Bilan des travaux pour préserver les cultures florales dans trois stations Astredhor : le Scradh dans le Var, le Creat dans les Alpes-Maritimes et le Caté dans le Finistère.

La production de fleurs coupées se caractérise par le très haut niveau d'exigence sanitaire requis pour leur commercialisation. L'aspect esthétique prime et exige que les fleurs et le feuillage (s'il est présent) soient indemnes de tout symptôme et de toute salissure.

Un contexte difficile

Forte exigence... et forte pression !

Abîmée ou tachée, toute fleur sera au mieux déclassée, au pire invendable. Cependant, hormis la pivoine, la majorité des principales fleurs produites en France le sont sous abris chauffés ou hors gel afin de maîtriser les cycles et la qualité des plantes. Ces conditions favorisent de nombreuses problématiques phytosanitaires et maintiennent la pression sanitaire toute l'année. De ce fait, les données disponibles font parfois état d'indicateurs de fréquence de traitement (IFT) importants en entreprise. Le phénomène est souvent amplifié par le caractère pérenne des cultures. Par ailleurs, il existe des impasses avec les solutions chimiques : manque de produits, ravageurs résistants...

Carcan économique

Pour des raisons de rentabilité, il est important de noter que le fait de travailler sous abri (structure allant de 8 à 100 €/m²) implique de maintenir à même niveau le chiffre d'affaires généré par les cultures conduites de façon économe en pesticides. En effet, le prix de vente est souvent mondialisé et non maîtrisé. Il peut donc difficilement être augmenté par l'argument du processus respectueux de l'environnement, faute de traçabilité obligatoire des origines des produits ornementaux.

Il est donc indispensable d'imaginer des stratégies de lutte permettant un rendement et une qualité identique aux anciens systèmes conduits en tout chimique. Le coût au mètre carré des nouvelles stratégies de protection des plantes semblant généralement supérieur, elles ne doivent pas s'accompagner d'une baisse des rendements.

Notons aussi que le levier « variétal » est inexistant en fleurs coupées. La sélection génétique n'utilise quasiment pas les critères de sensibilité aux maladies/ravageurs, et la vie commerciale des variétés est courte. L'élimination des plus sensibles est possible, mais dans le secteur de l'ornement, c'est le marché qui impose la variété demandée, par conséquent, vendue, et de ce fait, produite.

La PBI n'est plus un choix mais un fait

Malgré ce contexte difficile, la réduction de l'usage des pesticides est depuis longtemps étudiée par l'Institut Astredhor.

Le souhait est de diminuer l'impact sur l'environnement et sur les salariés. Mais la raison principale reste la recherche de solutions plus performantes dans le cadre d'un environnement technique et législatif de plus en plus contraint : moins de produits disponibles, pertes d'efficacité, impasses techniques de stratégies « tout chimique ».

De nos jours, l'application de la protection biologique intégrée (PBI) n'est plus un choix mais un fait. Il reste à la maîtriser au mieux. La diminution de l'IFT résultera de l'application en entreprise des nouvelles pratiques. Les résultats d'essais conduits par Astredhor laissaient envisager une marge de progrès de plus de 50 % en combinant l'ensemble des techniques développées.

Cet article présente la démarche et les résultats obtenus dans le cadre du projet Écophyto Dephy Expe, baptisé Hortiflor, traitant de la réduction de l'IFT en cultures florales sous abri (essais de 2012 à 2016). La réalisation doit toutefois être affinée sur plusieurs années et plusieurs systèmes de culture, en intégrant systématiquement un volet économique pour confirmer la possibilité d'appliquer les itinéraires en entreprise.

Essais réalisés dans trois stations d'Astredhor

Les systèmes étudiés

Que ce soit contre les ravageurs, maladies ou adventices, la réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques est un art difficile en fleurs coupées sous abri.

De plus, il existe des situations sanitaires très contrastées selon la pérennité de la culture (rosier, gerbera, etc.) ou l'exigence des installations très spécifiques (hors-sol/pleine terre). Chaque production devrait être raisonnée quasiment comme un cas à part.

Pour traiter efficacement les diverses situations, trois stations d'Astredhor ont choisi d'intervenir de façons complémentaires en réalisant des essais dans trois systèmes de culture (SDC) représentatifs des entreprises de fleur coupée :

- S1, système hors-sol, cultures chauffées de fleurs à cycle long (Astredhor Méditerranée - Scradh, dans le Var) ;

- S2, système avec passage de la pleine terre au hors-sol, cultures de fleurs à cycle court (Astredhor Méditerranée - Creat, dans les Alpes-Maritimes) ;

- S3, système pleine terre, fleurs à cycle court (Astredhor Loire-Bretagne - Cate, dans le Finistère).

Ce qui a été évalué

L'approche système, fréquente en station d'expérimentation, a l'intérêt d'envisager de nouvelles voies de travail et de les démontrer dans un cadre proche de l'entreprise car englobant l'ensemble des paramètres du système de production.

Toutefois, pour être efficace, cette approche suppose de disposer de leviers de progrès connus, l'expérimentation étant la mise en action de ces leviers. Or, dans bien des cas en fleurs coupées nous ne disposions ou ne disposons pas de solutions alternatives suffisantes pour conduire ce type de démarche. La programmation du projet prévoyait donc une phase d'acquisition de références lors d'essais d'efficacité de produits/doses et d'essais de surveillance des cultures.

Pour permettre l'étude et surtout le transfert chez les producteurs, les variables mesurées et les indicateurs technico-économiques ont été communs pour les trois stations :

- productivité des cultures (rendement selon des critères de commercialisation) ;

- qualité des tiges récoltées (selon des critères de commercialisation) ;

- suivi des maladies, des populations de ravageurs, d'auxiliaires, d'adventices ;

- calcul de l'IFT de la culture ;

- calcul de coût de la protection par m2.

Pour chacune des stations, en fonction des problématiques rencontrées, les objectifs et les leviers de progrès étudiés sont les mêmes avec trois grands axes de travail.

Lutte contre les ravageurs

L'objectif est de développer une méthode de gestion des ravageurs des cultures par la mise au point de stratégies de PBI. Tous les points utiles à un transfert en entreprise ont été étudiés, à savoir :

- les règles de décision (mode d'observation, seuils et type d'intervention) ; l'usage d'outils tels que S@M vient en appui à ce point ô combien important ;

- l'efficacité des auxiliaires, la quantité de lâchers, les outils de lâchers des auxiliaires.

Pour cela, l'adaptation des auxiliaires commercialisés aux cultures et aux conditions de production est un facteur clé. La création de conditions favorables à l'implantation d'auxiliaires naturels est aussi une voie de progrès importante :

- l'efficacité des produits alternatifs aux produits phytosanitaires conventionnels ;

- les nouvelles stratégies : plantes-relais, plantes-pièges, nourrissage d'auxiliaires...

Lutte contre les maladies du sol et les adventices

Selon le système de culture, deux stratégies de gestion des maladies du sol et des adventices ont été envisagées :

- la mise au point de la culture hors-sol sur plusieurs cycles de culture, avec le choix du système le plus approprié, l'optimisation du substrat et de la fertilisation avec usage éventuel d'antagonistes, le recyclage des solutions nutritives et la rotation des cultures sans désinfection ;

- le maintien en pleine terre avec combinaison de diverses techniques telles que le paillage (contre les adventices), l'usage d'antagonistes (contre les maladies), la désinfection du sol par solarisation ou avec la vapeur (maladies et adventices), et la rotation des cultures.

Lutte contre les maladies aériennes

Dans le secteur des maladies, jusqu'à présent, l'emploi des produits phytosanitaires est pratiquement incontournable. Les seuls leviers d'action sont :

- la mise au point de modes de gestion climatique peu favorables aux maladies et économiquement applicables en entreprise ;

- la mise au point de stratégies intégrant l'usage de stimulateurs de défenses naturelles (SDN), de stimulateurs de croissance et/ou de fongicides alternatifs (biologiques ou non).

Des résultats positifs et très prometteurs

Les limites

Le fait de travailler sur trois sites complémentaires a certes permis de traiter de façon plus spécifique trois grands systèmes. Mais cette subdivision est quelquefois insuffisante, notamment pour les SDC spécialisés qui peuvent avoir des problématiques sanitaires très diverses, et surtout des caractéristiques de culture très éloignées.

Par exemple, en système hors-sol chauffé, il faut différencier le système rosier du système gerbera. Les priorités sanitaires y sont différentes et les leviers étudiés ne donnent pas les mêmes résultats. Un rosier reste agronomiquement différent d'un gerbera, et les résultats obtenus en PBI ne sont pas toujours transposables d'une espèce cultivée à l'autre.

Le volet « maladies du sol et adventices »

Parmi les succès dans les essais, il faut citer les progrès en matière de lutte contre les maladies du sol et les adventices.

En système pleine terre, les risques parasitaires liés au sol ont été réellement réduits sans contraintes trop fortes. Outre la mise en place de rotations de cultures, une attention particulière est portée au travail du sol afin de conserver une structure aérée et éviter le compactage. Un apport d'amendement organique est réalisé avant chaque mise en culture. Sur cultures sensibles, l'usage de champignons antagonistes est systématisé (Coniothyrium minitans et mélanges de Trichoderma). L'irrigation est optimisée afin d'éviter les excès et manques d'eau.

En revanche, le paillage contre les adventices donne des résultats techniques mitigés et économiques discutables. D'où l'intérêt du hors-sol si les dispositifs existent.

Pour les anémones et renoncules, le hors-sol a permis de s'affranchir des maladies telluriques (fusariose et pythium) et de ne plus employer de désherbants. La possibilité de désinfecter les substrats par solarisation (comme en plein sol) ou de les changer régulièrement permet de résoudre d'éventuels problèmes sanitaires sans IFT.

Lutte contre les ravageurs

Les progrès sont également importants en matière de lutte contre les ravageurs grâce à la PBI, bien que les résultats soient à nuancer par système et surtout par culture. La diminution de l'IFT la plus spectaculaire a été réalisée en culture de gerbera où l'IFT a été réduit de plus de 75 % pour atteindre une moyenne de 35 par an sur deux ans (durée de la culture). Le levier principal a été la mise à disposition d'auxiliaires bien adaptés et efficaces contre les problématiques majeures (mais non exclusives) que sont l'aleurode Bemisia tabaci et l'acarien tétranyque. L'objectif technico-économique est proche d'être atteint même si la technique mérite davantage de robustesse et que le coût de 4 à 5 € par an peut être réduit.

Mais pour un transfert aisé en entreprise, un autre levier doit être maîtrisé : la surveillance épidémiologique. Ce sujet fondamental des règles de surveillance et d'intervention est traité avec le projet S@M.

Lutte contre les maladies aériennes

Des voies intéressantes apparaissent pour la lutte contre les maladies aériennes, mais la situation reste très contrastée, notamment pour les maladies principales que sont le botrytis et les oïdiums.

Le levier de la gestion climatique s'avère le plus efficace contre le botrytis (et le mildiou), avec des solutions à trouver selon la culture et les équipements disponibles : aération, chauffage, déshumidification thermodynamique, etc. Évidemment, les cultures chauffées et permettant un fort investissement sont favorisées.

Le levier des stimulateurs et des produits alternatifs semble également prometteur, à associer avec une diminution des volumes de bouillie lors des traitements, pour plus d'efficacité et moins d'humidité sous abri.

Contre les oïdiums (rosier, gerbera, renoncules, etc.) seuls les stimulateurs et produits alternatifs laissent envisager une baisse d'IFT. Mais leur efficacité est insuffisante pour un usage curatif. Il s'agit donc de développer des stratégies d'interventions basées sur une surveillance régulière et des traitements alternatifs ou classiques selon les niveaux d'attaque observés.

Sur l'ensemble d'une saison, l'emploi des solutions alternatives permet de réduire l'IFT chimique global. Là encore un outil du type du S@M est un atout car il permet d'optimiser les décisions d'intervention.

Les résultats

Sur les trois systèmes, l'IFT chimique a été réduit de bien plus de 50 %. En rotation pleine terre (trois cultures par an), l'IFT varie de 7 à 17 selon la sensibilité des cultures réalisées (aux pucerons, chenilles et thrips). En rotation hors-sol sur base « anémone/renoncule », l'IFT moyen est de 14, dont 7,5 pour la seule problématique oïdium. En hors-sol chauffé, l'IFT gerbera est de 35 par an sur deux ans, dont dix pour l'aleurode et dix pour l'acarien.

Impasses et inconnues techniques et économiques

L'exemple du rosier

Malgré ces bons résultats, il faut rappeler que des impasses techniques existent. Le rosier est le cas le plus marquant, qu'il s'agisse de ravageurs nouveaux comme la cochenille ou plus anciens comme le thrips californien. L'IFT pourrait être de 50 au lieu de 150 si la protection des cultures était vraiment sous contrôle, mais l'explosion d'un seul de ces ravageurs fera exploser l'IFT sans que l'efficacité finale soit assurée ! Cela pose donc le problème de la robustesse de nos solutions pour des cultures sensibles soumises à forte pression sanitaire.

Manque de solutions et de références

Cela pose aussi le problème du manque de solutions efficaces disponibles, qu'elles soient chimiques, physiques ou biologiques.

De plus, pour la conception de systèmes de protection innovants, il existe clairement un manque de références sur l'efficacité de certaines techniques alternatives dans nos contextes d'utilisation, comme pour certains agents de biocontrôle. Ce manque est criant dans le cadre de la lutte contre les maladies aériennes, d'où certains essais d'efficacité développés dans le cadre du programme Hortiflor.

Développement de la rotation : des freins dans la filière

Malgré les bons résultats du programme, il serait imprudent d'estimer que les problématiques sanitaires sont maintenant totalement maîtrisées, voire sous contrôle. Les résultats apportent des pistes d'amélioration validées, mais celles-ci devront être confrontées aux conditions de chaque entreprise. L'application à l'échelle de l'entreprise permettra de répondre aux questions sur la validité technique ou économique des solutions, car il reste des inconnues.

L'intérêt de la rotation pour réduire l'IFT n'est pas négligeable, tout comme le fait de cultiver des espèces peu exigeantes d'un point de vue sanitaire... Mais l'idée de rotation suppose que toutes les cultures réalisées soient valorisées au niveau commercial, or ce n'est pas garanti ! La station du Scradh a d'ailleurs réalisé un OAD sur ce sujet.

La non-spécialisation des entreprises pour raison de rotations peut être un frein commercial face à des marchés qui demandent du produit de façon continue, donc se tournent vers les fournisseurs réguliers. De même, l'emploi dans la rotation d'espèces peu sensibles peut ne pas correspondre aux besoins réels des marchés qui ne tiennent pas compte des difficultés techniques et des IFT en entreprise.

Au niveau de l'entreprise, certaines techniques efficaces sont onéreuses

Outre la filière, les inconnues sont aussi dans l'entreprise. Par exemple, la déshumidification des cultures florales annuelles par un thermo-déshumidificateur est techniquement efficace, mais l'investissement, onéreux par rapport au chiffre d'affaires généré par mètre carré, rend l'efficacité économique incertaine.

De même, l'emploi de paillage contre les adventices pour un coût de 2 €/m² semble très coûteux. Le gain obtenu peut-il rentabiliser la technique ? Concernant la lutte contre les ravageurs aériens, la PBI fonctionne correctement mais coûte cher si les apports d'auxiliaires ne sont pas optimisés.

Il y a aussi les comportements explosifs de certains ravageurs qui sont ou peuvent être difficiles à contrôler avec les seuls auxiliaires (pucerons juste avant la floraison, thrips, chenilles). Les essais doivent se poursuivre pour fiabiliser les solutions proposées et réduire leur coût.

Un autre aspect plus sournois est la diminution de l'IFT chimique au profit d'une augmentation de l'IFT vert biocontrôle. Ceci peut engendrer des passages plus nombreux, donc une hausse des charges de main-d'oeuvre... un frein supplémentaire à l'application en entreprise !

La question du raisonnement

Enfin, raisonner finement chaque décision et ajuster la réponse (biologique ou chimique) demande un minimum de produits phytosanitaires efficaces compatibles avec la PBI et un système de surveillance des cultures très pointu. Ce qui a été mis en place dans nos essais est-il réalisable en entreprise (avec ou sans outil d'aide à la décision) ? Et à quel coût ?

À l'inverse de la lutte purement chimique, devenue quasi illusoire dans notre secteur, les nouvelles techniques de protection des plantes nécessitent des changements dans l'organisation des entreprises et la formation du personnel. Nul doute qu'il s'agit là d'un facteur clé de la réussite, comme d'un facteur clé de l'échec possible du transfert en entreprise. D'où l'intérêt de développer des outils d'aide à la décision et de renforcer le transfert vers les entreprises !