progrès restent à réaliser pour développer des méthodes aussi fructueuses.

Néanmoins, dans les vergers, vignes et fraiseraies, l'usage des typhlodromes contre les acariens phytophages est devenu assez courant. Contre le psylle du poirier, la punaise prédatrice (Anthocoris nemoralis) est dans le commerce. Après le succès de ses lâchers initiaux, l'hyménoptère parasitoïde Neodrynus typhlocybae s'est dispersé pour enrayer les pullulations de Metcalfa pruinosa, cicadelle polyphage introduite en Europe en 1980. Il existe des travaux prometteurs sur Trichogramma chilonis contre le foreur ponctué de la canne à sucre à la Réunion. Depuis 2009, des efforts considérables ont été entrepris pour contrer Tuta absoluta. On a isolé des auxiliaires autochtones actifs dans le milieu naturel, sélectionné des espèces élevées pour d'autres cibles et testé des insecticides de nouvelle génération.

Combinaison avec d'autres moyens

Après cinq ans d'effort, la combinaison de ces moyens laisse augurer d'une maîtrise convenable de ce ravageur important(18). En effet, pour contrôler la plupart des ravageurs autochtones ou anciennement introduits, on ne peut pas s'appuyer sur un seul auxiliaire. Cependant, il apparaît que les administrations nationales sont de plus en plus réticentes aux échanges débridés de matériel biologique(19).

Pour ces cas, qui sont les plus nombreux, il est vraisemblable que le progrès viendra de stratégies de défense élaborées pas à pas, combinant dans des conditions définies plusieurs auxiliaires complémentaires avec les nouveaux moyens de la lutte insecticide. Dans ce domaine, de bonnes pistes se présentent pour contrer l'expansion des cochenilles en viticulture.

Le cas des nématodes

Il existe enfin des préparations à base de nématodes vendues contre des ravageurs définis. Des espèces entomopathogènes comme Steinernema carpocapsae, utilisé contre le carpocapse, les noctuelles terricoles, les tipules... ; S. feltia, contre la mouche des terreaux, le carpocapse... ; S. kraussei, Heterorhabditis bacteriophora, H. megidis, contre les larves d'otiorhynques... L'espèce Phasmarhabditis hermaphrodita s'attaque plus spécifiquement aux limaces.

Parmi les cultures bénéficiant le plus de préparations à base de nématodes, le fraisier est ainsi protégé des otiorhynques et la bananeraie antillaise utilise conjointement des pièges attractifs et la souche FR27 de S. carpocapsae pour contrôler le charançon Cosmopolites sordidus. D'autres préparations sont testées sur le charançon rouge du palmier ou la chrysomèle des racines du maïs.

Ce type d'insecticide peut répondre à des problèmes délicats tels que le contrôle des ravageurs d'arbres d'ornement en milieu urbain. Des études ont démontré l'efficacité(20) de nématodes entomopathogènes sur les populations hivernantes et estivales du tigre du platane, combiné aux lâchers du prédateur indigène Chrysoperla lucasina pour contrôler les larves des populations printanières.

Lutte physique, le retour

Du mieux et du nouveau

Pas de passéisme dans cette approche mais des perfectionnements, des repositionnements, voire des innovations, éprouvés avec succès dans les conditions de la pratique et adoptés par un cercle élargi de professionnels.

Les filets

Les serristes font couramment appel à des dispositifs d'obturation insect-proof, en particulier sur les ouvrants des abris, pour éviter l'infestation des cultures par des ravageurs venus de l'extérieur.

Pour les cultures maraîchères de plein air, l'emploi de filet anti-insectes à mailles fines (de 1 mm à 350 µ) permet de se protéger de la plupart des insectes phytophages, même des thrips. Les filets de polyamide, matière la plus courante, assurent leur service durant une pleine saison, y compris contre les limaces.

La longévité de certaines fabrications peut atteindre cinq années. On doit noter aussi que le dernier Salon international des productions végétales d'Angers (Sival 2013) a distingué la société responsable de la mise au point de filets résistants à base d'amidon de maïs qui deviennent compostables en fin d'utilisation.

Plus récemment, pour lutter contre le carpocapse et d'autres ravageurs des vergers de fruits à pépins, la pose de filets protecteurs sur les rangées d'arbres a été testée avec succès dans les plantations provençales.

Il s'agit du concept Alt'Carpo, développé en particulier depuis 2006 par la chambre d'agriculture de Vaucluse. Adopté par un nombre croissant d'arboriculteurs, il se montre efficace pour limiter, voire supprimer les dégâts de carpocapse, de zeuzère, de cératite et... d'oiseaux. En revanche, il faut perfectionner le maillage ou la gestion des filets pour contrer d'autres ravageurs comme la tordeuse orientale ou la mineuse cerclée(21).

Les premiers tests réalisés en France avec des filets placés sur la frondaison des oliviers montrent qu'il est envisageable de prévenir ainsi les dégâts de la mouche de l'olive (Bactrocera oleae).

Là aussi, une mise au point sérieuse reste nécessaire afin d'éviter de favoriser simultanément le développement de l'œil-de-paon (Spilocaea oleaginea), maladie cryptogamique bien connue commune à toutes les oliveraies méditerranéennes(22).

Chaleur et froid sur les grains

Enfin, on ne saurait passer sous silence les progrès réalisés pour la préservation des grains stockés. Outre les mesures de prévention et d'exclusion, une récente conférence(23) a mis l'accent sur l'emploi de la chaleur à des doses létales pour les insectes des grains stockés, afin d'assainir les silos, les moulins et certaines denrées alimentaires(24).

Ces techniques, couplées aux méthodes actuelles qui font appel à l'air froid et sec pour la conservation du grain entreposé, profilent une stratégie qui n'est pas sans rappeler les propositions de Duhamel du Monceau(25) en 1754.

« L'état de l'art » se transforme

Les retombées actuelles des travaux entrepris pour rénover la défense des cultures contre les ravageurs sont en train de transformer rapidement « l'état de l'art ».

La lutte directe fait aujourd'hui appel à une panoplie d'insecticides modernes plus spécifiques et bien moins toxiques que les spécialités emblématiques d'une pharmacopée ancienne aujourd'hui disparue.

Appuyée sur les Bulletins de santé du végétal (BSV) et les outils d'aide à la décision, son utilisation repose sur un nombre croissant de solutions issues de micro-organismes, sur de nombreux arthropodes auxiliaires et sur le développement de la confusion sexuelle et du piégeage de masse.

<p>(1) Oerke E.-C., Crop losses to pests, <i>Journal of Agricultural Science,</i> vol. 44, issue 01 ; February 2006, p 31-43.</p> <p>(2) Voir pour mémoire les séances de l'Académie d'agriculture : Évolution des systèmes de culture en France (20/11/2013) ; Les éliciteurs de défense chez les plantes (6/02/2013) ; Le développement des plantes génétiquement modifiées (5/12/2012) ; Progrès récents dans l'identification de nouveaux virus (16/05/2012) ; Transition vers une protection intégrée des cultures (4/05/2011) ; Toxicité et produits végétaux (15/12/2010) ; La protection intégrée des cultures (25/11/2009)...</p> <p>(3) Tabashnik B. E., Evolution of resistance to <i>Bacillus thuringiensis. Annual Review of Entomology</i>, vol. 39 : 47-79, Jan. 1994.</p> <p>(4) Cocquempot C., Tanne M.-N., Dufresne M.-P., Dalstein M.-C., Les tordeuses en verger de pommiers et de poiriers. Les espèces en présence et leur identification, AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(5) Wateau K., Tournant L., Jamar L., Oste S., Les ravageurs secondaires en verger de production biologique : recherche de nouvelles techniques de lutte contre <i>Hoplocampa testudinea</i> Klug et <i>Anthonomus pomorum Linnaeus.</i> AFPP, 4e Conférence internationale sur les méthodes alternatives, Lille, 2011.</p> <p>(6) Maugin E., Sforza R., Les cicadelles sèment la zizanie en culture ornementale. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(7) Masselin J., Pratique actuelle du traitement des arbres fruitiers.</p> <p>(8) Nous parlons de « solution » pour désigner l'un des moyens de lutte directe autorisés (insecticides, acaricides, produits chimiques d'origine minérale, organique ou naturelle, régulateurs de croissance d'insectes, auxiliaires...) sans distinction de nature.</p> <p>(9) AFPP, 9e et 10e Conférences Internationales sur les ravageurs en agriculture, Montpellier, octobre 2011 et octobre 2014 ; 4e Conférence internationale sur les méthodes alternatives, Lille, 2011.</p> <p>(10) Rivière L., Savary C., Collet J., Boyer P., Marion P., Vigneau G., Ruck L., Ballanger Y., Le puceron vert du pêcher (<i>Myzus persicae</i>), vecteur de viroses en culture de colza d'hiver, résistant aux insecticides. AFPP, 9e Cira, oct. 2011 ; Ballanger Y., Detourne D., Résistance des méligèthes du colza (<i>Meligethes aeneus</i>) aux pyréthrinoïdes de synthèse : bilan de douze années d'enquête. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(11) Savage S., An example of how much pesticides have changed. http://appliedmythology.blogspot.fr/2014/01/an-example-of-how-much-pesticides-have.html</p> <p>(12) Descôtes A., Moncomble D., Champagne, environnement et développement durable. 30 ans d'histoire ! <i>Le Vigneron champenois</i>, nov. 2013, p 33-60.</p> <p>(13) Brinquin A.-S., Martin J.-C., Gutleben C., Laïlle P., Processionnaire du pin, les pratiques des communes. <i>Phytoma</i> n° 665, juin-juillet 2013.</p> <p>(14) Hamidi R., Schmidt-Buesser D., Couzi P., Lherminier B., Khfif K., Renou M., Avand-Faghin A., Rochat D., Charançon rouge du palmier, déjouer les pièges du piégeage. <i>Phytoma</i> n° 667, oct. 2013.</p> <p>(15) Regnault-Roger C., Produits de protection des plantes, Lavoisier. Janv. 2014.</p> <p>(16) Besse S., Crabos L., Panchaud K., Efficacité de deux souches de <i>Beauveria bassiana</i> sur le charançon rouge du palmier, <i>Rhynchophorus ferrugineus</i>. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(17) Kreiter P., La lutte biologique et les cochenilles : plus de cent ans d'histoire... Colloque « Les cochenilles, ravageur principal ou secondaire ». AFPP, 25 oct. 2011.</p> <p>(18) Voir par exemple : Guenaoui Y., Bensaad R., Ouezzani K., Vercher R., Perspectives d'utilisation des entomophages autochtones pour lutter contre <i>Tuta absoluta</i> Meyrick sur tomate sous abri non chauffée dans la région Nord/Ouest d'Algérie ; Lacordaire A.-I., Deux années de suivis dans le sud-est de la France de <i>Tuta absoluta</i> Meyrick. Stratégies de protection intégrée élaborées. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(19) Coutinot D., Ehret P., Langlet X., Importations d'organismes vivants à des fins scientifiques : évolutions récentes en France. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(20) Verfaille T., Piron M., Gutleben C., Jaloux B., Hecker C., Maury A., Chapin E., Clement A., Expérimentations et proposition d'une stratégie combinée de biocontrôle du tigre du platane <i>Corythucha ciliata</i> (Say) dans le cadre du programme Petaal. AFPP, 9e Cira, oct. 2011.</p> <p>(21) Severac G., Siegwart M., Protection Alt'Carpo, nouvelles études sur trois ans. <i>Phytoma</i> n° 668, nov. 2013.</p> <p>(25) Regis S., Roubal C., Utilisation de la protection mécanique pour lutter contre la mouche de l'olive dans le sud de la France : résultats et perspectives. AFPP, 4e Conférence internationale sur les méthodes alternatives, Lille, 2011.</p> <p>(26) 9e Conférence internationale OILB sur la protection intégrée des produits stockés, Bordeaux, 1-4 juil. 2013.</p> <p>(27) Fleurat-Lessard F., Pestes en stocks, la PIPS vise les insectes. <i>Phytoma</i> n° 666, août-sept. 2013.</p> <p>(28) Duhamel Du Monceau H.-L., Traité de la conservation des graines et en particulier du froment, 1754.</p>

1 - Lutte directe ici, indirecte bientôt

À côté de la lutte directe évoquée dans ces pages, l'adoption des principes de la protection intégrée amène à reconsidérer le potentiel des mesures de protection indirecte, méconnues, ignorées, voire abandonnées depuis des décennies. Elles feront l'objet d'un prochain article.

Les deux articles proviennent d'un exposé de J.-L. Bernard lors de la séance du 9 avril 2014 de l'Académie d'agriculture.

2 - Innovations antiravageurs : l'éternel retour

Entre 1870 et 1920, les introductions du phylloxéra de la vigne, du doryphore de la pomme de terre, etc. représentaient des menaces à court terme génératrices de mobilisation.

S'y est ajoutée la demande des consommateurs souhaitant moins de « vers » dans les aliments. Attente traduite en 1936 par Jean Masselin, arboriculteur à Bollène, constatant de manière abrupte que « seul le beau fruit se vend bien »(7).

Cette double pression sur la façon de conduire les cultures avait suscité une recherche très créative de moyens efficaces de lutte directe, qui avait trouvé des solutions(8) :

chimiques : insecticides arsenicaux ou fluorés, traitements à l'aide de substances huileuses dérivées de la houille ou du pétrole...

biologiques : greffage de la vigne, sélection des porte-greffes du pommier, pièges alimentaires ou lumineux, lâchers d'auxiliaires contre des cochenilles, prospection du milieu naturel afin de repérer des plantes toxiques pour les ravageurs (ex. : Derris sp.), des bactéries nocives pour les chenilles (ex. : Bacillus thuringiensis) ou des champignons parasites de vers blancs (ex. : Beauveria sp.) ;

mécaniques : déchaumages, labours d'été, machines à collecter les insectes.

Fig. 1 : Insecticides : tonnages en baisse

Évolution de la quantité totale des insecticides et acaricides commercialisés en France, et celle du tonnage total des substances actives commercialisées.

Source : données de l'UIPP (Union des industries de la protection des plantes). Période de 1990 à 2011.

Fig. 2 : La palette de produits s'élargit et verdit

Évolution du nombre et de la nature des outils utilisables en France pour la protection des cultures de plein champ et sous abri contre les ravageurs. Attention, il s'agit du nombre de solutions par catégorie, et non des tonnages, du chiffre d'affaires ou du nombre d'hectares protégés. Les solutions physiques (filets anti-insectes, etc.) ne sont pas prises en compte.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le 9 avril 2014, lors de la séance de l'Académie d'agriculture de France intitulée « Insectes ravageurs en agriculture et méthodes innovantes pour leur maîtrise », l'exposé inaugural a fait le point sur les différentes méthodes de maîtrise actuelle et leur évolution des années 1960 à nos jours. Cet article est composé de larges extraits des passages de cet exposé concernant la lutte directe.

PANORAMA - Après avoir évoqué les défis que posent les ravageurs à l'agriculture, leur importance et leur évolution, l'article évoque les moyens de lutte.

L'éventail des solutions s'élargit grâce au développement de l'offre de macro-organismes auxiliaires depuis les années 2000, alors que le nombre d'insecticides de synthèse diminue fortement.

Les tonnages de ces insecticides baissent constamment, tandis que leur profil s'améliore (analyse chiffrée de la baisse de toxicité aiguë).

Outre les auxiliaires déjà évoqués, les produits phytopharmaceutiques alternatifs (substances naturelles, phéromones, micro-organismes) se développent.

Enfin, on constate un renouveau d'intérêt pour les moyens de lutte physique : filets anti-insectes, chaleur ou froid.

PROCHAIN ÉPISODE - Un prochain article rendra compte du volet sur la lutte indirecte du même exposé.

MOTS-CLÉS - Ravageurs, moyens de lutte directe, évolution, innovation, insecticides chimiques, tonnage, toxicité, bio-insecticides, micro-organismes, substances naturelles, phéromones, piégeage de masse, macro-organismes auxiliaires, lutte physique, filets anti-insectes, lutte thermique.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *J.-L. BERNARD, membre de l'Académie d'agriculture de France.

CONTACT : jlbernard.gif@orange.fr

LIEN UTILE : www.academie-agriculture.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Intégrée dans les notes en bas de pages.

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