Abords d'une serre dans laquelle ont été prélevés des phytoséiides visiblement du genre Amblyseius. Il restait à déterminer leur espèce. Photo : J.-S. Cottineau - Armeflhor
Serre de poivron dans laquelle ont été prélevés certains des phytoséiides identifiés. Photo : J.-S. Cottineau - Armeflhor
Deux phytoséiides menaçant une larve de thrips : ce sont bien des prédateurs ! Photo : Bert Mans - Koppert BV
Serre de rosier où ont été prélevés d'autres spécimens. Tous sont des A. swirskii. Photo : J.-S. Cottineau - Armeflhor
Trouver un auxiliaire présent spontanément sur un territoire d'où on le croyait absent est un événement intéressant. Il suggère que, techniquement, l'espèce est utilisable sur le territoire. De plus, il la fait classer légalement comme indigène dudit territoire : son élevage et ses lâchers deviennent alors autorisés.
Éloge d'un auxiliaire
Lutte biologique et phytoséiides
Il est désormais connu que l'un des piliers du biocontrôle, la lutte biologique, est un moyen de lutte durable respectueux de la santé et de l'environnement, et rentable partout où il est utilisé (Cock et al., 2010). Il est démontré que la lutte biologique par augmentation inondative est une alternative efficace à la lutte chimique en cultures maraîchères et ornementales en serres (van Lenteren & Bueno 2003).
Les entreprises de production d'auxiliaires ont fait de gigantesques avancées ces dernières décennies, avec désormais plus de 230 espèces d'ennemis naturels disponibles (van Lenteren 2012). Parmi ces auxiliaires, les phytoseiides, famille de prédateurs de petits insectes et acariens (McMurtry et al., 2013), tiennent une place de choix. Ils sont en effet considérés comme d'importants agents de lutte biologique avec de nombreuses espèces vendues et utilisées partout dans le monde (Wright 2004).
Ce que l'on sait d'Amblyseius swirskii
Une des espèces les plus efficaces est Amblyseius swirskii Athias-Henriot ; elle a été introduite dans les serres de plus de cinquante pays.
Originaire des côtes de l'est de la Méditerranée, elle a été décrite en 1962 à partir de spécimens collectés sur amandier (Prunus amygdalus [Miller] D. A. Webb) à Bet Dagan, en Israël, par Athias-Henriot (1962). L'espèce a ensuite été signalée des côtes d'Israël, du Moyen-Orient, d'Europe du Sud, d'Afrique subsaharienne et d'Amérique (Demite et al., 2016).
Récemment a été établie la synonymie d'A. swirskii avec trois espèces décrites plus tard (Amblyseius capsicum [Basha, Youssef, Ibrahim & Mostafa, 2001] et A. enab El-Badry 1967, décrites d'Égypte respectivement sur Capsicum annuum L. [Solanaceae] et Mangifera indica L. [Anacardiaceae], et A. rykei Pritchard & Baker 1962, décrite du Congo sur Hoslundia opposita Vahl [Lamiaceae] et signalée ensuite du Bénin, de Cuba, du Ghana, du Kenya, du Malawi, du Nigéria et du Zimbabwe [Demite et al., 2016]).
Cette espèce est donc capable de se développer dans les zones plutôt humides du Bassin méditerranéen et en régions subtropicales et tropicales humides (Zannou & Hanna 2011).
Ne présentant pas de diapause, elle est utilisable si les températures dépassent les 22 °C (Calvo et al., 2015). Amblyseius swirskii est donc communément utilisé pour contrôler les aleurodes et thrips en serres de production de légumes (notamment concombre, poivron et aubergine) et de plantes ornementales, en Europe et en Amérique du Nord (Calvo et al., 2015). La biologie de cette espèce et son importance pour la lutte biologique ont récemment fait l'objet d'articles de synthèse (Buitenhuis et al., 2015 ; Calvo et al., 2015).
Situation à La Réunion
Une découverte fortuite
En 2015, des spécimens d'une espèce ressemblant fortement à A. swirskii (avec quelques variations) ont été observés dans des serres de poivrons et de roses sujettes à des pullulations de thrips à l'île de La Réunion. Or, A. swirskii n'avait jamais été signalé dans les précédents inventaires de biodiversité réalisés à l'île de La Réunion (Quilici et al., 1997, 2000 ; Kreiter et al., 2002 ; Kreiter et al., non publié).
Seule une identification fiable peut permettre une utilisation
Les productions maraîchères et ornementales dans les serres de cette île ont une importance économique considérable. Du fait de problèmes récurrents dus à l'utilisation des pesticides, le développement de moyens de lutte biologique est un enjeu considérable, pour des raisons de santé publique, économiques et environnementales.
Le signalement de cette espèce est donc un événement important, notamment dans le cadre de la législation française sur l'importation des macro-organismes sur le territoire national. En effet, jusqu'ici, Amblyseius swirskii peut être commercialisé en France métropolitaine et en Corse mais pas dans les départements d'outre-mer. À La Réunion, l'espèce n'était jusqu'ici pas considérée comme indigène et, aucune demande de permis d'importation n'ayant été déposée, elle n'était pas commercialisable dans l'île. Il fallait donc établir l'identité des spécimens trouvés à La Réunion afin de déterminer s'ils appartiennent à l'espèce A. swirskii, ce qui permettrait de classer l'espèce comme indigène (établie sur le territoire) donc de permettre son usage.
Réalisation de l'identification
Le genre Amblyseius contient environ 415 espèces, aucune clé mondiale des espèces de ce genre n'existe et beaucoup d'espèces sont très proches morphologiquement et difficiles à distinguer (avec des suspicions de synonymies et d'espèces cryptiques).
Pour toutes ces raisons, les caractères morphologiques ainsi qu'une analyse moléculaire ont été utilisés pour cette identification.
Collecte et conservation
Les spécimens ont été collectés sur poivron (Capsicum annuum L.) et rose (Rosa sp.) en serres à La Réunion, dans deux localités : Bassin-Martin (commune de Saint-Pierre), Station Armeflhor (lat. 55°31'9" S, long. 21°20'0'' E, alt. 450 m) le 13 mai 2015 et Montvert-les-Bas, EARL Le Montvert (lat. 55°32'19'' S, long. 21°19'42'' E, alt. 582 m) le 15 mai 2015. Les phytoseiides ont été conservés dans de l'alcool à 95 %. Une partie de ce matériel a été utilisée pour l'identification morphologique et une autre partie pour les analyses moléculaires.
Identification morphologique
Les identifications et toutes les mesures ont été réalisées avec un microscope à contraste de phase et interférentiel (Leica DLMB, Leica Microsystèmes SAS, Rueil-Malmaison, France) (400 × magnification). Les mesures des spécimens collectés à La Réunion ont été comparées à celles indiquées dans la description originale et dans diverses redescriptions (Figures 1, 2 et 3 et Tableau 1). Tous les spécimens étudiés ont été déposés dans la collection d'acariens de Montpellier SupAgro (UMR CBGP, Montferrier-sur-Lez, France).
Analyse moléculaire
Les séquences d'ADN du gène 12S rRNA des spécimens de La Réunion ont été comparées à celles des spécimens de la souche commerciale d'A. swirskii élevée et vendue par Koppert BV (Veilingweg 14, 2651 BE Berkel en Rodenrijs, The Netherlands). Le Tableau 2 liste les origines des populations testées.
Résultat : il s'agit bien d'A. swirskii
Les analyses morphologiques ont révélé qu'excepté pour quelques soies (légèrement plus longues ou plus courtes) et des dimensions plus courtes des boucliers sternal et génital pour la population de La Réunion, les mesures des mâles et des femelles étaient très proches de celles de la description originale et des redescriptions (Figures 1, 2 et 3 et Tableau 1).
Les différences observées relèvent toutes des variations intraspécifiques définies par Tixier (2012). Ces comparaisons morphologiques semblent donc montrer que les spécimens collectés à La Réunion appartiennent tous à l'espèce A. swirskii.
Pour les analyses moléculaires, un fragment de 418 paires de bases a été amplifié.
La distance génétique moyenne (1,7 %, min. : 0,3 %, max. : 3,6 %) entre les spécimens de La Réunion et ceux de Koppert est très faible (Tableau 3).
De telles distances correspondent clairement aux distances intraspécifiques signalées pour d'autres espèces de Phytoseiidae (Tixier et al., 2011, 2012, 2014). Les résultats moléculaires obtenus confirment donc que les spécimens collectés à La Réunion appartiennent tous à l'espèce A. swirskii.
Discussion et conclusion
Les analyses morphologiques et moléculaires permettent de conclure que tous les spécimens collectés à La Réunion appartiennent à l'espèce A. swirskii.
L'origine de cette population est inconnue. Elle peut provenir de lâchers d'une souche commerciale d'A. swirskii provenant d'Europe avant la publication du décret de 2012. Elle a pu venir « naturellement » ou par des échanges commerciaux avec l'Afrique de l'Est, directement ou via Madagascar et/ou Maurice. Amblyseius swirskii a été en effet signalée d'autres îles loin d'un continent : îles du Cap-Vert en 1992 (Ueckermann 1992), avant que cet auxiliaire soit vendu et utilisé en masse dans plusieurs pays.
Du fait des pressions dues aux attaques de plusieurs espèces de thrips, d'aleurodes et de l'acarien Polyphagotarsonemus latus (Banks) sur les productions maraîchères et ornementales sous serre à La Réunion (Vayssières et al., 2001), les demandes d'alternatives à la lutte chimique vont croissant.
Le potentiel de développement d'A. swirskii comme agent de lutte biologique pour les productions de La Réunion, majoritairement en serre mais aussi en plein champ, par exemple en vergers de citrus sur thrips (Juan-Blasco et al., 2012), est donc très élevé.
Fig. 1 : Caractères morphologiques
Schéma général d'un Phytoseiidae (tel qu'il peut être observé au microscope à contraste de phase après éclaircissage et montage entre lame et lamelle) et désignation des différentes parties du corps et des caractères morphologiques mesurés dans le Tableau 1 page suivante (d'après Schicha 1987, modifié par Kreiter 1988).
Fig. 2 : Données pour l'identification morphologique
Détails des caractères morphologiques couramment utilisés pour la description et l'identification des espèces de Phytoseiidae et pris en compte pour les mesures du Tableau 1 (d'après Schicha 1987, modifié par Kreiter 1988).
Fig. 3 : Noms et position des soies du dorsum prises en considération pour les mesures du Tableau 1
Amblyseiinae : absence de z3 et s6. Typhlodrominae : présence de z3, s6 et au moins de s2, s4, s5, z1. Phytoseiinae : présence de z3 et s6 ; absence de s4, s5, z1.
REMERCIEMENTS
Nous sommes tout particulièrement redevables au personnel de Koppert BV et spécialement au Dr Markus Knapp pour la fourniture de spécimens de la souche commerciale d'Amblyseius swirskii et de certaines des photos de cette publication. Nous remercions également Isabelle Cabeu, technicienne du pôle horticulture de l'Armeflhor, qui a suivi les populations d'acariens sur rose à l'Armeflhor et Jean-Pierre Avril, qui a maintenu avec Ingrid Avril la souche d'A. swirskii dans son exploitation depuis le premier prélèvement en 2015 jusqu'à aujourd'hui.