DOSSIER - Bonnes pratiques en Jevi

Demain, associer drones et biocontrôle sur les palmiers

SAMANTHA BESSE*, KARINE PANCHAUD**, ERWAN GRIMAUD ET JEAN VANIE*** - Phytoma - n°697 - octobre 2016 - page 16

Pulvériser par drone hors de France sur palmier d'ornement est techniquement au point. Reste le verrou réglementaire concernant le traitement par aéronef.
Drone Yamaha RMAX utilisé pour le traitement des rizières au Japon. Capable d'embarquer 16 litres de bouillie dans ses réservoirs, l'appareil doit voler à 24 km/h pour bien répartir le produit de traitement. Photo : Smartdrones

Drone Yamaha RMAX utilisé pour le traitement des rizières au Japon. Capable d'embarquer 16 litres de bouillie dans ses réservoirs, l'appareil doit voler à 24 km/h pour bien répartir le produit de traitement. Photo : Smartdrones

Ce drone, développé à Monaco pour l'application de la formulation microgranulée de Beauveria bassiana, effectue un largage du produit au-dessus du coeur d'un palmier. Photo : MC-Clic

Ce drone, développé à Monaco pour l'application de la formulation microgranulée de Beauveria bassiana, effectue un largage du produit au-dessus du coeur d'un palmier. Photo : MC-Clic

Scénarios opérationnels définis en France pour l'utilisation des drones lors d'activités particulières

Scénarios opérationnels définis en France pour l'utilisation des drones lors d'activités particulières

Dans les Jevi (jardins, espaces végétalisés et infrastructures) fréquentés par le public, l'usage de drones pour appliquer des traitements phytosanitaires (de biocontrôle, bien sûr !) se heurte à un paradoxe : cette pratique est interdite, en vertu d'une réglementation visant à protéger l'environnement et les personnes... alors qu'elle peut améliorer leur protection.

Pourquoi penser aux drones

Écophyto encourage le biocontrôle

Récemment, la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, puis le nouveau plan Écophyto ont mis en avant les bienfaits de l'agroécologie.

Deux axes du nouvel Écophyto touchent le biocontrôle et les agroéquipements. L'axe 1 vise à « agir aujourd'hui et faire évoluer les pratiques » en renforçant les agroéquipements de nouvelle génération et en promouvant et développant le biocontrôle. L'axe 2 cherche à « améliorer les connaissances et les outils pour demain et encourager la recherche et l'innovation » en lançant, notamment, des programmes de recherche et développement associant biocontrôle et agroéquipement.

Techniques d'application à adapter au biocontrôle

Les produits de biocontrôle apparaissent comme une alternative très crédible aux produits phytosanitaires conventionnels pour conserver une agriculture compétitive en diminuant ses impacts sur la santé humaine et l'environnement. Toutefois, l'accès à des techniques d'application adaptées de ces produits est essentiel pour maximiser leur efficacité, donc favoriser leur utilisation auprès des professionnels.

Ceci est d'autant plus vrai en zones non agricoles, dans les Jevi ouverts au public relevant de personnes publiques (communes, etc.) où ces produits phytosanitaires, sauf de biocontrôle, ont été interdits à partir du 1er janvier 2017. Le développement et la démocratisation de ces produits de biocontrôle sont, de fait, extrêmement urgents.

Améliorer l'accessibilité

Or, les contraintes pour la mise en oeuvre des traitements au sein de ces zones sont souvent importantes, principalement en termes d'accessibilité des sites à traiter. L'utilisation de drones permettrait de contourner cet obstacle, rendant possible un développement accru des produits de biocontrôle en Jevi.

Mais cette utilisation n'est pas légalement possible en France, sauf pour l'application de macro-organismes auxiliaires.

Usages et tests hors de France

En attendant, nous disposons de références obtenues hors du territoire français. En effet, le groupe Arysta LifeScience cherche à associer les produits de biocontrôle de sa gamme à des techniques novatrices d'application pour un gain d'efficacité, une moindre pénibilité pour les opérateurs et de moindres impacts environnementaux et sanitaires. Nous avons ainsi testé l'application par drones de produits à base du champignon entomopathogène Beauveria bassiana contre les ravageurs des palmiers. Avant de présenter ce travail, un rappel réglementaire est nécessaire.

L'usage des drones et la loi

Différences selon les pays

Les drones sont utilisés depuis près de vingt ans au Japon pour traiter les rizières (photo ci-dessus). Depuis cinq ans environ, ils sont testés et utilisés aux États-Unis pour traiter les vignes de la Napa Valley (Californie) et pour la démoustication en Floride(1).

En Europe, notamment en France, les drones sont utilisés comme outils d'aide à la décision (OAD) pour cartographier des parcelles, identifier des zones carencées ou soumises à des stress, ou encore détecter des foyers d'infestations dans les cultures.

En France, l'application de produits phytopharmaceutiques à l'aide de drones est frappée par l'interdiction d'épandage aérien, car les drones sont légalement classés comme des aéronefs. Seuls les traitements à l'aide de macro-organismes échappent à cette interdiction. Cela permet les lâchers de trichogrammes contre la pyrale sur maïs (Delos, 2016).

Sept catégories en fonction du poids

En France, indépendamment de la réglementation phytopharmaceutique, l'usage de drones est régi par l'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la « conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent ». Ce texte définit les règles de circulation des drones, gérées par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Il classe les drones en sept catégories allant de A à G selon leur poids (catégorie C : aéronefs captifs, D : moins de 2 kg, E : entre 2 et 25 kg, F : entre 25 kg et 150 kg, G : plus de 150 kg) et définit quatre scénarios cadrant leur utilisation (voir tableau ci-dessus).

L'arrêté du 11 avril 2012 relatif à « l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord » précise les distances et hauteur de vol de ces drones (tableau ci-dessus).

Conditions légales

Pour utiliser un drone à des fins liées à la santé végétale (pour l'instant, seulement comme OAD ou pour épandre des macro-organismes), le responsable (en agriculture ou Jevi) doit satisfaire aux deux arrêtés du 11 avril 2012 et du 17 décembre 2015 cités.

Ainsi, son drone doit avoir été déclaré pour activités particulières de travail pour « traitements agricoles, phytosanitaires ou de protection sanitaire et [pour] les autres opérations d'épandage sur le sol ou de dispersion dans l'atmosphère » et autorisé par la DGAC après dépôt d'un dossier technique. Le pilote doit, de plus, obtenir un certificat d'aptitude théorique de licence de pilote reconnu par la DGAC (ULM ou hélicoptère, par exemple).

Répétons-le, le drone est un aéronef au sens de l'article L. 6100-1 du code des transports, donc frappé par l'interdiction d'épandage aérien (article L. 253-8 de code rural et arrêté du 31 mai 2011 qui classe comme épandage aérien toute application de produits phytopharmaceutiques au moyen d'aéronef). Pourtant, les drones ont un intérêt pour certains traitements, sur palmiers notamment.

Le cas des palmiers en Jevi

Les palmiers et leurs ravageurs

Très présents sur le pourtour méditerranéen avec environ une vingtaine d'espèces plantées depuis les années 1820, les palmiers ont une grande valeur patrimoniale, culturelle et touristique. De nombreux sujets de grande hauteur (18/20 mètres) sont présents en alignement urbain et jardins. Beaucoup sont plantés en zone fréquentée par le public : parcs, écoles, hôpitaux, voies de circulation, bords de plage, hôtels...

Leurs ravageurs principaux sont le papillon palmivore Paysandisia archon (Burmeister, 1880) et le charançon rouge du palmier Rhynchophorus ferrugineus (Olivier, 1790). Des outils de biocontrôle, à base de nématodes Steinernema carpocapsae ou du champignon entomopathogène Beauveria bassiana, sont commercialisés ou en développement pour lutter contre ces ravageurs.

Le biocontrôle et ses techniques d'application

Les caractéristiques et emplacements des palmiers sont autant de contraintes à l'application efficace des traitements phytosanitaires, de biocontrôle ou non.

Plusieurs méthodes d'application peuvent être utilisées en fonction de la formulation des produits et de la hauteur et de l'emplacement du palmier à traiter.

Pour les microgranulés à base de Beauveria bassiana, le traitement est réalisé à l'aide de petites poudreuses manuelles sur les sujets de petite taille, d'atomiseurs dorsaux ou de pistolets à paillettes couplés à un compresseur pour des sujets plus imposants.

Pour les nématodes, des pissettes de laboratoire peuvent être utilisées pour des traitements de précision directement dans les galeries du ravageur, ou des pulvérisateurs à haute pression avec mitraillette ou perche.

L'utilisation de ces outils de traitements requiert, dans de nombreux cas, une nacelle élévatrice suivant la hauteur des palmiers à traiter ou leur positionnement. Et certains palmiers totalement inaccessibles ne peuvent être traités qu'en grimpé.

Limites organisationnelles

La variabilité des espèces de palmiers présentes, leur hauteur et les difficultés d'accès pour les traiter obligent à multiplier les moyens techniques, d'où des coûts élevés de traitement. Parfois, les conditions de travail en sécurité ne peuvent plus être respectées.

Pour les traitements dans les lieux publics, il faut signaler préalablement le chantier et déclarer les travaux auprès des mairies. La mobilisation de plusieurs opérateurs et le temps de travail additionnel pour ces tâches administratives génèrent des coûts.

D'autre part, une gêne est occasionnée pour les riverains du fait des interdictions de circulation sur les voies où ont lieu les traitements et des bruits liés à l'utilisation des atomiseurs, parfois de nuit. Dans les cas extrêmes, des agressions physiques ou verbales des intervenants par des riverains excédés peuvent se produire. Pour éviter les problèmes, in fine, les palmiers de ces zones ne sont plus traités.

Impact sur la santé des personnes

Les tâches de traitement ainsi que les postures de torsion qui leur sont associées sont répétitives, quel que soit l'appareil utilisé. Les atomiseurs ou compresseurs sont bruyants (50 à 87 décibels) et générateurs de vibrations. À terme, des troubles musculo-squelettiques au niveau du dos et des avant-bras et des troubles auditifs peuvent apparaître chez les applicateurs.

De plus, les horaires de travail sont décalés car liés aux contraintes du milieu urbain et à la météo. Souvent, les traitements se font de nuit ou très tôt en journée. Une perte de vigilance accidentogène peut rapidement s'installer chez les opérateurs.

La lutte contre les ravageurs des palmiers étant récente, les effets sur les salariés ne sont pas encore tous connus aujourd'hui. Une étude de terrain a été réalisée par le Dr Hemmer de l'Institut national de médecine agricole (communication personnelle) : dans les lieux publics, les chantiers nocturnes entraînent des troubles du sommeil liés au bruit des engins... et les chantiers de jour font apparaître un stress lié au bruit et aux embouteillages générés par la fermeture des voies en cours de traitement.

Impact sur le résultat des traitements

La difficulté d'accéder à certains sujets peut entraîner :

- une dérive du produit qui tombe sur le sol ;

- une mauvaise répartition du produit sur le sujet traité, d'où une perte d'efficacité ;

- le non-traitement de certains sujets, or ces sujets atteints et non traités servent de réservoir à insectes, hypothéquant la lutte.

La lourdeur de la mise en place des traitements et leurs coûts n'encouragent pas les particuliers à les mettre en oeuvre.

La réponse par drone

Un modèle testé à Monaco

Face à ces problématiques, les sociétés Arysta LifeScience, Vegetech et MC-Clic ont travaillé conjointement à développer un drone adapté au traitement des palmiers à l'aide de produits de biocontrôle.

Nous avons testé, à Monaco, le largage d'une formulation microgranulée de Beauveria bassiana par un drone de catégorie E (entre 2 et 25 kg, scénario S1, S2 et S3 sous dérogation). Il comporte un système breveté de trois réservoirs contenant chacun 200 g de produit. Des clapets libérant le granulé sont ouverts sur commande une fois le drone positionné convenablement à la verticale du palmier. Pour ce faire, une caméra et un laser embarqués sur l'appareil permettent de viser le coeur du palmier (photo ci-contre). Un altimètre permet de faire descendre l'outil à la hauteur adéquate pour effectuer le traitement avec précision.

Validé par la DGAC

Ce drone a été validé en France par la DGAC pour un usage en agriculture. Comme l'exige la législation, tout pilote doit être formé au pilotage d'aéronefs mais aussi au pilotage de drones. Il doit, de plus, être assuré et son activité déclarée.

Ce drone a donc été conçu comme une réponse aux problèmes et limites rencontrés sur les chantiers de traitement à l'aide de produits de biocontrôle, à la demande et en coopération avec des applicateurs professionnels. Il permet :

- de par sa capacité de placement à l'aplomb de la plante, de faire un largage ciblé très précis du produit en limitant la dérive ;

- de répondre à une volonté de réduire les risques liés au travail en hauteur.

Cette technologie est conforme à la demande du plan Écophyto 2018 de généraliser les systèmes agricoles permettant de réduire l'utilisation des pesticides chimiques.

Ses avantages sont nombreux :

- traitement précis et localisé ;

- limitation des dérives ;

- réduction des risques liés au travail en hauteur ;

- limitation des nuisances (bruit, embouteillages...) pour les particuliers ;

- et, de plus, l'appareil fonctionne sur batteries au lithium, contrairement aux moteurs diesel des nacelles et des pulvérisateurs.

Comment faire évoluer la réglementation ?

Le traitement à l'aide de drones de petite taille s'avère une solution efficace pour contourner bon nombre des inconvénients des techniques de traitement classiques. Il permet d'effectuer des traitements très localisés en un minimum de temps.

De surcroît, cette technique d'application permet de maîtriser le risque opérateur durant la phase d'application, en évitant le risque de chute d'une nacelle ou les troubles musculo-squelettiques dus à l'utilisation de pulvérisateurs dorsaux.

D'autre part, l'application par drone permet aussi de limiter les risques d'exposition au produit de l'homme et de l'environnement. En effet, l'application par drones de catégorie E est très précise. Elle ne met donc en oeuvre que des quantités de produit limitées : le produit n'est pas épandu mais déposé localement, très précisément, sur sa cible.

Toutefois, nous l'avons vu, la réglementation freine le développement de cette technologie. Pourtant, en encadrant clairement l'usage des drones et en réservant les traitements aux drones de petite taille et aux produits de biocontrôle, il serait possible de faire entrer les moyens d'application dans une nouvelle ère, tout en assurant la limitation des risques. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), la Direction générale de l'alimentation (DGAL) du ministère de l'Agriculture et le ministère de l'Écologie peuvent faire partie des acteurs de ce nouveau développement, encore plus en Jevi où les contraintes sont plus fortes qu'en zones agricoles.

Conclusion

Le drone est une innovation qui pourrait faciliter l'utilisation des produits de biocontrôle dans la lutte contre les ravageurs des palmiers. Par une application très précise et localisée des produits, par la protection des travailleurs vis-à-vis des dangers liés au travail en hauteur, par la protection du particulier en limitant les nuisances et par la baisse des coûts de traitement, cette technologie est en accord avec le plan Écophyto 2018 et la loi d'avenir. Son autorisation pour les traitements à l'aide de produits de biocontrôle favoriserait l'emploi de ces produits dans les lieux publics et en Jevi.

(1) www.smartdrones.fr

RÉSUMÉ

PROBLÈME - Le nouveau plan Écophyto et la loi d'avenir ont la volonté de promouvoir l'utilisation des produits de biocontrôle. Or, l'accès à des techniques d'application adaptées est essentiel pour favoriser leur utilisation en zones non agricoles (Jevi). Toutefois, ces zones peuvent présenter de fortes contraintes en matière d'accessibilité pour les traitements : zones inaccessibles par voie terrestre, accès public, traitements de nuit...

SOLUTION - Le traitement à l'aide de drones de petite taille serait une solution efficace pour contourner ces inconvénients et réaliser des opérations localisées en un minimum de temps.

MOTS-CLÉS - Jevi, drone, application, biocontrôle, Beauveria bassiana, palmiers.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *S. BESSE, Arysta LifeScience Corporation - Natural Plant Protection SAS - 64000 Pau.

**K. PANCHAUD, Vegetech - 83260 La Crau.

***E. GRIMAUD, J. VANIE, MC-Clic - 98000 Monaco.

CONTACTS : samantha.besse@arysta.com

vegetechpanchaud@orange.fr

mcclicmonaco@yahoo.com

BIBLIOGRAPHIE : - Arrêté du 31 mai 2011 relatif aux conditions d'épandage des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime par voie aérienne. Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l'Aménagement du territoire. JORF, 8 juin 2011.

- Arrêté du 11 avril 2012 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord. Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. JORF, 10 mai 2012.

- Arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent. Ministère de l'Écologie, (...). JORF n° 0298, 24 décembre 2015.

- Délos M. 2016, Freins à l'utilisation de la technologie drones en agriculture. Réunion débat dans le cadre de la 4AF. Académie d'agriculture de France, 31 mars 2016.

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