La 9e conférence Abim (Annual Biocontrol Industry Meeting) s'est déroulée à Bâle du 20 au 22 octobre 2014.
Elle a réuni plus de 800 participants originaires de 51 pays, représentant 378 sociétés ou organisations impliquées dans la lutte biologique.
Cela confirme le succès grandissant de cette manifestation organisée conjointement par IBMA (International Biocontrol Manufacters Association) et FiBL, l'institut de recherche de l'agriculture biologique (The Research Institute of Organic Agriculture).
Impression générale
Conférence, mais aussi...
Participant pour la première fois à cette manifestation, je ne peux comparer cette édition aux précédentes, mais je souhaite partager avec les lecteurs de Phytoma les informations recueillies et mes impressions, par définition non objectives.
Cette conférence s'apparente plus à un salon ou une foire-exposition qu'à une conférence scientifique. Les exposés, à quelques exceptions près que je soulignerai, relèvent d'une communication plus commerciale que scientifique. À noter : toutes les grandes sociétés phytopharmaceutiques étaient présentes sur des stands présentant leurs produits et dans les sessions dites scientifiques. De plus, les repas et pauses café étaient sponsorisés par des sociétés commerciales.
À la relecture du compte rendu de la réunion précédente, paru dans Phytoma n° 672, j'ai eu la surprise de lire que des produits ou procédés présentés en 2014 comme innovants et prometteurs avaient déjà fait l'objet de communications en 2013... ils étaient déjà innovants et prometteurs !
Indépendamment des titres donnés aux sessions, les exposés présentés peuvent être arbitrairement répartis en quatre grandes catégories. Ceux qui traitent :
1/ des aspects réglementaires ;
2/ des aspects économiques et sociétaux ;
3/ des avancées scientifiques ou technologiques ;
4/ des produits ou méthodes de biocontrôle récemment mis sur le marché.
Aspects réglementaires
Réglementation européenne
Jeroen Meussen, représentant à la fois la commission européenne et le « Biopesticide Stearing Committee » de l'OCDE, a présenté d'une part les évolutions de la réglementation européenne et d'autre part les progrès accomplis à l'OCDE pour une harmonisation internationale des exigences réglementaires relatives aux biopesticides.
Le premier exposé de J. Meussen est revenu sur des points essentiels, à savoir la catégorie des produits à risque faible, les substances de base et les perturbateurs endocriniens.
Perturbateurs endocriniens
La commission est chargée de fixer les critères scientifiques pour définir ces perturbateurs endocriniens. Pour l'instant, des critères provisoires (intermédiaires) sont utilisés. Vu la complexité de la question, la commission a initié une étude d'impact. Une feuille de route a été publiée en juin 2014 et une consultation publique ouverte en septembre 2014. Les critères d'autorisation proposés prendront en considération les conclusions de ces travaux.
Selon le règlement 1107/2009, les critères d'autorisation pour les perturbateurs endocriniens prennent en compte le caractère dangereux d'une molécule mais aussi l'exposition. Une substance perturbatrice endocrinienne peut être autorisée si l'exposition est « négligeable dans des conditions d'usage réalistes ». Un document guide doit définir les critères pertinents pour apprécier le caractère négligeable de l'exposition.
« À faible risque »
Les critères de classification des substances à faible risque selon le règlement 1107/2009 sont négatifs. Une telle substance ne doit pas être carcinogène, mutagène, toxique pour la reproduction, sensibilisante, explosive, corrosive (définitions : directive EC 1272/2008), persistante (sa demi-vie doit être inférieure à 60 jours), bioaccumulable (son facteur de bioconcentration doit être inférieur à 100), perturbatrice endocrinienne, neurotoxique ou immunotoxique.
Or, ces critères définis pour des molécules de synthèse excluent de nombreux produits de biocontrôle. Un groupe d'experts (commission, États membres, industriels, ONG, organisations professionnelles) devrait proposer de nouveaux critères. Ces derniers devront être cohérents avec le règlement Reach et le règlement biocides et pourraient inclure des critères positifs.
Trois sous-groupes d'experts ont été constitués pour aborder une série de questions parmi lesquelles j'ai retenu :
1/ des critères différents pour les matières actives et pour les préparations...
2/ ...et pour les produits de synthèse, les micro-organismes et les substances sémiochimiques ;
3/ inclusion ou non des substances importantes pour l'agriculture bio ;
4/ les incitations côté taxes, délais, etc.
Substances de base
Les substances de base sont des substances non dangereuses, déjà utilisées pour un usage autre que phytosanitaire et pouvant présenter un intérêt pour la protection des plantes.
Ces substances sont approuvées sans limite de durée, et aucune autorisation de mise sur le marché n'est exigée pour les préparations contenant exclusivement une ou plusieurs d'entre elles. Actuellement seize substances sont à l'étude et trois sont approuvées : prêle, chitosan et saccharose.
Coordination pour usages mineurs
Un rapport de la commission a été adopté par le parlement européen en février 2014. Son aspect le plus intéressant est la création d'une structure de coordination indépendante (secrétariat technique) dédiée aux usages mineurs et cofinancée par la commission, et la création d'un Eranet dédié à la protection intégrée avec des références spécifiques aux usages mineurs.
Documents-guides OCDE
L'OCDE a créé en 1999 un groupe de travail (BPSG Bio-Pesticides Study Group) dans le but d'harmoniser les méthodes d'évaluation des quatre groupes de biopesticides : macro-organismes, micro-organismes, substances sémiochimiques et extraits de plantes.
Concernant les macro-organismes, une mise à jour de l'enquête effectuée en 2007 devrait être rendue publique prochainement.
Pour ce qui est des micro-organismes, le séminaire consacré aux Trichoderma a permis de conclure qu'il est nécessaire de rédiger un document-guide devant :
1/ proposer une définition des différentes catégories de produits biologiques (biopesticide, biostimulant, biofertilisant, etc.) ;
2/ préciser les informations à exiger (taxonomie, modes d'action, méthode de détection, devenir et comportement dans l'environnement, effets sur la microflore du sol, etc.).
Une attention particulière est portée à la production de métabolites secondaires, avec comme objectif la définition d'un schéma d'évaluation des risques liés à la présence de ces métabolites secondaires.
Concernant l'équivalence, un document-guide a été adopté. Il précise les critères à respecter et ne concerne qu'un même micro-organisme caractérisé au niveau de la souche. Il s'applique pour tout changement relatif aux méthodes et lieux de production. Il s'agit de vérifier que le nouveau produit technique est bien conforme aux caractéristiques du produit technique qui a servi à l'évaluation des risques.
Pour les phéromones de lépidoptères alias SCLPs (Straight Chain Lepidopteran Pheromones), un document autrichien en cours de rédaction fera des propositions de mise à jour du document OCDE. La dose d'apport (aujourd'hui 375 g SCLP/ha/an, qui induirait un niveau d'exposition comparable au niveau naturel d'émission)devrait être redéfinie en référence à un avis de l'Efsa. Cela devrait conduire à actualiser le document guide Sanco/5272/2009.
Enfin, pour les extraits de plantes, l'objectif est de rédiger un document-guide, car le document de travail Sanco/10472/2003 doit être remis à jour. Trois catégories d'extraits de plantes seront considérées ; des informations différentes seront exigées sur la base de l'espèce végétale et des connaissances antérieures qui s'y rattachent.
Biodiversité et protocole de Nagoya
Johannette Klapwijk de Koppert BV a attiré l'attention sur la récente entrée en application du protocole de Nagoya. Ce protocole, suite à la convention de 1993 sur la préservation de la diversité biologique, prévoit un partage équitable des bénéfices (Access & Benefit Sharing) résultant de l'exploitation des ressources génétiques. Il devait entrer en application dès lors que cinquante États l'auraient signé... Or, cela s'est produit le 12 octobre 2014 !
Ceci entraîne la mise en application immédiate de la directive EU 511/2014. Celle-ci impose la traçabilité de l'origine des ressources biologiques, des autorisations sollicitées et accords obtenus sur les droits d'exploitation de ces ressources. Cela va compliquer et ralentir la mise en marché de nouveaux produits biologiques.
Aspects socio-économiques
De la Suisse au Kenya
Plusieurs orateurs ont exposé des points de vue contrastés sur l'avenir de la lutte biologique selon les pays.
Raphael Schilling a expliqué pourquoi la lutte biologique est importante pour un distributeur comme le groupe Coop Suisse. Il a présenté une expérimentation lancée au Kenya pour réduire l'usage des pesticides en production de roses. Deux groupes de dix serres d'un hectare chacune ont été conduits en lutte intégrée ou selon les méthodes habituelles. La comparaison a porté sur la quantité de pesticides utilisée, la concentration en résidus, le rendement et la qualité de la production.
Résultat : dans le groupe « protection intégrée », huit serres sur dix ont réduit leur usage de pesticides et la concentration en résidus, ont augmenté leur rendement et baissé le coût de production par fleur récoltée, ceci par rapport au groupe témoin.
Du Brésil à l'Afrique
Gustavo Herman, président de l'association brésilienne des producteurs d'agents de lutte biologique, a dressé un panorama de l'agriculture brésilienne.
La culture généralisée de variétés transgéniques de maïs, coton, sorgho exprimant les gènes des toxines de Bacillus thuringiensis a favorisé l'émergence d'Helicoverpa armigera. Celle-ci est responsable de dégâts importants, d'autant qu'aucun insecticide n'est autorisé au Brésil pour la combattre. Pour cet auteur, la culture généralisée d'OGM offre une opportunité unique pour développer des solutions de biocontrôle.
André Fox, au nom de l'organisation Madumbi, a plaidé pour le développement des méthodes biologiques en Afrique, continent où 30 % des producteurs travaillent en agriculture biologique.
Analyse des marchés
Rob Neill et Gerardo Ramos, de Syngenta, ont présenté une analyse comparative des marchés des produits biologiques dans les pays occidentaux et les pays émergents.
Passant en revue les réglementations, l'attente des consommateurs en termes de résidus et le savoir-faire des agriculteurs en matière de bonnes pratiques, ils ont présenté un tableau contrasté selon les régions du monde. Leur conclusion : la croissance du marché dépend des avancées technologiques surtout dans le domaine microbiologique, et les contraintes réglementaires devraient se renforcer dans tous les pays.
Un brin de futurisme
Substances d'origine microbienne
Lors de la session « Nouvelles technologies : aux frontières du biocontrôle », Pam Marrone a évoqué les « substances non vivantes d'origine microbienne ».
Plusieurs préparations autorisées aux États-Unis sont à base de cultures bactériennes dans lesquelles les bactéries sont mortes. Chromobacterium subtsugae et Flavobacterium sp., substances actives de l'insecticide Grandevo et du nématicide MBI 302, ne survivent pas au procédé de production. Pour leur part, Burkholderia rinojensis et Pseudomonas fluorescens sont volontairement tuées dans l'insecticide Venerate et le mollusicide Zequanox.
Il en résulte que la substance active est un mélange complexe de molécules d'origine microbienne. Certaines ont été caractérisées et leur mode d'action et leur toxicité étudiés ; d'autres semblent peu connues.
Les préparations se rapprochent plus d'« extraits » de plantes que de produits à base de micro-organismes vivants pouvant s'installer dans l'environnement. Quel sera leur statut réglementaire ? Grandevo serait sur le point d'être déposé en Europe ; les autorités néerlandaises (CTGB) lui appliqueraient les exigences définies pour les spécialités à base de micro-organismes.
À partir de l'ARN interférence
Jenny Murphy, de Monsanto, a présenté les avancées technologiques dérivant du phénomène de l'ARN interférence (RNAi technology). « BioDirect Technology » fait appel au phénomène d'ARN interférence et dérive donc de cette technologie.
L'ARN interférence est un mécanisme naturel qui bloque l'expression d'un gène. « BioDirect Technology » a été expérimentée contre le doryphore de la pomme de terre, un virus de la tomate (TSWV = tomato spotted wilt virus), le varroa (parasite des abeilles) et pour contourner la résistance des adventices au glyphosate. Les gènes codant pour la résistance au glyphosate étant connus, Monsanto a développé la technologie RNAi pour prolonger l'usage de son herbicide !
Quel statut réglementaire pour cette technologie ? Selon J. Murphy, cette technologie basée sur un mécanisme naturel réduit la probabilité d'effets indésirables et son innocuité peut être évaluée selon la même procédure que celle employée pour les autres produits d'origine biologique.
Du côté des mâles stériles
Camilla Beech a présenté l'approche Oxitec pour lutter contre les insectes par interruption du cycle biologique. Cette technologie de production de mâles stériles implique d'injecter deux gènes dans les oeufs des insectes. Le premier, dit « autolimitant », est transmis par le mâle à la génération suivante et limite la reproduction, empêchant les jeunes de devenir adultes. Le second est un gène marqueur fluorescent qui permet de trier les insectes transformés et d'assurer un suivi de la population.
La technologie exige de lâcher des mâles stériles qui s'accoupleront avec les femelles, lesquelles produiront une descendance stérile. Il faut trois générations pour atteindre l'objectif de réduction de la population. Des applications sont testées pour lutter contre divers ravageurs des cultures, et aussi contre des insectes affectant la santé humaine comme le moustique Aedes aegypti.
Quelle réglementation appliquer à cette technologie ? Elle varie selon les pays : soit un mélange de réglementation OGM et de réglementation pesticides, soit seulement l'une ou l'autre de ces réglementations. Pour l'instant, en Europe, il n'existe que des expérimentations en conditions confinées.
Les nouveaux produits
Certains déjà vus
Quatre sessions - 1/produits d'origine microbienne, 2/produits naturels et d'origine biochimique, 3/macro-organismes (en anglais IBCA's pour Invertebrate Biological Control Agents), 4/molécules sémiochimiques - ont permis aux firmes de présenter leurs nouveaux produits.
Comme déjà signalé, la majorité des produits avait fait l'objet de communications. Certains, disponibles en France, ont déjà été cités dans Phytoma (nématicide Flocter, de Bayer, à base de Bacillus firmus, fongicide Ballad, de Dupont, à base de Bacillus pumilus, insecticide/fongicide Prev-am, d'Oro-Agri, à base d'huile essentielle d'orange douce, bientôt fongicide Polyversum, de Biopreparaty, à base de Pythium oligandrum...).
Un éliciteur et un « film »
J'ai retenu deux présentations. L'une concerne la préparation FytoSave à base d'un mélange de chito-oligosaccharides et d'acide oligo-galacturonique pour lutter contre l'oïdium. Les chito-oligosaccharides sont issus de la dépolymérisation du chitosan extrait de l'exosquelette des crustacés, et l'acide galacturonique est un produit de dépolymérisation de la pectine extraite des pelures de pomme et de citron.
Ces molécules sont des éliciteurs des réactions de défense de la plante qui entraînent la surexpression de nombreux gènes impliqués dans la résistante des plantes aux agents pathogènes. FytoSafe, produit non toxique, n'a qu'une action préventive, il induit une prémunition de la plante. Il agit contre les oïdiums des solanées, des cucurbitacées et de la vigne. L'Efsa a approuvé la substance en octobre 2014. La préparation est autorisée en Belgique, sa mise sur le marché français devrait être proche.
Une autre présentation concerne la préparation Surround, constituée de kaolin calciné par chauffage à haute température, et autorisée en France pour protéger des arbres fruitiers contre des insectes.
Appliqué sur le feuillage, ce produit crée un film très fin qui n'empêche pas les échanges gazeux entre la feuille et l'atmosphère, mais prévient les attaques de nombreuses espèces d'insectes en arboriculture et cultures maraîchères. De plus, ce film protège les fruits contre les brûlures dues à une trop forte exposition au soleil.
Autres communications
Dans le domaine des phéromones, ce sont essentiellement des avancées dans le domaine des diffuseurs et des pièges qui ont été présentées. Incompétent en ce domaine, je ne peux juger ces communications.
Enfin, pour les extraits de plantes et huiles essentielles, et à l'exception de l'huile essentielle d'orange douce citée plus haut, ce sont toujours les extraits de neem qui tiennent la vedette. Il faut dire que plusieurs sociétés indiennes commercialisant ces produits étaient présentes à Bâle.
Incontournable...
Pour conclure, je dirai que cette conférence est devenue incontournable pour tous ceux, industriels, associations, laboratoires, plateformes d'expérimentation, qui travaillent dans le domaine de la lutte biologique.
C'est un lieu de rencontres, d'échanges, de business. Personnellement un peu déçu par le niveau hétérogène des communications, je veux souligner que la conférence est bien organisée pour promouvoir les contacts entre sociétés et clients potentiels. Il est très facile de contacter un participant et de fixer un rendez-vous en tête à tête.
Cette 9e conférence a permis de confirmer l'implication croissante des grandes firmes phytosanitaires dans le domaine du biocontrôle. Espérons que ces firmes investiront non seulement dans le rachat de sociétés spécialistes du domaine, mais aussi dans la recherche de nouvelles solutions.