DOSSIER - Méthodes alternatives

Virus de la granulose du carpocapse : le bal des isolats

GISELA BRAND*, DANIEL ZINGG* ET ALAIN QUERRIOUX** - Phytoma - n°702 - mars 2017 - page 47

Mieux comprendre le fonctionnement du virus de la granulose du carpocapse avec les groupes génétiques de ses divers isolats améliore son intérêt comme bio-insecticide pour la lutte intégrée en vergers de pommiers et poiriers.
Contre le carpocapse des pommes, il est nécessaire d'alterner les modes d'action insecticides. Y compris pour les bio-insecticides à base de virus de la granulose. Bonne nouvelle, différents groupes génétiques de ce virus permettent cette alternance.  Photo : Andermatt Biocontrol

Contre le carpocapse des pommes, il est nécessaire d'alterner les modes d'action insecticides. Y compris pour les bio-insecticides à base de virus de la granulose. Bonne nouvelle, différents groupes génétiques de ce virus permettent cette alternance. Photo : Andermatt Biocontrol

 Vue au microscope de virus de la granulose du carpocapse, alias CpGV. Photo : D. Winstanley - Andermatt Biocontrol

Vue au microscope de virus de la granulose du carpocapse, alias CpGV. Photo : D. Winstanley - Andermatt Biocontrol

Tableau 1 : propriétés des produits à base de CpGV disponibles en France

Tableau 1 : propriétés des produits à base de CpGV disponibles en France

Tableau 2 : recommandations selon la situation du verger

Tableau 2 : recommandations selon la situation du verger

Depuis une vingtaine d'années, le virus de la granulose est un élément important des programmes de lutte contre le carpocapse des pommes et des poires. Les progrès récents de la recherche permettent de mieux appréhender les interactions entre ce virus et son hôte.

Ces connaissances ouvrent des perspectives pour la performance insecticide et la gestion des résistances dans le cadre de la lutte intégrée en verger.

Vingt-cinq années d'évolution

Un succès et sa rançon

Le carpocapse est un ravageur de première importance, répandu dans quasiment toutes les zones d'arboriculture fruitière (fruits à pépins) du monde entier. Depuis plus de vingt-cinq ans, le virus de la granulose du carpocapse (CpGV) constitue une solution insecticide ciblée et très efficace, tant en lutte biologique qu'en lutte intégrée.

Mais, rançon du succès et de l'usage répété du CpGV seul dans certains vergers, des baisses de sensibilité ont été signalées dans des exploitations en Allemagne en 2004, et les années suivantes en France et d'autres pays d'Europe (Fritsch et al., 2005 ; Sauphanor et al., 2006 ; Schmitt et al., 2013).

La recherche stimulée

Une coopération étroite entre la recherche, l'industrie et la profession a permis une réaction efficace. Les recherches stimulées par ces résistances ont in fine conduit à de nouvelles connaissances sur l'écologie des virus de la granulose. La diffusion de ces connaissances vers les producteurs et la profession fait envisager de nouvelles options pour augmenter l'efficacité et gérer le phénomène de résistance.

Nouvelles connaissances

Génétique des virus

Les recherches portant sur la diversité génétique des virus de la granulose du carpocapse ont été substantiellement approfondies par l'utilisation de technologies nouvelles. Grâce à l'analyse moléculaire du génome, il est possible, en l'état des connaissances actuelles, de répartir les isolats connus de CpGV en cinq groupes génomiques, dits groupe A à groupe E (Gebhardt et al., 2014). Ils recouvrent toute la diversité génétique des CpGV décrite à ce jour.

Les premiers insecticides à base de virus distribués en Europe étaient à base d'un isolat d'origine mexicaine dit CpGV-M et qui appartient au groupe A. Deux produits commerciaux disponibles en France contiennent des isolats du groupe A.

Par ailleurs, les populations de carpocapse ont fait l'objet d'investigations poussées pour élucider les soupçons de baisse de sensibilité au CpGV. L'existence de deux types de résistance du carpocapse au virus de la granulose a ainsi été démontrée.

La résistance de type I

Décrite pour la première fois en 2005, la résistance de type I est bien étudiée. Relevée sur diverses exploitations en Europe, elle ne touche que des préparations virales du groupe génomique A (Gebhardt et al., 2014). Elle a été principalement observée sur des exploitations traitées durant plusieurs années exclusivement au CpGV-M. Le développement de cette résistance pourrait être attribué à une spécificité génétique de cet isolat, jouant un rôle lors des premiers stades du processus infectieux.

La résistance de type I est transmise par un gène dominant situé sur le chromosome Z du carpocapse. Elle ne semble pas causer de handicap sélectif au carpocapse, d'où sa dissémination relativement rapide au sein de la population (Undorf-Spahn et al., 2012).

Les isolats des groupes B, C, D et E peuvent surmonter la résistance de type I (Gebhardt et al., 2014). De fait, les populations résistantes de type I répondent très bien aux isolats des autres groupes du virus. En France, deux insecticides sont efficaces pour lutter contre la résistance de type I (voir Tableau 1).

La résistance de type II

À ce jour extrêmement rare, la résistance de type II n'est décelée, à notre connaissance, que sur quelques exploitations allemandes (Jehle et al., 2016). Ce type de résistance se transmet également par un gène dominant. La localisation de ce gène, inconnue à ce jour, n'est pas sur le chromosome Z. Le mécanisme de la résistance est l'objet de recherches en cours.

Les préparations du groupe génomique B sont en mesure de surmonter cette résistance en même temps que celle du type I. En France, un seul insecticide contient une ou des souches du groupe B.

Pourquoi la résistance apparaît dans des vergers isolés de plusieurs pays

De façon générale, les populations de carpocapse sont relativement sédentaires. Pourtant, les études génétiques menées sur elles conduisent à conclure qu'il existe en Europe un flux d'échanges entre populations (Zichová et al., 2013). Ces transmissions de gènes peuvent s'expliquer par le transport de pommes infestées ou de palettes de bois où hibernent des larves.

De ce fait, il peut arriver que des gènes de résistance se diffusent sur des grandes distances au sein de populations non résistantes avec une fréquence très faible. Ensuite, ces gènes se manifestent, de façon indépendante, sur des vergers où la pression de sélection est assez forte pour les favoriser (Jehle, 2008). En identifiant de façon précoce une baisse de sensibilité au virus, il est possible de la combattre immédiatement par un moyen approprié, donc prévenir l'extension de la résistance à d'autres populations.

Gestion des résistances

Ne pas se limiter aux virus

C'est l'application répétée sur de nombreuses générations d'un insecticide CpGV d'un seul groupe génétique qui risque de révéler une résistance. Les programmes combinant insecticides conventionnels et CpGV courent par conséquent un risque très faible. En revanche, le problème peut se poser dans les exploitations disposant d'un choix réduit de solutions, notamment en production biologique.

Dans ce cas, il est tout de même possible de varier les moyens de lutte contre le carpocapse. Outre l'application de CpGV, l'utilisation de la confusion sexuelle ou de nématodes entomopathogènes est suggérée. On mentionnera également les mesures d'hygiène à l'intérieur et aux alentours des exploitations.

Alterner des virus entre eux

Par ailleurs, il est évident que le choix d'insecticides à base de virus de groupes génétiques différents est judicieux pour limiter le risque de larves résistantes au CpGV. Les producteurs français disposent aujourd'hui de quatre insecticides à base de CpGV autorisés, distincts par leurs groupes génétiques ou par leurs isolats.

Le CpGV-V22 et le CpGV-M relèvent du groupe génomique A. Grâce au choix d'un isolat spécifique, le CpGV-V22 est le premier virus sélectionné également pour son efficacité contre la tordeuse orientale du pêcher (Cydia molesta), en abrégé « TOP ».

Les méthodes analytiques les plus récentes fournissent des éclaircissements sur la composition génétique de deux autres insecticides. L'un d'eux, à base de l'isolat CpGV-R5, peut essentiellement être intégré au groupe génomique E même s'il contient d'autres génotypes en plus faibles proportions (Jehle et al., 2016). Pour l'autre, à base de l'isolat codé CpGV-V15, les principales souches constituant cet isolat se répartissent à parties à peu près égales entre les groupes génomiques B et E (J. Jehle, non publié).

Par ailleurs, des caractéristiques comme la faible dose/hectare, le caractère non gélif des formulations, la compatibilité avec d'autres produits ou la résistance au lessivage sont des critères pratiques importants dans le choix des producteurs.

Recommandations pratiques

Les vergers français fonctionnent dans des contextes variés. En l'état actuel des connaissances, des recommandations adaptées aux diverses situations peuvent être formulées. Elles sont résumées dans le Tableau 2.

Une baisse de sensibilité au virus n'est pas forcément due à la résistance. Mais si une baisse de sensibilité à un de ces produits est suspectée dans un verger, elle doit être signalée rapidement afin d'effectuer les vérifications nécessaires. Si les soupçons se confirment, il existe sur le marché un test qualitatif rapide mis au point en 2013 par DLR Rheinpfalz et la JKI (voir Encadré 3).

D'autre part, l'appartenance à un groupe génomique (A à E) est, certes, déterminante mais n'est pas suffisante pour expliquer toute l'efficacité des isolats. Ces derniers se différencient par d'autres caractéristiques : rapidité d'action, niveau de virulence contre les larves du carpocapse, etc. C'est à l'arboriculteur de faire son choix.

Perspectives

Regard sur le futur des CpGV

Vu la complexité du mode d'action des virus de la granulose, il y a relativement peu de cas de résistance en dépit de leur utilisation de longue date. Cependant, aussi longtemps que la dynamique et les mécanismes de l'apparition de résistances ne sont pas entièrement établis, il est souhaitable de rester très prudent sur l'application des différents isolats.

En procédant à une sélection des populations résistantes de carpocapse avec passage sur l'hôte, on arrive à renforcer la virulence d'un isolat viral par coévolution hôte-pathogène en laboratoire (Graillot et al., 2014). Des technologies similaires seront utiles pour développer de nouveaux produits à l'avenir (Jehle et al., 2016). Andermatt Biocontrol effectue en continu des recherches sur la gestion de la sélection, de la virulence et des résistances, permettant ainsi la mise sur le marché de produits viraux toujours plus efficaces pour la lutte contre le carpocapse et d'autres ravageurs de première importance.

*Andermatt Biocontrol AG. **Andermatt France.

1 - Types de résistance du carpocapse au CpGV

Résistance de type I

- Rencontrée sur diverses exploitations en France, Allemagne, Italie, Autriche, Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse.

- Pas de handicap sélectif apparent pour les tordeuses résistantes.

- Transmission par gène dominant.

- Gène de la résistance localisé sur le chromosome Z.

- Les préparations à base d'isolats des groupes génomiques B, C, D, E sont à même de surmonter cette résistance.

Résistance de type II

- Très rarement observée à ce jour, confirmée en Allemagne uniquement.

- Transmission par gène dominant.

- Gène de la résistance localisé sur un chromosome non encore identifié (mais ce n'est pas le Z).

- Mécanisme non encore entièrement élucidé par la recherche.

- Les préparations à base d'isolats du groupe génomique B sont à même de surmonter cette résistance.

2 - Et les spécialités ?

Les quatre isolats évoqués dans cet article sont disponibles dans les produits commerciaux suivants :

- Carpovirusine 2000 pour l'isolat « mexicain », le CpGV-M (groupe A) ;

- Madex Twin pour l'isolat CpGV-V22 (groupe A également, mais avec une activité complémentaire contre la tordeuse du pêcher) ;

- Carpovirusine EVO 2 pour l'isolat CpGV-R5 (souches des groupes A et E, ce dernier majoritaire) ;

- Madex Pro pour l'isolat CpGV-V15 (souches des groupes B et E).

La rédaction de Phytoma

3 - Test rapide de détection de résistance au CpGV

Si en début de saison une baisse de sensibilité à une préparation de CpGV est soupçonnée, il est possible de collecter les pommes infestées et les envoyer au laboratoire d'Andermatt pour un test rapide. Ce test ne peut se pratiquer que sur des larves aux premiers stades de développement. Pour avoir un résultat fiable, il est nécessaire d'envoyer la plus grande quantité possible de pommes infestées. Environ quatre semaines plus tard, le test donne une réponse qualitative sur l'existence d'une résistance (Schulze-Bopp et al., 2013).

On pourra ainsi éventuellement réagir par l'application sur les générations suivantes d'un traitement approprié.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Des bio-insecticides à base de CpGV sont utilisés depuis une vingtaine d'années sur pommier et poirier comme outil de biocontrôle contre le carpocapse Cydia pomonella.

L'usage répété et exclusif de préparations à base de ce virus dans certains vergers a abouti à l'apparition de résistances de populations de carpocapse. Cela a stimulé la recherche.

TRAVAUX - Des études ont permis d'identifier deux types de résistance du carpocapse au CpGV et cinq groupes génétiques du virus.

Le groupe A (celui de l'isolat le plus anciennement utilisé) est le seul affecté par la résistance de type I, identifiée en Allemagne puis en France et dans d'autres pays. Parmi les autres groupes, le groupe B n'est pas affecté par la résistance de type II, actuellement rarissime.

RÉSULTATS - Des conseils sont donnés pour gérer les quatre isolats de virus disponibles en fonction des groupes auxquels appartiennent leurs souches : alternance entre eux et avec d'autres outils.

MOTS-CLÉS - Méthodes alternatives, biocontrôle, bio-insecticide, CpGV, granulovirus, isolat, groupe génétique, résistance, carpocapse Cydia pomonella, verger, pomme.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTS : alain.querrioux@andermatt.fr

envoyer des échantillons : contact@andermatt.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (onze références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

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