Alerte

Des symptômes atypiques observés sur fraisier en Suisse

GAËTAN JACCARD, SABRINA PASCHE, PEGAH PELLETERET, SYLVAIN LAPPE, BASTIEN COCHARD ET FRANÇOIS LEFORT* - Phytoma - n°691 - février 2016 - page 10

Flétrissure des limbes, puis rougissements, suintements et dessèchement. Ce nouveau syndrome est à signaler, avec son ou ses responsables.
1. Fraisier en culture sous abri sur pain de coco, présentant les symptômes d'un flétrissement atypique.  Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

1. Fraisier en culture sous abri sur pain de coco, présentant les symptômes d'un flétrissement atypique. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes. 2. Rougissement suivant les nervures. Il s'étalera et brunira.  G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 2. Rougissement suivant les nervures. Il s'étalera et brunira. G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 3. Suintement sur le pétiole du fruit.  G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 3. Suintement sur le pétiole du fruit. G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 4. Suintement sur tige.  G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 4. Suintement sur tige. G. Jaccard - Hepia - 2014.

Symptômes. 5. Mycelium sur tige 12 jours après inoculation.  S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes. 5. Mycelium sur tige 12 jours après inoculation. S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes. 6. Flétrissement de feuilles 12 jours après inoculation.  S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes. 6. Flétrissement de feuilles 12 jours après inoculation. S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes. 7. Flétrissement de fleurs 12 jours après inoculation.  S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes. 7. Flétrissement de fleurs 12 jours après inoculation. S. Pasche - Gepia - 2014

Symptômes sur fruits. 8. Début de pourriture et suintements orangés sur fruit en développement. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 8. Début de pourriture et suintements orangés sur fruit en développement. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 9. Début de pourriture et suintements orangés sur fruit mûr.  Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 9. Début de pourriture et suintements orangés sur fruit mûr. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 10. Suintement orangé et brun sur pétiole. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 10. Suintement orangé et brun sur pétiole. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 11. Suintement orangé et noir sur fruits pourrissants.  Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Symptômes sur fruits. 11. Suintement orangé et noir sur fruits pourrissants. Photo : G. Jaccard - Hepia - 2014

Des symptômes de flétrissement inhabituels (photo 1) sont apparus sur fraisiers en culture hors-sol sous abris plastique (tunnel) à Genève, en Suisse, au début du mois d'avril 2014, soit moins de deux mois après la plantation.

Constats en culture

Avril 2014 : apparition de flétrissements

Cette culture avait été établie à partir de plants frigo (A+12) de fraisier, de la variété mara des bois, importés du Maroc et plantés sur pains de coco.

Lorsque les symptômes sont apparus, les plantes étaient au stade d'une dizaine de feuilles, la floraison avait déjà débuté, les premiers faux-fruits avaient noué. Les symptômes observés étaient dispersés dans la culture et n'ont pu être expliqués par une cause abiotique, que ce soit un stress climatique ou un problème de solution nutritive.

Des symptômes sur feuilles et pétioles

Ces symptômes commencent par un flétrissement des feuilles les plus âgées. Puis un rougissement de l'extrémité du limbe suit les nervures, s'étendant à toute la feuille et virant au brun (photo 2). La partie supérieure du pétiole joignant la feuille ou le fruit émet des suintements liquides de couleur rouge, ocre à orange (photos 3 et 4).

Le pétiole devient orange puis brun et la feuille se dessèche progressivement depuis le point de départ du flétrissement. Les racines sont saines.

Un traitement au fluopyram (Moon Privilege, Bayer) a permis aux sujets les plus développés de survivre. Sur des plantes peu développées, l'infection a couvert jusqu'à 50 % du feuillage (photo 1). Ces plantes n'ont généralement pas survécu. En revanche, les plants les plus robustes ont pu poursuivre leur développement après le traitement qui a interrompu la progression de la maladie.

Au final, les pertes imputées à cette maladie ont été de l'ordre de 2 à 5 % selon les tunnels en dépit de ce traitement.

Recherche de l'agent causal

Recueil et identification des micro-organismes

La cause abiotique étant exclue par l'analyse de la culture et de son historique, l'agent causal de ces symptômes a été recherché par mise en culture d'échantillons de fraisier (pétioles, limbes et suintements) en chambre humide pour expression des symptômes, ou directement sur milieu de culture Luria Bertani ou Potato Glucose Agar avec ampicilline pour l'isolement de micro-organismes.

Les micro-organismes, bactéries et champignons, révélés par ces cultures ont ensuite été isolés en culture pure. L'ADN a été extrait pour chaque organisme isolé en culture pure et utilisé pour amplifier, soit une séquence de l'ARN 16S (pour les bactéries), soit l'espaceur transcrit interne de l'ARN ribosomique (pour les champignons).

Les produits d'amplification ont ensuite été séquencés et les séquences obtenues comparées à celles présentes dans GenBank.

Trois champignons et une bactérie identifiés

Les organismes isolés et identifiés appartiennent à des genres pathogènes communs des cultures (Figure 1). Botrytis cinerea (Botryotinia fuckeliana), le pathogène dominant, est présent dans 45 % des isolats réalisés. Une espèce inconnue de Fusarium représentait 33 % des isolats et une espèce inconnue de Penicillium 11 %. Une espèce bactérienne, Pseudomonas fluorescens, constituait enfin 11 % des isolats.

Test d'inoculation du Fusarium sp.

Les symptômes observés ne correspondaient pas à des symptômes connus de Botrytis cinerea. Par ailleurs, Penicillium sp. et P. fluorescens sont connus comme des parasites de tissus senescents, voire des saprophytes ou même des micro-organismes bénéfiques.

De ce fait, c'est l'espèce de Fusarium inconnue qui semblait le pathogène le plus probable. Elle a donc été retenue pour des tests d'inoculation sur plants sains de 'mara des bois', cultivés en pots (11 × 11 × 12 cm) contenant 0,8 litre de substrat.

L'essai a été mis en place sous conditions contrôlées en chambre climatique à 175 mmol/m2/s de lumière, à une température de 27 °C et 80 % d'hygrométrie relative. L'inoculation a été pratiquée selon deux modalités, contenant chacune huit plants plus les plants témoins :

- injections multiples à la seringue directement dans les plants d'une suspension à une concentration de 106 conidies/ml. Les injections d'un volume de 2 microlitres ont été pratiquées tous les 3 cm en partant du pied sur toute la longueur des tiges ; les témoins ont subi eux aussi des injections, mais avec de l'eau pure ;

- incorporation au substrat de 50 ml d'une suspension à une concentration de 106 conidies/ml (témoins avec 50 ml d'eau pure).

Résultat : il semble pathogène

Douze jours après l'inoculation de ce Fusarium sp., le mycélium était visible sur les tiges (photo 5). Le mycélium s'est également développé à partir des points d'injection et un flétrissement des feuilles (photo 6) et des fleurs (photo 7) a pu être observé.

Le mycélium s'est développé dans les deux modalités d'inoculation, mais plus rapidement sur les plants injectés. Le flétrissement des feuilles et des fleurs a été observé seulement pour les plants injectés. Les témoins sont restés indemnes.

Les symptômes causés par Fusarium sp. ne sont pas complètement identiques à ceux observés initialement en culture hors-sol, mais en comprennent certains tel que le flétrissement des feuilles et des fleurs.

L'inoculation de cette espèce inconnue de Fusarium sur des fraisiers sains a démontré qu'il avait un comportement pathogène.

Et maintenant ?

Syndrome associant deux pathogènes : une hypothèse forte, à creuser

Puisqu'au départ, il a été isolé à partir des suintements observés, il est fort probable que ce Fusarium sp. participe à faire survenir les symptômes avec Botrytis cinerea, qui était l'organisme le plus présent sur les symptômes observés en culture hors-sol.

Ces symptômes pourraient être la composante d'un syndrome phytopathogène causé par les interactions des deux champignons pathogènes. Des études complémentaires pourraient le confirmer, mais il faudrait alors pratiquer une double infection avec les deux pathogènes.

Par ailleurs, il serait intéressant d'identifier l'espèce de Fusarium en cause. Est-ce qu'elle diffère de celles causant des fusarioses vasculaires à partir des racines ? Ces dernières ne sont pas touchées.

Des symptômes constatés durant l'été 2014, puis en 2015

Des symptômes sur fruits ont été observés début juillet 2014 sur des plants non traités. On y retrouve ces suintements de couleur orangée (photos 8 et 9), virant au brun puis au noir (photos 10 et 11), à partir de points d'infection sur le pétiole, la corolle ou le fruit. L'infection résulte en un pourrissement des pétioles et des fruits (photos 10 et 11).

Les symptômes sur feuilles et pétioles ont de nouveau été observés au printemps 2015 dans la même exploitation, plus deux autres, elles aussi du canton de Genève.

À noter : ce syndrome s'est manifesté au même stade de développement qu'en 2014, sur des plants du même cultivar (mara des bois) et de même origine. Cela ouvre des perspectives pour la recherche de cause et les mesures préventives.

Le contrôle chimique testé en 2014 étant efficace, il apparaît donc que cette maladie peut être contrôlable(1). Cependant, il nous a semblé important de faire connaître ces symptômes atypiques aux cultivateurs de fraisier.

(1) NDLR : En France, plusieurs fongicides sont utilisables sur fraisier contre des maladies foliaires, notamment « maladie des taches brunes ». L'un d'eux, associant le fluopyram à la trifloxystrobine, est autorisé notamment sur « maladie des taches brunes (anthracnose, maladie des taches pourpres) ». Reste à savoir si le symptôme atypique décrit ici, s'il se manifestait en France, pourrait être inclus dans cette catégorie de maladies.

Fig. 1 : Les quatre micro-organismes identifiés sur les fraisiers malades

Pourcentage de chacun des organismes identifiés parmi les isolats analysés.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Des symptômes d'une flétrissure atypique sur fraisier ont été observés en production commerciale à Genève en 2014 et 2015. Même si l'application de fluopyram a semblé pouvoir permettre de contrôler ce syndrome, il était important de le reconnaître et d'en déterminer la cause.

INVESTIGATIONS - Les isolements ont révélé la présence de trois espèces de champignons et d'une bactérie.

Les tests de ré-inoculation ont montré que, associée à Botrytis cinerea, une espèce de Fusarium actuellement non déterminée semble avoir une responsabilité dans ce syndrome.

PERSPECTIVES - Ces symptômes atypiques s'étant produits deux années consécutives sur des fraisiers de même variété et de même origine, une surveillance particulière devrait être effectuée. Les pathogènes pourraient être étudiés plus à fond (espèce de Fusarium, interactions avec B. cinerea).

MOTS-CLÉS - Fraise, fraisier, flétrissements, Botrytis cinerea, Fusarium sp.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *G. JACCARD, *S. PASCHE, *P. PELLETERET, *S. LAPPE, *B. COCHARD, *F. LEFORT, groupe plantes et pathogènes, Institut terre nature et paysage, hepia, HES-SO//Genève 150, route de Presinge, 1254 Jussy, Suisse.

CONTACT : francois.lefort@hesge.ch

LIEN UTILE : www.hesge.ch/hepia

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