À la découverte d'une exploitation au Lamentin et de sa démarche d'amélioration : gestion du sol en bananeraie, évolution des pratiques de traitement phytos, élimination des effluents...

Après la visite d'une ferme du réseau Agéris au Lamentin (Martinique), en marge du 44e congrès du GFP(1), il m'a paru intéressant de présenter cette démarche originale de terrain associant productivité agricole, respect de l'environnement et amour du métier d'agriculteur.

Le souvenir persistant de la chlordécone

Cette démarche est, en effet, plus que nécessaire dans le contexte particulier des Antilles. En effet, l'usage de la chlordécone y a laissé des traces, non seulement dans le milieu environnemental (sols, cours d'eau et milieu marin) mais encore dans la mémoire collective.

Cet insecticide organochloré a été utilisé pour lutter contre le charançon du bananier entre 1972 et 1993, en Martinique notamment. Sa configuration chimique le rend difficilement dégradable. Facilement absorbé sur les matériaux particulaires en suspension dans l'eau, il en résulte une contamination associée à ces particules, et il se dépose ensuite dans les sédiments où il persiste.

De plus, la substance est lipophile, donc se fixe dans les graisses des organismes exposés, et a un fort potentiel de bioconcentration. Elle est donc dotée d'une capacité de bioaccumulation et contamine encore aujourd'hui la chaîne alimentaire. On trouve des résidus dans les crustacés, les poissons récifaux du littoral et les végétaux racinaires (manioc, patate douce).

Inscrite sur la liste noire des POP (polluants organiques persistants) de la convention de Stockholm, elle fait l'objet d'un plan d'action national pour en diminuer les effets sanitaires et environnementaux encore perceptibles plus de vingt ans après l'interdiction(2).

C'est dire que les esprits restent marqués par cette utilisation d'un pesticide qui s'est révélé très toxique pour la santé humaine et a contaminé durablement les écosystèmes(3). Ils l'ont été d'autant plus que l'interdiction de cet insecticide était intervenue dès 1976 aux États-Unis.

Une expérimentation de terrain pour améliorer les pratiques agricoles

Présentation de la ferme

C'est dans ce contexte très sensible que la démarche de la ferme Agéris du Lamentin prend sa dimension. Cette ferme, la SARL Rifa, dirigée par Christian et Laurent Prudent, se situe à proximité de Fort-de-France. C'est une exploitation familiale où père et fils possèdent une superficie de 65 hectares de terres cultivables, dont 36 hectares en bananeraie et 20 hectares en canne à sucre. Elle fait donc partie des exploitations de taille moyenne, la plus importante de Martinique ayant une bananeraie de 120 hectares.

Afin d'améliorer sa démarche environnementale, la ferme du Lamentin, en rejoignant le réseau Agéris en 2010, a développé un projet visant à évaluer l'impact des pratiques agricoles et de divers aménagements sur l'érosion ainsi que sur le transfert des produits phytosanitaires dans les eaux.

En effet, l'exploitation agricole se situe en relief accidenté et la pluviométrie importante peut drainer des effluents résultant des épandages de produits de traitement des bananes. Ces derniers sont une nécessité dans cette région tropicale où la pression parasitaire est particulièrement élevée.

En 2011, une première étape « état des lieux »

Le projet s'est articulé en plusieurs phases. La première année, en 2011, fut celle de l'état des lieux : recensement des pratiques culturales sur l'exploitation, diagnostic hydrologique et identification d'un bassin versant correspondant au schéma du dispositif expérimental.

Pour ce faire, des partenariats rassemblant des compétences scientifiques, techniques et agronomiques étaient indispensables. Se sont mobilisés autour de ce projet soutenu par la société Syngenta, des chercheurs de l'Irstea (Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture), de l'Institut technique tropical (IT2), de l'Office de l'eau de la Martinique (ODE), la société Phytocenter du Lamentin et la Cacem (Communauté d'agglomération du centre de la Martinique).

Puis trois phases : installation-mesures, transition, évaluation

Puis le projet s'est articulé en trois phases : une phase d'installation des équipements et de mesures sans modification des pratiques agricoles (2012-2013), une phase de transition au cours de laquelle des aménagements ont été faits en fonction des objectifs retenus (2013-2014) et une phase d'évaluation des résultats obtenus (2015).

Phase 1 : bassin versant choisi, équipé et suivi

Au cours de la première phase, un bassin versant de 7,7 ha a été sélectionné pour les raisons suivantes : la permanence d'un écoulement des eaux réactif aux pluies, une couverture en bananeraie de 90 %, et la nature du sol qui est profond, argileux et compact (type ferrisol).

Un déversoir au niveau de l'exutoire du bassin versant a été construit et une station hydrométrique réalise un suivi de la vitesse de l'eau (débitmètre). Un préleveur d'eau réfrigéré réalise un échantillonnage hebdomadaire.

Selon les chercheurs de l'Irstea en charge de ce site (MM. Julien Tournebize et Cédric Chaumont), la stratégie d'échantillonnage privilégie « l'évaluation du flux exporté plutôt que la dynamique fine des exportations ».

Les échantillons sont analysés en métropole (LDA 26) et leur transport a fait l'objet des plus grands soins. Quatorze pesticides (six herbicides, trois fongicides et cinq insecticides/ nématicides) sont systématiquement recherchés, et après identification, quantifiés dans les eaux. Ils ont été choisis en fonction des itinéraires phytopharmaceutiques présents ou passés conduits dans l'exploitation.

2013 : le constat

L'année 2013 représente l'année témoin (fin de mesures avant décisions d'amélioration). Les premiers résultats obtenus ont été exposés au 44e congrès du groupe français des pesticides (GFP) à la Martinique, en mai 2014.

Douze mois d'échantillonnages ont permis de constater une pluviométrie très importante de 169 mm/mois dépassant ainsi la moyenne de 150 mm/mois qui avait été jugée historique. Sur les 61 échantillons analysés, tous les pesticides recherchés ne sont pas systématiquement retrouvés.

Il semblerait que la teneur de certains herbicides dans les débits ait une relation avec la date d'application du produit phytosanitaire. En revanche, cela n'est pas démontré pour les fongicides.

Certains herbicides non sélectifs (glyphosate, glufosinate) intégrés dans l'itinéraire phytopharmaceutique 2012-2013 mais aussi le fongicide propiconazole, utilisé au cours d'années précédentes mais non appliqué en 2012-2013, présentent des teneurs supérieures au seuil de la valeur réglementaire. En revanche d'autres molécules appliquées au cours de la même campagne n'ont pas été détectées(4).

Phase 2 : petit mouron, vigilance antidérive, traitements mécaniques

Après ces premiers résultats, des aménagements ont été effectués afin d'améliorer cette situation et en vue d'établir un bilan de l'efficacité de ces dispositifs.

Parmi les pistes proposées figure l'implantation de plantes de couverture en interrang, du petit mouron (Drymatria cordata), qui se développe aisément dans les zones d'ombrages de cette région.

Le petit mouron est une plante de service qui possède une bonne capacité à couvrir le sol ce qui favorise son activité biologique ainsi que le contrôle de nématodes et d'adventices. Il couvre déjà 180 ha en Martinique.

Une plus grande vigilance pour éviter les dérives des traitements fongicides aux alentours de la ravine et des traitements mécaniques (broyage) pour diminuer les traitements herbicides sont également mis en œuvre(4).

Ainsi la réduction des impacts des pesticides est ici abordée selon deux modes d'action complémentaires :

– diminution de la pression pesticide en augmentant les traitements mécaniques ;

– diminution des transferts de pesticides par la mise en place de bandes enherbées (« plante de service ») intraparcellaires.

Gérer les effluents phytopharmaceutiques

Héliosec : le principe

À côté de cette démarche dynamique et expérimentale, l'exploitation Rifa a tenu à s'équiper d'un appareil Héliosec qui accompagne l'aire de lavage dédiée au nettoyage du matériel agricole, le rinçage des fonds de cuve, etc.

Le procédé Héliosec, dont la reconnaissance a été étendue en 2011 à l'épuration en post-récolte des bananeraies, est destiné notamment à gérer les effluents provenant du traitement de conservation des bananes exportées vers l'Europe : exclusivement des fongicides. Ce procédé repose sur le principe d'une évaporation naturelle au soleil et au vent.

Le dispositif et l'organisation

Il comprend un bac étanche en polyéthylène encadré par un châssis et surmonté d'un toit, d'une bâche et d'un récipient.

En fin de cycle, la bâche et le dépôt sec sont recueillis dans le récipient spécifique en vue d'être recueillis par la filière Adivalor qui gère les déchets agricoles.

Le dispositif s'accompagne d'un logiciel qui permet à des techniciens formés de piloter :

– la quantification et l'optimisation des volumes générés après le traitement ;

– l'estimation du temps nécessaire pour que le dépôt soit sec grâce à une modélisation qui suit l'évolution des niveaux dans le bac en fonction des volumes introduits.

Le facteur humain décisif

C'est donc un ensemble cohérent d'améliorations de l'impact environnemental que Laurent Prudent a mis en place avec ses partenaires sur son exploitation.

Ce qui m'a frappé lors de cette visite c'est la grande motivation de tous les acteurs : agriculteur, chercheurs et techniciens, conseillers agricoles et partenaires de l'industrie phytopharmaceutique.

Outre cette émulation très profitable, Laurent Prudent explique ainsi sa démarche : « Il fallait changer l'image négative de la filière banane. L'amélioration des pratiques agricoles et la compréhension de ce qui se passe sur le terrain vont nous permettre de mieux prendre soin de notre environnement. L'organisation en réseau favorise les échanges entre agriculteurs de la France entière et constitue un atout. Elle nous permet d'être des acteurs dynamiques de l'évolution de notre métier. Je veux transmettre aux enfants que nous sommes fiers de ce métier et fiers de ce que nous faisons pour l'améliorer. »

Intégré dans le plan « Banane durable »

Depuis 2008, un plan « Banane durable » a été signé en Guadeloupe et en Martinique entre la filière Banane de Guadeloupe et de Martinique, le ministère de l'Agriculture, des organismes de recherche et les collectivités locales.

Ses objectifs concernent l'amélioration des pratiques agricoles, des conditions de travail des producteurs, la pérennité économique et la réduction de l'impact environnemental de cette culture. Déjà, il avait été constaté entre 1996 et 2006 une réduction de 35 % de l'utilisation des produits phytosanitaires d'après une étude du Cirad. Depuis, cette tendance s'est accentuée. C'est en tout une réduction de 54 % des volumes en herbicides, insecticides et nématicides qui a été observée sur l'ensemble Martinique-Guadeloupe entre 2006 et 2012. Ces résultats font de la banane française des Caraïbes une production de très haute qualité en terme de résidus pesticides, notamment en comparaison d'autres provenances (Laurent Gervais, responsable des systèmes de cultures innovants à l'Institut technique tropical, communication personnelle).

Indéniablement, le réseau des fermes Agéris qui, à travers l'exemple de la ferme Rifa de la Martinique s'inscrit aussi dans ce plan « Banane durable », représente une belle démarche. Celle-ci ne peut être qu'encouragée par tous ceux qui s'intéressent à la protection durable des cultures tempérées et tropicales.

<p>(1) Groupe français des pesticides. Ce 44e congrès s'est tenu en mai 2014 à l'université d'Antilles-Guyane, sur le campus de Schoelcher.</p> <p>(2) Pôle de Recherche agro-environnemental de la Martinique (2011) : Remédiation à la pollution par la chlordécone aux Antilles, <i>Les Cahiers du Pram,</i> n° 9-10, p. 98.</p> <p>(3) Regnault-Roger C. (2014). <i>Produits de protection des plantes : innovation et sécurité pour l'agriculture durable,</i> éditions Lavoisier, p. 368.</p> <p>(4) Desforges J.-C., Jeanneau S., Gervais L., Dural D., Mangeot L., Prudent L., de Reynal G., Samot J., Chaumon C., Tournebize J. (2014). Évaluation de maîtrise des risques de pollutions diffuses dans un bassin versant bananier à la Martinique : le projet Ageris Rifa, 44e congrès GFP Shoelcher (sous presse). Vidéo en ligne : www.manioc.org/gsdl/cgi-bin/library?e=d- 01000-00---off-0fichiers--00-1----0-10-0---0---0direct-10---4-------0-1l--11-fr-Zz-1---20-about--- 00-3-1-00-0-0-11-1-0utfZz-8-00&amp;a=d&amp;c=fichiers&amp;cl=CL3.1.49.</p>