L'activité humaine étant aujourd'hui largement mondialisée, l'augmentation des échanges peut s'accompagner de l'introduction non désirée d'espèces exotiques dans un nouvel habitat. C'est le cas de la pyrale du buis Cydalima perspectalis (Walker, 1859). Les chenilles de ce papillon causent d'importants ravages car elles se nourrissent des feuilles de buis Buxus ssp., causant un dépérissement sévère, puis à terme, leur mort.
Un problème grave pour les buis
Un ravageur envahissant et dévastateur
Ce lépidoptère de la famille des Crambidae est originaire de l'est de l'Asie, comprenant la Chine, le Japon, la Corée, l'Inde et l'extrême-orient de la Russie (Mally et Nuss, 2010).
La première détection de la pyrale du buis en Europe date de mai 2007 dans l'État de Bade-Wurtemberg, à Weil-am-Rhein, en Allemagne. Suit une détection à Saint-Louis, en France, en 2008 (Feldtrauer et al., 2009).
Cette chenille, de par sa voracité, menace d'extinction les buxaies naturelles de France (composées de Buxus sempervirens), notamment en Alsace-Lorraine, dans le Jura, les Préalpes françaises, les Pyrénées et le sud de la France (Di Domenico et al., 2012).
Elle menace également les buis des particuliers ainsi que ceux utilisés pour l'ornementation des jardins, des cimetières, des parcs des villes et des châteaux.
Les raisons probables de cette arrivée
L'explosion des marchés horticoles avec l'Extrême-Orient aurait permis l'introduction accidentelle de ce lépidoptère via le commerce de buis en Europe (Van der Straten et Muus, 2010). Ainsi en 2010, plus d'un million de plants de buis ont été importés aux Pays-Bas, principalement en provenance de Chine (Kenis, 2014).
L'importation de buis en provenance d'Asie n'étant pas soumis à un contrôle phytosanitaire obligatoire, l'arrivée de la pyrale a été d'autant plus facilitée que les oeufs et les chenilles sont très souvent difficilement détectables.
Ces différents facteurs peuvent ainsi permettre d'expliquer sa propagation dans plus de 70 départements de France en juin 2014 (Guérin, 2014).
Un essai grandeur nature
Dispositif expérimental
Dans l'optique de lutter contre l'expansion de la pyrale du buis, tout en respectant la réglementation phytosanitaire à venir, des études in situ ont été réalisées à l'aide de produits utilisables en agriculture biologique (UAB), conformément au règlement 834/2007.
Ce travail a été effectué au jardin botanique de Tours sur des buis de taille basse (20 × 20 cm) utilisés comme bordure de parterres de fleurs le long de l'allée principale. La présence de la pyrale du buis à Tours est avérée depuis 2014.
Les bordures de buis ont été subdivisées en trente zones dont chacune mesurait 10 mètres de long, tandis que le choix des produits pour chaque zone s'était fait de façon aléatoire.
L'espèce de buis étudiée était Buxus sempervirens var. suffruticosa (L.) Mill. et nous avons réalisé notre étude sur les générations de chenilles de C. perspectalis du printemps (avril) et d'été (juillet).
Produits testés et modes d'action
Les substances actives testées furent la bactérie Bacillus thuringiensis var. kurstaki, du pyrèthre naturel, du spinosad et des nématodes Steinernema carpocapsae (voir tableau ci-dessus).
Les pulvérisations ont été effectuées en fin d'après-midi, sous ciel dégagé et par vent faible, voire inexistant et ce, une fois pour chaque génération.
Le Dipel DF (noté Btk), dont la substance active est la bactérie Gram positif Bacillus thuringiensis var. kurstaki, agit sur les chenilles par ingestion. Les bactéries libèrent une toxine qui sera alors dissoute dans le système digestif par le liquide alcalin (pH entre 9,0 et 10,5). L'activité des toxines provoque l'éclatement des cellules épithéliales et la perforation de la paroi du tube digestif, ce qui entraîne alors la mort de l'insecte (Aronson et al., 1986).
Le Spruzit EC (noté Pyr) contient un mélange de pyréthrines agissant par contact comme neurotoxique sur les insectes, en bloquant le canal sodique et provoquant ainsi leur mort.
Le Success 4 (noté Spi) contient comme substance active le spinosad qui est obtenu par fermentation de l'actinomycète Saccharopolyspora spinosa (Regnault-Roger, 2014). Ce produit agit comme neurotoxique, en tant qu'agoniste de l'acétylcholine, par contact et par ingestion en perturbant la fixation de ce neurotransmetteur, conduisant à la mort de l'insecte.
Le Nemador SC (noté Sc) est, légalement parlant, une préparation d'auxiliaires et non pas un produit phytopharmaceutique. En effet, il contient comme substance active des nématodes Steinernema carpocapsae.
Ces derniers agissent par contact et peuvent parasiter entre autres les larves de noctuelles, de tipules, de coléoptères, d'orthoptères et de lépidoptères. Ils pénètrent dans l'hôte par les orifices naturels, et leurs entérobactéries symbiotiques transforment les tissus de l'hôte en nutriments assimilables par les nématodes (Hirao et Ehlers, 2010). Ils se développent dans le corps de l'hôte et celui-ci meurt en 48 heures environ après parasitisme.
Comptages réalisés et analyses statistiques
Afin de connaître précisément l'efficacité des produits testés, un comptage préliminaire a été réalisé juste avant la pulvérisation des produits de biocontrôle, puis un second comptage une semaine après celle-ci. La méthode de comptage adoptée a été faite par le même expérimentateur.
Cette méthode a consisté à compter mètre par mètre le nombre de chenilles visibles dans les buis à raison de 2 minutes par mètre et ce, sur les 5 mètres centraux de chaque zone délimitée, dans le but d'écarter l'effet combiné des produits pulvérisés sur les buis bordant chaque zone.
Les analyses statistiques ont été effectuées sur le logiciel R Studio.
Des tests de Wilcoxon ont été réalisés pour évaluer l'efficacité des produits en comparant le nombre de chenilles observées avant et une semaine après la pulvérisation des produits de biocontrôle.
Efficacité des produits
Nette réduction de chenilles
Les zones témoin n'ont pas montré de différences statistiques du nombre de chenilles entre les deux comptages pour les deux générations (Wilcoxon, avril : p-value = 0,5328 ; juillet : p-value = 0,07244 ; voir Figure 1).
En revanche, les zones traitées à la bactérie Btk, au pyrèthre et au spinosad montrent une différence significative du nombre de chenilles entre les deux comptages (p-value < 0,01) pour les générations de chenilles d'avril et de juillet (Figure 1).
Pour leur part, les zones traitées aux nématodes Sc montrent une différence significative du nombre de chenilles entre les deux comptages uniquement pour la génération de juillet (Wilcoxon, avril : p-value = 0,1483 ; juillet : p-value < 0,01 ; Figure 1).
« Efficacité Abbott »
Pour connaître la véritable efficacité des traitements réalisés, nous avons calculé l'efficacité Abbott. Le procédé permet de ramener l'efficacité observée sur la mortalité naturelle, en partant de celle observée dans la zone témoin (voir Figure 2). Ainsi, les pulvérisations en avril ont permis de réduire de 67 % le nombre de chenilles en zones traitées, passant de 1 310 chenilles observées à 434. Cette forte diminution semble expliquer que seules 408 chenilles ont été comptabilisées en juillet, avant les pulvérisations.
Les secondes pulvérisations ont permis de réduire de 78 % le nombre de chenilles pour atteindre seulement 89 individus en zones traitées, une semaine après les traitements.
L'importance des conditions météorologiques
La nette augmentation de l'efficacité des bactéries Btk et des nématodes Sc entre les deux traitements (Figure 2) semblerait être due à une météo beaucoup plus clémente en juillet. En effet, un épisode pluvieux de quatre jours (avec un total de près de 71 mm enregistrés) ayant suivi les pulvérisations d'avril aurait pu contribuer au lessivage de ces produits. Or, le Btk agit par ingestion, il faut donc respecter un certain délai pour que le produit ait l'effet escompté, ce qui n'a pu être totalement le cas en avril.
D'autre part, la température d'action des nématodes étant comprise entre 12 et 30 °C, il est possible qu'il n'y ait eu aucune action entomopathogène avant le lessivage. De fait, la température n'a pas dépassé les 10 °C dans la nuit suivant les pulvérisations et avant les premières pluies.
La diminution de 41 % du nombre de chenilles de pyrale du buis observées en juillet avec le traitement à base de nématodes, alors que les conditions météorologiques étaient optimales, reste cependant relativement faible par rapport aux résultats obtenus avec les autres produits testés.
Le spinosad
L'utilisation de pyrèthre naturel a montré une très bonne efficacité en réduisant d'environ 77 % et 70 % le nombre de chenilles, respectivement en avril et juillet. Néanmoins, c'est le spinosad qui a montré la meilleure efficacité, en diminuant de près de 93 % le nombre de chenilles en avril et en atteignant les 100 % en juillet. Ceci suggère que le spinosad est la substance active la plus efficace contre les chenilles Cydalima perspectalis lors de nos essais.
Vers la mise en place d'une lutte intégrée
Il est important de replacer cette étude dans une perspective de lutte intégrée plus large, tenant compte du respect des auxiliaires comme les abeilles et les parasitoïdes.
Des lâchers de trichogrammes oophages sont à l'étude au laboratoire Biocontrôle de l'Inra UEFM d'Antibes (Enriquez et al., 2015). Dans ce cas, l'utilisation d'un produit insecticide généraliste comme du pyrèthre ou du spinosad serait à éviter.
D'autre part, si les pulvérisations sont faites en conditions météorologiques favorables, le Btk montre une efficacité supérieure à celle du pyrèthre, diminuant d'environ 73 % le nombre de chenilles observées contre un peu moins de 70 % pour le pyrèthre.
Le Btk est à la fois efficace contre la pyrale du buis et sélectif des hyménoptères (trichogrammes mais aussi pollinisateurs), voire de l'ensemble des insectes présents sans s'attaquer au buis car il agit uniquement par ingestion. Il semble donc une solution à préconiser pour lutter contre le stade larvaire de la pyrale du buis. L'utilisation du Btk est prometteuse dans un contexte où la préservation de la faune auxiliaire et l'arrêt de l'utilisation de pesticides de synthèse deviennent une priorité.
Fig. 1 : Nombre de chenilles observées, entre le premier comptage (av) et le second comptage (ap) pour la génération d'avril (A) et celle de juillet (B)
T = Témoin, Btk = Bacillus thuringiensis var. kurstaki, Pyr = pyrèthre, Spi = spinosad, Sc = Steinernema carpocapsae. *** = différence extrêmement significative, NS = non significatif.