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Débat : quel désherbage des cultures dans dix ans ?

MARION DA CUNHA LOBO*, CHLOÉ DUSACRE*, LUCIE FOUSSARD*, MATHILDE GRAILLAT*, LAURÈNE PERTHAME*, MARIE-ANGÉLIQUE PETIT*, LAURE PITROIS*, BENOÎT THIRET* ET JEAN-PHILIPPE GUILLEMIN** - Phytoma - n°703 - avril 2017 - page 13

Dans le cadre du Columa 2016, une table ronde portait sur la réglementation, les résistances ou encore les méthodes alternatives.
Les participants à la table ronde qui s'est tenue le 6 décembre dernier, à Dijon. Photo : M.-F. Delannoy

Les participants à la table ronde qui s'est tenue le 6 décembre dernier, à Dijon. Photo : M.-F. Delannoy

De l'agriculteur au chercheur en passant par la coopération agricole, les instituts techniques et l'administration, ils étaient cinq, le 6 décembre 2016, à débattre de l'avenir du désherbage des cultures, toutes techniques confondues.

De la diversité

Les intervenants et les thèmes

La table ronde animée par Marianne Decoin, de Phytoma, a réuni Christian Durlin, agriculteur élu FNSEA(1), Jean-Paul Bordes, du secteur recherche et développement d'Arvalis-Institut du végétal, Savine Oustrain, directrice recherche et innovation au sein du groupe coopératif Vivescia, Gilles Rabatel, directeur de recherche à l'Irstea(2) et Jacques Grosman, de la DGAL(3) au sein de la Draaf(4) Rhône-Alpes.

Nous aborderons ici les principaux thèmes évoqués : les aspects réglementaires, les résistances face à la baisse du nombre de substances herbicides autorisées, les solutions alternatives ou mixtes ainsi que les nouvelles technologies.

« Millefeuille réglementaire »

Jacques Grosman a expliqué qu'une substance active doit être approuvée par l'Union européenne pour être autorisable en France et qu'elle est réévaluée en général tous les dix ans. Ces réévaluations peuvent aboutir au retrait de substances, d'où une diminution du nombre de celles autorisées sur le marché.

Une autorisation au niveau de chaque État membre est ensuite nécessaire pour commercialiser des produits phytopharmaceutiques formulés.

La situation actuelle (évaluation plus fine des caractéristiques toxicologiques et écotoxicologiques des molécules et méfiance de la population face à ces produits) a amené la législation à se durcir.

Des mesures incitatives à la réduction des produits phytopharmaceutiques ont été mises en place. Le plan de compétitivité des exploitations permet d'aider financièrement les exploitants voulant investir dans des équipements pour réduire l'application des produits. Des actions collectives sont soutenues dans le cadre des GIEE (groupements d'intérêt économique et environnemental) et des CEPP (certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques).

Toutefois, la diminution de solutions de désherbage chimique pose problème vis-à-vis de certaines adventices toxiques (datura, morelle noire, etc.) soumises à réglementation. La présence de ces espèces, même en quantité infime, crée un risque pour la santé humaine et peut entraîner la destruction de récolte.

Le « millefeuille de réglementation » induit un manque de compétitivité face à l'Asie ou l'Amérique, et semble limiter la dynamique d'innovation.

« On ne crée pas la résistance, on la révèle »

Aujourd'hui, 246 biotypes d'adventices résistent au moins à un herbicide. Selon Arvalis, la moindre variété des solutions phytosanitaires, couplée au moindre usage de certaines techniques agronomiques (par exemple, le labour) favorisera l'apparition de phénomènes de résistances. En effet, les mêmes substances actives seront amenées à être utilisées plus fréquemment, ce qui accélère l'apparition d'individus résistants dans les populations d'adventices.

La réduction de l'indice de fréquence de traitement (IFT) semble donc peu compatible avec la diminution du nombre de substances autorisées et de modes d'action disponibles...

L'ensemble des acteurs de la table ronde s'accorde à dire que la réduction de 50 % des produits phytopharmaceutiques d'ici 2025, fixée par le plan Écophyto 2, sera très compliquée à atteindre, notamment pour les herbicides à cause du manque de solutions alternatives vraiment efficaces.

Il existe très peu d'herbicides de biocontrôle efficaces en grandes cultures. De plus, ils sont plus coûteux que les herbicides chimiques, de même que la mise en oeuvre du désherbage mécanique. Par ailleurs, les adventices toxiques pour l'alimentation demandent un désherbage quasi total, voire total. Ceci pose question sur le niveau d'acceptation de salissement des parcelles et sur l'évolution de la réglementation.

L'agriculteur espère un nouveau panel d'herbicides. Selon le représentant d'Arvalis, de nouvelles molécules pourraient être mises sur le marché, à condition de moins focaliser sur la notion de danger et davantage sur celle du risque, en faisant plus confiance aux agriculteurs et à leur capacité de gérer les difficultés.

À la recherche de solutions alternatives

D'après tous les intervenants, le désherbage devrait se raisonner selon trois volets ; cela permettrait d'ouvrir le champ des possibilités de gestion des mauvaises herbes. Les actions chimiques, mécaniques et agronomiques doivent impérativement être combinées afin d'obtenir un désherbage efficace permettant de diminuer les IFT.

Cependant, les trois types d'action ne sont pas toujours faciles à mettre en place. Vu la diversité des exploitations françaises, toutes les méthodes de lutte ne peuvent être adaptées. L'idéal est d'envisager la construction de l'itinéraire cultural à l'échelle de chaque parcelle.

D'après Jean-Paul Bordes et Christian Durlin, toutes les méthodes de lutte agronomique ne sont pas encore bien maîtrisées. Elles sont pourtant nombreuses. Les successions culturales, les dates de semis et la mise en place de couverts végétaux sont les moyens les plus connus. Cependant, des recherches restent à effectuer. Par exemple, il y a des difficultés de maîtrise du développement des couverts qui peut devenir négatif pour la croissance et le développement de la culture d'intérêt.

Le désherbage mécanique suscite beaucoup d'intérêt en France, mais aujourd'hui le changement climatique, à l'origine de conditions météorologiques instables, diminue, voire supprime des fenêtres d'intervention disponibles pour les opérations.

D'après Gilles Rabatel, un problème des solutions alternatives serait un manque d'engagement (des instituts et sociétés d'agroéquipements) ou de financement (de l'État et des entreprises privées). Il faudrait pourtant investir dans la recherche de solutions alternatives ces dix prochaines années afin de compenser la baisse du nombre d'herbicides autorisés en France.

Actuellement encore, il y a moins de risques d'échec en désherbage chimique qu'en désherbage alternatif. Néanmoins, vu les restrictions de plus en plus fortes en termes de nombre et de conditions d'utilisation des pesticides, et les baisses souhaitées d'IFT, il faut mettre en place dès aujourd'hui des programmes de recherche proposant des alternatives pertinentes en termes de coût, efficacité et praticité, gage d'acceptation et d'appropriation par les agriculteurs.

Nouvelles technologies

Le sujet des nouvelles technologies et plus particulièrement de la robotisation a été abordé. La rédactrice en chef de Phytoma l'a introduit en présentant la robotisation comme un espoir. Ce à quoi Jean-Paul Bordes a répondu que le noeud du problème est la différenciation par les robots entre culture et adventices. Selon Savine Oustrain, de Vivescia, les robots de désherbage ne sont pour l'instant utilisables qu'en maraîchage.

Savine Oustrain et Jean-Paul Bordes s'accordent sur une vision à dix ans d'un désherbage plus complexe mais compensé par une amélioration des technologies (repérage, prévision). Des outils type GPS embarqués existent déjà pour accompagner les agriculteurs afin de mieux maîtriser leurs interventions en termes de qualité et nombre de passages. Il reste beaucoup d'améliorations technologiques à réaliser afin de faciliter le travail des agriculteurs et rendre l'offre plus abordable.

Gilles Rabatel a ajouté qu'on pouvait s'attendre à l'apparition de robots arracheurs de mauvaises herbes à 100 euros, de la taille d'une boîte à chaussure avec des batteries écologiques. La salle a nuancé ces propos ; en effet, les robots ne seraient utilisables que pour réaliser des interventions en post-levée.

Conclusion

Dans dix ans, la mise en oeuvre du désherbage sera plus complexe et devra être adaptée et ajustée localement à chaque système. Il faudra combiner différentes techniques. De plus, cette évolution se fera dans un contexte de changement climatique, c'est-à-dire de conditions climatiques très imprévisibles. « On va passer du prêt à porter au sur mesure. »

Ces solutions « sur mesure » risquent d'être plus complexes et chronophages pour les agriculteurs, donc plus coûteuses. Pour maintenir la rentabilité des exploitations, le prix des récoltes devrait augmenter. Face à des productions importées à moindre coût, qui achètera plus cher des produits français ?

*Étudiants AgroSup Dijon, dominante Agronomie-Environnement. **UMR Agroécologie, AgroSup Dijon, Inra, Université Bourgogne Franche-Comté. (1) Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles. (2) Institut nat. de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture. (3) Direction générale de l'alimentation. (4) Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Dans le cadre de la 23e conférence du Columa de l'AFPP, une table ronde a réuni le 6 décembre 2016 un agriculteur et des représentants de l'Irstea, d'Arvalis-Institut du végétal, du MAAF et d'une coopérative.

PROSPECTIVE - Selon ses intervenants :

- le cadre réglementaire du désherbage chimique se durcit, avec une future baisse de la diversité des herbicides autorisés ;

- les résistances aux herbicides vont augmenter ;

- il faudra combiner des mesures agronomiques avec des désherbages mécanique et chimique mieux ciblés (moins gourmands en énergie et produits) grâce à la robotique et aux NTIC ;

- les techniques n'étant pas toutes au point, des recherches intensives sont nécessaires.

MOTS-CLÉS - Columa, AFPP, désherbage, herbicides, biocontrôle, agronomie, désherbage mécanique, NTIC (nouvelles techniques d'information et communication), prospective.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : jean-philippe.guillemin@agrosupdijon.fr

LIEN UTILE : www.afpp.net

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