Dans le cadre des programmes d'épidémiosurveillance Otelho et OAD Serres Roses, l'outil S@M a contribué à des prises de décision sur des interventions de protection des cultures, souvent à l'aide de représentations graphiques des relevés spatio-temporels des populations.
Pourquoi et comment surveiller les cultures
Identifier et quantifier les populations
On le sait, pour maîtriser les ravageurs, plus particulièrement dans des agrosystèmes sans vide sanitaire, l'identification et la quantification de leurs populations sont fondamentales. Elles permettent de détecter et juger suffisamment tôt leur importance agronomique. Ces pratiques s'appuient sur des variables bien caractérisées, tangibles et robustes, qui sont les bases de l'épidémiosurveillance du végétal.
L'expérience prouve que, avec méthode, la « prédiction » de fléau parasitaire s'avère exacte. C'est le cas de l'infestation du thrips californien sur la rose fleur coupée au printemps qui se traduit inéluctablement par des pertes économiques importantes.
S@M et le choix des variables
Spécifiquement créé pour les professionnels de l'horticulture, S@M est un ensemble organisé de ressources qui permet de collecter, stocker, traiter et diffuser l'information nécessaire à la mise en place d'une stratégie fiable de protection intégrée en donnant la priorité à la lutte biologique.
Ce qui fait la pertinence du suivi, c'est le choix des variables. Pour chaque ravageur comme pour chaque auxiliaire lâché, une variable est attribuée avec des notes d'abondance des populations. Il en est de même pour le stade de la plante. Heureusement, l'expert se réserve une part d'inattendu dans son protocole d'observation : la variable « Autres auxiliaires ». Cela ouvre la voie à de nouvelles variables explicatives sur le contrôle des agents nuisibles.
Un suivi déterminant pour la détection d'organismes utiles
Deux bioagresseurs principaux des fleurs coupées
Les aleurodes, précisément l'aleurode du tabac Bemisia tabaci Gennadius, 1889, étaient parmi les problématiques parasitaires majeures des productions florales sous serre en climat méditerranéen dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'importance économique de ce ravageur a nécessité des suivis réguliers de populations et des expertises adaptées sur des cultures de fleurs coupées à forte valeur ajoutée telles que les productions de gerbera et de rose sous climat méditerranéen.
De nos jours, les thrips, et particulièrement le thrips californien Frankliniella occidentalis, sont devenus des ravageurs majeurs de ces mêmes productions.
Coenosia attenuata, prédateur des aleurodes et mouches mineuses
Les auxiliaires indigènes sont des indicateurs des avancées de la protection biologique intégrée (PBI). En cultures florales sous climat méditerranéen, le premier fut le prédateur des aleurodes et des mouches mineuses du gerbera Coenosia attenuata Stein, 1903 (voir Encadré 1).
Depuis le début des années 2000, par la méthode du suivi des populations, cette mouche utile est régulièrement observée dans l'une des stations d'Astredhor Méditerranée, le Scradh (à Hyères, dans le Var), et en exploitation. À l'évidence, la faune auxiliaire indigène est une constante des cultures en protection biologique intégrée.
D'autres espèces utiles s'invitent
Ainsi, C. attenuata, mais aussi des chrysopes et des punaises prédatrices du genre Macrolophus, mais encore Feltiella acarisuga, Praon spp., Aphidius spp., Aphelinus spp., des syrphes, Phytoseiulus persimilis, Stethorus spp., Eretmocerus mundus et d'autres espèces s'invitent dans les cultures florales bénéficiant d'une PBI.
La dernière espèce en date, retenue pour l'importance de son service rendu et sa toute récente entrée dans la classification des arthropodes, est Encarsia bimaculata, hyménoptère parasitoïde de l'aleurode du tabac (Heraty & Polaszek, 2000) (détails dans l'Encadré 2).
Les connaissances acquises sur l'épidémiosurveillance de cultures de gerbera illustrent la diversité et l'importance de la faune auxiliaire indigène tant dans les conditions des cultures expérimentales que dans une production intensive en exploitation : des populations sporadiques d'auxiliaires indigènes ont été évaluées, avec de l'ordre de 5 à 10 % des points occupés par au moins un agent.
Les relevés dans le cadre du programme Otelho confirment l'importance des auxiliaires indigènes toute l'année : leur population est abondante dans la culture de gerbera conduite en PBI sur la station expérimentale d'Astredhor Méditerranée du Var (le Scradh). Entre 2014 et 2015, sur cette expérimentation gerbera, il était fréquent d'obtenir plus de 10 % de points occupés par divers auxiliaires indigènes, et à toutes les saisons, il a été observé des pics de 30 à 40 % des points occupés par au moins un auxiliaire indigène (figures non montrées, disponibles auprès des auteurs).
Gerbera et Coenosia attenuata
Un prédateur très utile dans la lutte contre les aleurodes
Bien visible sur le gerbera, Coenosia attenuta est un indicateur de la pression que peut exercer une diversité de proies : aleurode B. tabaci (dit « mouche blanche »), mouche mineuse, mouche des terreaux...
Bien que l'auxiliaire indigène soit connu pour sa forte aptitude à capturer sans distinction des insectes d'une taille inférieure à la sienne, C. attenuata est un allié dans une culture conduite en PBI. De ce fait, il fait l'objet d'un suivi spécifique dans une variable explicative de la qualité du contrôle biologique des aleurodes.
Des niveaux différents selon le site
Dans la culture de gerbera de l'exploitation suivie dans le cadre d'Otelho, C. attenuata est présent toute l'année, avec à chaque saison des pics de population dépassant 50 % de points occupés par l'agent.
En revanche, en 2015, dans la culture expérimentale du Scradh, il s'est maintenu à des niveaux d'abondance inférieurs, soit au plus 30 % des points occupés par au moins un individu (figures non montrées, disponibles auprès des auteurs).
Bien que sur le site du Scradh la population d'aleurodes exerce une pression supérieure à celle de l'exploitation, l'hypothèse d'une concurrence entre les prédateurs et parasitoïdes de l'aleurode peut être émise. Car une des caractéristiques des agrosystèmes conduits en PBI est la diversité de la faune, particulièrement celle utile.
Ainsi, la variabilité des populations apparaît entre sites pour des mêmes critères étudiés. L'intérêt de la méthode avec usage de S@M est de collecter, visualiser et interpréter les mesures d'un protocole d'épidémiosurveillance en quelques heures in situ.
Rose et Encarsia bimaculata
Une culture de rose fleur coupée touchée par l'aleurode B. tabaci
L'épidémiosurveillance d'une culture florale sous serre en climat méditerranéen, en l'occurrence la rose fleur coupée, a été un modèle pour prototyper un outil d'aide à la décision sous serre : l'OAD Serres Roses. La représentation graphique offerte par le logiciel S@M a contribué à la détection et à la validation de l'importance agronomique d'une cohorte d'auxiliaires indigènes parasitoïdes de Bemisia tabaci.
La pression de la population d'aleurodes a augmenté depuis 1987, année de création de la station. L'installation progressive de l'espèce B. tabaci a compliqué la protection du rosier de par sa capacité à résister tant aux interventions chimiques qu'aux auxiliaires issus d'élevages commerciaux.
En 2014, un complément alimentaire apporté dans la culture de rose en PBI a modifié les équilibres biologiques en faveur de la faune auxiliaire...
Un parasitoïde inconnu jusqu'alors...
Fait inattendu, ce ne sont pas les auxiliaires lâchés mais des auxiliaires indigènes qui ont été les principaux consommateurs !
Parmi ces agents utiles, un parasitoïde inconnu jusqu'alors a pris une place de choix dans l'agrosystème. C'est le chalcidien Encarsia bimaculata (Encadré 2 photo 1, et en médaillon ci-dessus) qui a cohabité avec Eretmocerus mundus (photo 2), lui aussi apparu spontanément dans la serre. Les deux espèces ont offert une combinaison anti-aleurode efficace.
Les auxiliaires ont été identifiés par la société Flor'Insectes qui a également déterminé le régime alimentaire de chacun, confirmant la capacité des deux espèces à consommer le pollen de Typha angustifolia (Nutrimite).
La méthode de surveillance sur rose consiste à évaluer l'abondance des populations dans deux strates végétales sur des points fixes équidistants dans la culture. Un battage sur support rigide blanc des tiges de la strate « récolte » ou des rameaux du « poumon » extrait les populations et les rend visibles. Une note d'abondance est attribuée aux populations actives à chaque point fixe (0 : absence, 1 : présence, 2 : abondance).
L'épidémiosurveillance selon cette méthode a débuté en 2007 au Scradh et en 2013 dans le cadre du programme OAD Serres Roses. C'est en 2014 que l'efficacité du service rendu par le nouvel auxiliaire naturel est constatée sur la population d'aleurode du tabac dans l'expérimentation d'un nouveau concept de lutte biologique.
Baisse de la « pression aleurode »
Le contrôle perdure en 2015. En même temps, la pratique du nourrissage d'auxiliaires est généralisée sur gerbera, où la même cohorte de parasitoïdes des aleurodes est identifiée et enrichie par d'autres espèces indigènes telles qu'Encarsia mineoi (Encadré 2, photos 3 et 4).
Ainsi, fin 2014 et début 2015, la représentation graphique des mesures d'abondance des populations d'aleurodes fait apparaître une baisse progressive de la pression aleurode dans la strate végétale basse du rosier dite « poumon » (Figure 1).
Simultanément, les mesures de la variable « autres auxiliaires » révèlent une augmentation du pourcentage de points occupés par les parasitoïdes indigènes. Les identifications réalisées par la société Flor'Insectes confirmeront la présence d'Eretmocerus mundus et d'Encarsia bimacula, deux agents ayant consommé du pollen (Figure 2).
Des mesures d'abondance des deux populations sur la strate récolte du rosier confirment la baisse de la « pression aleurode » et, simultanément, la progression des parasitoïdes indigènes. La méthode d'observation révèle aussi que les parasitoïdes se raréfient avec la quasi-disparition de l'aleurode hôte. Le service rendu est total dans les conditions de l'expérimentation (Figure 3).
Conclusion
Pour comprendre l'impact des stratégies de protection des plantes sur des populations et détecter suffisamment tôt la pression montante des nuisibles, l'observation régulière de la culture est essentielle dès lors qu'elle s'appuie sur des variables précises d'épidémiosurveillance du végétal.
La connaissance de l'entomofaune et la maîtrise de l'outil S@M ouvrent des perspectives nouvelles à la régulation naturelle des nuisibles aux cultures florales. La technologie se met au service de l'agroécologie, car...
- ce qui contribue à la pertinence de la méthode est le choix des variables ;
- ce qui contribue à sa richesse est la diversité des variables ;
- ce qui contribue à sa robustesse est la répétition spatio-temporelle des variables ;
- ce qui contribue à sa valeur scientifique est la variable « auxiliaires indigènes ».
Si l'inéluctable est admis, l'inattendu est la prémisse d'une avancée.
1 - Mieux connaître Coenosia attenuata, mouche prédatrice des aleurodes
Visible sur les feuilles apicales, les ligules, capitules, pétales, mais aussi les fils et tuteurs proches des parties hautes des végétaux, un diptère de la famille des muscidés, ressemblant à la mouche domestique, chasse à l'affût des insectes volants plus petits.
Ce prédateur, Coenosia attenuata (Stein, 1903), capture en vol les mouches mineuses, aleurodes, sciarides, etc. (voir photo 1) pour s'en nourrir.
Identifié pour la première fois en Turquie en 1973, C. attenuata est présent à ce jour sur tous les continents dans de nombreuses cultures sous serre : anémone, renoncule, célosie, cyclamen, lisianthus, géranium, gerbera (photo 2), etc.
L'adulte, de 2,5 mm (mâle) à 3,3 mm (femelle) de longueur, a un corps grisâtre, des antennes noires, des pattes noirâtres à tibias jaunes chez la femelle et totalement jaunes chez le mâle, deux lignes de soies longues sur le thorax, et deux longues soies contiguës situées sur les tibias postérieurs.
En fin de croissance, la larve, d'environ 5,5 mm de long, est apode, effilée à l'avant, blanche et translucide. La pupe, jaune brunâtre, a la forme d'un tonnelet d'environ 3 mm.
Moeurs : de source de Martinez et Cocquempot (2000), les adultes comme les larves sont des prédateurs d'insectes ravageurs des cultures appartenant principalement à l'ordre des diptères (mouches mineuses Liriomyza et Chromatomyia) et des homoptères (cicadelles et aleurodes).
Coenosia attenuata est décrit comme un prédateur très actif au stade adulte. Il a été identifié en 2002 au Scradh (Astredhor Méditerranée) dans une culture de gerbera colonisée par l'aleurode Bemisia tabaci. Il est présent toute l'année dans les cultures de gerbera de la station (températures au collet de la plante de 18 °C).
Depuis la généralisation de la PBI, protection biologique intégrée des cultures florales du Scradh, C. attenuata s'est implanté plus largement sur le site où il trouve une diversité de proies et un substrat favorable à sa nymphose.
2 - Encarsia bimaculata, nouvel ennemi naturel de Bemisia tabaci
Identifié en 2000 par Heraty et Polaszek en Chine et déclaré pour la première fois comme agent de lutte biologique d'importance agronomique en Inde, Encarsia bimaculata contribue à la régulation des populations d'aleurode du tabac Bemisia tabaci. Cette dernière espèce, dite « aleurode de la patate douce » en Asie, est un véritable fléau épidémiologique pour l'agriculture mondiale.
Classification : Encarsia bimaculata est un insecte hyménoptère de la famille des Aphelinidées à laquelle est rattaché le groupe Encarsia strenua aux critères morphologiques communs à Encarsia citri, E. neocala, E. strenua, E. protransvena et E. sophia : tous sont des parasitoïdes d'aleurodes, espèces identiques ou pas.
Encarsia bimaculata a été inventoriée en Australie, Chine, Floride, Guatemala, Inde, Israël, Mexique, Philippines, Texas et dans le Bassin méditerranéen, sur grandes cultures (coton, soja...), cultures maraîchères (patates douces, haricot) et florales : euphorbes, hibiscus, solanum, rose (Scradh déc. 2014).
Description : la larve, de 0,5 à 0,7 mm, bien visible par transparence dans la larve de 3e et 4e stade de B. tabaci, est marron clair avec un triangle beige sur le thorax. L'adulte est au centre bien détaché de la cuticule de la nymphe. À l'intérieur de chaque côté, à mi-hauteur de celle-ci, le méconium orange est visible (photo 5).
L'adulte émerge en faisant un orifice rond laissant les méconiums orange sur la cuticule interne presque blanche de la pupe. Il présente une tête de forme allongée avec les ocelles rouges et les yeux noirs, un abdomen sombre et un mésosome très clair, caractéristique de l'espèce (photo 1).
Aptitude : Encarsia bimaculata parasite les stades larvaires 3 et 4 de B. tabaci (photo 5). Le parasitisme d'E. bimaculata combiné à celui d'Eretmocerus mundus (photos 6 et 7), autre parasitoïde spontané sur le site du Scradh, a permis d'atteindre un bon état sanitaire dans la culture de roses sous serre.
L'identification d'E. bimaculata montre que la curiosité pour un agent inattendu est un atout pour l'épidémiosurveillance.
Fig. 1 : Dynamique hebdomadaire de la population d'aleurodes sur la strate « poumon » du rosier de 2013 à début 2015
Épidémiosurveillance de la population d'aleurodes du tabac sur la strate végétale basse (strate « poumon ») du rosier fleur coupée sous serre durant un changement de stratégie de lutte contre l'aleurode du tabac. En 2013 : impasse de la lutte chimique contre l'aleurode ; 1,5 traitement insecticide tous les quinze jours. En 2014 : passage progressif à la lutte biologique par conservation des parasitoïdes indigènes de l'aleurode. En 2015 : lutte biologique par maintien des facteurs favorisant les parasitoïdes. Données Scradh, programme OAD Serres Roses.
Fig. 2 : Dynamique hebdomadaire d'une population mixte de parasitoïdes de l'aleurode dans la strate « poumon » du rosier
Détection et suivi d'une population de parasitoïdes de l'aleurode du tabac dans la strate végétale basse du rosier fleur coupée sous serre. Pollen de Typha latifolia (Nutrimite) saupoudré à partir de juillet 2014 et installation progressive des parasitoïdes. L'hiver 2015, Eretmocerus mundus et Encarsia bimaculata, deux parasitoïdes indigènes, restent présents. Données Scradh, programme OAD Serres Roses entre 2013 et début 2015.
Fig. 3 : Dynamiques hebdomadaires des populations d'aleurodes et de parasitoïdes associés dans la strate « récolte » du rosier
Dynamique des populations dans la strate végétale haute du rosier fleur coupée sous serre. Densité de population des parasitoïdes dépendante de leur hôte en deux temps. Automne 2014 : baisse de la pression aleurode et installation progressive des parasitoïdes associés. Hiver 2015 : contrôle biologique de l'aleurode et disparition des deux populations dans les conditions de l'étude.