DOSSIER - Protection du colza

Phoma du colza : recyclage du gène de résistance Rlm3

CLÉMENCE PLISSONNEAU*, GUILLAUME DAVERDIN*, LAURENT COUDARD*, BÉNÉDICTE OLLIVIER*, THIERRY ROUXEL* ET MARIE-HÉLÈNE BALESDENT* - Phytoma - n°684 - mai 2015 - page 25

Des souches de phoma avirulentes vis-à-vis du gène de résistance spécifique du colza Rlm3 connaissent une résurgence liée au contournement du gène Rlm7. Comment exploiter ce phénomène ?
Tableau 1 : Caractérisation de populations de phoma (Leptosphaeria maculans) collectées en 2013 dans onze départements français, pour leur virulence vis-à-vis des gènes de résistance du colza Rlm3 et Rlm7

Tableau 1 : Caractérisation de populations de phoma (Leptosphaeria maculans) collectées en 2013 dans onze départements français, pour leur virulence vis-à-vis des gènes de résistance du colza Rlm3 et Rlm7

Pour mener cette étude, les chercheurs ont analysé plus de 2 500 souches de phoma récoltées sur colza en France, ainsi que plus de 760 souches récoltées ailleurs dans le monde (« populations mondiales ») sur colza ou autres crucifères, moutarde notamment. Photo : M.-F. Delannoy

Pour mener cette étude, les chercheurs ont analysé plus de 2 500 souches de phoma récoltées sur colza en France, ainsi que plus de 760 souches récoltées ailleurs dans le monde (« populations mondiales ») sur colza ou autres crucifères, moutarde notamment. Photo : M.-F. Delannoy

Le gène de résistance Rlm7 du colza est menacé de contournement par l'agent du phoma. Soit. Mais les souches de phoma qui contournent la résistance due à Rlm7 « buttent » contre une autre résistance plus ancienne, due au gène Rlm3. Pourrait-on en tirer parti ?

Virulence vis-à-vis des gènes Rlm7 et Rlm3, quelle relation ?

Rappel sur Rlm7

Les hybrides de colza portant le gène de résistance spécifique Rlm7 ont connu un succès croissant depuis dix ans. En effet, face à une population de phoma composée à plus de 99,5 % de souches avirulentes sur Rlm7 en 2000 (Figure 1), le contrôle de la maladie par ce gène de résistance a été particulièrement efficace.

Nous l'avons vu dans l'article p. 20, des souches capables de contourner la résistance Rlm7 commencent à apparaître, mais ce contournement a été plus lent à survenir que ceux précédemment observés pour Rlm1 en France (Rouxel et al., 2003), ou pour la résistance « Surpass » en Australie (Sprague et al., 2006).

Dès le début, une relation inverse

Lors de la première analyse à grande échelle des populations françaises de phoma, en 2000-2001, une seule souche sur plus de 1 700 était virulente sur Rlm7. Curieusement, cette souche était également la seule souche avirulente sur les variétés portant le gène de résistance spécifique Rlm3 (Balesdent et al., 2006).

Depuis l'introduction de Rlm7 en France, les analyses de populations tendent à confirmer une relation inverse quasi systématique entre les aptitudes des souches à attaquer les variétés Rlm7 et les variétés Rlm3.

Les travaux réalisés par notre équipe viennent de montrer que les gènes d'avirulence correspondants du champignon, AvrLm7 et AvrLm3, sont deux gènes distincts.

La présence dans une souche du gène d'avirulence AvrLm7 suffit à masquer la présence du gène AvrLm3, mais dès lors que le gène AvrLm7 est inactivé dans une souche virulente vis-à-vis de Rlm7, l'interaction entre AvrLm3 et Rlm3 est rétablie, conduisant à la résistance des génotypes de colza Rlm3 vis-à-vis de ces souches.

Cet article fait le point de l'état des connaissances sur cette « interaction négative » entre les gènes d'avirulence AvrLm3 et AvrLm7 chez le phoma.

Analyse d'une population de phoma contournant Rlm7

Le constat : deux virulences quasiment incompatibles

Lors de l'expérimentation réalisée entre 2004 et 2008 sur le site de Grignon sous conditions très favorables au contournement de la résistance Rlm7 (Daverdin et al., 2012 ; article précédent), nous avons collecté au fil des ans près de 1 800 souches, dont 1 497 ont été phénotypées pour leur virulence vis-à-vis de Rlm3.

Les 705 souches avirulentes vis-à-vis de Rlm7 (« AvrLm7 ») sont virulentes sur Rlm3. Sur les 792 souches virulentes sur Rlm7 (« avrLm7 »), 778 sont avirulentes vis-à-vis de Rlm3. Seules 14 souches sont virulentes sur Rlm3 et Rlm7 (0,9 % de la collection analysée) (Figure 2).

Quelles hypothèses explicatives ?

Compte tenu de la très grande diversité des événements moléculaires responsables de la virulence vis-à-vis de Rlm7, se traduisant principalement par une inactivation d'AvrLm7 (Daverdin et al., 2012 ; article précédent), nous avons écarté l'hypothèse que l'avirulence vis-à-vis de Rlm3 observée chez les souches avrLm7 pouvait être due à un allèle particulier du gène AvrLm7.

C'est plutôt l'hypothèse d'une interaction moléculaire entre les gènes AvrLm3 et AvrLm7, ou entre les protéines d'avirulence produites par ces gènes, qui a été proposée pour expliquer la relation inverse entre les phénotypes avirulents vis-à-vis de Rlm3 et Rlm7, et donc la réapparition de souches avirulentes vis-à-vis de Rlm3 sous pression de sélection Rlm7.

Validation de l'interaction négative AvrLm3/AvrLm7

Expérimentation réalisée

Pour valider cette hypothèse d'interaction moléculaire, nous avons exploité le fait que le gène AvrLm7 avait été cloné (Parlange et al., 2009).

En effet, nous avons pu réintroduire AvrLm7 par transgénèse dans deux souches de phoma ayant perdu la fonctionnalité du gène AvrLm7 (deux événements de mutation différents, souches issues de la parcelle expérimentale de Grignon), donc présentant un phénotype virulent sur Rlm7 mais avirulent sur Rlm3.

Hypothèse « interaction moléculaire » validée

Pour les deux souches étudiées, l'addition d'une copie fonctionnelle d'AvrLm7 non seulement restaure, comme attendu, le phénotype avirulent sur Rlm7, mais également supprime le phénotype avirulent sur Rlm3 (Figure 3).

Cette expérience montre que la présence d'une copie fonctionnelle d'AvrLm7 suffit pour supprimer la reconnaissance d'AvrLm3 par Rlm3. En conséquence, et compte tenu des études de populations menées sur le site de Grignon montrant l'association quasi systématique entre virulence sur Rlm7 et avirulence sur Rlm3, il est postulé que :

- les populations de phoma présentes en France avant l'introduction de Rlm7 possédaient probablement à fréquence très élevée le gène AvrLm3...

- mais le phénotype avirulent des souches était masqué par la présence d'AvrLm7.

Confirmation de cette relation négative à l'échelle du territoire

L'échantillonnage de la population de phoma réalisée en France en 2013 (article précédent) confirme les observations réalisées en 2004-2008 sur le site de Grignon. En effet, plus de 1 000 souches isolées en 2013 sur onze sites ont été phénotypées par test d'inoculation sur des génotypes portant Rlm7 ou Rlm3.

Comme observé sur la parcelle expérimentale de Grignon, plus de 99,5 % des souches sont soit avirulentes sur Rlm7, soit avirulentes sur Rlm3.

Seulement cinq souches (< 0,5 %), provenant chacune d'un site différent, ont été identifiées comme virulentes sur les génotypes portant Rlm3 ou Rlm7 (Tableau 1).

Comment fonctionne cette interaction négative ?

AvrLm3, un gène d'avirulence classique

Récemment, le gène d'avirulence AvrLm3 a été cloné (Plissonneau et al., soumis).

Ce gène présente toutes les caractéristiques classiques des gènes d'avirulence du phoma : il code pour une très petite protéine (160 acides aminés), très riche en cystéines (dix résidus cystéine dans la protéine mature). Or, les cystéines sont probablement impliquées dans des liaisons disulfures au sein de la protéine, lui assurant une structure globulaire et une forte stabilité, comme déjà démontré pour la protéine AvrLm7 (Blondeau et al., soumis).

Tout comme les autres protéines d'avirulence connues de L. maculans, cette protéine est prédite comme étant secrétée hors de la cellule fongique, condition nécessaire pour atteindre sa cible végétale.

Le profil d'expression du gène AvrLm3 a également été étudié : ce gène est fortement surexprimé dans les phases précoces de l'infection du colza, démontrant comme pour les autres gènes d'avirulence du phoma son rôle dans l'établissement de l'infection (Rouxel et al., 2011).

L'interaction négative entre AvrLm3 et AvrLm7 serait indirecte

Mais surtout, cette analyse a révélé qu'AvrLm3 est fortement exprimé même dans les souches de phénotype virulent sur Rlm3 (phénotype résultant de la présence du gène AvrLm7).

Autrement dit, l'interaction négative entre AvrLm3 et AvrLm7 n'est pas due à un effet de la présence du gène AvrLm7 sur la régulation de l'expression d'AvrLm3.

Il ne semble pas non plus y avoir d'interaction physique directe entre les deux protéines d'avirulence (Plissonneau et al., soumis).

Nous nous orientons donc vers l'hypothèse d'une interaction indirecte, faisant intervenir les protéines végétales-cibles de ces gènes d'avirulence.

Analyse des populations mondiales de phoma

Disposant de la séquence du gène AvrLm3, nous avons analysé par PCR la présence/absence du gène dans les populations mondiales de phoma.

Sur plus de 760 souches ainsi analysées, seulement sept ne possèdent pas AvrLm3.

Ces souches présentent la particularité d'avoir été isolées sur moutarde, et n'ont en fait pas la capacité de causer de symptômes sur colza.

L'ensemble de ces résultats suggère donc un rôle important du gène AvrLm3 pour la pathogenèse du champignon.

Discussion-conclusions

Un gène non pas absent, mais masqué par un autre

L'analyse des populations de phoma sélectionnées suite à l'introduction du gène de résistance Rlm7 dans le colza montre que l'acquisition de la virulence avrLm7 s'accompagne systématiquement de la restauration du phénotype avirulent sur Rlm3.

Ce phénomène résulte du masquage de la reconnaissance AvrLm3-Rlm3 par le gène AvrLm7, malgré la présence systématique du gène AvrLm3 dans les populations de phoma.

Ce n'est qu'après pression de sélection Rlm7, conduisant majoritairement à la perte ou à l'inactivation d'AvrLm7, que le phénotype avirulent sur Rlm3 est révélé.

Ce type d'interaction a été très rarement décrit chez les champignons pathogènes, avec un seul cas similaire identifié chez Fusarium oxysporum sur la tomate (Houterman et al., 2008).

Une interaction négative... à exploiter positivement !

Bien que le mécanisme moléculaire ne soit pas encore élucidé, cette interaction négative offre des perspectives très intéressantes et originales en matière de gestion des résistances Rlm3 et Rlm7.

En effet, non seulement il est envisageable de réutiliser la résistance Rlm3 pour contrôler la maladie dans les situations où Rlm7 serait totalement contourné, mais on peut aussi imaginer des stratégies d'alternance des génotypes Rlm3 et Rlm7, afin de contre-sélectionner à la saison « n+1 » les souches virulentes sélectionnées l'année « n » sur l'une des deux sources de résistance.

Cette stratégie d'alternance devrait accroître la durabilité de la résistance Rlm7.

Un phénomène peut-être déjà exploité « inconsciemment »

C'est d'ailleurs ce qui a pu se passer dans la pratique de façon non intentionnelle. En effet, la plupart des variétés commercialisées dans les années 1990 et portant Rlm1, comme Doublol, Maxol, Vivol, Capitol ou Columbus, portaient également Rlm3. Environ 20 % de variétés de colza inscrites en France possèdent le gène de résistance Rlm3 (Pinochet et al., 2009).

Ainsi, les préconisations d'alternance entre variétés avec résistance spécifique efficace (Rlm7) et les variétés TPS (très peu sensibles au phoma) sans résistance spécifique ont pu conduire à des alternances Rlm7-Rlm3, donc contribuer au maintien des souches virulentes avrLm7 à des fréquences assez faibles jusque très récemment.

AvrLm3, gène utile au champignon en l'absence de colza résistant ?

AvrLm3 possède les caractères classiques des gènes d'avirulence de L. maculans, considérés comme des effecteurs de la pathogénèse (leur présence chez le champignon favorise leur aptitude à coloniser la plante et compléter leur cycle infectieux tant qu'un gène de résistance spécifique ne leur est pas opposé ; Rouxel et al., 2011). De plus, étant présent chez toutes les souches de phoma isolées de colza et analysées à ce jour, AvrLm3 a probablement une fonction biologique importante pour le champignon et l'on peut postuler qu'il lui sera difficile de se débarrasser des deux gènes AvrLm7 et AvrLm3.

La course aux armements continue

Cette interaction entre les deux gènes AvrLm3 et AvrLm7 peut être considérée comme une illustration de la « course aux armements » entre les plantes et les agents pathogènes, où des plantes résistantes sont sélectionnées, induisant en retour une sélection de souches capables de contourner ces résistances et ainsi de suite.

La sélection de souches possédant AvrLm7 a pu être par le passé un moyen parcimonieux et efficace pour le champignon de masquer sa présence dans les variétés de colza portant Rlm3.

La question est de savoir comment les souches vont évoluer lorsque les deux gènes de résistance seront présents dans les mêmes variétés, ou utilisées de façon alternée dans les rotations. Autrement dit : quel sera le prochain épisode de la « course aux armements » ?

Des études à la fois biologiques et de modélisation sont en cours dans le cadre du metaprograme Inra-SMaCH « K-Masstec » et du programme CTPS « Icoscop » pour répondre à ces questions.

Fig. 1 : Fréquences alléliques des différents gènes d'avirulence dans les populations françaises ou européennes de phoma, avant l'utilisation de la résistance spécifique Rlm7

Les valeurs représentent les moyennes de vingt et six sites d'échantillonnage respectivement en France et en Europe. Les barres d'erreur représentent l'écart type.

Adapté de Balesdent et al., (2006) et Stachowiack et al., (2006).

Fig. 2 : Phoma : virulence « au choix »

Fréquence des divers phénotypes d'avirulence vis-à-vis de Rlm3 et Rlm7 au sein d'une population de phoma soumise à une forte pression de sélection Rlm7 (1 497 souches analysées).

Fig. 3 : Démonstration moléculaire de l'interaction à effet antagoniste entre les gènes d'avirulence AvrLm3 et AvrLm7 chez Leptosphaeria maculans

À gauche, une souche naturelle est inoculée sur des génotypes de colza Rlm3 et Rlm7, montrant le phénotype avirulent sur Rlm3 et virulent sur Rlm7.

À droite, après complémentation de cette souche avec un allèle fonctionnel avirulent du gène AvrLm7, les transformants inoculés sur les mêmes génotypes montrent un phénotype virulent sur Rlm3 et avirulent sur Rlm7.

SUMMARY

ABSTRACT - After 10 years of deployment of the resistance gene Rlm7 in oilseed rape fields, french populations of Leptosphaeria maculans (phoma) have started to evolve towards virulence.

Surprisingly, the selection of isolates virulent towards Rlm7 correlated with the reappearance of isolates avirulent towards Rlm3, which was considered as inefficient to control european populations of L. maculans in 2000.

This paper reports on the negative interaction between the avirulence phenotypes towards Rlm3 and Rlm7 and describes the avirulence phenotypes of current french field populations.

KEY-WORDS - Oilseed rape, France, phoma (stem canker, Phoma linguam, Leptosphaeria maculans), resistance, gene Rlm7, gene Rlm3, negative interaction, virulence, avirulence.

REMERCIEMENTS

Ce travail a bénéficié d'un soutien financier du CTPS (Projet Icoscop 2012-2015) de l'INRA (Métaprogramme SMaCH K-masstec). Les auteurs remercient Loïc Le Meur (InVivo AgroSolutions) et le réseau de coopératives InVivo AgroSolutions pour leur contribution aux échantillonnages de populations de phoma en 2013, ainsi que le Cetiom pour leur contribution à la caractérisation des populations des sites de Grignon et Rennes 2013.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Après dix ans d'utilisation du gène de résistance spécifique Rlm7 chez le colza, les populations françaises de phoma évoluent progressivement vers la virulence. De façon inattendue, l'apparition de souches capables de contourner Rlm7 s'accompagne de la réapparition de souches avirulentes vis-à-vis du gène Rlm3, estimé inutile vis-à-vis des populations de phoma présentes en 2000.

ÉTUDE - La nature de cette interaction « négative » entre les avirulences vis-à-vis de Rlm3 et Rlm7 a été étudiée par l'analyse de plus de 2 500 souches puis confirmée au niveau moléculaire.

RÉSULTATS - L'état actuel des populations françaises de phoma pour le gène d'avirulence AvrLm3 est donc connu, et la nature de cette interaction précisée.

MOTS-CLÉS - Colza, phoma, Phoma lingam, Leptosphaeria maculans, résistance, gène Rlm3, gène Rlm7, interaction négative, virulence, avirulence.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *C. PLISSONNEAU, *G. DAVERDIN, *L. COUDARD, *B. OLLIVIER, *T. ROUXEL ET *M.-H. BALESDENT, Inra, UMR 1290 Bioger 78850 Thiverval-Grignon.

CONTACT : marie-helene.balesdent@versailles.inra.fr

LIENS UTILES : www.smach.inra.fr/Toutes-les-actualites/semininaire-PRESUME-2014

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