DOSSIER - Vertébrés nuisibles

Mieux surveiller les campagnols terrestres et les taupes

STÉPHANE VIDAL ET YVES MICHELIN, université Clermont Auvergne, VetAgroSup. - Phytoma - n°704 - mai 2017 - page 26

Un système d'information a été conçu et développé pour moderniser la surveillance des populations de ravageurs dans le Massif central.
À Pailherols (Cantal). De graves dégâts peuvent être dus à des pullulations de campagnols, surtout du campagnol terrestre, alias grand campagnol ou rat taupier, même si le campagnol des champs et les taupes sont parfois présents.  Photo : Y. Michelin.

À Pailherols (Cantal). De graves dégâts peuvent être dus à des pullulations de campagnols, surtout du campagnol terrestre, alias grand campagnol ou rat taupier, même si le campagnol des champs et les taupes sont parfois présents. Photo : Y. Michelin.

 Photo : Campagnol : S. Laffont - FDGDON 63

Photo : Campagnol : S. Laffont - FDGDON 63

Les données du projet

Les données du projet

Depuis les années 1960, l'évolution des pratiques agricoles (spécialisation et intensification) a entraîné une restructuration des espaces ruraux du Massif central et a rendu les systèmes agricoles vulnérables à des espèces naturellement pullulantes, dont le campagnol terrestre Arvicola terrestris (Delattre et Giraudoux, 2009).

Pourquoi travailler sur le système de surveillance

Agir au bon moment

La lutte contre cette espèce, dite aussi rat taupier, n'est efficace que si l'on agit à basse densité quand les populations, peu visibles, ne posent pas encore de problème. Il faut combiner des méthodes directes et indirectes tenant compte des caractéristiques locales des territoires et des contraintes des exploitations (Michelin et al., 2014).

Pour agir au bon moment, il faut surveiller les populations. Un cadre réglementaire défini en 2002 puis 2014 organise la lutte collective et la surveillance du territoire.

Des moyens à renforcer

L'État, qui réalisait ce suivi, l'a transféré à la profession agricole en 2008. Mais, faute de moyens et de méthodes adaptées, le système actuel ne permet pas de surveiller tout l'espace concerné (Holleville et al., 2015). En outre, il est difficile de mobiliser des observateurs en dehors des pics de population, ce qui limite les possibilités de lancer les alertes suffisamment tôt.

Enfin, il est important de préciser que la surveillance du territoire n'est également possible que dans des fenêtres de temps limitées par des facteurs impondérables comme les conditions climatiques (neige, visibilité, accès des routes...) et la hauteur d'herbe permettant d'observer les tumuli de campagnols.

L'objectif du projet initié dans le Massif central en 2016 est d'utiliser les technologies mobiles et systèmes d'information géographique (SIG) pour améliorer l'efficacité de la surveillance et du système d'alerte associé (Couval et al., 2015) afin d'agir quand les interventions ont le plus de chance d'être efficaces, avant le démarrage des pullulations et dès le début du déclin.

Le système actuel

Modalités de fonctionnement

En Auvergne, depuis 1985 (Fichet-Calvet et al., 2000), le système de surveillance était mené par le SRPV sur la base de scores communaux établis une fois l'an entre octobre et mars selon la méthode définie par Giraudoux et al., 1995 (0 : peu ou pas de foyers de campagnols ; 1 : < 200 individus/ha sur la commune ; 2 : > 200 individus/ha sur une partie de la commune ; 3 : > 200 individus/ha sur toute la commune).

Pour augmenter la précision et mieux localiser les foyers de démarrage, le SRPV est passé en 2001 à une estimation par maille carrée de 1 km2 avec des valeurs intermédiaires entre 0 et 3. Un SIG web dédié (nommé Campanet) gérait les informations et produisait des cartes intégrées aux bulletins d'avertissement (Figure 1). C'était très novateur et amélioré par rapport au système précédent.

La question des « moyens humains »

Mais au cours du temps, le système s'est révélé limité pour plusieurs raisons. Déjà très coûteuse en temps, la saisie des observations a été rapidement abandonnée par les bénévoles et présidents de GDON en période de basse densité. Ensuite, durant cette période, la baisse des financements publics attribués à la surveillance a aussi contribué à l'essoufflement du système, et de ce fait entraîné des grands décalages entre observations et alertes.

Certains démarrages n'ont pas été cartographiés suffisamment tôt, donc des luttes coordonnées pas lancées à temps. Ainsi en 2015, une pullulation sévissait dans le Nord Cantal mais peu de cases étaient renseignées (Figure 2). Il n'a pas été possible de déceler précocement d'éventuels autres foyers, d'où des populations importantes dans l'ouest du Cantal en 2016.

Traitement des données

Ensuite, le système informatique étant sous-traité à un prestataire privé, toute analyse plus précise des données aurait généré des coûts supplémentaires.

Enfin, la chaîne de traitement des données était très chronophage. Les prospecteurs notaient leurs observations sur papier puis, revenus au bureau, saisissaient les notes de chaque carré dans Campanet. La saisie des observations dans le système occupait beaucoup de temps, c'était donc contre-productif et très peu réactif.

Les autres départements du Massif central manquent aussi de moyens d'observation. Ainsi en Lozère, les populations de campagnol ont été estimées depuis l'automne 2013 sur un canton (Le Malzieu) par la méthode Campanet (BSV Prairies Lozère, n° 1, 2014). En 2016, ce réseau s'est élargi au nord du département à l'aide de bénévoles non-agriculteurs (BSV Prairies Lozère, n° 14, 2016). Les cartographies sont communales.

Modernisation nécessaire

Il existe donc un vrai besoin de moderniser le système d'observation pour :

- couvrir le territoire plus régulièrement ;

- réduire le délai entre l'observation de la situation et l'information des acteurs ;

- développer davantage d'analyses pour identifier des secteurs prioritaires ;

- construire des stratégies d'actions coordonnées à l'échelle de petites régions ayant les mêmes dynamiques de population.

Voie d'amélioration : l'usage des nouvelles technologies

Recueil des besoins des acteurs

Sur la base de ce constat, nous avons rencontré tous les acteurs de la surveillance du territoire afin de caractériser plus précisément les points faibles du système actuel, identifier des freins et inventorier les besoins à satisfaire pour l'améliorer. Nous avons réalisé une série d'entretiens organisés autour des questions principales suivantes :

- quelle efficacité attribuez-vous aux méthodes que vous utilisez sur le terrain ?

- à quelles difficultés êtes-vous confrontés ?

- quelles données possédez-vous déjà ?

- une mutualisation des données vous intéresse-t-elle ? À quelles conditions ?

- quels besoins et attentes identifiez-vous pour le nouvel outil à l'heure actuelle ?

- qu'espérez-vous d'un outil de surveillance ?

Deux objectifs principaux

À partir de ces éléments, deux objectifs principaux ont été identifiés.

Le premier concerne la collecte de l'information afin de lever deux freins majeurs : la difficulté de se repérer sur le terrain et le temps perdu à la saisie des observations. Les nouvelles fonctionnalités de la téléphonie mobile (localisation GPS, saisie directe sur téléphone, envoi des données via internet) peuvent y remédier.

Le second concerne le traitement de l'information pour obtenir plus rapidement des cartes de meilleure facture et des analyses spatiales plus élaborées. Là encore, les progrès technologiques récents (SIG libres très puissants, fonctionnalités d'analyse spatiale renforcées, moyens de publication cartographiques web très riches, dits « webmapping ») ouvrent des voies novatrices. Le cahier des charges est résumé Figure 3.

Le projet Massif central

Démarche partenariale pour premier prototype

Nous avons donc lancé la conception d'un outil spatial de suivi et de gestion des populations de taupes (précurseur des pullulations), campagnols et prédateurs, adapté au contexte du Massif central.

Il s'agit d'une démarche partenariale de co-construction avec les acteurs concernés : profession agricole, gestionnaires de la faune sauvage, naturalistes, collectivités locales, services déconcentrés de l'État, chercheurs. Cette étape d'incubation est portée par l'établissement d'enseignement et de recherche VetAgroSup, le temps que se mette en place une gouvernance multipartenariale pilotée par la profession agricole.

Les objectifs sont :

- suivre en temps réel la dynamique des populations à l'échelle régionale et à celle des zones locales de lutte coordonnée ;

- permettre la réalisation d'analyses et cartographies des données ;

- proposer un outil d'aide à la décision pour évaluer les risques d'intoxications liés à la lutte chimique ;

- automatiser et simplifier la collecte d'informations via les technologies mobiles.

Il s'inscrit dans la surveillance biologique du territoire (SBT) qui vise à détecter les pullulations, suivre la dynamique des populations et aider les agriculteurs à comprendre et se situer dans le cycle de pullulation. Grâce à un financement du Fiam, nous avons en 2016 analysé les besoins, modélisé le problème et testé un prototype.

Vers la version stable

Une deuxième phase, financée sur crédits FNADT, a débuté en janvier 2017. L'objectif est de passer du prototype actuel à une version stable pouvant dès 2017 :

- offrir une application smartphone/tablette pour estimer les populations de campagnols et taupes, utilisant la méthode du scoring communal (notations géolocalisées à l'échelle infracommunale) ou la méthode indiciaire (diagonale de la parcelle) ;

- combiner ces informations avec celles d'autres acteurs (faune sauvage, chasseurs, LPO) pour détecter les zones à risque d'intoxication de faune non-cible.

Durant cette phase, il est prévu de formaliser des mécanismes d'alerte auprès de divers publics (agriculteurs, GDON, techniciens...) s'appuyant sur ces observations pour émettre des conseils et suggérer des actions, développer les liens avec l'accompagnement des agriculteurs et assurer le transfert du système vers une structure qui le fera vivre dans le temps.

Conception de l'outil SIG

Partage de données et modélisation

Les partenaires ont été sollicités pour partager leurs données. Le tableau ci-dessus récapitule les données rassemblées.

À partir du modèle de données et des cahiers des charges, nous avons dégagé une architecture préférentielle du futur système d'information (Figure 4), structurée en deux principales composantes :

- l'application web/mobile pour recueillir les données d'observations sur les campagnols (terrestre et des champs) et la taupe ;

- la base de données spatiale qui réunit ces données et celles issues des autres sources ; ces données peuvent être interrogées et croisées par requêtes spatiales et importées automatiquement dans le SIG.

Application mobile

Face aux besoins liés à la propriété des données et aux exigences de conception de formulaires spécifiques, nous avons développé en interne une application web basée sur le responsive design en bénéficiant de l'appui et des compétences d'experts locaux.

Nous avons dû gérer deux contraintes. La première est liée au fait que les téléphones portables ne captent pas toujours de réseau sur le terrain. L'application fonctionne donc même en mode déconnecté.

La deuxième est liée au type d'utilisateur. L'appel à des non-spécialistes exigerait des rubriques d'aide en ligne... La phase de déploiement fera appel à des techniciens agricoles et des espaces naturels : la production de données sera testée par des utilisateurs habitués aux prospections et sachant repérer les indices de présence.

Pour géolocaliser les données, le plus simple et fiable est d'utiliser la puce GPS de la plupart des téléphones actuels.

Lors de son activité de SBT (surveillance du territoire), le technicien roulant en voiture observe le paysage de part et d'autre de la route. Depuis l'application installée sur son téléphone, il enregistre des points d'observation (géolocalisés) correspondant à des sous-secteurs de la commune et leur attribue des notes par espèce (taupe, campagnol terrestre, campagnol des champs).

Le prototype est composé de trois pages :

- la page « cartographie des données » permet d'afficher les dernières observations et de gérer l'envoi des enregistrements ;

- le formulaire « score » (où chaque point est géolocalisé) permet de saisir les observations correspondant au score communal sur des échelles de notations par espèce ;

- le formulaire « diagonale » permet de saisir les observations de la diagonale indiciaire (abondance des espèces à intervalles de 5 m le long d'une ligne traversant la parcelle).

Système d'information

Le système d'information repose sur une base PostgreSQL qui enregistre en temps réel les notations issues des observations géolocalisées sur les mobiles des utilisateurs. Il intègre aussi les données des autres fournisseurs. Une géométrie générée automatiquement dans la base de données peut ainsi être visualisée et représentée de manière dynamique dans le SIG.

Chaque observation étant associée aux notes des trois espèces, l'outil fournit un nuage de points pondérés dans notre outil cartographique. Sur cette base, des interpolations spatiales permettent à l'aide de fonctions mathématiques d'estimer notre variable en tout point d'une grille régulière (Figure 5).

Bilan provisoire

Un outil fonctionnel qui va évoluer

Le travail mené depuis juillet 2016 a abouti à la création d'un prototype fonctionnel et novateur. Il automatise la chaîne des processus impliqués dans la SBT, de la saisie d'observations sur le terrain jusqu'à la visualisation des nuages de points dans le logiciel SIG. Il permet déjà au suivi en temps réel des populations du campagnol terrestre de gagner en réactivité et performances.

Un des atouts majeurs du système est qu'il est évolutif. D'abord, c'est encore un prototype en l'attente de version stable. Ensuite, il est constitué de composantes webmapping et SIG pour lesquelles de nombreuses évolutions sont possibles. L'application a vocation à se déployer à l'échelle nationale.

Changer les méthodes de travail

Cette nouvelle solution implique d'importants changements dans les méthodes de travail, l'organisation des tâches relatives à la surveillance, la gestion des données ou encore les moyens de lutte.

En particulier, comme l'observation génère un grand volume de données à intégrer dans un système d'information, l'administrateur de ces données joue un rôle central. Sa fonction n'existait pas dans les structures classiques de surveillance.

Les performances de l'outil induisent des méthodes plus précises de collectes plus fréquentes. Cela implique plus de rigueur et d'homogénéité des protocoles d'observation. Les FDGDON deviennent des pilotes et experts de la surveillance, responsables d'un réseau d'observateurs, et animateurs de la réflexion pour concevoir des stratégies collectives territorialisées et les décliner en actions sur le terrain.

Ce projet atteint ainsi les objectifs définis durant sa phase d'incubation. Il participe à l'optimisation des moyens de lutte collective et raisonnée en offrant un outil cartographique d'aide à la décision. Plus largement, il illustre l'évolution actuelle des systèmes de surveillance, mieux articulés avec le pilotage coordonné de la lutte dans une logique d'agriculture de précision. Ce ne sont que des prémices, mais prometteuses.

Fig. 1 : Dans le Massif central, une surveillance précise

Situation des populations de campagnol terrestre à l'automne 2002 dans le Massif central, telle qu'évaluée avec Campanet, outil novateur à l'époque.

Fig. 2 : Un système qui s'était essoufflé, l'exemple du Cantal

État des prospections dans le Cantal en 2015, en juin, septembre et décembre (source : BSV Prairies). L'intensité de la surveillance, donc la qualité des informations recueillies, n'a pas été maintenue, ce qui a limité les possibilités de lancer les opérations de lutte à temps.

Fig. 3 : Éléments de diagnostic

Le cahier des charges du nouvel outil est ainsi établi.

Fig. 4 : Architecture générale du système d'information

Structure élaborée à partir du modèle de données et du cahier des charges.

Fig. 5 : Carte des niveaux d'abondance de taupe dans le Cantal (interpolation spatiale calculée à partir des données de février à avril 2017)

CRAIG BD Topo version 2.2 IGN 2016. DCM convention n° 40000404 CRAIG Scan 50 Express standard version 1 IGN 2016. Convention APL n° 400001086. réalisation et édition Stéphane Vidal - Vetagro Sup. Mai 2017

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La maîtrise des populations de campagnol terrestre exige d'agir avant les pullulations cycliques de ce ravageur. Pour cela, une surveillance efficace est nécessaire. Dans le Massif central, cette surveillance n'a pas pu être durablement maintenue.

<DIAGNOSTIC - Une action a démarré en 2016 pour remédier à ces manques. Un diagnostic a permis de fixer deux objectifs pour un nouveau système d'information : faciliter la collecte d'informations et améliorer leur traitement.

PROTOTYPE - VetAgroSup a élaboré un prototype, utilisant :

- a téléphonie mobile pour la collecte d'informations (localisées par GPS puis transmises automatiquement) ;

- les nouveautés (base PostgreSQL) pour le système de traitement des informations (cartographies).

PERSPECTIVE - Ce prototype disponible en 2017 évoluera en version stable largement utilisable.

MOTS-CLÉS - Vertébrés nuisibles, campagnol terrestre Arvicola terrestris, surveillance, GPS, OAD (outil d'aide à la décision), cartographie.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : stephane.vidal@vetagro-sup.fr

LIEN UTILE : www.campagnols.fr

BIBLIOGRAPHIE : - Couval G., Coeurdassier M., Morin C., Weidmann JC., Renault F., Truchetet D., Brault B., Crozier D., Dervaux A., Giraudoux P., Girod E., Guillemard P., Plaquin B., Ruant J. 2015, Un outil d'aide à la décision visant à évaluer le risque d'effets non intentionnels des rodenticides sur la faune sauvage.

- Delattre P., Giraudoux P., 2009, Le campagnol terrestre, prévention et contrôle des populations, éditions QUAE, Versailles. Collection Savoir-faire, 363 p.

- Fichet-Calvet E., Pradier B., Quéré J.-P., Giraudoux P., Delattre P. (2000), Landscape composition and vole outbreaks : evidence from an eight year study of Arvicola terrestris, Ecography, 23 (6), 659-668.

- Fredon Franche-Comté, 2014, Le campagnol terrestre : le portail de la lutte intégrée www.campagnols.fr

- Giraudoux P., Pradier B., Delattre P., Deblay S., Salvi D., Defaut R., 1995, Estimation of water vole abundance by using surface indices, Acta Theriologica, 40 : 77-96.

- Holleville N., Jaquet H., Salines M., 2015, Vers une évolution du réseau de surveillance du campagnol terrestre, VetAgroSup, 48 p.

- Michelin Y., Couval G., Giraudoux P., Truchetet D., 2014, Pour en finir avec les paradis du campagnol terrestre : de la compréhension des pullulations dans les prairies à l'action ! Association française pour la production fourragère, Fourrages.

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