Épi de panic pied-de-coq, nom scientifique Echinochloa crus-galli, une des deux espèces de panics qu'on peut trouver dans le riz. Elle est présente dans trois des 28 parcelles camargaises analysées. Des tests ADN ont permis de l'identifier (au stade plantule, il n'y a pas de différence évidente avec le panic à feuilles barbues). Photo : W. Obermayer, université de Graz, Autriche
La liste des espèces d'adventices chez lesquelles une résistance à des herbicides a été trouvée en France continue de s'allonger. Dernier cas démontré en date : une résistance aux inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) chez les panics en riziculture. À noter : au moins l'une des espèces concernées infeste aussi le maïs. Mais pas de panique : la résistance n'est pas encore signalée dans cette culture.
Les inhibiteurs de l'ALS, des herbicides à risque
Les herbicides inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS), ou de « groupe B » dans la classification HRAC (Herbicide Resistance Action Committee, http://www.hracglobal.com/), sont des herbicides à haut risque en terme de résistance.
En France, ces herbicides appartiennent à quatre familles, qui ont donc toutes le même mode d'action :
– sulfonylurées (comme l'iodosulfuron et le mésosulfuron [Atlantis, Archipel] ou le metsulfuron [Allié]) ;
– triazolopyrimidines (comme le florasulame, le pyroxsulame ou le pénoxsulame [Abak, Octogon, Boa]) ;
– sulfonylamino-carbonyl-triazolinones (comme la propoxycarbazone [Attribut] ou la thiencarbazone [en association dans Adengo]) ;
– imidazolinones (l'imazamox [Pulsar 40]).
Ces herbicides sont efficaces à quelques g/ha ou dizaines de g/ha, et ont en général des spectres larges. Ils sont donc très largement utilisés dans les cultures de la rotation.
Mais... ces inhibiteurs de l'ALS sont aussi les herbicides ayant sélectionné le plus de cas de résistance de par le monde : 145 espèces adventices sont actuellement concernées (Heap, 2014).
Un panic, des panics... les tests ADN font la différence !
En 2013, des prélèvements ont été effectués dans 28 champs de riz en Camargue où avaient été observées des difficultés de contrôle « du panic » avec des inhibiteurs de l'ALS.
Chaque prélèvement regroupait 40 feuilles d'autant de plantes différentes par parcelle. L'objectif était la recherche de résistances de cible, c'est-à-dire la recherche de mutations dans le gène de l'ALS.
Parmi les différentes espèces de panics (genre Echinochloa), au moins deux espèces sont réputées pouvoir infester les cultures de riz en Europe : le panic pied-de-coq (Echinochloa crus-galli (L.) P. Beauv.), espèce trouvée souvent aussi dans les maïs, et le panic à feuilles barbues (Echinochloa oryzicola (Vasinger) Vasinger – anciennement Echinochloa phyllopogon).
Ces deux espèces sont très difficiles à différencier sur des critères morphologiques.
Afin de savoir quelle espèce de panic(s) est présente dans les parcelles étudiées, les prélèvements ont été soumis à un test « ADN » permettant de les différencier (Figure 1, page suivante). Résultat obtenu : sur les 28 prélèvements, trois seulement contenaient du panic pied-de-coq, et les 25 autres du panic à feuilles barbues.
7 840 analyses ? Argh ! C'est trop à faire !
La plupart des « tests ADN » utilisés pour détecter des résistances dues à des mutations de cible utilisent des techniques de biologie moléculaire permettant d'analyser un point précis (« codon ») du gène codant, pour la cible de l'herbicide où l'on sait que peuvent exister des mutations causant une résistance. En général, on réalise une analyse de type PCR par plante et par codon (ex. : Délye et al., 2009, 2011).
Dans notre cas, avec ce type de test, il aurait fallu analyser sept codons sur les 40 plantes de chacun des 28 prélèvements : 7 codons x 40 plantes x 28 prélèvements = 7 840 PCR !
Une autre possibilité est de déterminer la séquence de fragments du gène de l'ALS portant un ou plusieurs des sept codons, et ainsi de chercher des mutations à ces codons. Avec les techniques de séquençage classiques, cela impliquait d'obtenir par PCR puis de séquencer trois fragments d'ALS chez chaque plante, soit 3 fragments x 40 plantes x 28 prélèvements = 3 360 analyses.
Travailler moins pour analyser plus
Pour éviter cela, nous avons employé une technique récente, surtout utilisée jusqu'ici pour effectuer du diagnostic de mutations dans le domaine médical : le séquençage « 454 ».
Avec cette technique, il est possible de faire une seule PCR par fragment du gène de l'ALS pour l'ensemble des 40 plantes d'un prélèvement, soit au total 3 fragments x 28 prélèvements = 84 PCR. Les fragments portent les codons 197 et 205, 376 et 377, ou 574, 653 et 654 de l'ALS, respectivement.
Chaque PCR est effectuée à partir d'un mélange de l'ADN des 40 plantes d'un prélèvement, et aboutit donc à l'obtention du fragment ciblé à partir l'ensemble des 40 plantes du mélange. Une « étiquette » ADN ajoutée à chaque fragment lors de la PCR permet d'identifier le prélèvement à partir duquel chaque fragment a été obtenu. On obtient ainsi pour chaque prélèvement trois mélanges de fragments « étiquetés ».
Les 84 mélanges de fragments obtenus par PCR sont ensuite mélangés entre eux, et soumis à une analyse de 454. Cette analyse a généré plus de 50 000 séquences correspondant aux fragments « étiquetés » provenant des 28 prélèvements. L'emploi de procédures d'analyse informatique sur ces séquences a permis de les trier selon leur « étiquette » et de les attribuer à leur prélèvement d'origine, puis de rechercher et de quantifier la présence de mutations dans chaque prélèvement. L'ensemble des analyses (hors mise au point des procédures) peut s'effectuer en moins de deux semaines, de la réception des échantillons à l'analyse des résultats.
Il faut noter que l'emploi du séquençage de type 454 ne se justifie que lorsqu'un grand nombre de plantes doivent être analysées.
Résultat, la résistance est là...
Aucune mutation n'a été détectée dans 17 des prélèvements. Pourtant, dans les parcelles, correspondantes, l'efficacité du contrôle des panics par des inhibiteurs de l'ALS n'était pas satisfaisante l'année du prélèvement.
Ceci peut s'expliquer par un mauvais contrôle des panics dû à des conditions d'application inadéquates de l'herbicide, ou par la présence de résistances non liées à la cible chez les panics comme il en existe chez d'autres graminées (Délye et al., 2011, 2013).
Comme il n'existe actuellement pas de test moléculaire de détection de ce type de résistance, seule la réalisation de tests biologiques de sensibilité sur des plantules provenant de ces parcelles pourrait permettre de trancher.
La présence de mutations dans l'ALS a été détectée dans neuf des 28 prélèvements. Et ceci chez les deux espèces de panics (Tableau 1).
Les mutations détectées concernent les codons 197 dans les neuf prélèvements, et le codon 574 dans un prélèvement de panic à feuilles barbues où des mutations au codon 197 ont aussi été détectées. La présence de mutations aux codons 197 ou 574 de l'ALS est associée à une résistance à des inhibiteurs de l'ALS (Tranel et al., 2014). Ainsi, il est indéniable que la résistance à des inhibiteurs de l'ALS est présente chez les panics dans au moins ces neuf parcelles.
Il est donc impératif d'arrêter l'emploi de ces substances dans les parcelles d'où proviennent ces prélèvements et d'effectuer des tests biologiques pour définir la stratégie de désherbage dans les autres.
D'autres cultures concernées ?
La résistance aux inhibiteurs de l'ALS a été identifiée chez des panics provenant de parcelles de riz. Dans ces parcelles, le contrôle des panics à chaque campagne reposait quasi exclusivement sur l'emploi d'inhibiteurs de l'ALS. La sélection de résistances n'est donc pas une surprise (Délye et al., 2013). Mais le panic pied-de-coq est également une adventice des cultures tardives de printemps comme le maïs : qu'en est-il dans cette culture ?
À notre connaissance, il n'y a pas en France de cas publié de résistance de panic aux inhibiteurs de l'ALS en maïs. C'est sans doute dû au fait que les inhibiteurs de l'ALS ne sont en général pas employés seuls sur le maïs, mais sont associés (souvent alternés) avec d'autres modes d'action (Délos et Gasquez, 2014).
Pour conclure : di-ver-si-té !
Les panics sont des adventices chez lesquelles des résistances aux inhibiteurs de l'ALS sont déjà connues dans le monde (notamment en Italie et Grèce) (Heap, 2014). Ces espèces sont donc à risque en termes de sélection de résistances.
Or la rotation des parcelles étudiées est très peu diversifiée (riz essentiellement) et le désherbage des panics uniquement chimique et majoritairement ou uniquement basé sur des inhibiteurs de l'ALS : cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire.
On ne répétera jamais assez qu'en matière de désherbage, il est indispensable de diversifier les techniques mises en œuvre : diversité des cultures dans la rotation, diversité des techniques de désherbage en incluant des techniques non chimiques, et diversité des modes d'action des herbicides utilisés ! Pour plus de détails, relire Délye et al., 2013. Une rotation simplifiée à l'excès avec un désherbage uniquement chimique et basé sur un seul mode d'action peut fonctionner quelques saisons, donc être rentable à court terme. Mais le risque de sélectionner des résistances est élevé. Et, une fois la résistance en place, les contraintes et coûts générés peuvent être importants. En matière de désherbage, la courte vue peut coûter cher dans la durée (Duroueix et al., 2010).
Rappelons enfin à nouveau que, de l'aveu des firmes agrochimiques, aucun nouveau mode d'action herbicide ne devrait être mis sur le marché dans la décennie à venir : il est donc vital de préserver l'efficacité des substances herbicides encore disponibles.
Le Point de vue de
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient France Agrimer pour le financement de ce travail (projet Sival 2011-1995), É. Oudard (Draaf/Sral PACA, Montfavet) et C. Thomas (Centre français du riz, Arles) pour l'envoi des prélèvements de panics.