En 2012, Sébastien Codis & al.(1) publient dans Phytoma « Doses de produits phyto autorisées sur vigne en Europe : vont-elles s'harmoniser ? ». En 2013, l'IFV et l'Irstea, organismes auxquels appartenaient des co-auteurs de cet article, s'associent à Montpellier Sup-Agro(2) au sein de l'UMT (unité mixte technologique) EcoTechViti.
Dans ce cadre, l'équipe IFV-Irstea continue à travailler sur les moyens d'améliorer l'expression des doses autorisées des traitements fongicides et insecticides de la vigne en France.
Le constat
En France, dose « unique à l'hectare »
Le système d'expression des doses actuellement en vigueur en France est basé sur une dose fixe. La dose homologuée (dose d'AMM, autorisation de mise sur le marché), définie par hectare cadastral de parcelle, est indépendante de tout facteur lié aux conditions d'application (mode de conduite, espacement entre rangs, développement végétatif). C'est la dose dont l'efficacité est démontrée dans tous les cas de figure.
Cette dose est presque systématiquement employée au vignoble, alors qu'une dose réduite serait tout aussi efficace dans de nombreuses situations (moindre quantité de végétation à couvrir, notamment). Certes, les viticulteurs français ont le droit d'employer une dose plus faible que la dose d'AMM... Mais, en cas d'échec de protection, l'efficacité du produit et la responsabilité de la firme ne peuvent pas être juridiquement discutées. Aucun conseiller et peu de viticulteurs osent donc s'engager dans cette voie.
Réduire les doses aux premiers stades
Les travaux de l'UMT EcoTechViti ont montré que, pour un pulvérisateur donné et sur une même parcelle, les dépôts (quantité de produit déposé par unité de surface foliaire) évoluent entre les différents stades végétatifs au cours de la campagne, dans un rapport de 1 à 4. Plus exactement de 4 à 1. Autrement dit : à dose/ha égale, la dose reçue par le feuillage en début de végétation est en moyenne quatre fois plus importante que celle reçue en pleine végétation !
Ainsi, les doses pourraient être significativement réduites aux premiers stades de développement du végétal sans perdre en efficacité.
Nous avons évalué les perspectives de réduction de l'utilisation des produits que permettrait le « mode d'emploi » des produits phytosanitaires plus précis que serait la modulation des doses autorisées selon le stade végétatif. Elles sont de l'ordre de 20 à 30 % sur la saison. Et ceci sans préjudice pour l'efficacité de la protection du vignoble.
Europe observée, indices comparés
Au niveau européen, on observe une disparité des modes d'expression des doses (détails dans l'article de 2012 déjà évoqué). En particulier, celles de l'Allemagne et de la Suisse varient selon le stade végétatif. La dose varie dans un rapport de 1 à 4 en Allemagne et de 1 à 3 en Suisse. Cela tient compte plus ou moins explicitement de la quantité de végétation à traiter.
Diverses pistes sont explorées au niveau européen par les instituts de recherche et les firmes phytosanitaires. Leur but est d'exprimer la dose à appliquer à l'aide d'un indicateur décrivant la quantité de végétal à traiter. Le premier indicateur étudié est la surface de haie foliaire à traiter qui correspond à la surface projetée de la végétation sur un plan vertical (LWA : leaf wall area en m2/hectare). En pratique, cet indicateur se mesure en relevant sur la parcelle la hauteur de la végétation à traiter par le pulvérisateur et l'espacement entre rangs.
Le second est un indicateur de volume de végétation (TRV : tree row volume en mètres carrés par hectare). Il correspond en pratique au volume du parallélépipède dans lequel la végétation peut être circonscrite. Cet indicateur se calcule également après avoir relevé sur la parcelle : l'espacement entre rang, la hauteur de végétation traitée et la largeur de la végétation.
Un consensus européen
L'approche privilégiée par les firmes phytosanitaires et les agences d'évaluation européennes est une expression des doses en litre ou kilo de produit pour 10 000 m2 de LWA avec un plafonnement de cette dose pour 15 000 ou 18 000 m² de LWA par hectare. Ce principe vient de faire l'objet d'un consensus européen pour la mise en place des essais d'homologation.
Nos propositions
Identifier un indicateur pertinent
Les essais conduits dans le cadre de l'UMT montrent que le LWA représente un réel progrès par rapport à la situation actuelle mais ne permet pas toujours de prédire avec précision les dépôts de produits lors d'une pulvérisation, car il ne tient pas compte de l'épaisseur de la végétation. Le TRV est plus pertinent pour exprimer les doses, mais avec des difficultés de mesure au champ.
Quel que soit l'indicateur, la standardisation de sa mesure est un enjeu important auquel la recherche doit répondre. Une façon de prendre en compte l'épaisseur de végétation pour déterminer la dose à appliquer serait la création d'abaques, de grilles permettant, pour une distance d'interrang donnée, d'affecter une valeur de doses en fonction de l'appartenance à des intervalles de hauteurs et d'épaisseurs de la végétation (voir tableau ci-dessus).
Comme proposait la CEB en 2008, la dose serait exprimée à travers un unique tableau avec comme paramètres d'entrée :
- l'écartement entre rangs ;
- le stade BBCH ;
- la hauteur de la végétation.
Encore des références à acquérir
Nous pensons nécessaire la poursuite du travail d'acquisition de références sur les niveaux de dépôts dans différents contextes (mode de conduite, stades végétatifs, vigueur...) sur divers pulvérisateurs.
L'objectif est de fournir à l'administration des données et des outils d'analyse (avec évaluation du risque) mobilisables pour une révision de l'expression des doses pragmatique et simple. Dans tous les cas, quel que soit le système retenu, il devra être simple et clairement expliqué aux agriculteurs pour permettre sa compréhension et son utilisation en évitant tout calcul de LWA ou de TRV.
Un système d'expression des doses de produits phytosanitaires harmonisé entre pays européens et tenant explicitement compte de l'évolution de la structure du végétal à protéger est fortement souhaitable pour contribuer aux objectifs d'Écophyto.
Desserrer un frein réglementaire
Il s'agit donc de revoir au plan réglementaire la notion de dose homologuée. Elle est actuellement considérée comme étant la dose d'emploi. Conséquence au plan juridique : en cas de recours contre la firme ou le distributeur, la responsabilité du viticulteur est entière s'il n'a pas appliqué la pleine dose figurant sur le mode d'emploi du produit.Dans le contexte de la traçabilité applicable au conseil et à la production, soulignons que cette expression de la responsabilité en fonction de l'emploi du produit à la dose pleine est un frein pour le prescripteur et l'agriculteur à la préconisation et à l'utilisation de doses réduites. Ceci ne changera pas si la réglementation n'évolue pas... Alors même que des critères objectifs montrent bien la possibilité de réduire la dose homologuée dans de nombreux cas sans préjudice pour la protection !
(1) S. Codis, J.-P. Douzals, A. Davy, G. Chapuis, S. Debuisson et N. Wisniewski, 2012 (équipe IFV-Irstea-CIVC-Cietap). Phytoma n° 656, août-septembre 2012, p. 37 à 41. Article en accès libre sur le net (voir « Lien utile »). (2) IFV = Institut français de la vigne et du vin. Irstea = Institut national de recherche en science et technologies pour l'environnement et l'agriculture (anciennement Cemagref, Centre d'étude du machinisme agricole et du génie rural des eaux et forêts). Montpellier SupAgro = école d'enseignement supérieur agronomique (anciennement EnsaM, École nationale supérieure d'agronomie de Montpellier).