DOSSIER - Biocontrôle

Les Bacillus spp. : des bactéries aux multiples usages

CLAUDE ALABOUVETTE* ET CHRISTELLE CORDIER* - Phytoma - n°682 - mars 2015 - page 22

Certains Bacillus spp. sont, comme les Trichoderma et les Pseudomonas, des biofertilisants, des biostimulants et des bioprotectants. Plusieurs d'entre eux sont utilisés comme insecticides, nématicides ou fongicides biologiques.
Colonies de Bacillus subtilis sur milieu nutritif gélosé TSA après quatre jours de culture à 25 °C.  A. Cunin - Agrene

Colonies de Bacillus subtilis sur milieu nutritif gélosé TSA après quatre jours de culture à 25 °C. A. Cunin - Agrene

Cellules de Bacillus sp. forme végétative, après coloration de Gram. Observation microscopique (grossissement × 100, objectif immersion huile). A. Cunin - Agrene

Cellules de Bacillus sp. forme végétative, après coloration de Gram. Observation microscopique (grossissement × 100, objectif immersion huile). A. Cunin - Agrene

Les essais en serre (ici, sur du maïs) sont une étape quasi obligée pour évaluer l'effet des Bacillus spp. avant d'envisager leur évaluation au champ.  Photo : N. Jeannin - Agrene

Les essais en serre (ici, sur du maïs) sont une étape quasi obligée pour évaluer l'effet des Bacillus spp. avant d'envisager leur évaluation au champ. Photo : N. Jeannin - Agrene

Culture de colza. Un biofongicide à base de Bacillus pumilus vient d'être autorisé sur cette culture. Il est préconisé en association avec un fongicide conventionnel, mais ce dernier appliqué à demi-dose.  Photo : M.-F. Delannoy

Culture de colza. Un biofongicide à base de Bacillus pumilus vient d'être autorisé sur cette culture. Il est préconisé en association avec un fongicide conventionnel, mais ce dernier appliqué à demi-dose. Photo : M.-F. Delannoy

Les Bacillus thuringiensis (Bt pour les intimes) sont connus et largement utilisés pour lutter contre les lépidoptères mais aussi contre d'autres familles d'insectes.

Les préparations à base de Bt ont longtemps représenté 90 % des produits phytosanitaires biologiques utilisés dans le monde.

Au cours des dix dernières années, d'autres espèces de Bacillus ont été développées, soit comme biofertilisants soit comme agents de lutte contre des maladies des plantes, ou encore contre des nématodes.

Bien que des préparations récentes aient déjà été l'objet d'articles dans Phytoma, il nous paraît utile de faire le point sur les Bacillus et de montrer la grande diversité d'espèces et de fonctions au sein de ce genre bactérien.

Les Bacillus : généralités

Quelques caractéristiques du genre Bacillus

Les Bacillus sont des bactéries à Gram positif appartenant à la famille des bacillacées, à l'ordre des bacillales, à la classe des bacilles, et au phyllum des firmicutes. Les Bacillus se présentent sous forme de « bacilles », c'est-à-dire de bâtonnets aux extrémités arrondies (photo). Leurs dimensions sont variables : elles peuvent aller de 0,5 × 1,2 µm à 2,5 × 10 µm.

Ces bactéries sont aérobies ou anaérobies facultatives, ce qui signifie qu'elles tirent leur énergie soit par respiration soit par fermentation.

Les Bacillus spp. sont des bactéries fréquentes et abondantes dans les sols, où certaines espèces jouent un rôle dans le cycle du carbone et de l'azote. Il est possible d'en isoler de l'eau douce ou de l'eau de mer, mais leur habitat principal est le sol.

Une grande diversité entre espèces et souches de Bacillus sp.

La grande diversité d'espèces et de souches fait de Bacillus un genre adapté à des conditions environnementales extrêmes. Il existe en effet des souches thermophiles, psychrophiles, acidophiles ou alcalinophiles.

Certaines souches présentent un intérêt industriel évident : elles produisent des enzymes (amylases) ou des antibiotiques (polymixines, bacitracine, tyrothricine) et sont donc exploitées à cet effet.

D'autres souches sont responsables de dégradation des produits alimentaires (sûrissement et caillage du lait). Certaines espèces comme B. anthracis et B. cereus incluent des souches pathogènes de l'homme et de l'animal. La première est responsable de la maladie du charbon et de l'anthrax. Quant à B. cereus, cette bactérie ubiquitaire présente dans les sols et d'autres environnements peut être à l'origine de symptômes émétiques et diarrhéiques chez l'homme.

En revanche, les espèces B. subtilis/amyloliquefasciens et pumilus sont classées QPS (qualified presumption of safety/présomption d'innocuité reconnue) par l'agence européenne Efsa. En effet, certaines souches de ces espèces, sélectionnées pour leurs activités probiotiques, sont aujourd'hui commercialisées comme compléments dans l'alimentation animale.

Des potentialités pour les productions végétales

Bénéficiant du classement QPS, les souches appartenant à ces espèces devraient être plus faciles à homologuer pour des usages agronomiques. Mais, pour leur utilisation en productions végétales destinées directement à la consommation humaine, il reste obligatoire d'identifier les toxines potentiellement produites, ce qui, nous le verrons plus loin, est extrêmement difficile.

Une caractéristique importante des Bacillus est leur capacité à produire des endospores leur permettant de résister à des conditions environnementales défavorables.

Cette capacité explique en partie l'intérêt que leur portent les industriels du biocontrôle, car elle rend les Bacillus plus faciles à formuler et plus aisés à conserver que des bactéries non sporulées type Pseudomonas.

Mais dans le domaine agronomique, il est évident que ce sont leurs capacités biofertilisantes, biostimulantes et bioprotectrices qui justifient l'intérêt porté à ces bactéries appartenant au genre Bacillus.

Identification des espèces de Bacillus

Pourquoi identifier ?

Le genre Bacillus incluant à la fois des espèces bénéfiques et des espèces pathogènes de l'homme et de l'animal, en particulier B. anthracis et B. cereus, il est indispensable, avant de multiplier une souche pour en faire une préparation utile à l'agriculture, de commencer par une identification correcte de l'espèce à laquelle appartient la souche d'intérêt.

Les anciennes techniques d'identification

Avant le développement des méthodes moléculaires, l'identification des principales espèces de Bacillus était basée sur des critères morphologiques : forme et taille des cellules bactériennes, présence et localisation centrale ou terminale de la spore, spore déformante ou non, ainsi que sur des critères physiologiques (ex. : capacités à hydrolyser ou à oxyder certains substrats).

Chez B. thuringiensis, l'identification infraspécifique fait appel à des tests sérologiques, enzymatiques et à l'agglutination flagellaire. C'est ainsi que sont identifiés les Btk pour kurstaki, Bti pour israeliensis et Btt pour tenebrionis.

De plus, à l'intérieur des Btk, on distingue des sérotypes, qui sont sélectionnés en fonction de leur spectre d'activité vis-à-vis de différents insectes.

Les nouvelles méthodes : identifier les gènes

Aujourd'hui il convient de faire appel aux techniques moléculaires pour une parfaite identification car les caractères phénotypiques et physiologiques sont notoirement insuffisants.

Si le séquençage de l'ADN ribosomique 16S est classiquement utilisé pour identifier les espèces au sein du genre Bacillus, la connaissance des gènes codant pour les principales toxines produites par les différentes espèces de Bacillus rend possible la détection spécifique de ces gènes. Elle permet ainsi de s'assurer du caractère toxinogène ou non de la souche étudiée.

Ainsi, les gènes « cry » codant pour les toxines de Bt sont parfaitement caractérisés et permettent d'appréhender l'efficacité insecticide des souches.

Cependant l'identification précise des différentes espèces et de leur caractère toxinogène ou non reste délicate.

Les B. thuringiensis et B. cereus

À titre d'exemple, un avis de l'Anses du 22 juillet 2013 relatif aux risques en termes de sécurité sanitaire liés à l'utilisation de souches de Bt dans des insecticides biologiques illustre parfaitement les difficultés d'identification des souches de Bacillus.

Il faut d'abord préciser que, vu la capacité de certaines souches de B. cereus à déterminer des symptômes émétiques et des infections diarrhéiques chez l'homme, la réglementation impose une teneur maximale de B. cereus de 1 × 105 germes par gramme pour les produits consommés.

En routine, le principal critère de différentiation entre B. cereus et B. thuringiensis est la présence d'une endospore chez ce dernier. Cependant un pourcentage non négligeable de cellules de Bt ne présente pas ce critère dans les préparations insecticides. Il en résulte que des cultures traitées au Bt peuvent présenter, selon ce critère, des densités de B. cereus présomptifs dépassant le seuil réglementaire. C'est ce qu'il s'est produit en 2012 pour des cultures de persil, d'où la saisine de l'Anses pour déterminer s'il convenait de maintenir ce seuil et quelles méthodes plus fiables pourraient être utilisées pour différencier B. cereus et Bt.

L'avis de l'Anses souligne que « l'espèce B. thuringiensis fait partie du groupe des B. cereus qui comprend plusieurs espèces dont B. cereus sensu stricto, B. anthracis, B. mycoides, B. weihenstephanensis et B. pseudomycoides ».

Très fâcheusement, les méthodes d'analyse standard pour la détection et le dénombrement de B. cereus sensu lato ne permettent pas de distinguer entre eux B. cereus sensu stricto, B. thuringiensis et B. weihenstephanensis.

De ce fait, les données d'incidence de B. cereus dans les aliments ainsi que les rapports d'intoxication alimentaire mettant en cause B. cereus peuvent concerner les trois espèces. Pour une identification plus sûre, il faut faire appel aux méthodes moléculaires. Toutefois, une comparaison de différentes méthodes moléculaires (rep-PCR, PCR-TGGE et RAPD-PCR), montre qu'il reste difficile de discriminer B. thuringiensis et B. cereus.

Il est également possible de rechercher spécifiquement la présence des gènes (« cry » et « ces ») qui codent respectivement pour les toxines « insecticides » et la toxine émétique « céréulide ».

Mais, s'il est bien établi que les souches de Bt ne possèdent pas le gène « ces », il n'en est pas de même pour les gènes codant les toxines diarrhéiques, car ces gènes peuvent être présents dans certaines souches de Bt insecticides ! Il reste donc extrêmement difficile de distinguer avec certitude les différentes espèces appartenant au groupe des Bacillus cereus.

Du côté de B. subtilis

Il en est de même pour les bactéries qui appartiennent au groupe des Bacillus subtilis/amyloliquefasciens qui comprend de nombreuses souches d'intérêt agronomique.

Ainsi plusieurs souches initialement identifiées comme appartenant à l'espèce B. subtilis ont été replacées au sein de l'espèce amyloliquefasciens, ces deux espèces étant extrêmement proches.

C'est donc la souche qu'il faut identifier

Ces difficultés d'identification au niveau de l'espèce justifient parfaitement l'exigence réglementaire d'identifier l'agent de lutte biologique au niveau de la souche elle-même.

Ainsi, indépendamment d'une modification toujours possible des critères d'assignation à une espèce donnée, le pétitionnaire est certain de travailler toujours avec la même souche et les instances réglementaires connaissent avec certitude la souche qui est mise sur le marché.

Modes d'action des Bacillus bénéfiques

Quatre espèces traitées ici, tous statuts réglementaires confondus

Nous ne traiterons pas dans cet article du mode d'action des Bt qui mériterait un article spécifique, mais nous tenterons de préciser les modes d'action des souches appartenant aux espèces B. subtilis, B. amyloliquefasciens, B. pumilus et B. firmus qui constituent la substance active de préparations actuellement sur le marché des biofertilisants ou des produits phytosanitaires. Comme nous l'avons déjà indiqué dans nos articles précédents, seule la réglementation oblige à différencier ces deux catégories de produits (en attendant la création de la catégorie des biostimulants !) : au niveau biologique, leurs modes d'action sont globalement les mêmes, que ces produits soient classés légalement comme fertilisants ou comme produits phytopharmaceutiques.

Nous traiterons donc ci-dessous des modes d'action des Bacillus, sans distinguer les fertilisants des préparations phytosanitaires.

Trois grands modes d'action

Comme les Trichoderma et les Pseudomonas, les Bacillus font appel aux grands modes d'action que sont :

- la compétition pour les nutriments ;

- la production de métabolites secondaires toxiques pour d'autres micro-organismes ou favorables à la croissance des plantes ;

- la production d'effecteurs déterminant l'élicitation (ou l'induction) des mécanismes de défense de la plante.

À propos de compétition

La compétition trophique s'exprime si plusieurs populations microbiennes partageant une même niche écologique ont des exigences nutritionnelles communes.

Dans le sol et la rhizosphère, les sources carbonées étant limitées, cette compétition s'exprime avec d'autant plus d'intensité que la densité des populations est élevée, d'où l'intérêt des apports massifs d'une souche antagoniste sélectionnée pour sa compétitivité.

Cependant, la compétition ne s'exprime pas uniquement vis-à-vis du carbone, mais aussi du phosphore, du fer ou du manganèse. Plusieurs espèces de Bacillus sont connues pour leur capacité à rendre le phosphore disponible pour la plante, ce qui constitue un mécanisme d'action des souches fertilisantes.

Des auteurs évoquent aussi la compétition spatiale, car certaines souches colonisent intensément la surface des racines. Les cellules bactériennes constitueraient une sorte de bouclier qui s'opposerait à la colonisation de la racine par des organismes pathogènes ou délétères. Sans nier le rôle potentiel de cette colonisation de la surface racinaire, nous n'attribuons pas l'activité antagoniste d'une souche donnée à la compétition pour l'espace, mais plutôt à l'antibiose.

En effet, même lorsque la colonisation est très intense, il demeure toujours des espaces colonisables par d'autres organismes.

Production de métabolites

En revanche, les métabolites secondaires produits à proximité immédiate de la surface racinaire peuvent d'une part exercer un antagonisme vis-à-vis d'autres populations microbiennes, d'autre part jouer le rôle d'effecteurs déclenchant les mécanismes de défense de la plante.

Comme toutes les bactéries, les Bacillus ont la capacité de produire des centaines de métabolites secondaires différents. Certaines souches produisent des antibiotiques et sont exploitées industriellement pour la production de polymixines, bacitracine, tyrothricine. Ce sont 4 à 5 % du génome de Bacillus subtilis qui coderaient pour la production d'antibiotiques.

Les autres composés antimicrobiens produits par les Bacillus spp. sont essentiellement des peptides, synthétisés ou non par les ribosomes, et des molécules non peptidiques telles que des polyketides ou polycétides, des sucres aminés et des phospholipides. Les types de métabolites secondaires et les quantités réellement produites dans le sol sont difficiles à préciser, mais l'usage de souches modifiées, déficientes dans la capacité de production ou au contraire surproductrices de ces métabolites secondaires permet de démontrer leur rôle dans l'activité antagoniste in situ. D'autres souches produisent des enzymes, en particulier des amylases, mais actuellement ce sont les surfactines, lipopetides cycliques synthétisés par voie non ribosomale, qui font principalement l'objet des travaux de recherche.

Enfin, certaines souches de Bacillus produisent également des phytohormones, comme l'AIA, pouvant être impliquées dans les mécanismes de stimulation de croissance des plantes.

Une même souche peut produire des dizaines de métabolites secondaires potentiellement impliqués dans les activités bénéfiques de la souche.

Par exemple, la souche de B. subtilis ATCC 6633 produit une subtiline, une subtilosine, une rhizocticine, deux lipopeptides, surfactine et mycosubtiline et une molécule de la famille des iturines. Il est donc extrêmement difficile de déterminer le rôle de chacune de ces molécules dans les effets antagonistes observés.

Complexité de la production et de l'action de ces métabolites

Cela est d'autant plus vrai que les études sont le plus souvent réalisées in vitro ou dans des modèles simplifiés ne prenant en considération qu'un agent pathogène. Or il a été montré que la production des différentes molécules de lipopeptides varie en fonction de l'agent pathogène auquel la souche de Bacillus est confrontée.

Ainsi, les iturines et fengycines sont clairement impliquées dans l'antagonisme exprimé par les Bacillus du groupe subtilis/amyloliquefasciens vis-à-vis de Fusarium oxysporum, Cladosporium cucumerinum et Botrytis cinerea.

Mais elles ne sont que très faiblement impliquées dans l'antagonisme exprimé vis-à-vis de Pythium aphanidermatum.

Ces différences d'efficacité peuvent s'expliquer par le mode d'action de ces lipopeptides qui désorganisent les membranes cellulaires, conduisant à la lyse de différents types de propagules (hyphes, conidies, zoospores, ou oospores) des champignons et oomycètes. L'efficacité de cette désintégration des membranes dépend donc étroitement de leur composition lipidique.

Pour compliquer encore un peu ce tableau, il faut signaler que la production et l'efficacité de ces métabolites secondaires impliqués dans l'antagonisme microbien dépendent aussi des conditions physicochimiques de l'environnement sol, et vraisemblablement aussi de l'environnement biotique. Ce dernier terme désigne l'abondance et la diversité des communautés microbiennes présentes dans la rhizosphère.

Il est démontré aujourd'hui que le phénomène de « quorum sensing », déclenché lorsque les densités de populations sont élevées, induit la production et l'émission de nombreux métabolites secondaires qui sont impliqués dans le dialogue entre cellules appartenant à une même espèce, mais aussi entre populations différentes, et également entre les populations microbiennes et la plante.

Le très grand nombre de facteurs qui conditionnent l'efficacité des Bacillus spp. explique pourquoi la littérature scientifique, comme les expérimentations de terrain, fournissent des résultats extrêmement contrastés, qu'il s'agisse de stimulation de croissance ou de lutte biologique. Il n'est malheureusement pas possible d'extrapoler à un ensemble de cultures ou d'agents pathogènes les résultats positifs obtenus dans des conditions expérimentales précises.

Induction de résistance

En plus de ces relations d'antagonisme direct vis-à-vis des agents pathogènes, les Bacillus spp. ont la capacité d'éliciter les réponses de défense de la plante et d'induire une résistance systémique à certaines maladies.

Bien entendu, là encore, il est difficile de préciser quelle est l'implication respective des différentes molécules produites par les Bacillus spp.

Pour mettre en évidence l'induction de résistance chez la plante, deux grands types d'approche expérimentale sont utilisés :

- l'inoculation séparée de l'agent protecteur et de l'agent pathogène permettant une exclusion physique des interactions directes entre les deux protagonistes ;

- la mise en évidence biochimique ou moléculaire de l'induction des voies de signalisation chez la plante en réponse à l'inoculation de Bacillus spp.

De très nombreux travaux rapportent ainsi la capacité de diverses souches de Bacillus à induire la résistance des plantes à divers agents pathogènes : bactéries, champignons et oomycètes.

Mais il est difficile de relier ces résultats de laboratoire à l'efficacité au champ et de faire la part entre l'induction de résistance et les autres modes d'action, dans la protection conférée à la plante.

Les trois modes d'action peuvent s'exprimer ensemble

De plus, comme il a déjà été signalé pour d'autres micro-organismes utiles, ces différents modes d'action ne sont pas exclusifs l'un de l'autre, ils peuvent au contraire s'exprimer simultanément ou successivement pour contribuer ensemble à l'expression de l'effet bénéfique observé.

Préparations actuellement sur le marché

Bacillus thuringiensis

Comme signalé plus haut, ce sont les préparations insecticides à base de Bt qui pendant près de quarante ans ont constitué l'essentiel du marché. Il est à noter que ce qui est cité comme un grand succès de la lutte biologique ne fait pas appel à des micro-organismes actifs mais à une toxine, certes naturelle car produite par Bt, mais appliquée comme un insecticide chimique.

Peut-on encore parler de lutte biologique dans ce cas ? Il est clair que nous n'avons pas à nous soucier de l'installation et de la multiplication du micro-organisme dans l'environnement car ce qui est appliqué est une spore microbienne qui n'a pas à germer pour exprimer son activité toxique.

Notons que certaines préparations insecticides à base de Bt sont commercialisées en tant que biocides dès lors qu'il s'agit d'utilisation non phytosanitaires, par exemple pour détruire les larves de moustiques.

Bacillus subtilis/amyloliquefasciens

À notre connaissance, le produit Sérénade, à base de la souche de B. subtilis QST 713, est la première préparation fongicide biologique mise sur le marché européen. Contrairement aux préparations à base de Bt, c'est la bactérie vivante qui est appliquée aux cultures.

Initialement développée par Agraquest, cette préparation est maintenant commercialisée par Bayer. Elle est autorisée pour de multiples usages afin de lutter contre des maladies foliaires mais aussi contre des maladies d'origine tellurique, provoquées non seulement par des champignons et des oomycètes, mais aussi par des bactéries phytopathogènes. Les modes d'action revendiqués appartiennent aux grands types décrits ci-dessus. Les documents originaux en anglais rédigés par la firme relatent aussi un effet sur la promotion de croissance mais cet effet n'est pas revendiqué en France.

Bacillus amyloliquefasciens IT45 est présente à raison de 109 cellules par gramme de Rhizocell, une matière fertilisante initialement commercialisée par ITHEC, aujourd'hui Lallemand Plant Care. La souche de Bacillus est formulée en mélange avec des cellules inactivées de levure Saccharomyces cerevisiae.

Les effets revendiqués sont l'amélioration de la fertilité des sols et de l'implantation des cultures. Les modes d'action seraient liés à la fois aux propriétés des levures tuées et aux activités des cellules vivantes de B. amyloliquefasciens qui contribueraient à la solubilisation du phosphore.

Bacillus firmus

Bacillus firmus I-1582 est la substance active du nématicide Flocter développé et commercialisé par Bayer. Il est destiné à être appliqué au sol pour lutter contre les nématodes à galles (principalement Meloidogyne incognita et M. hapla) et nématodes à lésions (principalement Pratylenchus spp.). Le mode d'action principal est la dégradation des parois des oeufs, ce qui entraîne la mort des larves J1.

Bacillus pumilus

Bacillus pumilus QST 2808 est la substance active du fongicide Ballad commercialisé en France par DuPont solutions. Ce fongicide est destiné à lutter contre le Sclerotinia du colza. DuPont préconise d'associer ce biofongicide à son fongicide de synthèse Acapela SC appliqué à dose réduite. Cette association permet de diminuer la dose du fongicide de synthèse tout en conservant une bonne efficacité.

Cette association d'un produit biologique à un produit de synthèse nous paraît intéressante : elle ouvre la voie à de nouvelles applications permettant de réduire l'impact des produits de synthèse tout en rendant plus fiable l'efficacité du produit biologique.

Conclusion

Ce n'est qu'un début

Ce rapide aperçu des propriétés des Bacillus montre que nous ne sommes qu'au début du développement de matières fertilisantes, de produits biostimulants et de préparations phytosanitaires à base de Bacillus.

Plus que pour des produits de synthèse, leur efficacité est conditionnée par de nombreux facteurs et seules des expérimentations de terrain permettront de définir les conditions d'application, les cultures et les cibles visées.

Bactérie ou extrait bactérien ?

La recherche actuelle sur les métabolites secondaires produits par ces Bacillus permet d'envisager d'appliquer non pas les bactéries elles-mêmes mais seulement une ou un mélange de molécules produites par les Bacillus.

Pourra-t-on encore parler de lutte biologique, ou faudra-t-il parler de lutte chimique à base de substances naturelles ?

Cela n'est pas simplement une question sémantique, l'intérêt de la lutte biologique avec des micro-organismes vivants est de faire appel à un ensemble de modes d'action et ainsi d'éviter une adaptation rapide des agents pathogènes.

Même lorsque l'antibiose est le mode d'action principal, l'apport des micro-organismes antagonistes permet de délivrer localement, là où cela est utile, par exemple dans la rhizosphère, de faibles quantités de métabolites secondaires utiles, au lieu d'appliquer sans discernement dans l'environnement des concentrations importantes de molécules pouvant avoir des effets non négligeables sur des populations non-cibles.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les usages des bactéries du genre Bacillus étant nombreux (fertilisants, biostimulants et/ou biopesticides) et de nouvelles espèces s'étant récemment ajoutées au Bacillus thuringiensis, bio-insecticide, connu depuis des décennies, un point sur ce genre bactérien est bienvenu.

IDENTIFICATION - L'identification des espèces et même des souches est un préalable indispensable à leur usage. L'article explique pourquoi. Une des raisons est que ce genre bactérien comporte à la fois des espèces dangereuses pour l'homme (Bacillus cereus et Bacillus anthracis) et des espèces bénéfiques (B. thuringiensis et d'autres citées plus loin), et que la différenciation entre espèces est difficile voire aléatoire (notamment entre B. thuringiensis et B. cereus). L'usage de souches identifiées est gage de sécurité.

MODES D'ATION - Les modes d'action des Bacillus sp. comportent à la fois la compétition, la production de métabolites actifs vis-à-vis des agents pathogènes ou des ravageurs visés (antagonisme) et l'induction (élicitation) de réactions de défense des plantes.

PRODUITS DISPONIBLES - Outre les souches de B. thuringiensis bio-insecticides utilisées depuis longtemps, d'autres Bacillus sp. sont récemment apparus dans des produits phytopharmaceutiques et/ou fertilisants en France :

- Bacillus subtilis souche QST 173 (gamme de biofongicides Sérénade) ;

- Bacillus amyloliquefasciens souche IT 45 (matière fertilisante Rhizocell) ;

- Bacillus firmus souche I-1582 (bionématicide Flocter) ;

- Bacillus pumilus souche QST2808 (biofongicide Ballad).

MOTS-CLÉS - Biocontrôle, micro-organismes, Bacillus sp., Bacillus thuringiensis, Bt, Bacillus subtilis, Bacillus amyloliquefasciens, Bacillus firmus, Bacillus pumilus, identification, souche, mode d'action, compétition, métabolites, antagonisme, induction de résistance, élicitation, Bacillus cereus, Bacillus anthracis.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *C. ALABOUVETTE, *C. CORDIER, Agrene - 47, rue Constant-Pierrot 21000 Dijon.

CONTACT : c.ala@agrene.fr

BIBLIOGRAPHIE : - « Pseudomonas fluorescents, ceux qui font résister les sols », C. Alabouvette et C. Cordier, Phytoma n° 662, mars 2013, p. 14 à 17.

- « Les Trichoderma, trois fois bénéfiques ? », C. Alabouvette et C. Cordier, Phytoma n° 652, mars 2012, p. 17 à 21.

- Références bibliographiques disponibles sur demande aux auteurs.

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