Les trichogrammes ressemblent à des abeilles en miniature (moins de 0,5 mm, voir photo 1). Plusieurs espèces de trichogrammes sont largement utilisées en lutte biologique, notamment le trichogramme du maïs pour lutter contre la pyrale. D'autres espèces peuvent être lâchées dans les vignes pour lutter contre eudémis et cochylis, des tordeuses qui s'attaquent aux grappes de raisin (photos 2 et 3).
Rappel des résultats de 2015
Suite d'une étude antérieure
Les travaux menés l'été 2015 par Biotop ont été présentés dans Phytoma en mars 2016 (Séguret et al., 2016). Parmi dix-neuf souches de trichogrammes testées en mélange au vignoble, trois semblaient prometteuses contre l'eudémis. Ces souches seront codées A1, B1 et B2 dans la suite de cet article.
Il restait à évaluer plus précisément l'efficacité de chacune de ces souches, en particulier la meilleure des trois (A1), sur eudémis mais aussi sur cochylis, toujours en conditions réelles au vignoble.
Nous souhaitions aussi approfondir l'évaluation de l'impact du soufre sur les trichogrammes afin de vérifier si des lâchers de trichogrammes pouvaient s'inscrire dans un programme comprenant du soufre.
Évaluation du taux de parasitisme en 2016
Un choix : les pontes sentinelles
Les trichogrammes s'attaquent aux oeufs des tordeuses eudémis et cochylis. Le meilleur moyen de contrôler leur action est donc de vérifier si les oeufs pondus sur les grappes sont parasités par les trichogrammes lâchés avant que les chenilles éclosent et consomment les grains de raisin.
Comme les oeufs des tordeuses sont très petits et presque transparents, il n'est pas aisé d'en trouver de grandes quantités au vignoble. Pour cette raison, nous avons décidé d'utiliser des oeufs fraîchement pondus sur baies de raisin au laboratoire.
Des grappes ont ainsi pu être repositionnées dans le vignoble, avec des oeufs d'eudémis ou de cochylis (souches d'élevage issues de l'Inra de Bordeaux), nous les appelons « grappes sentinelles » (voir Figure 1). Ces grappes sont déposées à distance des points de lâcher, autrement dit des diffuseurs de trichogrammes. Cette technique d'évaluation avait fait ses preuves dans les expérimentations précédentes en 2015.
Trichogrammes lâchés au vignoble
Pour réaliser ces expérimentations, nous avons été accueillis par trois producteurs volontaires sur leurs domaines viticoles, deux dans le Var (sites 1 et 3) et un dans les Alpes-Maritimes (site 2).
Dans plusieurs parcelles, selon les modalités, nous avons lâché des trichogrammes chaque semaine à raison de 100 diffuseurs/ha et 2 500 trichogrammes/diffuseur, durant huit semaines, soit un total de 2 millions de trichogrammes/ha.
Les trichogrammes sortent des diffuseurs et partent à la recherche d'oeufs naturels ou d'oeufs sentinelles à parasiter. L'observation du taux de parasitisme mesuré sur les oeufs sentinelles nous indique l'efficacité instantanée des trichogrammes pour une semaine donnée.
Les grappes sentinelles ne sont laissées que 2,5 à 3 jours au vignoble avant d'être récupérées. Ainsi, les éventuelles chenilles n'ont pas le temps d'éclore mais les trichogrammes ont eu le temps de visiter les oeufs.
Évaluation de l'efficacité agronomique, essais 2016
Comptage des perforations
Les trichogrammes parasitent les oeufs d'eudémis et cochylis, détruisant l'embryon des chenilles de ces tordeuses avant qu'elles aient occasionné le moindre dégât.
Pour vérifier l'efficacité des lâchers de trichogrammes, il est donc possible de comparer les perforations des grains de raisin sur des parcelles dans lesquelles ont été lâchés des trichogrammes, avec d'une part des parcelles soumises à la pratique du viticulteur (insecticide) et d'autre part un témoin sans traitement.
Suivi des pontes naturelles du site 1 de l'essai « taux de parasitisme »
Parmi les trois sites de l'expérimentation en région PACA, seul le site 1 présentait une infestation naturelle en eudémis. Il a donc été possible d'évaluer l'efficacité agronomique des trichogrammes en comptant le nombre de grains perforés sur cinquante grappes. Sur ce site, les trichogrammes des souches A1, B1 et B2 ont pu être lâchés, ce qui a permis de comparer l'efficacité de ces trois souches.
Rappelons que, pour chacune des trois souches, chaque diffuseur utilisé (photo 4)contenait 2 500 trichogrammes au même stade de développement avec émergence sur une semaine. Les lâchers ont été réalisés à la densité de 100 diffuseurs/ha durant huit semaines, soit 2 millions de trichogrammes/ha sur la saison, couvrant les deuxième et troisième générations d'eudémis (soit 1 million de trichogrammes/génération).
Essai « efficacité » de la souche A1 sur neuf autres sites
Afin d' évaluer l'efficacité des trichogrammes sur vigne sous d'autres régions et climats en été 2016, nous avons procédé à des lâchers de la souche A1 :
- sur huit sites entre Nantes et Tours (ouest de la France) où la cochylis prédomine ;
- sur un site proche de Cognac (Sud-Ouest) où l'eudémis prédomine.
Les neuf localités choisies sont : Bouaye, Haute-Goulaine et Basse-Goulaine (Loire-Atlantique), Chavagnes et Le Puy-Notre-Dame (Maine-et-Loire), Cersay (Deux-Sèvres), Bourgueil (Indre-et-Loire), Saint-Romain-sur-Cher (Loir-et-Cher) et Lignières-Sonneville (Charente).
Deux lâchers de trichogrammes ont eu lieu en juillet à deux semaines d'intervalle, à raison de 100 diffuseurs/ha par lâcher.
Chaque diffuseur contenant 5 000 trichogrammes à plusieurs stades de développement pour une émergence sur deux semaines, cela représente donc, là encore, 1 million de trichogrammes par hectare et par génération (ici la deuxième) de cochylis ou d'eudémis.
Taux de parasitisme en 2016
Observations générales
Toutes les analyses statistiques sont obtenues grâce au logiciel Statbox 7.5.1 (Vision 4). L'Anova (modèle linéaire général) réalisée lors de huit répétitions (huit mesures du taux de parasitisme), deux hôtes (eudémis et cochylis) et trois sites, montre que dans l'expérience sur les pontes sentinelles :
- l'effet site est significatif (F= 14,715 ; p < 0,001) ;
- l'effet souche est significatif également (F = 9,719 ; p < 0,001) ;
- en revanche, l'effet hôte n'est pas significatif (F = 2,071 ; p = 0,155).
Effet de l'hôte
L'effet de l'hôte paraît globalement non significatif (Figure 2). Les trois souches ont tendance à être légèrement plus performantes sur eudémis que sur cochylis, mais ces différences ne sont pas significatives.
Effet de la souche
La Figure 3 représente le taux de parasitisme mesuré sur les oeufs des grappes sentinelles par les trois souches de trichogrammes : la souche A1 est plus efficace que les deux autres (B1 et B2, qui ne sont pas significativement différentes).
Effet du site et du soufre
Globalement, une différence significative du taux de parasitisme est observée entre les sites. Mais, en analysant plus précisément les résultats souche par souche (voir Figure 4), on observe des différences de réaction entre souches.
Ce qui peut distinguer les sites les uns des autres sont les conditions climatiques (qui peuvent varier à l'intérieur de la région PACA), les cépages et l'itinéraire phytosanitaire. Nous pensons que ce dernier est déterminant, en particulier la stratégie d'utilisation du soufre, produit très toxique pour les trichogrammes.
La Figure 5 montre l'impact de traitements sur le parasitisme moyen observé sur les trois souches de trichogrammes.
On note que :
- le meptyldinocap a une toxicité et une rémanence de deux à trois semaines (site 1) ;
- un poudrage de soufre appliqué à 25 kg/ha montre une très forte toxicité et une rémanence de trois à six semaines (site 2) ;
- un poudrage de soufre à 12 kg/ha a une forte toxicité et une rémanence de deux à trois semaines (site 3) ;
- deux pulvérisations de soufre à faible dose (4 l/ha puis 10 l/ha deux semaines après) montrent un impact et une rémanence équivalents à un poudrage de soufre à 25 kg/ha, soit plus de trois semaines.
Si le soufre montre une toxicité et une rémanence affectant les trichogrammes, nous remarquons d'après la Figure 4 que l'efficacité des lâchers de trichogrammes durant toute la saison s'en trouve diminuée mais pas annulée.
D'autre part, la souche A1 semble moins sensible à un itinéraire comprenant du soufre que les deux autres souches. En particulier, la souche B2 paraît très sensible au soufre.
Effet de la distance par rapport à une parcelle traitée au soufre
Sur le site 2, une parcelle du domaine était mitoyenne d'une parcelle traitée lourdement au soufre durant tout l'été. Nous avons profité de cette configuration pour déposer des grappes sentinelles portant des oeufs d'eudémis tous les 10 mètres en commençant à 5 mètres du bord de la parcelle. Des diffuseurs de la souche A1 sont intercalés entre les grappes sentinelles.
La Figure 6 représente le taux de parasitisme mesuré sur ces grappes sentinelles. Elle montre qu'il n'y a pas de relation entre la distance à la parcelle traitée au soufre et la parcelle où nos expérimentations ont eu lieu (corrélation proche de 0). Nous considérons donc que les traitements au soufre ayant lieu sur une parcelle voisine ont peu d'incidence sur les trichogrammes (de la souche A1) dans la parcelle sur laquelle ils sont lâchés.
Résultats obtenus sur le comptage de dégâts en 2016
La souche A1 semble plus efficace sur le site 1 (département du Var)
Sur le site de l'essai réalisé dans le Var, l'efficacité des trichogrammes sur les pontes naturelles de tordeuses a pu être évaluée. En effet, sur le témoin sans lâcher de trichogrammes, un taux d'attaque de vingt-quatre foyers de chenilles sur cent grappes et une intensité d'attaque de 86 grains perforés sur cent grappes ont été dénombrés.
Nous avons évalué l'efficacité des lâchers de trichogrammes par rapport au témoin (Figure 7). En l'absence de répétitions, il est impossible de faire un traitement statistique et difficile de généraliser. Mais les comptages suggèrent fortement que la souche A1 serait bien plus efficace que les souches B1 et B2.
Efficacité dans l'Ouest et le Cognac
Dans l'expérimentation en infestation naturelle sur neuf sites, les attaques dans les témoins ont été nettement différentes selon les sites (voir tableau). Les trichogrammes réduisent de moitié la fréquence d'attaque, (nombre de grappes présentant des perforations de tordeuses en G2, voir Figure 8). Les résultats sont variables d'un site à l'autre selon la pression des tordeuses et la synchronisation des lâchers avec les vols de tordeuses.
En revanche, les trichogrammes ont une efficacité globale et assez groupée de 70 % sur l'intensité de l'attaque (Figure 8).
Efficacité des trichogrammes A1 par rapport à un insecticide
L'efficacité de la lutte avec les trichogrammes est égale, voire supérieure à celle obtenue à l'aide d'insecticides chimiques (Figure 9). Les insecticides chimiques sont dans plusieurs cas moins performants que les trichogrammes à cause de la plus ou moins bonne maîtrise des dates d'application, de l'application en plein (application sur l'ensemble de la plante couplée à un fongicide ou effet de dilution), ainsi que de leur durée d'action ou rémanence.
Efficacité selon la pression
La Figure 10 montre trois types de situation :
- forte pression, efficacité de 50-60 % ;
- pression moyenne, efficacité moyenne de 60-80 % ;
- pression faible, efficacité moyenne de 50-90 % (variable vu le moindre niveau d'infestation et l'hétérogénéité de celle-ci).
Perspectives
Choix de la souche A1
Dans nos essais en région PACA en 2016, la souche A1 montre les meilleurs résultats en ce qui concerne le taux de parasitisme et l'efficacité agronomique. D'autre part, cette souche semble moins sensible que les souches B1 et B2 à l'utilisation du soufre. Bioline Agro-Sciences commercialisera donc la souche A1 en 2017. Des cocktails de plusieurs souches seront testés en R&D pour évaluer une possible complémentarité.
Efficacité des trichogrammes
Les résultats dans l'ouest et le sud-ouest de la France en 2016 confortent ceux obtenus jusque-là en régions plus septentrionales. Les trichogrammes réduisent les dégâts de tordeuses avec une efficacité comparable à celle des insecticides. Ils constituent donc un produit dorénavant disponible pour les viticulteurs cherchant une solution alternative à ces insecticides.
*Bioline AgroSciences Valbonne. **Bioline AgroSciences Livron-sur-Drôme.
1 - La société Biotop devient Bioline
InVivo, premier groupe coopératif français, a réuni sous le nom de Bioline AgroSciences les activités de sa filiale historique Biotop et celles de Bioline, acquise au printemps 2016 auprès de Syngenta.
La station de R&D et innovation de Bioline, située à Valbonne (Alpes-Maritimes), reprend ainsi les études initiées sous le nom de Biotop, pour développer une solution à base de trichogrammes contre les tordeuses eudémis et cochylis.
2 - Des essais complémentaires dans le Sud-Ouest sur les 2e et 3e générations d'eudémis
Dans le Sud-Ouest, des essais complémentaires ont été menés à Saint-Étienne-de-Lisse (Gironde), Néac (Gironde) et Saint-Émilion (Gironde). Dans cette région, l'espèce eudémis est prédominante et accomplit trois générations. Pour deux des essais, quatre lâchers de trichogrammes ont été effectués entre début juillet et fin août à deux semaines d'intervalle. Le troisième essai avait pour objet la lutte contre la G3 (troisième génération) ; au vu de la durée plus longue de cette génération, trois lâchers ont été appliqués sur le mois d'août.
L'efficacité des trichogrammes sur la G3 montre des chiffres (non présentés ici) comparables à ceux obtenus en G2 dans l'Ouest ; cette efficacité est encore améliorée avec trois poses de diffuseurs.
Fig. 1 : Essai « taux de parasitisme », disposition des « pontes sentinelles » et des diffuseurs de trichogrammes
Plan commun aux trois sites (deux dans le Var et un dans les Alpes-maritimes) de l'expérimentation menée en 2016. « Trichos » signifie « diffuseur de trichogrammes ». Les lignes horizontales représentent les rangs de vignes.
Fig. 2 : Parasitisme des trois souches sur eudémis et cochylis
Résultats 2016, les trois sites provençaux confondus.
Fig. 3 : Parasitisme global des trois souches
Résultats globaux (deux tordeuses confondues). L'« effet souche » est visible. La supériorité de la souche A1 de trichogrammes est significative.
Fig. 4 : Performance des trichogrammes face au soufre pour ce qui est du taux de parasitisme
Site 1. Pas d'application de soufre.
Site 2. Une application de soufre (25 kg/ha en S25).
Site 3. Trois applications de soufre (4 l/ha en S24, 10 l/ha en S26, 12 kg/ha en S29).
Fig. 5 : Impact des traitements, notamment au soufre, sur les sites 1, 2 et 3 de l'essai « taux de parasitisme »
L'impact du soufre (sites 2 et 3) est mis en évidence par rapport à celui d'un autre fongicide (site 1).
Fig. 6 : Pas d'effet « soufre mitoyen » sur le site 2
La proximité d'une parcelle traitée au soufre n'a pas d'effet sur le parasitisme de la souche A1 : même parasitisme à toutes les distances au soufre (site 2).
Fig. 7 : Efficacité agronomique des trois souches sur le site 1
C'est une indication de tendance (un seul site, pas de répétition donc pas d'analyse statistique), mais... nette !
Fig. 8 : Essais « efficacité », effet de la souche A1 sur les dégâts de tordeuse
Efficacité sur neuf sites en 2016, calculée en % des dégâts dans le témoin.
Fig. 9 : Essais « efficacité », effets des traitements sur l'intensité de l'attaque
Comparaison entre trichogrammes et insecticides sur les neuf sites en 2016.
Fig. 10 : Essais « efficacité », résultats selon la pression en tordeuses
L'efficacité des trichogrammes est peu dépendante de la pression en tordeuses (faible corrélation).
REMERCIEMENTS
REMERCIEMENTS aux producteurs et aux distributeurs qui nous ont accompagnés et accueillis sur leurs domaines : domaine de la Roquette à La Crau, vignoble Rasse à Saint-Jeannet, Domaine de Val d'Iris à Seillans, coopérative CoopAzur (Jardica) à La Crau, Frédéric Chon à Basse-Goulaine, groupe coopératif Ocealia à Cognac, EARL Domaine de la ville en bois (Pascal Gobin) à Bouaye, société Ax'vigne à Noyers-sur-Cher, Thierry Houx à Restigne, société LVVD à Mozé-sur-Louet, François Martin à Cersay, Denis Goizil à Chavagnes-les-Eaux, Michel Olivier à Haute-Goulaine, SCEA Ackerman au Puy-Notre-Dame, Alain Claudel à Saint-Romain-sur-Cher, société Vitivista à Mérignac, société Inovitis en Gironde, GDON du Libournais à Saint-Émilion, château Grand Ormeau, appellation lalande-de-pomerol (responsable technique, Maxime Tach) à Néac, Groupe Isidore à Gémozac. Merci à l'équipe impliquée dans ces essais et sans laquelle l'expérimentation n'aurait pu aboutir : Benoît Frank, Lisa Brancaccio, Thomas Lepilleur, Corinne Frenoy, Laetitia Aprosio, Louis Dorison, Céline Bois et toute l'équipe R&D de Bioline AgroSciences.