Un laboratoire du ministère de l'agriculture des États-Unis basé en France, cela interroge. Pourquoi donc ce ministère a-t-il une antenne chez nous ? Pour le savoir, il faut remonter deux siècles en arrière.
« Aux XIXe et XXe siècles, les États-Unis ont importé un certain nombre de plantes de l'ancien monde avec, en même temps, beaucoup de bioagresseurs, mais sans leurs ennemis naturels », raconte Dominique Coutinot, chercheur à l'EBCL (European Biological Control Laboratory), près de Montpellier. Cela a conduit en 1919 à l'implantation d'un laboratoire en France.
Alors que la lutte biologique est laissée de côté en Europe, les Américains misent sur cette technique pour contrer sur leur territoire ces parasites d'origine eurasienne. L'idée est de chercher leurs ennemis naturels dans l'aire d'origine des espèces-cibles.
Ce laboratoire accueille aujourd'hui une vingtaine de salariés qui conduisent leurs investigations dans l'Union européenne, les pays de l'Est, le Maghreb et l'Asie.
Exploration à l'étranger
Récemment, Dominique Coutinot a travaillé sur les punaises du genre Lygus.
« Aux États-Unis, elles posent problème en production de semences de luzerne, de pomme, de fraise et de coton. Des laboratoires américains travaillant sur ce ravageur avaient besoin de ses parasitoïdes, d'où l'appel à l'EBCL pour leur en fournir. »
Notre chercheur explore alors les zones où le climat correspond le plus à celui de la Californie et de la côte est des États-Unis (Languedoc-Roussillon, Côtes-d'Armor, Espagne, Grèce, Maroc) pour voir si les plantes-hôtes (luzerne, trèfle) y sont présentes ainsi que ces punaises et leurs parasitoïdes. Finalement, c'est au Maroc qu'il trouvera son bonheur. Trois parasites nymphaux du genre Peristenus ont été récoltés, élevés, identifiés puis envoyés aux États-Unis pour être relâchés. Deux espèces sont maintenant acclimatées. Tout au long de sa carrière, les différents projets l'ont fait voyager dans de nombreux pays en Europe, en Asie et en Afrique du Nord.
Réglementation à connaître
Mais on ne peut pas collecter, importer, détenir en France, puis exporter aux États-Unis des insectes comme on transporte un colis lambda. Il existe en la matière toute une réglementation internationale, européenne et française à bien connaître et à respecter pour éviter la dissémination de ces organismes dans la nature, mais également pour préserver la biodiversité des milieux d'origine. Dominique Coutinot est responsable de la sûreté du fret aérien et de la mise en quarantaine de tous les organismes manipulés par les équipes du laboratoire. Des sujets sur lesquels il a été formé au fil du temps depuis 1991.
Fret aérien à maîtriser
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Le chercheur prélève, après autorisation, les insectes ou micro-organismes (ravageurs ou parasites) dans leur milieu d'origine et les conditionne pour les importer en France par la voie des airs. S'ils proviennent des pays tiers, une déclaration doit être réalisée auprès du Service d'inspection frontalier vétérinaire et phytosanitaire. Pour certains végétaux, un certificat phytosanitaire est nécessaire, et pour les macro-organismes non indigènes, une autorisation d'importation de la France. Le matériel réglementé importé doit aussi circuler avec une lettre officielle d'autorisation (LOA) délivrée par le SRAL. Pour l'exportation d'organismes vivants, l'EBCL bénéficie, sous conditions, d'un agrément « chargeur connu » de la Direction générale de l'aviation civile. À l'aéroport, le « chargeur connu » confie le colis à un agent de fret habilité qui va veiller sur celui-ci pendant tout le transport.
Mise en quarantaine obligatoire
Arrivés à l'EBCL, les insectes ou micro-organismes sont confinés dans une quarantaine (structure étanche) pendant toute la durée de l'expérimentation. Ne peuvent y entrer que des personnes autorisées.
Les entrées et sorties du personnel et du matériel vivant sont tracées.
« Les quarantaines ont été construites avec la coopération du ministère de l'Agriculture français qui nous délivre un agrément. Celui-ci nous autorise à importer, sous conditions, sur le territoire français, les organismes réglementés de la directive 2000/29/CE. »
Une fois le projet terminé, si les parasites sont efficaces, ils sont exportés aux États-Unis avec un permis émis par l'autorité US. Arrivé sur le sol américain, le colis est à nouveau acheminé vers une quarantaine pour études avant d'obtenir l'autorisation de lâcher dans les zones concernées par le ravageur ou la plante envahissante cible.
Formation et conseil
Pour ces aspects d'import-export et de quarantaine, Dominique Coutinot a également mis sur pied une formation sur deux jours, avec Montpellier SupAgro, pour le personnel de l'EBCL et la communauté scientifique.
« Pour faciliter les rapports entre l'administration et les scientifiques, j'ai aussi créé en 2003 un groupe informel du confinement pour réunir tous ceux qui étaient concernés par les importations et détentions de ravageurs et plantes réglementés. »
Depuis le 3 février, Dominique Coutinot conjugue l'EBCL au passé. Mais quand on est passionné, on ne s'arrête pas du jour au lendemain.
« Je viens d'ouvrir un cabinet de conseil et formation sur les aspects réglementation, quarantaine, lutte biologique et sûreté du fret aérien », rapporte notre spécialiste qui continue également à assurer une veille réglementaire.