La filière française orge malt, qui est leader mondial en production et exportation d'orge de brasserie et premier exportateur de malt, doit assurer une qualité de produits aux brasseurs, que ce soit au niveau physico-chimique ou pour la sécurité alimentaire.
Pour cela, elle surveille la qualité sanitaire des orges de brasserie. Et on en apprend tous les ans. Démonstration à propos des enniatines.
L'émergence de la problématique enniatines
Espèces du genre Fusarium : plus de cent métabolites
La matière première pour fabriquer la bière, c'est-à-dire l'orge (transformée en malt), peut être touchée par des moisissures présentes au champ. Ces moisissures rencontrent au champ des conditions favorables à leur croissance. Les différentes espèces de Fusarium présentes sur les céréales peuvent produire plus de cent métabolites secondaires dont certains sont des toxines affectant la santé humaine et animale (Sweeney et al., 1998).
Les TCTA vont-ils supplanter les TCT B sur orge ?
Au champ, les espèces de fusarium productrices de trichothécènes de type A et B (TCTA et TCTB) sont généralement rencontrées. Les TCTA ont longtemps été moins fréquents que les TCTB (notamment le DON, déoxynivalénol, et le NIV, nivalénol). Ce sont les TCTB qui étaient majoritaires. Depuis quelques années, il semble que la tendance s'inverse sur les orges. De plus, une recommandation de 200 µg/kg de TCTA sur orge a été fixée en 2013 (Borg, 2013).
C'est pourquoi, l'IFBM s'est focalisé sur l'espèce Fusarium langsethiae, caractérisée en 1999 par Torp et Langseth et qui était l'espèce productrice majeure des TCTA les mieux connues, à savoir les toxines T-2/HT-2 (Fournier et al., 2010 et 2011).
Les souches de Fusarium sporotrichioides isolées en France depuis 2010 se sont révélées également très productrices de T-2+HT-2 et beaucoup plus virulentes lors des essais de contamination artificielle en phytotron et au champ. Cependant, elle reste une espèce moins fréquemment rencontrée au champ en France.
Le cas des toxines T-2 et HT-2
Les résultats issus des observatoires de la qualité des orges de brasserie ont montré que T-2+HT-2 est apparu sur orge de brasserie en 2003, le pourcentage de lots présentant un niveau de toxines détectable a augmenté jusqu'en 2008 pour se stabiliser à 80 % (Figure 1). En revanche le niveau de T-2/HT-2 est très faible, en dessous des recommandations de l'Union européenne (200 µg/kg), et a diminué ces dernières années (Figure 2).
Les orges d'hiver sont largement moins contaminées que les orges de printemps.
(Figure 2). Le niveau de contamination de T-2/HT-2 n'a pas fortement augmenté les années à pluviométrie importante et de giclage comme en 2007 et 2012.
Étant donné que le niveau de T-2+HT-2 sur orge de brasserie varie relativement peu d'une année à l'autre, ces mycotoxines ne peuvent pas être utilisées comme marqueur de la qualité sanitaire et technologique des orges de printemps.
Le giclage, autrefois rare, devient de plus en plus fréquent
Le problème de giclage de la bière (« gushing ») est survenu en 2007, avec 20 % des lots de malt touchés. Au lieu de disparaître les années suivantes, comme cela avait été le cas lors des cycles précédents (pas de gushing depuis 1997), le phénomène s'est reproduit les années suivantes, particulièrement en 2012.
Ce phénomène de giclage est actuellement au cœur des préoccupations des brasseurs et des malteurs. Les études menées récemment à l'IFBM ont montré que Fusarium tricinctum, Microdochium nivale et Microdochium majus, principales moisissures contaminant l'orge de brasserie, étaient responsables du giclage de la bière (Boivin, 2013).
La photo page précédente montre les symptômes de l'attaque de Fusarium tricinctum sur orge de brasserie. Ces symptômes sont relativement discrets : l'infection d'un épi d'orge de brasserie par F. tricinctum donne un à deux petits grains noirs par épi.
Une des espèces associées au giclage, Fusarium tricinctum, produit aussi des mycotoxines
Des études de potentiel toxinogène ont été menées à IFBM sur les trois espèces liées au giclage.
Elles ont été réalisées en mettant les moisissures dans des conditions idéales (température, humidité) de croissance et de production de mycotoxines. Elles ont montré que les deux espèces de Microdochum n'étaient pas productrices de mycotoxines (Tableau 1) En revanche, il en ressort que Fusarium tricinctum est productrice de mycotoxines.
Mais il ne s'agit pas de trichothécènes. Cette espèce produit en particulier des enniatines B ainsi que de la moniliformine (Tableau 2).
Enniatines : ce qu'on a appris récemment
Une présence notable, notamment de l'enniatine B
Les observatoires menés à l'IFBM ont montré que la teneur en moniliformine était très faible sur les orges de brasserie française. En revanche, la teneur en enniatine B était beaucoup plus élevée (Tableau 3).
Parmi les mycotoxines recherchées sur orge de brasserie, l'enniatine B est celle trouvée à plus forte concentration. Les années à pluviométrie importante, particulièrement à la floraison comme les années 2007 et 2012, les teneurs en enniatine B sur orge de brasserie étaient beaucoup plus importantes. L'enniatine B peut être considérée comme un bon marqueur de la qualité sanitaire pour les orges de printemps, comme le déoxynivalénol (DON) sur blé. Parmi les enniatines détectées sur orge de brasserie, l'enniatine B est celle trouvée en quantité la plus importante (Tableau 4).
Comme pour T-2/HT-2, les orges de printemps sont bien plus contaminées en enniatine B que les orges d'hiver (Tableau 5).
Ce qu'on sait de leur toxicité
Les enniatines, qui contaminent aussi d'autres céréales (Jestoi 2008), sont sous surveillance par la DG Sanco (Direction générale santé et consommation de la Commission européenne). Une note concernant leurs toxicités a été publiée en 2014 (Efsa, 2014). D'après cette note, il n'y aurait pas de préoccupation pour la santé humaine.
Leur rôle dans le giclage
Par ailleurs, une étude menée à l'IFBM (Boivin 2013) avait montré une corrélation entre le giclage de la bière et la teneur en enniatine B de l'orge. L'enniatine B n'est pas impliquée directement dans le gushing de la bière car elle n'est pas retrouvée dans le produit fini. Les composés responsables du giclage de la bière seraient d'origines protéiques et synthétisées par Fusarium tricinctum au champ. Une étude sur l'identification des composés fongiques responsables du giclage de la bière est actuellement en cours d'étude à l'IFBM en collaboration avec l'université de Lorraine.
Conclusion
Sur orge de printemps
Les études menées à l'IFBM depuis plus d'une dizaine d'années sur les différentes mycotoxines de fusarium ont montré que l'enniatine B est la principale mycotoxine rencontrée sur orge de printemps, et que sa teneur est dépendante des conditions climatologiques.
On peut considérer dans les conditions actuelles que l'enniatine B peut être utilisée pour un screening des lots d'orge de printemps.
Attention : pas sur orge d'hiver
En revanche, il a été montré concernant la récolte 2013 que pour l'orge d'hiver, c'est le déoxynivalénol (un TCTB ou trichothécène de type B) qui semble être le marqueur de la qualité sanitaire et du potentiel de giclage.
Fig. 1 : Détection de T-2+HT -2 sur orges de brasserie (hiver et printemps confondus)
Pourcentage d'échantillons où on a détecté T-2+HT-2 de 2003 à 2008. À noter : l'émergence de 2003 à 2008, puis le fort niveau de présence, sans préjuger des teneurs des échantillons au-delà de la limite de détection de 1 µg/kg. Source : Observatoire IFBM 2003 à 2013.
Fig. 2 : Teneur en T-2 + HT -2 sur orges de brasserie (hiver et printemps différenciés)
Deux points importants : d'une part, les orges de printemps présentent toujours des teneurs plus importantes que celles trouvées dans les orges d'hiver. D'autre part, globalement, les teneurs sont faibles depuis 2010. Source : Observatoire IFBM de 2007 à 2013.