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Trois jours au coeur du Columa 2016

MARION DA CUNHA LOBO*, CHLOÉ DUSACRE*, LUCIE FOUSSARD*, MATHILDE GRAILLAT*, LAURÈNE PERTHAME*, MARIE-ANGÉLIQUE PETIT*, LAURE PITROIS*, BENOÎT THIRET* ET JEAN-PHILIPPE GUILLEMIN** - Phytoma - n°703 - avril 2017 - page 10

La 23e édition de la conférence internationale sur la lutte contre les mauvaises herbes, organisée par l'AFPP, s'est déroulée à Dijon en décembre dernier. Compte rendu par des étudiants d'AgroSup Dijon.
Au centre des congrès de Dijon, la tribune du Columa a permis aux nombreux intervenants d'évoquer les problématiques actuelles concernant les adventices. Photo : UMR Agroécologie

Au centre des congrès de Dijon, la tribune du Columa a permis aux nombreux intervenants d'évoquer les problématiques actuelles concernant les adventices. Photo : UMR Agroécologie

 Photo : UMR Agroécologie

Photo : UMR Agroécologie

Dix-neuf gènes marqueurs de RNLC codant pour des enzymes pouvant dégrader les herbicides ont été détectés dans les ivraies (Lolium spp.). Photo : UMR Agroécologie

Dix-neuf gènes marqueurs de RNLC codant pour des enzymes pouvant dégrader les herbicides ont été détectés dans les ivraies (Lolium spp.). Photo : UMR Agroécologie

Le Columa a réuni les spécialistes des questions liées aux adventices des cultures. De nombreux thèmes ont été abordés : nouvelles technologies, réglementation, systèmes de culture en France et sous les tropiques... Il a donné lieu à de multiples échanges entre chercheurs, journalistes, représentants d'organismes et d'entreprises.

Nuisibilité et biologie

Un thème de recherche toujours d'actualité

Un point sur la nuisibilité des adventices a ouvert le colloque. Il a signalé, pour une majorité de situations, une perte de rendement en situations non désherbées chez le blé d'hiver, le colza et le tournesol.

Que ce soit pour l'identification des facteurs causant cette baisse, ou bien pour l'étude des méthodes de lutte, la nuisibilité est toujours un thème de recherche actuel. Face à des plantes aux caractéristiques biologiques diverses et à niveau de nuisibilité difficilement quantifiable, la maîtrise de la nuisibilité exercée par les adventices reste un travail complexe pour laquelle des arbitrages doivent être faits.

Biovigilance et écologie

Les flores adventices évoluent

Dans un contexte de réduction d'utilisation des herbicides, il est essentiel de connaître l'évolution de la flore adventice afin de proposer des moyens de gestion aux agriculteurs. Ainsi, le programme VigieFlore, mené par Syngenta, mesure et quantifie l'évolution des flores adventices et des pratiques de désherbage en grandes cultures depuis plus de dix ans. Avec des objectifs similaires, l'Acta, le réseau des instituts des filières animales et végétales, a mis en place des relevés floristiques hebdomadaires pour accompagner les agriculteurs dans la maîtrise du salissement de leurs parcelles.

Pour répondre à ce besoin d'accompagnement, des projets de recherche comme l'ANR CoSAC sont mis en place. Ils permettent d'élaborer des stratégies de gestion des adventices applicables dans divers contextes d'évolution des pratiques agricoles, de climat et de la biodiversité.

D'autres acteurs mènent également des études sur les pratiques agricoles qui permettent de préserver les espèces messicoles : ces dernières constituent en effet un aspect essentiel de la biodiversité, alors même qu'elles diminuent drastiquement depuis plusieurs dizaines d'années.

Nouvelles technologies

Une voie d'avenir presque présente

Pour répondre à la diminution de l'application des produits phytopharmaceutiques, et face à la pénibilité du travail lié au désherbage mécanique, l'utilisation des nouvelles technologies se dessine comme une voie d'avenir. Se déplacer de façon autonome dans la parcelle, détecter et éliminer les adventices ainsi que transmettre des données précédemment collectées sont les grandes fonctions des robots récemment développés. I-Weed Robot en est un exemple ; cet outil, guidé grâce au Wi-Fi, est capable de localiser des adventices puis les éliminer, mais doit encore être perfectionné (il n'en détecte que 73 %). D'autres robots sont également testés dans les vignobles afin de désherber sur le rang sans abîmer les ceps.

Le GPS ou encore le traitement d'images par proxi-détection sont deux systèmes actuellement développés afin d'améliorer la lutte contre les adventices. La première technologie est au service de la réduction de produits phytopharmaceutiques pulvérisés sur les voies ferrées de la SNCF. La seconde est utilisée par Syngenta afin de détecter la flore adventice pour la conception d'une application déterminant le salissement de l'interrang en cultures de céréales.

Enfin, au-delà de nos frontières métropolitaines, le réseau informatique multi-acteur Wikwio (voir « Liens utiles ») sert de plateforme d'information sur les différentes espèces adventices rencontrées par les professionnels de l'ouest de l'océan Indien.

Cette session affirme l'essor des nouvelles technologies face aux problématiques du désherbage, mais de nombreuses améliorations et développements sont encore à effectuer.

Résistances des adventices aux herbicides

Connaître les facteurs de risque

Face à la diminution du nombre de molécules actives herbicides autorisées, le développement des résistances des adventices aux herbicides inquiète.

Aujourd'hui, les premiers facteurs de risque de résistance identifiés sont la monoculture et l'utilisation répétée des substances actives avec le même mode d'action.

Une étude sur des phytoprotecteurs (alias safeners, ou encore safeneurs, molécules qui visent à augmenter la sélectivité d'un herbicide vis-à-vis d'une culture) a également montré que leur application augmente le risque de sélection de résistances non liées à la cible (RNLC). Ce type de mécanismes de résistance (RNLC) a sélectionné des populations d'ambroisie à feuilles d'armoise résistantes à plusieurs herbicides inhibiteurs de l'ALS(1).

Les leviers d'action sur le phénomène

Pour gérer et limiter l'expansion de cette adventice indésirable, des essais ont démontré l'efficacité de l'utilisation de leviers agronomiques en association avec les solutions chimiques comme le désherbage mixte. L'alternance des modes d'action des herbicides est également un facteur très important.

Afin de mieux détecter les résistances, des tests moléculaires conduits chez les ivraies (Lolium spp.) ont permis d'identifier dix-neuf gènes marqueurs de RNLC codant pour des enzymes pouvant dégrader les herbicides.

Dernières évolutions réglementaires

L'utilisation professionnelle ou amateur des produits phytopharmaceutiques est soumise à de nombreuses évolutions législatives et réglementaires touchant différents domaines. Elles sont marquées, entre autres, par les évolutions du plan Écophyto.

En viticulture, il en résulte une diminution des solutions herbicides disponibles et une flore adventice résistante à certains herbicides qui se développe. Face à ce problème, le désherbage mixte est le plus répandu, avec l'augmentation progressive du désherbage mécanique.

Concernant le risque de ruissellement lié aux herbicides, le dispositif végétalisé permanent de 5 ou 20 mètres (DVP5m ou DVP20m) est l'unique mesure réglementaire existante. Le dispositif DVP20m convient cependant peu à la profession agricole, en raison d'une forte diminution de la surface exploitable. Une autre mesure est proposée afin de maîtriser le risque par un diagnostic en fonction du type de ruissellement et de la parcelle.

Dans le même esprit, l'indicateur Shift, encore en développement, permet d'envisager des changements de pratiques à la parcelle afin de réduire l'utilisation d'herbicides. De plus, dans le but de diminuer l'IFT(2), le réseau de fermes Dephy teste différentes méthodes (optimisation de l'utilisation des herbicides, méthodes alternatives, systèmes de culture innovants).

Systèmes de culture

Trois types de leviers

Face à la difficulté de maîtrise des adventices, de nombreux essais sur les techniques agricoles sont effectués, notamment en grandes cultures. Ainsi, des travaux sur la récupération des menues-pailles, l'introduction d'orges hybrides, l'association d'espèces en particulier avec des légumineuses (en culture [pois] ou en couvert [luzerne]), la réduction du travail du sol et des associations de substances actives, pour ne citer que ces exemples, montrent des résultats intéressants.

Il existe, à ce jour, trois principaux leviers d'action pour désherber : chimique, mécanique et agronomique. Une combinaison de plusieurs d'entre eux s'est révélée efficace selon plusieurs travaux.

Cultures diverses, associées et/ou en rotation

Ainsi, les associations culturales (par exemple avec des légumineuses sous couvert de culture) semblent offrir un fort potentiel en termes de réduction de la flore adventice. Il est cependant nécessaire de contrôler leur développement pour limiter la compétition avec la culture de rente. D'après Arvalis-Institut du végétal, de nombreux produits phytopharmaceutiques d'automne et de sortie d'hiver sur blé restent utilisables dans ces associations sans risques majeurs pour les légumineuses.

De plus, différentes études ont montré que les rotations diversifiées ont un potentiel prometteur sur la gestion des adventices.

Plusieurs essais d'enherbement sous le rang en viticulture ont été également présentés pendant cette session. Les résultats sont variables, selon les caractéristiques pédo-climatiques et la surface enherbée.

Par ailleurs, une étude de Bayer CropScience montre qu'un labour et un faux-semis avant un semis tardif de céréales permettent de réduire de façon importante la flore adventice. L'association avec un programme herbicide après le semis (à l'automne et en sortie d'hiver) semble améliorer cette réduction.

Pour certaines adventices, c'est la solution chimique qui reste la plus efficace. Cela se vérifie pour la gestion du vulpin, dans le cas de rotations courtes (colza-blé-orge), d'après une étude réalisée par Dijon Céréales. Des solutions prometteuses en termes de sélectivité vis-à-vis du ray-grass anglais et d'efficacité sur les pensées et les véroniques vont bientôt être mises sur le marché pour désherber les dicotylédones dans les cultures de graminées porte-graines.

Les outils d'aide à la décision

Lors de cette session, de nombreux outils permettant de gérer les adventices dans les systèmes de culture ont été présentés.

Ainsi, l'outil d'aide à la décision (OAD) OdeRA-vivaces, issu d'un partenariat entre Agro-Transfert et l'Acta, permet d'évaluer le « risque chardon » selon les systèmes de culture. L'Inra développe plusieurs outils à destination des agriculteurs et du conseil en agriculture ; un OAD pour la gestion intégrée des adventices est en cours d'élaboration. Un indicateur pour évaluer le potentiel de rétention des pesticides par les adventices et son impact sur le transfert vers l'environnement est également développé.

Cultures tropicales

Malgré une problématique commune face à la flore adventice, de nombreuses distinctions existent entre les pays tropicaux, ici les DOM-TOM et l'Afrique, et la France métropolitaine.

En changeant de climat, les cultures et les adventices rencontrées diffèrent ; c'est ce que révèlent les études effectuées sur la culture ivoirienne de coton en 2014. Par conséquent, certains produits autorisés en France ne sont pas utilisables sous ces latitudes.

C'est entre autres pour contourner cette difficulté que le désherbage mécanique est largement utilisé dans les DOM-TOM pour la canne à sucre. Un état des lieux de cette pratique a donc été mis en place par les CTCS(3) Martinique et Guadeloupe.

De plus, les mêmes organismes étudient la piste de l'utilisation des plantes de service en interculture. Le salissement des parcelles de canne à sucre est un réel problème, entraînant parfois un surdosage de l'application des produits phytopharmaceutiques tels que le 2,4-D ; de nouvelles solutions tentent donc d'être apportées en proposant d'autres mélanges de produits.

Comportement des herbicides dans les milieux

Le transfert des herbicides dans l'eau a été au coeur des débats de la matinée du 8 décembre. Les résultats du projet Équipe nous ont montré que les meilleurs indicateurs existant pour prédire le risque de transfert sont ceux qui intègrent le plus de variables.

Par ailleurs, il a été présenté différentes mesures de prévention qui ont montré leur efficacité et qui s'étendaient des pratiques agricoles aux aménagements du paysage. Il en est ressorti que la limitation des transferts demande une démarche collective, fondée sur des diagnostics locaux permettant la mise en place des mesures cohérentes pour le territoire et les acteurs concernés.

Nouvelles solutions herbicides

Cette session a présenté des travaux sur de nouvelles solutions herbicides, qu'elles soient d'origine synthétique ou naturelle. Ainsi, de nouveaux herbicides ont fait leurs preuves pour le désherbage des céréales d'hiver, de la pomme de terre, du maïs ou encore des vergers. Plusieurs solutions herbicides ont montré leur efficacité sur l'ambroisie.

Par ailleurs, des recherches sont effectuées pour identifier des micro-organismes à action herbicide. Les bioherbicides (herbicides d'origine naturelle) seront à valoriser dans le cadre de la réduction de l'utilisation des herbicides de synthèse.

Conclusion

De nombreux travaux qui ont mis en avant l'importance de la combinaison des différents leviers d'action pour le désherbage (agronomique, mécanique et chimique) ont été présentés cette année au cours du Columa.

De nouvelles technologies et de nouveaux outils sont ainsi développés afin d'accompagner la profession agricole vers la réduction d'utilisation des herbicides de synthèse. Cependant, cette réduction est entravée par la présence de verrous technologiques et la moindre efficacité des leviers non chimiques actuellement disponibles.

*Étudiants AgroSup Dijon, dominante Agronomie-Environnement. **UMR Agroécologie, AgroSup Dijon, Inra, Université Bourgogne Franche-Comté. (1) Acétolactate synthase. (2) Indicateur de fréquence de traitement. (3) Centre technique de la canne et du sucre.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La 23e édition de la conférence du Columa de l'AFPP, à Dijon du 6 au 8 décembre 2016, a fait le point sur des questions liées aux mauvaises herbes (ou adventices).

TRAVAUX - Les thèmes abordés sont :

- la biologie des adventices et leur nuisibilité ;

- l'évolution de ces flores (biologie, écologie) ;

- la réalité des nouvelles technologies aujourd'hui (atouts, limites) et leurs perspectives ;

- les résistances d'adventices aux herbicides ;

- les évolutions réglementaires ;

- les travaux sur les systèmes de culture ;

- le comportement des herbicides dans les milieux ;

- les problématiques des milieux tropicaux ;

- les nouvelles solutions herbicides.

MOTS-CLÉS - Columa (Comité de lutte contre les mauvaises herbes), AFPP (Association française de protection des plantes), adventices, désherbage, herbicides, résistance, évolution.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : jean-philippe.guillemin@agrosupdijon.fr

LIENS UTILES : www.afpp.net

Réseau Océan Indien : http://portal.wikwio.org

BIBLIOGRAPHIE : les communications évoquées dans cet article sont publiées dans les annales de ce 23e Columa, disponible à l'AFPP (lien ci-dessus).

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