DOSSIER - Adventices

Résistance aux herbicides dans les grandes cultures en France

CÉLINE DENIEUL*, LUDOVIC BONIN** ET FRANCK DUROUEIX***, D'APRÈS LEUR COMMUNICATION À LA 23E CONFÉRENCE DU COLUMA DE L'AFPP, À DIJON, DU 6 AU 8 DÉCEMBRE 2016. - Phytoma - n°699 - décembre 2016 - page 21

Un travail collectif permet de connaître l'état de la résistance aux herbicides, et d'avoir des indications sur leur localisation, leur fréquence et les mécanismes en jeu. Analyse de la situation et perspectives.
Ray-grass, alias ivraie (plantes appartenant au genre Lolium), adventices parmi les plus touchées par les résistances à des herbicides.  Photo : Terres Inovia

Ray-grass, alias ivraie (plantes appartenant au genre Lolium), adventices parmi les plus touchées par les résistances à des herbicides. Photo : Terres Inovia

En France, le phénomène de résistance des adventices aux herbicides n'est pas nouveau, mais il semble se développer ces dernières années, particulièrement en grandes cultures.

Pourquoi cet état des lieux

Groupes A et B, deux modes d'action touchés pour sept familles chimiques

À ce jour, en grandes cultures, la résistance concerne surtout deux modes d'action herbicide : les inhibiteurs de l'acétyl-coenzyme A carboxylase (ACCase, groupe HRAC A) à action antigraminées, et les inhibiteurs de l'acétolactate synthase (ALS, groupe HRAC B) qui peuvent avoir une action antigraminées et antidicotylédones.

Chaque mode d'action regroupe plusieurs familles chimiques : trois chez les inhibiteurs de l'ACCase (aryloxyphénoxy-propionates abrégé souvent en « FOPs », cyclohexane-diones abrégé en « DIMEs » et phenylpyrazolines abrégé en « DENs ») et quatre chez les inhibiteurs de l'ALS (imidazolinones, sulfonylurées, sulfonyl-amino-carbonyl-triazolinones et triazolopyrimidines).

Des cas peu connus et diffusés

Parmi les graminées, le vulpin (Alopecurus myosuroides) et les ray-grass (ou ivraies, Lolium spp.) sont celles pour lesquelles la présence de résistance à ces deux groupes HRAC est estimée fréquente et bien installée sur la majeure partie du territoire, avec des mécanismes bien documentés.

La résistance à l'un ou l'autre de ces modes d'action a aussi été identifiée chez six autres graminées : les folles avoines (Avena spp.), l'agrostis jouet-du-vent (Apera spica-venti), les bromes (Bromus spp.) et, plus récemment, des graminées estivales : panic pied-de-coq (Echinochloa crus-galli), sétaire verte (Setaria viridis) et digitaire sanguine (Digitaria sanguinalis) (Délye et al., 2015). Ces cas sont peu documentés.

Des populations résistantes aux inhibiteurs de l'ALS ont été détectées chez des dicotylédones, coquelicot (Papaver rhoeas) et stellaire intermédiaire (Stellaria media) (Heap, 2015), avec peu de renseignements.

Des informations circulent sur d'autres espèces, sans que l'on sache s'il s'agit de cas identifiés ou de simples suspicions.

Une vision partagée nécessaire

Le Columa (Comité de lutte contre les mauvaises herbes) de l'AFPP (Association française pour la protection des plantes) a organisé des réunions dès 2010. Il en est ressorti la nécessité d'avoir un état des lieux partagé par tous les acteurs aux niveaux national, régional et local.

Un recensement a donc démarré en 2012 à l'échelle des régions. L'objectif est d'avoir un état des lieux national précis, et d'offrir aux acteurs de terrain une vision partagée sur leur région. Pour les grandes cultures, le travail a été réalisé à ce jour sur plus de la moitié de l'Hexagone (58 départements).Nous le présentons ici.

Le travail réalisé

Recueil de l'information

Deux méthodologies ont été suivies pour établir les états des lieux régionaux.

La première consiste à réunir les principaux acteurs locaux pour recenser les cas de résistance par département. Les participants, choisis pour leur compétence et/ou parce qu'ils réalisent des tests de résistance, représentent les instituts, distributeurs, fournisseurs et organismes de conseil. Cela permet d'avoir rapidement une vision synthétique et favorise les échanges d'informations.

L'autre méthode, utilisée en Midi-Pyrénées, combine l'envoi d'une enquête aux acteurs de terrain et des rendez-vous bilatéraux avec les firmes réalisant des tests de résistance. Cela permet d'interroger un grand nombre d'acteurs mais sans garantie de constat partagé et parfaitement représentatif.

Création d'une base de données

Ces deux approches permettent d'incrémenter une base de données. Elle répertorie, pour chaque département et chaque couple adventice/mode d'action herbicide :

- la présence ou non de cas de résistance ;

- l'année du premier cas détecté ;

- le nombre de cas formellement identifiés (moins de 5 cas ; entre 5 et 20 ; plus de 20 cas ; non quantifiable) ;

- le ou les mécanismes de résistance ;

- un indice de l'importance de la résistance dans le département (« premier cas détecté »/« rare »/« modéré »/« fréquent »).

L'état des lieux comporte aussi des informations de contexte agronomique : présence de résistance dans des situations a priori supposées à faible risque, secteurs et situations les plus touchés.

Seuls les cas de résistance formellement identifiés sont répertoriés. De ce fait, l'état des lieux a tendance à sous-estimer le nombre de populations résistantes. Les éléments de dénombrement et la qualification de l'importance de la résistance sont synthétisés sur des cartes légendées.

Les régions pour lesquelles le travail a été effectué sont les suivantes : Bourgogne-Franche-Comté en 2012, réactualisé en 2015 ; Midi-Pyrénées en 2013, réactualisé en 2015 ; Centre-Val de Loire et une partie de l'Île-de-France en 2014 ; Grand-Est (anciennement Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne) en 2015 ; Normandie en 2015 ; anciennes régions de Poitou-Charentes, du Limousin et département de la Vendée en 2015 ; Bretagne et une partie des Pays de la Loire en 2015 ; Hauts-de-France en 2016.

N'ayant pas eu les moyens de réaliser de monitoring avec prélèvements aléatoires, nous n'avons pas évalué la fréquence des parcelles en situation de résistance.

Nos résultats

Graminées et inhibiteurs de l'ACCase (groupe A)

La résistance aux inhibiteurs de l'ACCase touche les ray-grass, le vulpin, l'agrostis jouet-du-vent et les folles avoines. Les ray-grass et le vulpin sont très concernés. Tous les départements où ils sont significativement présents sont touchés (41 pour le ray-grass, voir Figure 1).

Dans les départements céréaliers, les populations résistantes sont trop nombreuses pour être dénombrées et la résistance est souvent dite « fréquente ». Tout d'abord identifiée sur les parcelles « à risque » (rotations courtes, techniques culturales simplifiées, utilisation fréquente du mode d'action, faibles doses...), elle se trouve aujourd'hui aussi sur d'autres parcelles. Elle peut concerner les trois familles chimiques (FOPs, DIMEs et DENs) mais pas systématiquement. Elle peut être liée à la cible ou non liée à la cible (RNLC).

Malgré l'importance de la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase chez ces deux espèces, il existe de fortes disparités territoriales. Ainsi, les premières populations de ray-grass résistants à ces herbicides ont été identifiées dans les années 1990 dans le Cher (1993), le Lot (1993), la Côte-d'Or (1995), la Marne (1998), l'Indre (1998) et l'Oise (1999)... mais seulement en 2013 en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d'Armor.

De même, la répartition des populations résistantes peut être très hétérogène à l'intérieur d'un département. Ceci est souvent lié à la présence naturelle de la graminée, au système de culture, aux pratiques agronomiques (assolement, etc.) et à la dynamique de dispersion de la résistance.

L'agrostis jouet-du-vent et les folles avoines sont, en revanche, peu touchées par la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase.

Chez l'agrostis, espèce peu présente à l'échelle du territoire, la résistance a été identifiée dans les Hauts-de-France (départements 02, 60, 59 et 62) entre 2013 et 2015 avec moins de cinq cas par département, et dans la Sarthe (un cas) en 2014.

Côté folles avoines, des cas ont été identifiés dans plusieurs départements (02, 28, 45, 41, 72, 53, 37, 85, 86, 81, 82, 31, 32), souvent pour un cas par département. Certaines identifications sont assez anciennes (2001 en Indre-et-Loire) sans évolution ultérieure.

Graminées et inhibiteurs de l'ALS (groupe B)

À notre connaissance, la résistance aux inhibiteurs de l'ALS touche le ray-grass, le vulpin, le brome, l'agrostis, la folle avoine, la digitaire sanguine et deux espèces de sétaire : la sétaire verte et la sétaire verticillée (Setaria verticillata).

Les ray-grass et le vulpin ont vu leurs premiers cas détectés au début des années 2000. Tous les départements où ces espèces sont bien présentes sont touchés (41 pour les ray-grass, voir Figure 2). Dans les départements céréaliers, la résistance est « fréquente » et les populations résistantes trop nombreuses pour être dénombrées. Les deux types de résistance sont présents : liée à la cible et non liée à la cible.

Les observations sur la disparité territoriale de la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase valent aussi pour les inhibiteurs de l'ALS.

De nombreuses populations sont touchées par la résistance aux deux modes d'action : ceux du groupe A et du groupe B.

Dans beaucoup de départements céréaliers, la résistance aux inhibiteurs de l'ALS a été sélectionnée peu après leur lancement (2001 dans le Cher, l'Eure et le Loiret) mais après la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase.

Dans d'autres départements, la résistance aux inhibiteurs de l'ALS est arrivée plus tard, avec celle aux inhibiteurs de l'ACCase. C'est le cas dans les Côtes-d'Armor : premières populations de ray-grass résistant à la fois aux deux groupes identifiées en 2013. En Ille-et-Vilaine, les premiers cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS ont même été détectés en 2007, avant la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase.

Les bromes et l'agrostis sont moins concernés par la résistance aux inhibiteurs de l'ALS.

Des populations de bromes résistantes ont été identifiées dans la Côte-d'Or (en 2009) et la Nièvre ; la résistance est « rare » : moins de cinq cas par département. Deux populations résistantes ont été identifiées dans la Marne (2008) et l'Aisne (2009).

Des cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS sont avérés chez l'agrostis depuis 2009 dans les Hauts-de-France (départements 02, 60, 59 et 62 ; plus de vingt cas dans l'Aisne). Une population résistante a été trouvée dans le Loiret (2013) et une dans l'Eure (2014).

Des rares cas de folles avoines résistantes aux inhibiteurs de l'ALS ont été identifiés en 2014 dans le Sud-Ouest (31, 32, 81, 82).

La résistance aux inhibiteurs de l'ALS a été détectée récemment sur graminées estivales : en 2012 et 2013 en Charente et Charente-Maritime sur sétaire verte et sétaire verticillée, et en 2015 en Ille-et-Vilaine sur une population de digitaire sanguine.

Dicotylédones et inhibiteurs de l'ALS

La résistance de dicotylédones s'est manifestée plus tard que chez les graminées, alors que les inhibiteurs de l'ALS antidicotylédones sont utilisés depuis longtemps (chlorsulfuron depuis le milieu des années 1980 et metsulfuron-méthyle depuis la fin des années 1980).

Les premiers cas ont touché le coquelicot en 2005. Aujourd'hui, 29 départements sont concernés mais avec un faible nombre de cas (Figure 3). Dans tous ceux analysés ici, la résistance est liée à la cible. La résistance touche toutes les substances de la famille des sulfonylurées testées. Elle peut aussi concerner le florasulame (famille des triazolopyrimidines), souvent dans une moindre mesure et pas systématiquement.

Des cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS ont ensuite été identifiés sur matricaire (Matricaria spp.) à partir de 2010, toujours pour la résistance liée à la cible. Neuf départements sont concernés (Figure 4). La résistance n'a pas ou peu évolué. Ainsi, dans l'Eure (premier cas en 2010), la Seine-Maritime (2010), la Somme (2011) et le Tarn (2011), la population résistante initialement identifiée reste le seul cas du département. L'Ille-et-Vilaine fait exception : dix à vingt cas répartis sur plusieurs secteurs.

Quelques cas de résistance aux herbicides du groupe HRAC B ont aussi été détectés sur stellaire intermédiaire, là aussi avec de la résistance liée à la cible : premier cas identifié en 2009 dans le Nord. La Seine-Maritime a suivi en 2013 et le Maine-et-Loire en 2015. Ces trois cas restent encore isolés.

En 2013, les premières populations de séneçon vulgaire (Senecio vulgaris) résistant aux inhibiteurs de l'ALS en grandes cultures ont été identifiées. Là encore, la résistance est liée à la cible. Ces cas sont situés dans les Côtes-d'Armor, sur le secteur d'Erquy. Ensuite, la résistance s'est diffusée très rapidement dans le nord-est du département puis le nord-ouest de l'Ille-et-Vilaine (2014). Ceci correspond à une dispersion sous les vents dominants à partir d'Erquy. L'ouest des Côtes-d'Armor est épargné. Ces deux départements sont aujourd'hui très touchés, avec plus de vingt cas identifiés dans les secteurs mentionnés précédemment.

Depuis 2010, les inhibiteurs de l'ALS sont disponibles sur tournesol (variétés tolérantes) et soja. On observe les premiers cas de tournesols adventices résistants aux inhibiteurs de l'ALS. Le premier cas a été identifié en 2012 dans la Vienne, le second en 2015 en Haute-Garonne. Sur soja, un cas d'ambroisie (Ambrosia artemisiifolia) résistante aux inhibiteurs de l'ALS a été identifié en 2015 dans le Tarn-et-Garonne.

Que dire de cet état des lieux ?

Une synthèse pour tous les acteurs

Cet état des lieux est imparfait. D'une part, il ne recense que les cas identifiés et déclarés, donc risque de sous-estimer la situation, et il n'évalue pas la fréquence de parcelles résistantes à l'échelle d'un territoire.

D'autre part, la sélection de résistances est un phénomène dynamique. L'état des lieux est actualisé tous les deux ans mais, par exemple, la résistance du coquelicot aux herbicides du groupe O récemment signalée (Delye & al., 2016) n'y est pas encore. Néanmoins, cette synthèse permet à tous les acteurs d'avoir le même niveau d'information et d'en tirer des enseignements.

Vulpin et ray-grass : une résistance étendue et évolutive

D'abord, elle confirme l'étendue de la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase et aux inhibiteurs de l'ALS chez les ray-grass et le vulpin. Tous les départements, et plus finement tous les territoires, ne sont pas touchés de la même façon. Les secteurs où ces graminées sont peu présentes ou peu problématiques sont faiblement concernés.

Cependant, des départements et territoires longtemps épargnés ne le sont plus. C'est le cas dans l'Ille-et-Vilaine et les Côtes-d'Armor où des populations de ray-grass résistantes aux herbicides du groupe B ont été identifiées en 2013 et 2012. On peut retarder la sélection de la résistance, pas l'empêcher.

Brome, agrostis, folle avoine : une évolution plus lente... pour l'instant

D'autres résistances évoluent peu. C'est le cas pour les bromes, l'agrostis et les folles avoines. Cela s'explique par les caractéristiques biologiques de ces espèces et les surfaces peu importantes qu'elles couvrent : les folles avoines ont une prédilection pour le sud, l'agrostis est surtout présente dans le nord-est et les bromes dans les parcelles en travail simplifié.

Mais la pression de sélection sur ces espèces pourrait évoluer avec le retrait de l'isoproturon et les menaces sur d'autres herbicides racinaires des céréales et du colza.

Par ailleurs, nous avons recensé des cas de résistance multiple de graminées aux herbicides des groupes HRAC A et B.

Côté cultures de printemps

Jusque-là relativement épargnées par la résistance, les flores des cultures de printemps sont aujourd'hui concernées.

L'enquête a révélé les premiers cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS sur sétaires en Charente et Charente-Maritime ainsi que sur digitaire sanguine. Fin 2015, des populations résistantes de panic pied-de-coq (deux parcelles), sétaire verte (une parcelle) et digitaire sanguine (deux parcelles) ont été identifiées mais sans localisation précise (Délye, 2015). Les programmes avec des herbicides de la famille des chloroacétamides (groupe HRAC K3) pourraient avoir ralenti l'expression du phénomène.

Mécanismes de sélection repérés

L'étude met aussi en lumière les facteurs de sélection de populations résistantes. Pour les graminées, les parcelles en rotation courte sont souvent les premières touchées (premier facteur cité). D'autres facteurs tels que le non-labour, les semis précoces et le retour du même mode d'action herbicide sont souvent cités. Ces pratiques étant parfois très territorialisées au sein d'un département, certains secteurs sont plus affectés que d'autres. Les zones de polyculture-élevage le sont souvent moins rapidement.

Mais sur les départements très touchés, on trouve aujourd'hui des populations résistantes dans des parcelles à rotation longue ! Le phénomène semble exacerbé par le transfert de matériels et de pailles.

La résistance aux herbicides du groupe HRAC B chez les dicotylédones est détectée presque seulement sur parcelles à risque (sauf pour le séneçon en Bretagne). La monoculture et la récurrence du mode d'action sont souvent citées comme premiers facteurs favorables à l'apparition de résistance.

Ainsi, dans l'Aisne et la Marne, les premières populations de coquelicot résistant aux inhibiteurs de l'ALS ont été identifiées dans des parcelles proches de vignes. La proximité de cette culture sensible empêchant l'usage d'herbicides de type auxinique, la maîtrise des dicotylédones a reposé presque seulement sur les herbicides du groupe B.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'arrivée plus tardive de la résistance aux inhibiteurs de l'ALS sur dicotylédones. D'une part, elles sont souvent moins présentes que les graminées et sensibles à davantage de modes d'action à l'échelle de la rotation. D'autre part, elles n'ont pas été soumises à une pression de sélection de la part des inhibiteurs de l'ACCase qui, chez les graminées, a sélectionné des résistances multiples. S'y ajoutent des caractéristiques biologiques : TAD (taux annuel de décroissance des semences) souvent faible, peu de pollinisation allogame...

Perspectives

En général et pour les graminées

En France, le phénomène de résistance prendra de l'ampleur. D'une part, l'agrandissement des exploitations et le contexte économique ne facilitent pas la mise en place de mesures agronomiques antirésistance. D'autre part, les retraits et restrictions d'usage de nombreuses matières actives limitent l'offre herbicide, d'où une pression de sélection croissante sur les modes d'action disponibles (Gasquez et al., 2013).

Sur graminées, le retrait de l'isoproturon et le risque pesant sur d'autres matières actives sur céréales, colza et cultures de printemps feront augmenter la fréquence d'utilisation des modes d'action disponibles. La pression de sélection, déjà forte, va s'accentuer, d'autant que l'arrivée de nouveaux modes d'action n'est pas espérée.

Dicotylédones : espèces à surveiller

Chez les dicotylédones, la résistance étant présente surtout sur parcelles à risque, nous en sommes encore à la prévention. Mais il existe peu de leviers agronomiques pour gérer les dicotylédones. Pour assurer une bonne maîtrise de ces flores afin d'éviter les forts salissements, il faut donc gérer les modes d'action herbicide existants : les associer, les alterner à l'échelle de la rotation, désherber en programme...

Cette gestion préventive est très importante pour certaines espèces qui semblent présenter un fort risque d'apparition de résistance aux inhibiteurs de l'ALS.

C'est le cas de l'ammi élevé (Ammi majus) qui est sensible à peu de modes d'action. En céréales, la lutte repose essentiellement sur les inhibiteurs de l'ALS. Cette espèce à levées automnales et printanières présente un fort risque de développer une résistance en rotation tournesol/blé si le tournesol est tolérant à l'imazamox ou au tribénuron-méthyle (Duroueix et al., 2010). Ce risque est confirmé par l'analyse réalisée avec l'outil R-SIM en Poitou-Charentes. Cet outil d'aide à la décision évalue le risque d'apparition de résistances aux herbicides selon la flore, la rotation et les herbicides employés (Lieven et al., 2013). Sur 128 parcelles cultivées en rotation tournesol tolérant aux inhibiteurs de l'ALS/blé où l'ammi élevé est présent, l'outil détecte un risque élevé dans 60 % des cas (herbicides HRAC B sur les deux cultures sans autre mode d'action) et un risque moyen dans 29 % des cas.

Dans certaines situations, il existe aussi un risque de résistance des crucifères (Sinapsis arvensis, Raphanus raphanistrum...). À ce jour, aucune résistance n'a été détectée en France, contrairement à d'autres pays (Heap, 2015), mais ces espèces sont très présentes sur toutes les cultures et leur contrôle repose souvent sur les herbicides de groupe HRAC B. Aujourd'hui, sur céréales, le retrait de l'isoproturon et les limites d'emploi du chlortoluron (groupe HRAC C2) pourraient affaiblir le contrôle de ces adventices via les traitements d'automne. Les autres bases de désherbage d'automne, pas toujours suffisantes, exigent un complément.

Le gaillet gratteron (Galium aparine) est aussi à surveiller : la résistance aux herbicides du groupe HRAC B a été identifiée sur cette espèce en Turquie en monoculture de blé (Mennan et al., 2015). En France, là où les cultures d'hiver dominent, la maîtrise du gaillet repose souvent sur les inhibiteurs de l'ALS (amidosulfuron, florasulame...) d'où une forte pression de sélection.

Dans les cultures de printemps

Comme le montrent les récentes identifications de résistances sur graminées estivales, le risque existe aussi pour des espèces inféodées aux cultures de printemps.

Ce risque pourrait s'accroître sur maïs en cas de restrictions d'usage des chloroacétamides (groupe HRAC K3) utilisées en prélevée. Ces substances pourraient voir leurs doses réduites ou leurs conditions d'utilisation restreintes. Cela accroîtrait la pression de sélection exercée par les inhibiteurs de l'ALS.

Prévenir les RNLC

Enfin, chez les dicotylédones, de récents travaux signalent l'existence d'une résistance non liée à la cible (RNLC) sur coquelicot (Délye, 2015) et ambroisie à feuilles d'armoise (Meyer et al., 2016).

Ce phénomène est lié à la pression de sélection exercée par des efficacités partielles... d'où l'intérêt d'employer les herbicides du groupe HRAC B en conditions optimales (stade des adventices, conditions d'application, dose) pour obtenir les efficacités maximales. La perspective de résistances non liées à la cible chez les dicotylédones accroîtrait les difficultés de gestion de ces flores en raison du risque de résistance multiple à plusieurs modes d'action.

Pratiques agronomiques, oui, mais...

Les pratiques de prévention de l'apparition de résistances sont connues.

Pour les graminées, elles combinent :

- des pratiques agronomiques pour gérer le stock semencier d'adventices, donc éviter d'avoir des populations trop importantes ;

- de bonnes pratiques d'usage des herbicides, notamment en alternant et diversifiant les modes d'action à l'échelle de la rotation.

Elles sont résumées dans la note commune sur la gestion des adventices dans la rotation, publiée en 2015 par les instituts techniques (Bonin et al., 2015). Mais beaucoup d'agriculteurs hésitent à les mettre en oeuvre. Elles sont souvent chronophages et coûteuses, et parfois économiquement risquées.

Si les mesures de gestion agronomique sont efficaces sur beaucoup de graminées, il n'en est pas de même pour la plupart des dicotylédones. Leur biologie, en particulier celle de leurs semences, les rend souvent difficiles à gérer par l'agronomie.

Conclusion

tion de tous les acteurs. Cette transparence permettra d'améliorer la connaissance des pratiques à risque et la communication sur la maîtrise des populations. Il faut aujourd'hui définir le process de remontée et centralisation des informations. La notification des cas suspects est d'ailleurs une exigence réglementaire post-homologation. Cette première étape sera à compléter avec un retour des acteurs du terrain afin de dépasser le simple constat.

La gestion préventive de la résistance repose sur un équilibre précaire, entre systèmes de culture diversifiés et usage d'herbicides à modes d'action différents, sous-tendu par une dimension économique (viabilité de l'exploitation, cultures rémunératrices, etc.). En France, nous avons la chance d'avoir des systèmes diversifiés avec de nombreuses cultures. Il faut être vigilant sur le nombre de modes d'action réglementairement disponibles et éviter d'en avoir trop peu (ex. : herbicides du groupe HRAC O).

Enfin, il faut savoir que les pratiques de bonne gestion des modes d'action herbicides sont rarement en phase avec l'exigence de réduction d'usage de l'IFT.

*Agrosolutions. **Arvalis-Institut du végétal. ***Terres Inovia.

Fig. 1 : Les cas de ray-grass résistant aux inhibiteurs de l'ACCase

Détectée depuis 1993, cette résistance concerne actuellement 41 départements, dont 26 où elle est fréquente (plus de 20 parcelles touchées).

Fig. 2 : Les cas de ray-grass résistant aux inhibiteurs de l'ALS

Détectée depuis 2001, cette résistance concerne 41 départements, dont 22 où elle est fréquente (plus de 20 parcelles touchées).

Fig. 3 : Les cas de coquelicot résistant aux inhibiteurs de l'ALS

Détectée depuis 2005, cette résistance concerne 29 départements, mais avec peu de cas comparés à ceux de graminées résistant aux mêmes herbicides.

Fig. 4 : Les cas de matricaire résistante aux inhibiteurs de l'ALS

Détectée depuis 2010, cette résistance ne touche actuellement que neuf départements, et le nombre de populations est encore faible.

REMERCIEMENTS

REMERCIEMENTS aux personnes investies dans l'organisation et la participation aux réunions Columa en régions, notamment aux représentants des firmes phytopharmaceutiques qui ont accepté de partager leurs données.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La résistance des adventices aux herbicides est un problème de plus en plus préoccupant en France. Au-delà des graminées courantes, le nombre d'espèces concernées par la résistance aux inhibiteurs de l'ACCase et/ou aux inhibiteurs de l'ALS ne cesse d'augmenter.

Cependant, on constate un déficit d'information avec des acteurs de terrain pas toujours correctement informés des cas identifiés.

TRAVAIL - Pour pallier ce manque, le Columa organise des réunions régionales afin d'établir un état des lieux détaillé, qui a déjà été réalisé sur plus de la moitié de l'Hexagone.

RÉSULTATS - Il montre que les graminées céréalières, plusieurs espèces de dicotylédones et quelques populations de graminées estivales sont aujourd'hui concernées par les résistances aux herbicides. Cet état des lieux est ici complété par une analyse de la situation et les moyens à mettre en oeuvre.

MOTS-CLÉS - Grandes cultures, herbicides, résistance, état des lieux, inhibiteurs de l'ALS, inhibiteurs de l'ACCase, graminées, dicotylédones.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : cdenieul@agrosolutions.com

l.bonin@arvalisinstitutduvegetal.fr

f.duroueix@terresinovia.fr

BIBLIOGRAPHIE : La bibliographie (neuf références) de cet article est disponible, avec sa version intégrale, dans les annales de la 23e conférence du Columa ; y manque Délye & al., 2016 (Sur les coquelicots..., Phytoma n° 698, novembre, 7-10) trop récente.

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