Sur blé, les souches de septoriose (en fait, celles de son agent Z. tritici) dites MDR représentaient seulement 2 % des isolats en 2013, mais déjà 9 % en 2015. Photo : M.-F. Delannoy
Son titre complet est « Note commune 2016 - Inra, Anses, Arvalis-Institut du végétal pour la gestion des résistances aux fongicides utilisés pour lutter contre les maladies des céréales à paille ». C'est l'édition 2016 d'une note annuelle éditée par les trois organismes cités.
Même si une partie de son contenu se répète d'une année sur l'autre - ce qui permet une utile révision - il y a du nouveau. Parlons-en.
Le blé et la septoriose
Triazoles : ça se complique et se dégrade
La septoriose due à Zymoseptoria tritici (dit aussi Septoria tritici) est actuellement la plus nuisible des maladies du blé en France. Elle est connue pour résister plus ou moins à plusieurs familles et modes d'action(1) fongicides.
La note 2016 rappelle, comme la précédente datée de 2015, que les résistances aux triazoles, principale classe d'IDM(2), sont bien implantées. Le ton change à propos des niveaux de résistance.
En effet, en 2015, ces niveaux étaient qualifiés pour l'essentiel de moyens à faibles. Certes, la note signalait l'augmentation de fréquence des « nouvelles catégories de souches présentant des niveaux de résistance moyens à forts aux IDM » (leur fréquence globale étant de 13 %) mais sans le souligner dès son introduction.
La note 2016, elle, signale dès son introduction : « Du côté de la septoriose, la résistance aux IDM progresse et les souches les plus résistantes représentent désormais près de 20 % de la population. »
Les pages consacrées à la maladie précisent : « Ces souches représentent désormais 22 % de la population sur l'ensemble des échantillons analysés. » Elles sont présentes dans 72 % des échantillons. Et elles représentent 31 % de la population dans les échantillons où elles ont été trouvées.
La note détaille les proportions, dans les 22 % de la population totale, de deux catégories différentes de souches :
- celle dite des TriMR évoluées, regroupant des souches fortement résistantes à un ou quelques triazoles et qui représentent 13 % de la population totale analysée (7 % en 2013) ;
- celle des MDR (multi drug resistant, résistants multisubstances), isolats « très résistants à la plupart des IDM » et en même temps « faiblement résistants aux SDHI(3) » et qui représentent 9 % de la population (ils pesaient 2 % en 2013).
Elle rappelle que, dans les îles britanniques, quelques populations avaient été trouvées avec 66 % de souches TriMR et/ou MDR avec « des pertes d'efficacité des IDM corrélées avec de fortes fréquences de ces souches »... Surtout, elle ajoute qu'en 2015, « en France, des pertes d'efficacité ont été observées ponctuellement ». Inquiétant.
Les QoI toujours hors-jeu, mais les SDHI encore dans la course
Concernant les QoI(4), pas de changement par rapport à la note 2015 : leurs représentants autorisés sur blé, à savoir les strobilurines, ont « leur efficacité fortement compromise » sur septoriose par une résistance généralisée et à fort niveau.
Quant aux SDHI, on a vu que les souches MDR leur sont résistantes mais faiblement, ce qui ne compromet pas actuellement leur efficacité. Par ailleurs, existe-t-il des résistances spécifiques (qui les ciblent du fait de mutations révélées par les traitements) ?
En 2012, une seule et unique souche de ce type avait été trouvée. En 2013 et 2014, rien. En 2015, deux « populations suspectes » détectées en France sont en cours d'analyse. Certes, si elles s'avéraient contenir des individus résistants, ce serait à des fréquences faibles. Par ailleurs, partout en Europe, « la détection d'isolats résistant spécifiquement aux SDHI est exceptionnelle ». Mais il faut rester vigilant.
Alternance et association avec des multisites conseillées
En pratique, les recommandations sont :
- n'utiliser les triazoles qu'associés « de préférence avec un fongicide multisite », comme l'an dernier ; ce qui change, c'est que ces multisites comprennent désormais, outre le chlorothalonil et le mancozèbe cités l'an dernier, le folpel nouvellement autorisé ; l'association avec un SDHI ou du prochloraze est possible aussi dans les régions où ce dernier reste valorisé (la nouvelle note précise « au sud de la Loire ») ;
- alterner les modes d'action et mêmes les molécules au sein du même mode d'action ; la note 2016 rappelle, comme la précédente, que l'époxiconazole, le prothioconazole et le metconazole demeurent les plus efficaces des triazoles ;
- limiter les SDHI « à une seule application par saison, quelle que soit la dose », avec une note précisant que « le fractionnement d'une dose pleine en deux applications doit être comptabilisé comme deux applications indépendantes » - ceci en terme de gestion des risques de résistance, car cette recommandation vise bien à « limiter la sélection de souches MDR et spécifiquement résistantes aux SDHI ».
L'orge et l'helminthosporiose
SDHI : la situation s'aggrave encore
L'événement majeur selon la note 2015 était l'augmentation de fréquence des souches d'Helminthosporium teres, agent de l'helmintosporiose de l'orge, résistantes aux fongicides SDHI. Depuis lors, cette fréquence a encore augmenté ! Les souches résistantes ont représenté plus de la moitié de celles analysées en 2015, contre 45 % en 2014 et 33 % en 2013.
Quel est l'impact de ces résistances, en pratique ? Certes, sur le terrain, il y a « de fortes disparités régionales » et, de plus, en 2015 comme en 2014, l'effet sur l'efficacité des produits a été « mal apprécié en raison de leur utilisation systématique en mélange ». Certes, au laboratoire et toujours comme l'an dernier, la mutation dite C-G79R, dominante en France comme ailleurs en Europe, induit « des niveaux de résistance faibles à élevés selon les matières actives malgré une résistance croisée entre tous les SDHI ».
Mais en serre, nous révèle la note 2016, cette mutation C-G79R est, parmi la bonne dizaine de mutations identifiées à l'heure actuelle, une des deux ayant le plus d'impact sur l'efficacité même si les niveaux de résistances restent modérés.
Les QoI, utiles malgré la résistance
Pour les fongicides QoI, en 2015 comme en 2014, la résistance est bien implantée mais à des niveaux « faibles à modérés selon la substance active » (la mutation n'est pas la même que celle de la septoriose du blé...). L'azoxystrobine est la substance la plus pénalisée et la pyraclostrobine la moins impactée, alors que la picoxystrobine et la trifloxystrobine sont intermédiaires et équivalentes entre elles. S'il y a du nouveau, c'est sur l'efficacité des mélanges et les risques associés, nous y reviendrons.
Les IDM dérivent et le cyprodinil est le seul épargné
Quant aux autres familles, les IDM continuent à dériver comme l'an dernier, avec un bonus au prothioconazole, « triazole le plus efficace contre cette maladie ».
Enfin, la note commune le souligne au début de la page helminthosporiose de l'orge, « le cyprodinil (anilinopyrimidines) est le seul mode d'action homologué non concerné par la résistance chez cette espèce ».
Conseil d'alternance et stratégie d'association
Concernant les recommandations sur cette maladie, il y a un rappel et du nouveau.
Le rappel ? C'est le conseil d'alternance. Sur orge, il est de « pas plus d'une application par saison, toutes maladies confondues » de chacune des catégories de fongicides : SDHI, strobilurines (QoI), prothioconazole (le meilleur IDM) et même cyprodinil pour ménager ce dernier.
Ce qui est nouveau ? Cela concerne les stratégies d'association. En effet, récemment, citons la note : « L'apport des QoI sur le plan de l'efficacité, dans le cadre de mélange IDM + SDHI + QoI a pu être démontré en essai. » Mais la note appelle à la vigilance !
En effet, citons-la : « L'utilisation généralisée de mélange triple pourrait accélérer la sélection de populations présentant une résistance multiple aux QoI et SDHI ; les premiers individus de ce type ont en effet déjà été identifiés dans de nombreuses régions européennes. » Elle ajoute : « Le coût de cette double résistance (perte de fitness) n'a pour l'instant pas été clairement démontré (tests de compétitivité sur plante). »
En clair, on ne sait pas si cette double résistance « nuit » aux souches résistantes en l'absence d'application des fongicides touchés (en les rendant moins compétitives que les souches sensibles)... ou pas. Elle serait plus facile à gérer dans le premier cas que dans le second.
Autres maladies
Oïdium du blé, Champagne et métrafénone
Concernant l'oïdium du blé, rien de neuf pour les résistances déjà connues aux strobilurines et aux IBS (IDM et « amines », une autre famille d'IBS visant cette maladie). Parmi les fongicides aux modes d'action différents de ceux déjà cités plus haut :
- le quinoxyfène voit des résistances qui affectent parfois son efficacité (surtout en Champagne), mais le proquinazide, qui lui est proche, reste cependant efficace - attention, la note 2016 précise « à sa dose d'emploi », malgré l'existence de résistance croisée entre les deux molécules ;
- le cyflufénamid reste épargné par les résistances ;
- en revanche, c'est nouveau, « en 2015, dans certains essais en Champagne, des résultats décevants ont été obtenus avec la métrafénone sur oïdium du blé (analyses de résistance non disponibles) ».
L'avenir nous apprendra s'il s'agit d'un événement isolé ou d'un premier épisode - même si, de toute façon, la maladie n'est guère nuisible ces dernières années sur blé
Ramulariose de l'orge et SDHI
La ramulariose de l'orge, maladie identifiée en 2002, résiste aux strobilurines depuis 2008. La note 2016 signale pour la première fois que « des isolats moins sensibles aux SDHI ont été détectés en France, mais aucun cas de résistance avéré n'a été rapporté ». À suivre ?
Rhynchosporiose de l'orge et strobilurines
Parfois, la détection d'isolats moins sensibles, voire carrément résistants à un fongicide, est suivie d'une période de calme. C'est le cas pour la rhynchosporiose de l'orge : deux isolats résistants aux strobilurines ont été détectés en 2008 en France, puis aucun pendant quatre ans, deux autres en 2013 et aucun en 2014. En 2015, d'autres ont été détectés, mais ailleurs en Europe, la note ne précise pas où.
Autres maladies
La note 2016 évoque également les oïdiums du triticale et de l'orge, sans problèmes de résistance, le piétin-verse, l'helminthosporiose du blé, les rouilles de céréales et les fusarioses des céréales.
Pour le piétin-verse, elle signale pour la première fois que l'efficacité moyenne du cyprodinil décroît régulièrement depuis une dizaine d'années, mais le fait en soit n'est pas nouveau.
De même, elle explique que quelques isolats de rouille brune à faible niveau de résistance aux triazoles sont « très ponctuellement détectés dans les populations européennes », mais ce n'est pas nouveau non plus, cela ne semble pas amorcer une évolution, et ce n'est pas en France.
Généralités : une précision et deux arrivées
Recommandations générales : les mêmes plus la semence
La note continue par les recommandations générales pour 2016. Elles ressemblent à celles éditées en 2015, et sont utiles à rappeler. Les auteurs conseillent :
- des mesures indirectes (tolérance variétale et diversité variétale, pratiques culturales) ;
- le raisonnement des interventions (ne traiter que si nécessaire) ;
- la diversification des modes d'action avec l'utilisation des fongicides multisites et la limitation du nombre d'applications des autres modes d'action, notamment un seul SDHI et un seul QoI par campagne.
Seule évolution, l'attention aux traitements de semences avec, c'est nouveau, l'appel à « raisonner la gestion de la résistance des maladies de la semence : charbon nu et Microdochium spp. en particulier ».
Il semble que des isolats d'Ustilago nuda (l'agent du charbon nu) résistants aux SDHI auraient été trouvés. Quant à Microdochium sp., on sait que ces champignons sont aussi à l'origine de certaines fusarioses de l'épi, donc visés par des fongicides en végétation.
Classification
Enfin, un tableau récapitulatif bien pratique permet de classer les substances fongicides. À noter deux évolutions par rapport à celui de la note 2015 :
- le flutriafol, un IDM, était signalé en 2015 comme non autorisé sur céréales, désormais il l'est (NDLR : sur orge contre l'oïdium) ;
- le folpel a été ajouté à la liste des substances multisites utilisables sur céréales (NDLR : il est autorisé sur blé associé à un triazole, contre septoriose et rouille).
La note intégrale est disponible sur plusieurs sites de DRAAF (directions régionales de l'agriculture). De plus, elle est en accès libre, téléchargeable et imprimable, sur le site de l'AFPP (voir lien utile).
(1) Une classe ou famille chimique (ex. : les triazoles) regroupe des substances ayant des similitudes dans leur structure chimique. Un mode d'action (ex. : celui des IDM) est une façon d'attaquer l'agent de maladie (viser une cible biochimique chez le champignon). En général, les membres d'une même famille partagent le même mode d'action. Mais un mode d'action peut être commun à plusieurs familles. (2) Inhibiteurs de la déméthylation des stérols (mode d'action). Les IDM font partie des IBS (inhibiteurs de la biosynthèse des stérols, lesquels sont des constituants des parois cellulaires des champignons ; la déméthylation est une étape de cette biosynthèse). La classe d'IDM la plus connue est celle des triazoles, qui comprend des fongicides phytopharmaceutiques et des médicaments antimycoses. (3) Succinate desydrogenase inhibitors = inhibiteurs de la succinate déshydrogénase, laquelle est une enzyme impliquée dans le processus de respiration cellulaire (ou mitochondriale), au niveau du « complexe II ». Ce mode d'action diffère de ceux perturbant la synthèse des stérols. (4) Quinone outside inhibitors = inhibiteurs externes de la quinone. Les fongicides QoI (dont font partie les strobilurines entre autres) agissent sur la respiration cellulaire au niveau du « complexe III ». Ce mode d'action diffère donc de celui des SDHI (et des IDM, bien sûr).