1. De couleur légèrement rosée, F. graminearum attaque les épis de maïs par la pointe et se propage progressivement sur l'épi. Photo : Arvalis
2. Pour infester l'épi, F. verticillioïdes, qui est un saprophyte, va profiter d'une porte d'entrée (attaque de foreur, grêle...). Photo : Arvalis
3. Par fortes chaleurs, F. verticillioïdes (blanc) et Aspergillus (gris, aspect poudreux) sont tous deux capables de se développer sur des plantes stressées. Il est donc possible de les trouver présents ensemble sur un même épi de maïs. Photo : Arvalis
4. Canne de maïs portant des têtes à périthèces (points noirs). Si ce type de résidus est laissé au sol et non broyé, les champignons pourront survivre à l'hiver et se développer au printemps. Photo : Arvalis
Tableau 1 : Principales espèces de Fusarium présentes sur maïs en Europe, et toxines associées(N. B. : signification des abréviations dans le Tableau 2)
La recherche internationale en phytopathologie examine de près les champignons toxinogènes présents au champ sur maïs grain. Il s'agit de Fusarium spp. et d'Aspergillus spp., autrement dit de plusieurs espèces des genres Fusarium et Aspergillus, capables de produire différentes mycotoxines.
Diverses toxines naturelles sous surveillance
La production de plusieurs espèces de Fusarium et d'Aspergillus
Le complexe fongique susceptible de se développer sur maïs grain compte des espèces du genre Fusarium communes sous nos latitudes (photos 1 à 3), mais aussi du genre Aspergillus (photo 3) dont la présence est plus sporadique en France.
Les conditions météorologiques sont certes déterminantes dans la gestion des risques sanitaires induits par les mycotoxines produites au champ, mais il n'y a pas de fumée sans feu : les pathogènes naturellement présents dans l'environnement de la parcelle sont responsables des contaminations, et les pratiques agronomiques pouvant influer leur développement jouent aussi un rôle essentiel.
Concernant le genre Fusarium, une dizaine d'espèces (Tableau 1, page suivante) sont couramment rencontrées sur les maïs européens. Ces champignons peuvent produire des toxines dont certaines sont surveillées de près par la Commission européenne depuis près de quinze ans. La co-occurrence de mycotoxines dans les grains est évidente. Ceci étant, elle ne constitue pas en soi un danger dès lors que les niveaux rencontrés sont acceptables.
Certaines toxines, réglementées, sont bien connues et peuvent être maîtrisées du semis à la récolte moyennant l'utilisation des outils de gestion existants et l'adaptation des pratiques culturales.
En revanche, d'autres toxines moins bien connues sont fréquemment rencontrées. Pour ces dernières il faut d'abord définir si elles sont susceptibles de présenter un risque pour le consommateur avant d'envisager des moyens de gestion. Une étape préalable consiste à connaître leur prévalence et leur occurrence.
Surveillance et gestion du risque
L'évaluation européenne du risque induit par ces contaminants est confiée à l'Agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa, European Food Safety Authority). Sa mission est de collecter et analyser les données existantes sur les contaminants pour formuler des avis permettant d'étayer les décisions des gestionnaires des risques.
Les gestionnaires des risques (Commission européenne, autorités des États membres, Parlement européen) sont responsables des décisions et de la législation en matière de sécurité des aliments. Ils fixent des seuils réglementaires ou des recommandations pour les contaminants dont la présence est susceptible de présenter un risque pour la santé humaine ou animale.
Certaines toxines font ainsi l'objet d'une réglementation depuis une dizaine d'années, voire plus. Elles sont de ce fait bien connues de la filière puisque l'accès aux marchés de l'alimentation humaine et/ou animale est conditionné par le respect des limites maximales réglementaires (LMR). C'est le cas des aflatoxines mais aussi du déoxynivalénol (DON), de la zéaralénone (ZEA) et des fumonisines.
D'autres ne font l'objet que d'une recommandation, comme les toxines T2 et HT2. Enfin, certaines ne font à ce jour l'objet d'aucune réglementation mais sont néanmoins régulièrement présentes et par conséquent activement surveillées par l'Efsa (Tableau 2).
Observer cette diversité
La co-occurrence est une règle
Il est courant de détecter en Europe sur un seul grain de maïs la présence simultanée de neuf espèces différentes de Fusarium (Logrieco et al., 2002). Une étude suisse a identifié au moins seize espèces de Fusarium sur maïs (Dorn et al., 2009).
De plus, les méthodes analytiques permettant aujourd'hui couramment de quantifier en une analyse plusieurs toxines dès 10 µg/kg ou moins, il n'est pas surprenant de constater en routine la présence simultanée de multiples mycotoxines. Cette présence ne laisse en rien présager de la qualité sanitaire des récoltes, elle est à dissocier de l'intensité des contaminations observées, liées essentiellement aux quantités de pathogènes présents sur les grains.
Une étude réalisée par Arvalis-Institut du végétal sur les récoltes 2010 à 2014 a permis de collecter des données d'occurrence de quinze différentes toxines de Fusarium sur 262 échantillons. Un observatoire de grande ampleur réalisé en partenariat et avec le soutien financier de FranceAgriMer a été mis en place pour objectiver la diversité naturellement présente sur grain.
Quelles toxines sont présentes dans les maïs ?
La présence de toxines de Fusarium est constatée dans la totalité des échantillons. Cette diversité, complexe à interpréter, est schématisée sur la Figure 1.
On constate l'omniprésence des mycotoxines produites par les deux pathogènes majoritairement présents sur notre territoire F. graminearum (ZEA ou zéaralénone et trichothécènes du groupe B ou TCT B, particulièrement le DON) et F. verticillioïdes (toxines du groupe FUM, fumonisines, et MON, moniliformines).
Mais ils ne sont pas seuls : les enniatines, produites par plusieurs espèces fusariennes, sont presque systématiquement présentes. Les autres toxines, telles que le nivalénol et les toxines T2 et HT2 sont présentes dans moins d'un échantillon sur trois ou quatre. À noter également que pour les échantillons contenant du nivalénol, un échantillon sur cinq de maïs contient également son métabolite la fusarénone X, et que le diacetoxyscirpenol n'a jamais été quantifié.
Identifier les corrélations entre mycotoxines résultant de la biosynthèse d'un pathogène donné
On observe une très forte corrélation (r = 0,95) entre les fumonisines B1 et B2, avec un ratio moyen généralement mesuré de 78 % pour la fumonisine B1 contre 22 % pour la fumonisine B2.
On constate également une forte corrélation entre les toxines T2 et HT2 (r = 0,78), avec un ratio moyen mesuré de 71 % pour la toxine HT2 et 29 % pour la toxine T2. Concernant les enniatines, les corrélations observées varient de r = 0,04 à 0,88 pour chacune des enniatines (Figure 2). Les ratios moyens mesurés sont de 41% pour l'enniatine B, 23 % pour l'enniatine B1, et 18 % pour chacune des enniatines A et A1.
Enfin, la fusarenone X, métabolite du nivalenol, est corrélée à ce dernier (r = 0,61).
Corrélations entre mycotoxines résultant de la co-occurrence de diverses espèces de Fusarium
Un corrélogramme réalisé sur l'ensemble de ces mycotoxines a permis de mettre en évidence que toutes les toxines ne sont pas corrélées entre elles. Ceci met en lumière la présence successive de différentes espèces fusariennes sur le grain entre sa formation et la récolte. On observe en revanche :
- la co-occurrence de DON et ZEA, le déoxynivalenol et la zéaralénone (r = 0,45), tous deux essentiellement produits par F. graminearum sur notre territoire ;
- la co-occurrence des fumonisines et de la moniliformine (r = 0,69), des fumonisines et de la beauvericine (r = 0,72), ainsi que de la beauvericine et de la moniliformine (r = 0,76) ; ces résultats confirment la co-occurrence déjà observée dans les maïs européens de F. verticillioïdes, F. sublutinans et F. proliferatum (Logrieco et al., 2002) (Figure 3 page suivante).
Ce qu'il faut retenir de cet observatoire
Compte tenu de la présence naturelle du complexe fusarien sur maïs grain, la présence de fusariotoxines à des taux quantifiables coule de source. Mais elle ne constitue pas pour autant un danger : cela dépend de la dangerosité de chaque toxine observée ainsi que des quantités présentes dans le grain.
La diversité des toxines de Fusarium présentes en routine sur un même échantillon reflète la co-occurrence ou la présence successive sur les grains des espèces fusariennes responsables de leur synthèse et causant la fusariose de l'épi de maïs.
De l'observation à la gestion
Floraison, fin de cycle, stress, météo : des facteurs désormais connus
De multiples facteurs sont susceptibles d'influencer les contaminations des maïs par les pathogènes et la production de toxines associées. Pour les toxines aujourd'hui réglementées, les travaux conduits depuis quinze ans permettent de définir les facteurs agro-climatiques d'influence et les outils de gestion permettant de maîtriser les risques.
Le stade floraison femelle, juste après la sortie des soies, est critique : toutes les espèces de Fusarium et d'Aspergillus alors présentes sont susceptibles de pénétrer dans l'épi de maïs en empruntant le canal des soies. Les conditions climatiques et la dynamique compétitive de la population fongique sont alors déterminantes.
La contamination plus tardive sur épi peut aussi se produire par opportunité sur une plante stressée. Fusarium verticillioïdes, mais aussi Aspergillus, s'installent alors d'autant plus facilement dans la plante : le stress hydrique, mais aussi les blessures provenant d'insectes foreurs, la grêle ou les infections fongiques déjà en place sur les grains constituent des portes d'entrées pour ces deux pathogènes.
Les conditions météorologiques à floraison et en fin de cycle jouent un rôle déterminant dans le développement des pathogènes et la production de toxines. La Figure 4 récapitule ces interactions.
Des exigences thermiques différentes selon le pathogène
Les différents pathogènes ont chacun leur propre optimum thermique :
- avec un optimum de croissance à 25-27 °C, Fusarium graminearum, principal producteur de DON et ZEA en France, apprécie les conditions douces et humides ;
- Fusarium verticillioïdes, principal producteur de fumonisines, apprécie la sécheresse et la chaleur (optimum > 30 °C) et se retrouve surtout en climat méditerranéen ;
- enfin Aspergillus spp., producteur d'aflatoxines, apprécie les températures encore plus élevées avec un optimum à 34 °C ; rare en France où il est donc peu étudié, il est devenu commun chez nos voisins italiens et espagnols.
Surveiller les épisodes pluvieux
S'il pleut à floraison, l'analyse de risque peut être ajustée dès le mois de septembre pour anticiper la stratégie de récolte.
De même, des pluies de fin de cycle apportent aux pathogènes l'humidité nécessaire à la poursuite de leur activité toxinogène, avec un impact plus important si le maïs n'est pas encore à maturité.
Identifier et hiérarchiser les leviers
Entre 2003 et 2015, Arvalis-Institut du végétal, en partenariat avec la filière maïs, a mené une enquête sur près de 2 500 parcelles d'agriculteurs, réparties sur l'ensemble du territoire national. Chaque parcelle a fait l'objet d'une caractérisation de son historique agronomique, des ravageurs présents et de l'analyse des toxines de Fusarium réglementées.
Dès 2007, les principaux facteurs responsables du développement de ces toxines ont été identifiés. Par la suite, les facteurs ont été confirmés et hiérarchisés, l'analyse affinée et les recommandations mises au point.
Des leviers agronomiques utilisables
Maîtriser la quantité de résidus au sol, une action indispensable
Les pathogènes survivent, sous forme de périthèces (photo 4), sur les pailles ou cannes de maïs plus ou moins décomposées à la surface du sol. Broyer et enfouir précocement accélère la décomposition des débris avant le semis, particulièrement pour les cannes de maïs en non-labour.
Cette étape clé a le double avantage de faciliter le semis (moins de gêne mécanique) et de diminuer le substrat disponible pour le développement de Fusarium et Aspergillus.
Par ailleurs, l'opération détruit des larves de pyrales et de sésamies, minimisant à la fois leurs dégâts directs et... les portes d'entrées que leur action ouvre aux champignons toxinogènes ! Bref, ce broyage et cet enfouissement sont donc des actions indispensables en monoculture de maïs.
Ils sont conseillés après un maïs en rotation : les niveaux de contamination dans l'environnement des cultures s'en trouvent limités. Cela est bénéfique pour les maïs qui seraient semés à proximité, et également pour les éventuels blés semés sur la parcelle elle-même. N'oublions pas que cette dernière culture est sensible aux espèces de Fusarium productrices de DON.
Retenir une variété de moindre sensibilité, de précocité adaptée à la région et à objectif de récolte précoce
De façon générale, les caractéristiques génétiques de la plante-hôte d'un pathogène influencent la résistance aux attaques de ce dernier. Or, il existe des différences de sensibilité variétales des maïs aux contaminations fongiques. Pour caractériser la sensibilité des variétés à F. graminearum, Arvalis-Institut du végétal met à profit un dispositif d'acquisition de références spécifique : des notations visuelles sont réalisées dans les essais variétés de post-inscription et CTPS, ainsi que dans les essais en conditions favorisantes mis en place dans des zones de culture et de précocité adaptées. Il faut un minimum de trois essais pour qualifier une variété. Les derniers résultats ont été publiés en décembre 2015(1). Ces classements constituent un premier outil de gestion au champ du risque F. graminearum, producieur de DON, NIV et ZEA.
En revanche, aucune caractérisation n'est aujourd'hui disponible pour F. verticillioïdes, producteur de fumonisines et moniliformine, faute de méthode fiable pour effectuer les notations visuelles. Aspergillus ne constitue pas aujourd'hui un enjeu nécessitant de caractériser les variétés.
Le choix variétal doit être également adapté au lieu de production. Il faut éviter les décalages de cycle et retenir une variété de précocité adaptée à la région et à un objectif de récolte précoce. Pour cela, il est primordial de veiller à la compatibilité entre les besoins en température de la variété pour atteindre la maturité physiologique, les disponibilités en température du lieu et la date de semis.
Protéger des insectes foreurs et « prédiagnostiquer »
Les galeries creusées dans les épis par les insectes foreurs constituent autant de portes d'entrées pour Fusarium et Aspergillus. Il est donc indispensable de protéger les parcelles vis-à-vis des pyrales, sésamies et héliothis lorsque les niveaux d'infestation le justifient. Selon le lieu, la vigilance s'impose dans les situations de variétés tardives ou de semis tardifs (Tableau 3).
En fonction des conditions climatiques rencontrées à floraison et du risque agronomique de la parcelle, il peut être opportun d'effectuer un premier diagnostic précoce sur épis dès le mois de septembre pour évaluer la situation. Cela permet d'anticiper l'organisation des chantiers de récolte en fonction des situations agronomiques, du climat et des capacités de séchage.
Récolter au plus vite après maturité, soigner les chantiers de récolte et limiter le préstockage humide
Afin de limiter la progression des pathogènes, donc l'accumulation de toxines dans les grains, la date de récolte ne doit pas être trop différée après maturité. Récolter après le 1er novembre entraîne un risque avéré de dégradation de la qualité sanitaire des lots.
Le jour de la récolte, il est important d'adapter la vitesse des chantiers de récolte et d'optimiser les réglages des machines de façon à garantir l'intégrité du grain sans nuire aux débits de chantier.
Enfin, tant que le maïs n'est pas correctement séché, la flore présente poursuit son développement et peut continuer (voire commencer) à produire des mycotoxines.
Les chantiers de récolte doivent donc être coordonnés avec les chantiers de séchage pour réduire au minimum le délai de préstockage humide. Il est fortement déconseillé de garder plus de deux jours un maïs humide en tas.
La grille d'évaluation du risque agronomique DON et ZEA : outil à disposition des agriculteurs et OS
Afin d'estimer la qualité sanitaire d'une parcelle, Arvalis-Institut du végétal a développé une grille d'évaluation du risque DON et zéaraléone sur maïs grain (Tableau 3 page précédente). Cette grille est issue de la combinaison et de la hiérarchisation des facteurs agronomiques influant sur les niveaux de contamination. Elle associe à chaque itinéraire technique une classe de risque agronomique.
Pour affiner l'analyse du risque en cours de campagne, il est indispensable de prendre en compte les conditions climatiques, facteur de premier rang dans la production de mycotoxines. Contrairement au blé où l'essentiel se joue à la floraison, le mois précédant la récolte des maïs est déterminant pour les teneurs finales en mycotoxines des grains. Il risque d'offrir des conditions favorables au développement des champignons et à la production de toxines, d'où la nécessité d'optimiser la date de récolte.
Pour conclure...
Plusieurs outils complémentaires sont disponibles pour maîtriser le risque mycotoxines du maïs grain (Figure 5) mais il reste encore du chemin à parcourir pour modéliser le risque agroclimatique global pour le déoxynivalenol, la zéaralénone, les fumonisines et les aflatoxines.
Au-delà des contaminants réglementés, dans un contexte de changement climatique et de généralisation des seuils réglementaires, les futurs travaux de recherche devront progressivement intégrer les contaminants « émergents » en priorisant, bien entendu, les efforts sur les toxines qui seront jugées d'intérêt sanitaire par l'Efsa et la Commission européenne.
(1) Brochure « Résultats des essais variétés maïs grain et maïs fourrage 2015 » disponible sur www.editions-arvalis.fr
Fig. 1 : Co-occurrence des toxines de Fusarium dans les maïs français
Tous les échantillons contiennent plusieurs toxines : la co-occurence est la règle.
Fig. 3 : Corrélogramme des toxines de Fusarium
Noter les co-occurences entre DON et ZEA ainsi qu'entre FB, MON et BEA.
Fig. 4 : La contamination en mycotoxines du maïs est multifactorielle
Les trois facteurs premiers que sont l'hôte, le pathogène et l'environnement... sont chacun sous l'influence d'un ou plusieurs facteurs.