DOSSIER - Biocontrôle

Produits phyto de biocontrôle : un ralentissement... provisoire ?

MARIANNE DECOIN* - Phytoma - n°692 - mars 2016 - page 52

Alors que les années précédentes avaient vu s'accélérer les autorisations de nouveaux produits de biocontrôle, assistons-nous à une pause avant que l'innovation rebondisse... ou non ? En attendant de le savoir, récapitulons.
Fraisiers en pleine terre sous abri. Cette culture est concernée par un nouveau biofongicide pour le traitement du sol à base de deux Trichoderma spp., quand il sera distribué, et un antibotrytis à base de Gliocladium catenulatum, substance déjà connue, mais avec un mode d'application très original : via des bourdons...  Photo : Fredon Nord-Pas-de-Calais

Fraisiers en pleine terre sous abri. Cette culture est concernée par un nouveau biofongicide pour le traitement du sol à base de deux Trichoderma spp., quand il sera distribué, et un antibotrytis à base de Gliocladium catenulatum, substance déjà connue, mais avec un mode d'application très original : via des bourdons... Photo : Fredon Nord-Pas-de-Calais

La pêche bénéficie de nouvelles AMM, soit accordées spécifiquement, soit obtenues en tant que culture fruitière comme une autre. Photo : Pixabay

La pêche bénéficie de nouvelles AMM, soit accordées spécifiquement, soit obtenues en tant que culture fruitière comme une autre. Photo : Pixabay

Tableau 1 : Fongicides de type biocontrôle et produits assimilés

Tableau 1 : Fongicides de type biocontrôle et produits assimilés

Tableau 2 : Insecticides de type biocontrôle et produits assimilés

Tableau 2 : Insecticides de type biocontrôle et produits assimilés

Sept nouveaux principes actifs déclinés dans cinq produits phyto (phytopharmaceutiques) de biocontrôle (dont deux pas encore disponibles !), contre treize substances dans douze produits l'année précédente : même s'il y a, par ailleurs, des extensions d'usage et du nouveau côté formulations, cela ressemble à un freinage.

Un biofongicide à base de micro-organismes inédits

Deux Trichoderma sp. d'un coup

Une des nouveautés introduit deux substances actives d'un coup. Tellus, d'Isagro, autorisé à l'automne 2015(1), associe deux souches de Trichoderma (Tableau 1) : Trichoderma gamsii souche ICC080 et Trichoderma asperellum souche ICC012.

Ces deux champignons sont approuvés par l'Union européenne depuis 2009. Le premier s'appelait auparavant Trichoderma viride et le second était considéré comme un T. harzianum. Aucun des deux n'était autorisé en France, sous aucune de leurs dénominations. Leur association était déjà autorisée en Italie, où elle est commercialisée par la société Syngenta Italia. Son AMM(2) en France a été obtenue par « reconnaissance mutuelle ».

Les usages concernés sont tous en traitement du sol

Le produit est autorisé en traitement du sol (Tellus, déesse romaine de la terre mère(3), est la racine du mot « tellurique »).

Il peut s'utiliser avant culture, en application dans le trou de plantation ou de semis de végétaux ligneux : cultures fruitières pour lutter notamment contre l'armillaire, et arbres et arbustes d'ornement contre le pourridié.

Ensuite, il est autorisé, en pépinière et en culture, sur PPAMC (plantes à parfum, aromatiques, médicinales et condimentaires), cultures ornementales, fraisier et cultures légumières sauf légumes racines, contre maladies fongiques (sur certains usages, l'AMM précise qu'il s'agit des pythiacées). Ce produit sera distribué par Syngenta mais n'est pas encore disponible en France.

Un SDP anti-oïdium à base d'une substance naturelle

Arrivée du COS-OGA

L'autre nouveau produit antimaladies est un SDP, alias SDN (stimulateur de défense des plantes/des défenses naturelles).

Messager, de Jouffray-Drillaud, a été autorisé fin 2015(4), lui aussi par reconnaissance mutuelle. Sa substance, approuvée en avril 2015(5), se nomme COS-OGA pour « chito-oligo-saccharides/oligogalacturonides », en 2014, G. van Aubel écrivait « oligochitosans and oligopectates » (voir bibliographie).

C'est un mélange de composés de sucres (oligosaccharides) tels qu'on en trouve dans les parois des crustacés et de dérivés de la pectine des fruits (galacturonides).

À noter : cette substance naturelle a été approuvée en tant que « substance à faible risque ». Un privilège : à l'heure où nous mettons sous presse, seules cinq substances « en sont », toutes de biocontrôle(6) ! Son dossier d'inscription comme convenant à l'agriculture biologique est en cours d'examen.

Pour des légumes sous serre

Ce produit, autorisé sur cultures légumières sous serre est, dixit l'AMM, efficace contre l'oïdium sur concombre, courgette, poivron et tomate. Jouffray-Drillaud, qui a demandé des extensions d'usage sur vigne, travaille à préciser les programmes d'application en 2016 et le commercialisera en 2017.

Botrytis : du nouveau pour un micro-organisme connu

Arrivée sur framboisier

Retour aux micro-organismes : Prestop Mix (vendu sous le nom de Prestop 4 B), de Lallemand Plant Care, contient la souche J1446 de Gliocladium catenulatum. Ce champignon était connu dans Prestop, antibotrytis sur fraisier et tomate en pulvérisation des parties aériennes (il a par ailleurs des AMM en traitement du sol). Le nouveau produit est autorisé sous serre et abris, sur fraisier contre botrytis et sclerotinia, et sur framboisier et cultures assimilées (petits fruits rouges) contre botrytis.

Alors, l'équivalent d'une extension d'usage pour le principe actif ? Mieux que ça !

Un « matériel d'application »... vivant et volant !

L'originalité de ce biofongicide et de son usage vient de ce que, formulé en poudre insoluble dans l'eau (au contraire du produit original), il se dispose dans des ruches pour bourdons conçues pour cela.

Les insectes, en sortant de la ruche, se poudrent les pattes du produit (qui ne leur nuit pas). Ils le déposent ensuite sur les fleurs qu'ils visitent. Ainsi, tout en les pollinisant, ils les protègent des contaminations.

L'ensemble est commercialisé par le biais des ruches de bourdons de Biobest, qui a baptisé le concept « Flying Doctors ».

Extensions d'usage

Nouveaux usages pour deux produits à base du même Trichoderma

Par ailleurs, la bioprotection contre les maladies a vu des extensions d'usage.

D'abord pour Trianum G et Trianum P, de Koppert, formulations (« G » est un microgranulé et « P » une poudre mouillable) à base de la souche T 22 du champignon Trichoderma harzianum. Ces produits avaient été autorisés en 2009 en traitement du sol comme stimulateurs de vitalité des cultures florales et de plantes vertes et des cultures légumières sauf légumes racines(7). En 2015, cela change.

L'usage a été reformulé : désormais, les AMM sont celles de biofongicides visant des pathogènes telluriques (pythiacées et autres). Elles sont élargies aux légumes racines (carotte, etc.) en plus d'autres cultures légumières, à toutes les cultures ornementales, aux gazons en place en zones non agricoles, aux cultures fruitières, porte-graine, PPAMC, etc., et « traitements généraux ».

Le fénugrec stimule le melon

Du côté des substances naturelles, le fenugrec, extrait de la plante Trigonella foenum-graecum, est dans Stifénia, de Soft. Ce stimulateur des défenses naturelles autorisé fin 2005 contre l'oïdium de la vigne(8) a été présenté dans Phytoma en 2006 (Martinez & Clergue 2006).

Il s'est vu au printemps 2015 autorisé aussi sur melon. Il s'agit de stimuler les défenses de la culture contre son oïdium.

Le bicarbonate de potassium pour la pêche

Substance naturelle d'origine minérale, le bicarbonate de potassium d'Armicarb de De Sangosse, présenté dans Phytoma en 2012 (Daguier et al., 2012) après ses premières AMM sur petits fruits, a connu diverses extensions d'usage. La dernière, en 2015, est sur pêcher contre les monilioses.

Extensions pour le soufre micronisé

De produits à base de soufre micronisé. Heliosoufre S, Kumulus DF et Thiovit Jet microbilles, respectivement d'Action Pin, BASF et Syngenta, ont été réautorisés et, au passage, leurs usages adaptés au nouveau catalogue des usages et élargis.

Désormais, ce soufre est utilisable contre les oïdiums sur céréales secondaires, noisetier, manguier, cultures légumières supplémentaires... Détails sur les (nombreux) usages autorisés disponibles auprès des fabricants.

Dérogations 120 jours

Le polysulfure de calcium en vergers

Par ailleurs, il est intéressant de signaler deux autorisations par dérogations valables 120 jours pour ce printemps.

Curatio, de Biofa, distribué par Andermatt France, avait bénéficié de telles dérogations en 2014 et 2015, il en a de nouveau en 2016, jusqu'au 8 juin.

Il est à base de polysulfure de calcium (alias sulfure de calcium, bouillie sulfocalcique, bouillie nantaise - et chaux soufrée au Québec). Ce produit ancestral (Bain & al., 2010, attestent son usage vers 1920) a été approuvé en 2011. La dérogation est sur pommier, poirier, pêcher, abricotier, prunier et cerisier, contre monilioses, tavelure, cloques, oïdium, Coryneum et/ou Polystigma.

Trichoderma en pépinières vigne

Une autre dérogation sera valable jusqu'au 24 juin. C'est celle de Vintec, de la société belge Bi-PA. Ce produit est à base d'une nouvelle souche, codée SC1, de l'espèce connue Trichoderma atroviride.

L'autorisation est accordée pour le traitement par trempage des plants et boutures de vigne. Ce trempage peut avoir lieu avant la mise des greffons et porte-greffe en chambre froide, avant greffage, avant stratification ou avant mise en pépinière. Les maladies visées sont celles du bois, soit le complexe Esca-BDA.

Contre les ravageurs

Confusion sexuelle : rappel général

Passons à la protection contre les ravageurs avec la confusion sexuelle à base de phéromones de papillons femelles.

Comme le définissait Denis Thiery (Thiery, 2014), « le principe consiste à diffuser dans l'espace aérien une très forte quantité de phéromones. On le fait en diffusant le composé majoritaire de synthèse ». Autrement dit, la phéromone naturelle n'est pas utilisée, trop chère à extraire, ni sa copie conforme (un « bouquet phéromonal » véritable est complexe, donc cher à produire). Il faut se contenter du ou des composés principaux.

La recherche de phéromones pour protéger des arbres et arbustes forestiers et ornementaux avance (voir p. 46 à 50), mais n'a pas encore abouti à des AMM. Sur les cultures déjà protégées par confusion, une bonne part de l'innovation vient moins des phéromones que de leur mode d'application (exemple p. 44 et 45). L'année a vu cependant deux nouveautés, autorisées l'été 2015, donc disponibles pour 2016.

Ravageurs du pommier : les secondaires visés aussi

Pour le pommier, l'innovation se nomme Isomate CLR, de Sumi Agro, et elle ne contient pas moins de cinq substances actives ! Leurs noms sont dans le Tableau 2...

Ce qu'il faut retenir c'est que, à côté des trois composés déjà connus pour lutter contre le carpocapse Cydia pomonella(9), le nouveau diffuseur contient deux substances visant les tordeuses de la pelure. On sait que, au verger, la confusion sexuelle a souvent des effets bienvenus contre certains ravageurs (acariens, etc.) en ménageant les auxiliaires qui les régulent, mais peut aussi provoquer la remontée des populations de tordeuses de la pelure. Le nouveau diffuseur maîtrise aussi ces ravageurs secondaires tout en restant inoffensif pour les auxiliaires et pollinisateurs.

Eudémis de la vigne, phéromone de renfort

Quant au Rak 2 New, de BASF, autorisé contre l'eudémis de la vigne, il associe l'inédit n-Dodecanyl-acétate au composé principal habituel qu'est le E7, EZ9-Dodecadienyl-acétate. Le bouquet phéromonal ainsi proposé se voit plus proche du parfum naturel, avec une charge phéromomale globale augmentée par rapport à celle de l'ancien Rak 2.

D'autres améliorations viennent de la formulation (annoncée mieux stabilisée et résistante aux à-coups de température).

Substance naturelle sur denrées stockées

Terre de diatomées

La troisième nouveauté contre des insectes est Silicosec, de Biofa. Elle est à base de terre de diatomées, alias kieselguhr. Ces résidus de coquilles des organismes marins que sont les diatomées sont constitués de dioxyde de silicium (formule chimique : SIO2).

Son action est physique : elle abrase la cuticule des insectes vu la forme anguleuse et la dureté de ses particules, et elle les dessèche vu son fort pouvoir d'absorption de l'eau. Des études récentes (Ciesla et Guery, 2014) montrent son efficacité sur le charançon du riz (ravageur des blés stockés en France) aux températures où cet insecte est actif (25 °C).

Locaux vides et grains de céréales

Le nouveau produit est autorisé pour traiter les grains de céréales ainsi que les locaux « POV », c'est-à-dire destinés à stocker des produits d'origine végétale. Intéressant en agriculture biologique (les pyréthrines naturelles sont la seule autre solution) et dans les installations où il n'est pas possible de refroidir le grain (à la ferme...).

Le produit devrait être disponible à la moisson 2016. Andermatt France pourrait en être un distributeur, mais c'est à confirmer.

Extensions d'usage

Bacillus thuringiens

Reste les extensions d'usage. Elles touchent des produits connus depuis longtemps. Le premier est un micro-organisme... qui fait au moins quatre produits !

Il s'agit de la souche ABTS-351 du Bacillus thuringiensis variété kurstaki. On la trouve dans des quadruplés de Valent Biosciense : Dipel DF (commercialisé par Philagro), Bactura DF (commercialisé par Koppert), Scutello DF (commercialisé par Biobest) et Bacivers DF (que Valent s'est gardé). Tous partagent le même numéro d'AMM.

Les extensions ont été obtenues à l'occasion de la réhomologation du produit avec adaptation au nouveau catalogue des usages. En fait, il s'agit de globaliser certains usages et, de ce fait, englober des cultures et/ou des ravageurs secondaires qui étaient précédemment oubliés.

Ainsi, désormais, la plupart des cibles citées sont les « chenilles phytophages », plus les « xylophages » pour les végétaux ligneux : cela englobe les chenilles qui pourraient émerger ou réémerger demain...

À noter que l'autorisation sur cultures florales et de plantes vertes est désormais non seulement en production (c'était le cas auparavant) mais encore en « ZNA-espaces verts » (ZNA = zones non agricoles).

Retour au soufre

Enfin, à l'occasion de sa réhomologation, l'un des produits à base de soufre micronisé cité plus haut, le Thiovit jet microbilles, s'est vu autorisé contre les acariens (tarsonème) sur papayer et fruit de la passion. Et oui, le soufre n'est pas que fongicide !

(1) Voir Phytoma n° 688, novembre 2015, p. 9. (2) Autorisation de mise sur le marché. (3) Source : Wikipédia, consulté via « Oncle Google » par l'auteur de ces lignes qui ignorait tout de cette déité. (4) Voir Phytoma n° 690, janvier 2016, p. 11. (5) Voir Phytoma n° 683, avril 2015, p. 7. (6) Outre le COS-OGA, il s'agit de deux autres substances naturelles (cerevisane et phosphate ferrique) et deux micro-organismes vivants (Isara fumusorosea souche Apopka 97 et isolat 1906 de la souche CH2 du virus de la mosaïque du pépino). (7) Voir Phytoma n° 628, novembre 2009, p. 11. (8) Voir Phytoma n° 587, novembre 2007, p. 62. (9) Il s'agit de la codlémone (composé principal du bouquet phéromonal de la papillonne de carpocapse), et de deux composés secondaires (noms dans le Tableau 2 !) pour améliorer la ressemblance de l'imitation.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Cet article récapitule les nouveautés depuis un an en France en matière de produits phyto (phytopharmaceutiques) de biocontrôle correspondant à :

- l'arrivée de substances actives inédites sur le marché ;

- l'octroi d'usages inédits pour certaines substances actives.

BIOFONGICIDES - La protection contre les maladies a vu arriver trois substances actives inédites dans deux produits différents :

- Trichoderma gamsii et T. asperellum dans le même biofongicide de traitement du sol ;

- le COS-OGA dans un SDN contre l'oïdium de certaines cultures légumières sous serre.

Un nouvel antibotrytis à base de Gliocladium catenulatum fait arriver sur de nouveaux usages ce micro-organisme déjà connu.

Des produits à base de Trichoderma harzianum, de fénugrec, de bicarbonate de potassium ou de soufre micronisé ont vu des extensions d'emploi, et le polysulfure de calcium une dérogation.

BIO-INSECTICIDES - Trois nouvelles phéromones sont lancées dans deux produits de confusion sexuelle, et la terre de diatomées dans un insecticide de protection des denrées stockées.

Le soufre et le Bacillus thuringiensis ont des extensions d'usage.

MOTS-CLÉS - Biocontrôle, produits phytopharmaceutiques, phyto, biofongicide, SDN (stimulateur de défenses naturelles), bio-insecticide, micro-organisme, substance naturelle, phéromone.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *M. DECOIN, Phytoma.

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIEN UTILE :

https://ephy.anses.fr

BIBLIOGRAPHIE :

- Aubel van G., Buonatesta R, Van Cutsem P., 2014. COS-OGA : A novel oligosaccharidic elicitor that protects grapes and cucumbers... Crop Protection 65 (2014) 129-137.

- Bain C., Bernard J.-L. et Fougeroux A., 2010. Histoire de la protection des cultures... Éditions champ libre.

- Ciesla Y. et Guéry B., 2014. Efficacité de la terre de diatomées mélangées aux grains... 10e Cira de l'AFPP, Montpellier, 22 et 23 octobre 2014.

- Daguier M., Drouin G., Arnal V., Vigano S. et Zugaj C., 2012. Mieux connaître Armicarb, fongicide... Phytoma n° 652, mars 2012, p. 50-52.

- Martinez C. et Clergue T., 2006. Lutte contre l'oïdium de la vigne - Un nouveau stimulateur... Phytoma n° 591, mars 2006, p. 40-41.

- Piron M., 2009. Qu'est ce que Trichoderma harzianum souche T22... Phytoma n° 629, p. 45-49.

- Thiery D., 2014. De la communication chimique à la confusion... Journée confusion sexuelle vers de la grappe, 27 novembre 2014, Inéopole, Brens.

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