Les maladies du bois de la vigne (MBV) (eutypiose, esca et BDA) causent de graves dégâts dans les vignobles. Aucun moyen de lutte chimique n'est disponible depuis l'interdiction successive en 2001 des deux fongicides (arsenite de sodium et carbendazime/flusilazole) utilisés jusqu'alors. Une solution de biocontrôle déjà autorisée contre l'eutypiose et réduisant aussi les dégâts dus à esca/BDA vient de recevoir une AMM.
Ce qu'on sait sur ces maladies
Une prévalence qui augmente
La recrudescence des MBV cause un problème auquel les viticulteurs doivent faire face pour préserver la qualité et la pérennité de leur vignoble (Phytoma n° 609-2007).
D'après l'Observatoire national des maladies du bois, à partir d'une étude réalisée sur 700 parcelles réparties dans 18 vignobles et comprenant 29 cépages différents, le taux des MBV a progressé de 1,6 % en 2003 à 4,79 % en 2007. Cette étude a par ailleurs évalué la sensibilité des différents cépages vis-à-vis de l'esca/BDA et de l'eutypiose et établi que la prévalence est maximale entre 12 et 18 ans (Doublet, 2013).
En 2009, ce réseau national d'essai a été réorganisé. Les premières notations ont été réalisées en 2010. Un état des lieux en 2012 a permis de dégager plusieurs tendances :
– une nette reprise de l'eutypiose a été notée en Charente sur ugni blanc (taux moyen d'expression de 15 %), et dans une moindre mesure en Val de Loire sur chenin et cabernet franc ;
– pour l'esca/BDA, près de la moitié des cépages observés présentent des prévalences proches ou supérieures à 5 %. La perte moyenne de surface productive (ceps manquants, morts, complants, recépés) va de 4 % à plus de 20 % selon les situations, avec une moyenne de 13 % (Doublet, 2013).
De nombreuses recherches en cours
Au vu de l'ampleur que prennent ces maladies du bois de la vigne en France et en Europe, de nombreux chercheurs mettent tout en œuvre pour percer les mystères du développement des pathogènes responsables des MBV dans le cep. En effet, envisager la lutte contre l'esca/BDA ne peut se concevoir sans connaître le mode de progression, de croissance des microorganismes dans le bois.
D'après Lecomte, l'expression de la maladie résulte de la combinaison négative de facteurs abiotiques et biotiques (Lecomte et al., 2011).
Les résultats obtenus par l'université de Bordeaux montrent que le syndrome de l'esca est caractérisé par un enchaînement de trois types de symptôme : nécroses internes dans le bois, désordre vasculaire ainsi que des symptômes foliaires d'aspect et de gravité variables (Lecomte et al., 2008).
En ce qui concerne le BDA, la période de sensibilité des plantes face aux Botryosphaeria spp. a été identifiée par des travaux réalisés par Larignon (Larignon et al., 2013).
Cette meilleure compréhension des maladies du bois de la vigne permettra par la suite de mieux positionner les futurs moyens de lutte.
La recherche d'une protection
Prophylaxie et lutte directe biologique
Face à l'absence de traitement conventionnel des MBV, les mesures prophylactiques s'imposent comme le premier rempart permettant de limiter la progression de ces maladies et leurs conséquences.
Cependant, bien qu'indispensables, ces mesures demeurent à elles seules insuffisantes pour assurer un niveau de protection des vignobles acceptable. La mise au point de méthodes de lutte directe respectueuses de l'environnement, de la santé de l'utilisateur et durablement efficaces est nécessaire.
La lutte biologique, faisant appel à des micro-organismes bénéfiques, constitue aujourd'hui un réel moyen pour réduire l'émergence et l'impact de ces maladies du bois. Pour tenter d'apporter une solution aux viticulteurs, la société française Agrauxine a développé Esquive WP.
Ce produit de biocontrôle, reconnu UAB (utilisable en agriculture biologique) et NVB (Nodu vert biocontrôle), est le seul fongicide homologué à ce jour contre les MBV (eutypiose-esca/BDA(1)) en France. Son principe actif est un champignon : Trichoderma atroviride souche I-1237.
Ce que le laboratoire avait montré sur T. atroviride
Le Trichoderma atroviride I1237 est capable d'être mobile dans la plante. Il a une action antagoniste vis-à-vis d'un nombre important de pathogènes impliqués dans les MBV, notamment Phaeomoniella chlamydospora, Phaeoacremonium aleophilum, Botryosphaeria obtusa et parva et enfin Eutypa lata (Figure 1). De nombreuses expérimentations menées au laboratoire et en conditions contrôlées par des organismes de recherche nationaux et internationaux ont montré tout l'intérêt de cette souche contre les MBV.
Un réseau de 23 essais de terrain
Agrauxine a donc mis en place un réseau d'essais national afin de démontrer le potentiel du produit face au fléau des MBV. Le réseau regroupe 23 essais présentant des paramètres variés (Figure 2 et Tableau 1). En effet, différents cépages, porte-greffes, âges, densités et localisations ont été choisis afin d'avoir un réseau le plus proche possible de la plupart des situations présentes dans le vignoble français.
Protocole observé
Agrauxine, en partenariat avec différents experts des MBV (IFV, Inra, DGAL), a mis en place un nouveau dispositif d'évaluation de l'Esquive WP. Celui-ci, initié dès 2011, comporte plusieurs modifications par rapport au protocole proposé en 2010 (Phytoma n° 647-2011) :
– une augmentation des effectifs moyens observée par modalité de chaque parcelle d'essai. Ceux-ci évoluent de 266 à 784 entre 2010 et 2011 ;
– une cartographie cep par cep ;
– une méthode d'analyse statistique adaptée à ce nouveau protocole.
Les ceps observés sont cartographiés selon une échelle qui permet de suivre l'état sanitaire et productif de la parcelle : les ceps sains, complants, morts, manquants et présentant des symptômes foliaires des MBV.
Sur cette dernière catégorie de ceps, la sévérité des symptômes est répertoriée : symptômes foliaires eutypiose, forme lente partielle de l'esca/BDA (un seul bras atteint), forme lente totale (tous les bras atteints) et forme foudroyante (cep apoplexié) (Figure 3).
Résultats obtenus
Sur les symptômes d'eutypiose
Dans un premier temps, à partir des parcelles témoin, un bilan du taux d'extériorisation des symptômes foliaires de l'eutypiose a été réalisé afin de comparer les niveaux d'extériorisation de cette maladie entre 2011 et 2013 dans le vignoble français.
En 2011, le taux moyen observé sur l'ensemble des essais atteignait 0,2 %. En 2013, une légère augmentation a été constatée sur notre réseau national d'essais, avec un taux d'extériorisation qui se situait à 0,6 %.
Notre analyse va dans le sens de celle de la chambre d'agriculture de Charente montrant une augmentation plus conséquente entre 2011 et 2013 de 6 % à 11 % (Bulletin technique viticulture de la chambre d'agriculture de Charente, 2013).
Sur les vingt-trois essais analysés du réseau en 2013, seuls huit présentent un niveau d'extériorisation des symptômes foliaires supérieurs à 0,9 %. Ce niveau faible est néanmoins suffisant pour observer l'efficacité du produit sur l'eutypiose.
Quatre essais sur les huit présentent une diminution significative des symptômes d'eutypiose (Figure 4).
Afin d'appuyer cette étude, une analyse de série a été réalisée sur l'ensemble des huit essais. Celle-ci valide l'intérêt de l'utilisation d'Esquive WP dans la lutte contre l'eutypiose.
Sur les symptômes d'esca/BDA
Afin de traduire l'efficacité du produit contre l'esca et le BDA, une première analyse a été réalisée en observant les trois critères de sévérité de la maladie (forme lente partielle, totale et apoplexie).
La Figure 5 représente le pourcentage de ceps présentant les symptômes foliaires de l'esca/BDA dans la modalité témoin non traitée et la modalité traitée par Esquive WP. Les vingt-trois essais sont hiérarchisés sur ce graphique selon un ordre croissant de l'effet « traitement ». Sur chacun des sites pris individuellement, une analyse statistique (Chi²) a été réalisée. Sept essais montrent une réduction significative des ceps présentant les symptômes foliaires de l'esca/BDA, et neuf autres une tendance favorable du traitement. Une analyse de série complémentaire, réalisée sur ces vingt-trois sites, a confirmé statistiquement une réduction des symptômes de la MBV permise par l'application du produit.
Il est intéressant d'observer que les sites ne permettant pas de mettre en valeur un intérêt du produit sont soit des parcelles jeunes (moins de 8 ans) donc indemnes de symptômes, soit des parcelles soumises à une seule application.
Mise en évidence de l'effet cumulatif : intérêt de répéter le traitement plusieurs années
Afin de vérifier l'effet cumulatif des traitements sur le seul critère apoplexie, une analyse a été réalisée en se basant sur la différence de ceps apoplexiés de la modalité témoin par rapport à la modalité traitée.
Cette différence en pourcentage est ramenée en nombre de ceps pour un hectare. Il représente donc le nombre de ceps maintenus en production par hectare grâce au traitement. Cette analyse a été réalisée sur des essais ayant subi deux, trois et quatre années de traitement (Tableau 2).
Il est intéressant de noter que plus les essais sont traités pluriannuellement, plus le nombre de ceps maintenu en production augmente.
En effet, le traitement permet de pérenniser, en moyenne, 57 ceps après deux années de traitement. Ce nombre double au bout de quatre ans pour atteindre un nombre moyen de ceps de l'ordre de 103.
Ce nombre peut atteindre jusqu'à 666 ceps épargnés par hectare pour un vignoble se situant en Bourgogne et ayant une densité de 8 000 ceps/ha.
Conclusion
La souche I-1237 réduit les symptômes des MBV au vignoble et préserve ainsi le potentiel productif
La société Agrauxine s'est adossée depuis plusieurs années à de nombreux laboratoires réputés dans le domaine des MBV : Inra Bordeaux, IFV, université de Davis, université de Lisbonne, université de Florence.
Cette année, d'autres essais ont été reconduits dans ces mêmes laboratoires et d'autres initiés à Reims et en Espagne. Ceci est toujours dans le but d'apporter des éléments nouveaux dans la compréhension du mode de fonctionnement de la souche I-1237.
Dans le cadre du réseau d'essai national d'Agrauxine, 40 000 ceps ont été diagnostiqués et cartographiés individuellement chaque année. À ce réseau, s'ajoute depuis 2012 un nouveau réseau initié par Bayer Cropscience, distributeur du produit, comptabilisant 17 parcelles.
Après plusieurs années d'essais conduits au laboratoire et d'observations terrain, l'intérêt d'apporter la souche I-1237 contre les MBV au vignoble a pu être précisé. En effet, malgré une extériorisation faible des symptômes foliaires d'eutypiose durant les trois dernières années, Esquive WP a permis de réduire les symptômes jusqu'à 50 %.
Des données similaires ont été obtenues sur l'esca et le BDA. Celles-ci permettent de déterminer le bénéfice d'une utilisation pluriannuelle de ce produit sur le nombre de ceps sauvés par hectare et par an et ainsi de freiner l'érosion du potentiel productif des vignobles.
L'usage du Trichoderma atroviride souche I-1237 doit aujourd'hui être considéré comme un premier élément indispensable de lutte à mettre en œuvre en association avec des mesures prophylactiques.
<p>(1) Selon le nouveau catalogue des usages</p>
Fig. 1 : Évaluation de l'activité in vitro
Confrontation in vitro sur milieu PDA entre Trichoderma atroviride souche I-1237 et Eutypa lata (a), Phaeomoniella chlamydospora (b), Phaeoacremonium aleophilum (c) et Botryosphaeria obtusa (d). Un plug de chacun des champignons a été déposé de part et d'autre de la boîte de Pétri.
Fig. 2 : Évaluation de l'efficacité au vignoble
Répartition des 23 essais du réseau national d'Agrauxine. Les cépages support des essais et leurs dates sont dans le Tableau 1.
Fig. 3 : À propos des symptômes des maladies du bois
Représentation des symptômes foliaires des MBV : l'eutypiose (a) et l'esca/BDA (de b à e). La photo e représente la forme foudroyante des MBV : l'apoplexie.
Fig. 4 : Résultats sur l'eutypiose en 2013, après une à quatre applications
Le graphique représente le pourcentage de ceps présentant les symptômes foliaires d'eutypiose dans la modalité témoin et dans la modalité traitée par Esquive WP. Les essais représentés sur le graphique ont tous une pression parasitaire supérieure à 0,91 %. Les départements sont indiqués en abscisse ainsi que la significativité de l'essai S : significatif et NS : non significatif au Chi².
Fig. 5 : Résultats sur l'esca/BDA en 2013, après une à cinq applications
Pourcentage de ceps présentant des symptômes foliaires de l'esca/BDA, forme lente et foudroyante, dans la modalité témoin et dans la modalité traitée par Esquive WP. Les 23 essais du réseau sont représentés sur le graphique. Les départements sont indiqués en abscisse ainsi que la significativité de l'essai S : significatif et NS : non significatif au Chi².