Existe-t-il des solutions pour combattre les limaces par le biocontrôle ? Autrement dit, peut-on utiliser des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle, des apports d'auxiliaires agents de biocontrôle, ou encore des techniques favorisant les auxiliaires présents ou défavorisant l'activité des limaces ?
Des champs à explorer
Comme tout ravageur, les limaces peuvent être la cible du biocontrôle
Consommant essentiellement des végétaux, dont les cultures, les limaces préfèrent souvent les parties vertes mais s'attaquent aussi aux semences et tubercules.
Consommatrices primaires des chaînes trophiques, elles sont également des proies de prédateurs, des hôtes de parasites ou de pathogènes et peuvent être sensibles à diverses substances d'origine végétale ou minérale.
Dans ce contexte, des méthodes faisant appel au principe du biocontrôle auraient la capacité de limiter l'usage des produits phytosanitaires habituellement employés pour les maîtriser.
Un contexte qui évolue
Des solutions considérées auparavant comme peu pertinentes et des solutions innovantes seraient à même, aujourd'hui, de trouver pleinement leur place dans la maîtrise des populations de limaces. Ces évaluations ou réévaluations peuvent s'appuyer sur de nouvelles connaissances concernant la biologie moléculaire et l'écologie chimique.
Au-delà de l'identification des solutions particulières de lutte, des combinaisons de mesures défavorables aux limaces ou d'évitement des attaques, même d'efficacité partielle, seraient aussi largement à même de contribuer à la réduction de l'usage de ces produits phytosanitaires.
Bien que cela doive encore faire l'objet de nombreux travaux, nous proposons ici un panorama de connaissances actuelles rassemblées dans le cadre d'un projet PSPE (« pour et sur le plan Écophyto ») : le projet Biolim, consacré aux moyens de biocontrôle des limaces.
Les molluscicides actuels
Cultures et surfaces concernées
D'importantes surfaces agricoles font l'objet d'une protection contre ce ravageur. En cultures de colza, les surfaces traitées varient de 40 à 90 % de l'ensemble des semis selon les années. Ces taux de traitements sont supérieurs à ceux des cultures de blé qui varient de 10 à 40 %. Ainsi, les traitements sur la sole française pour le colza et le blé ont été de l'ordre de 3 millions d'hectares en 2012, 2013 et 2014 et de 2 millions d'hectares en 2015.
Lutte chimique : deux substances dans différents appâts
Les moyens autorisés de lutte efficace contre les limaces sont peu nombreux. La lutte chimique actuelle repose sur deux molécules : le métaldéhyde et l'ortho-phosphate de fer, dit aussi phosphate ferrique.
Les antilimaces autorisés contiennent une de ces deux substances actives intrinsèquement efficaces au sein d'appâts appétants pour les limaces. La qualité des appâts a une forte influence sur les performances de découverte, de consommation et de persistance dans le temps, donc sur l'efficacité globale de ces traitements.
Une maîtrise encore imparfaite
Certaines espèces de limaces ne consomment pas ou ne trouvent pas les granulés et ils sont parfois peu accessibles aux très jeunes individus. De plus, la végétation en place peut avoir une forte appétence concurrentielle vis-à-vis des granulés.
Par ailleurs, un décalage entre l'application du produit et sa consommation peut se présenter. En effet, la persistance d'action des produits est limitée dans le temps du fait de la dégradation des granulés à la surface ou dans le sol. Des limaces sont capables de se mettre en activité au-delà de cette période.
Une efficacité difficile à évaluer
Les limaces sont donc des ravageurs encore partiellement contrôlés. Ceci provient aussi de difficultés d'ordre méthodologique pour évaluer les techniques de lutte contre les limaces. Plusieurs phénomènes peuvent interférer.
Les limaces vivent en partie cachées dans le sol et la végétation présente. Le climat a un effet très significatif sur leur activité. La répartition spatiale agrégative des limaces rend les essais au champ assez aléatoires et les individus de petite taille sont très difficiles à détecter. Leur élevage en conditions artificielles est assez complexe à réaliser. De fait, les résultats des études de laboratoire ne sont pas toujours transposables en conditions de pratique agricole.
Moyens de biocontrôle envisageables
Quatre types de moyens
Les moyens de biocontrôle spécifiques contre les limaces sont très diversifiés et reflètent les relations existantes entre la limace et son environnement (Figure 1) :
- des macro-organismes tels que des carabes, staphylins et araignées (prédateurs), ou parasites comme les nématodes ou certains diptères ;
- des pathogènes comme la bactérie que les nématodes transmettent à la limace en s'y introduisant ;
- des médiateurs chimiques qui interviennent dans une « course au contrôle chimique » ;
- des substances naturelles d'origine minérale, végétale et animale.
Rôle du comportement des limaces
Pour l'ensemble de ces moyens potentiels de biocontrôle, une meilleure compréhension des spécificités comportementales et physiologiques des limaces est indispensable afin de mieux définir les stades sensibles et d'évaluer le potentiel d'efficacité en pratique.
Il est également généralement constaté que cette efficacité varie grandement selon les conditions pédoclimatiques, dont l'influence doit, elle aussi, être cernée.
Ce que l'on sait des relations proie/prédateur
Les carabes, prédateurs polyphages
Les carabes sont reconnus comme d'importants prédateurs des limaces. La famille des Carabidae, à laquelle ils appartiennent, comporte plus de mille espèces en France dont une centaine présente dans les champs cultivés ou dans leur bordure. Ces prédateurs polyphages et opportunistes se déplacent rapidement à la surface du sol et consomment divers invertébrés, dont les limaces. Vivant dans les sols, les larves de carabes sont potentiellement de redoutables prédateurs, mais très mal connues.
Prédation : le carabe choisit la limace selon sa taille
Selon leur taille au stade adulte, il est reconnu que les carabes vont préférentiellement s'attaquer à des stades déterminés de développement des limaces. De manière générale, plus les carabes sont de grandes tailles, plus ils ont la possibilité de se nourrir de limaces de grande taille.
Dans une étude réalisée en enceinte fermée par McKemey et al. (2001), des limaces de différentes tailles sont proposées à des carabes de l'espèce Pterostichus melanarius. Ces carabes consomment dans les premières 24 heures essentiellement les limaces de faibles poids (entre 0 et 40 mg). Les limaces plus grosses (entre 40 et 200 mg) ne sont consommées qu'après 24 h (Figure 2). Les carabes préfèrent s'attaquer aux limaces les plus petites s'ils ont le choix (McKemey et al., 2001).
Nous pourrions déduire de cette étude que la capture et l'ingestion d'une grosse limace engendrent des coûts plus élevés qui ne sont pas compensés par sa valeur énergétique. Les petites limaces seraient donc plus profitables aux carabes.
Le milieu confiné de l'expérimentation n'a pas permis aux limaces d'échapper aux premières attaques de carabes, le système de défense des limaces étant le suivant : lors de la morsure du carabe, la surface tégumentaire agressée émet une forte quantité de mucus gluant (blanc chez la limace grise). Celui-ci entrave le fonctionnement des mandibules du carabe et/ou émet des substances répulsives faisant fuir le prédateur.
Lien entre la taille de la limace et celle des mandibules du carabe
Les travaux de McKemey et al. (2001) montrent qu'il y a une relation entre la taille de la proie que peut consommer un carabe et la taille de ses mandibules.
Ainsi, les espèces à mandibules de petites tailles sont incapables de consommer les grosses proies et inversement. L'espèce de carabes P. menalarius est une espèce relativement de grande taille (11-17 mm) que la dimension de ses mandibules rend susceptible d'attaquer des oeufs et des jeunes limaces. Elle a une préférence, reconnue par les auteurs de ces études, pour les limaces juvéniles.
Favoriser les carabes, oui, mais...
Ainsi toute mesure qui pourrait permettre de favoriser la présence d'espèces prédatrices de limaces pourrait, par voie de conséquence, limiter les pullulations de limaces dans les champs cultivés.
Néanmoins, ces auteurs indiquent aussi que les limaces à leurs jeunes stades de développement ne sont pas toujours disponibles pour les carabes car elles ne sont pas forcément en surface mais peuvent être dans les fins interstices du sol.
Par ailleurs, une concordance entre la période d'activité des carabes et la présence des jeunes limaces est nécessaire. Elle ne se réalise pas toujours du fait de la biologie respective de ces deux espèces. En effet, les jeunes limaces hantent les champs cultivés juste avant, pendant ou juste après l'hiver. Or, à cette période, en général, les carabes présents dans les champs cultivés sont peu actifs. En revanche, les pontes et les éclosions de début ou fin d'été pourraient être nettement plus consommées par ces prédateurs.
Diptères parasitoïdes
La famille des sciomyzidés est la famille de diptères la plus étroitement associée aux mollusques. Cinq espèces du genre Tetanocera recensées comme parasitant exclusivement les limaces sont donc des agents de biocontrôle potentiels.
Elles ne sont pas prédatrices mais parasitoïdes. Les adultes pondent leurs oeufs sur les limaces et les larves se nourrissent de leur hôte, entraînant sa mort. Ces diptères ont le potentiel, en termes de biocontrôle, d'avoir plusieurs générations par an et de pouvoir être élevés en masse au laboratoire. L'extrapolation à grande échelle a des limites en termes de coûts en raison des surfaces à traiter.
Relations hôte/parasites
Des nématodes commercialisés
Les limaces sont parasitées par divers nématodes dont Phasmarhabditis hermaphrodita, commercialisé depuis 1994 comme agent de biocontrôle (marque Nemaslug). Le stade juvénile L3 de P. hermaphrodita infecte les limaces en pénétrant par la poche tégumentaire postérieure au manteau (Tan et Grewal, 2001).
À la suite de l'infection, cette région du manteau gonfle et la limace meurt au bout de 7 à 21 jours. Les nématodes se nourrissent sur le cadavre jusqu'à l'épuisement de la ressource, et engendrent de nouvelles générations de juvéniles qui iront à la recherche de nouveaux hôtes.
L'efficacité, la concentration, le prix
Dans plusieurs essais au champ sur différentes cultures, une diminution des dégâts a été constatée après l'application des nématodes, mais seules des concentrations très élevées de nématodes ont une bonne efficacité. Elle décroît lors d'applications à des concentrations plus basses. Cette contrainte rend l'usage de cet agent de biocontrôle très onéreux du fait de son coût de production.
Relation à trois fatale à la limace
À noter que, si ces nématodes sont bien des parasites de limaces, ils ne sont pas les seuls acteurs de cette relation.
En effet, P. hermaphrodita est associé de façon symbiotique à la bactérie Moraxella osloensis. C'est cette dernière qui provoque la mort des limaces via la sécrétion d'une endotoxine de type lipopolysaccharide (LPS) (Tan et Grewal, 2001).
Utiliser les défenses des plantes
Substances d'origine végétale
Les végétaux sont capables de produire des substances qui se révèlent toxiques telles que des alcaloïdes, des glucosinolates ou des huiles essentielles. Par exemple, les alcaloïdes sont en général évités par les limaces.
Des études récentes montrent que l'huile de goudron de bouleau (Linqvist et al., 2010) et la caféine (Hollingsworth et al., 2002) ont un effet répulsif et, également, toxique sur les limaces. Les graines de cumin produisent de la carvone qui a des propriétés similaires. Des expériences de choix entre compost traité à la carvone et compost non traité ont montré que les limaces se nourrissent significativement davantage sur des laitues déposées sur le compost non traité. Mais, même si la substance a un effet réel, sa volatilité rend son application au champ complexe et d'une efficacité moindre qu'en laboratoire.
À propos de cultures intermédiaires et plantes de service
Le dernier programme d'action de la directive nitrates impose la couverture automnale des sols en zones vulnérables par des Cipan (cultures intermédiaires pièges à nitrates). Des travaux pour cerner leur impact sur les bioagresseurs sont nécessaires.
Il est difficile d'apprécier les effets des Cipan sur la prolifération des limaces. En effet, ces couverts intermédiaires peuvent servir à l'alimentation et d'abri à ces ravageurs, donc a priori les favoriser, mais en pratique cela dépend de l'espèce végétale.
L'insertion, dans les systèmes de culture, de plantes de service défavorables au développement des limaces est sûrement une voie d'avenir, que ce soit des couverts intermédiaires, des plantes associées au semis ou des plantes pour biofumigation (voir p. 28).
Moyens d'évitement des prédateurs/parasites
Les limaces peuvent identifier chimiquement la présence de parasites et prédateurs. Ainsi, elles montrent une réponse comportementale à la présence de nématodes.
Dans des expériences de choix en laboratoire, les espèces Deroceras reticulatum et Arion ater préfèrent rester et s'alimenter sur des sols non traités que sur des sols traités avec le nématode P. hermaphrodita.
Mais ce comportement est observé pour des applications à des concentrations élevées. À densité plus faible, il n'y a pas de préférence significative entre le sol traité et le sol non traité.
Toujours en laboratoire, la limace grise Deroceras reticulatum évite les zones parcourues par des carabes de l'espèce P. melanarius. Cette limace est donc capable de détecter la présence d'un prédateur grâce aux empreintes chimiques qu'il a déposées sur son passage. Si la nature des signaux chimiques détectés n'est pas encore définie, l'hypothèse d'allomones(1) de carabes refoulant les limaces peut être évoquée.
Le biocontrôle abiotique
Certains métaux, mais...
De nombreuses substances naturelles d'origine minérale montrent des effets irritants, voire toxiques sur les limaces. Il est admis que certains métaux, comme l'aluminium, le cadmium, le plomb, le zinc et le cuivre sont toxiques pour les limaces. Les métaux réduisent leur activité locomotrice et leur distance de déplacement et peuvent causer leur mort après pénétration dans leurs tissus digestifs. Ces effets répulsifs et toxiques varient selon les métaux et selon leur concentration. Cependant, ces métaux posent des problèmes de toxicité et sont des polluants environnementaux. Leur potentiel comme agent de biocontrôle est donc limité.
Le cas du phosphate de fer
En revanche, le phosphate de fer, commercialisé depuis quelques années, est très étudié. Dans de nombreuses études, cette substance, dans divers produits commerciaux, présente une efficacité pratique du même ordre que le métaldéhyde. Les produits à base de ces deux substances entraînent, dans la majorité des cas, une réduction significative des dommages dus aux limaces.
Conclusion
Micro-organismes et médiateurs chimiques, des voies à explorer
Cette revue des moyens de biocontrôle des limaces ayant fait l'objet de publications scientifiques souligne de nombreux manques de connaissances dans ce domaine. Par exemple, peu d'études ont été réalisées sur les bactéries, champignons et virus qui pourtant sont des agents de biocontrôle actifs sur d'autres ravageurs.
La recherche concernant les médiateurs chimiques contrôlant les interrelations plantes/limaces est récente et mérite d'être développée. Il serait intéressant d'identifier précisément les phéromones propres aux différentes espèces de limaces et les allomones ou kairomones influençant le comportement de ces ravageurs en lien avec les autres espèces végétales ou animales. Une fois identifiées, elles pourraient être utilisables pour le biocontrôle.
Ainsi, l'identification de signaux chimiques provenant de prédateurs tels que les carabes, et détectés par la limace, constituerait une voie de recherche pour de nouveaux répulsifs. À l'inverse, une substance attractive incluse dans un appât antilimaces serait susceptible d'augmenter son attractivité.
Étudier d'autres traits de vie
La recherche concernant les médiateurs chimiques contrôlant les interrelations plantes/limaces est récente et mérite d'être développée.
Cette étude donne une vision d'ensemble des voies de biocontrôle potentielles qui seront évaluées a priori dans le cadre du projet Biolim financé par Écophyto, et dont les plus performantes seront testées.
(1) Substances libérées dans l'environnement qui déclenchent une réponse comportementale chez une autre espèce.
Fig. 2 : Les limaces, proies de Pterostichus melanarius
Nombre de limaces Deroceras reticulatum consommées par le carabe Pterostichus melanarius après 24, 48 et 96 h, par classes de taille (mg) dans une expérience de non-choix (McKemey et al., 2001). À noter : le carabe préfère les limaces de petite taille.